Página inicial > Modernidade > Friedrich Nietzsche > Franck (Nietzsche:C1) – a representação e o corpo

Franck (Nietzsche:C1) – a representação e o corpo

quinta-feira 29 de junho de 2023, por Cardoso de Castro

  

Original

L’ouvrage de Schopenhauer  , dont le titre récapitule l’ensemble de la philosophie moderne, s’ouvre par la proposition : « Le monde est ma représentation. » Si cette thèse vaut, selon Schopenhauer, pour tout être vivant et connaissant, c’est exclusivement chez l’homme qu’elle peut faire l’objet d’une conscience réfléchie. La représentation, corrélation pure du sujet et de l’objet, est donc « la forme de toute expérience possible et imaginable, plus générale que toutes les autres, le temps, l’espace et la causalité »  [1]. Dès que le Je pense, compris comme un Je me représente une représentation, est au principe de la philosophie, nulle vérité n’est plus évidente, certaine et absolue que celle qui affirme le lien d’essence entre le sujet connaissant et les objets connus, entre le sujet « un et indivisible en tout être représentant » [2] et les objets qui, subordonnés aux formes a priori du temps, de l’espace et de la causalité, sont nécessairement multiples.

Cette thèse issue de Descartes   et Berkeley  , reconnue, ajoute Schopenhauer, par la philosophie védanta, résulte cependant d’une abstraction ainsi que l’atteste « la résistance intérieure » [3] que nous éprouvons à tenir le monde pour une pure et simple représentation. Elle doit donc être complétée par une autre vérité, plus originaire que la première : « Le monde est ma volonté. » Que signifie cet énoncé ? Comment y parvient-on ? Au terme de quelle argumentation ou de quelle expérience ? Et si seules les représentations constituent le donné initial, quelle est la représentation (ou l’objet) susceptible de nous conduire à poser que le monde intuitif est, au-delà de la représentation, volonté ?

Les représentations se distribuent en classes, dont la dissertation Sur la quadruple racine du principe de raison suffisante fait l’inventaire. Si ce principe exprime, de la manière la plus générale, la liaison nécessaire des représentations, sa forme ne peut manquer de varier en fonction de la nature des représentations qui lui sont soumises. Schopenhauer distingue donc 1) les représentations intuitives, complètes et empiriques (les objets réels) liées par la loi de causalité ou principe de raison du devenir ; 2) les représentations abstraites, représentations de représentations, concepts, liées par le principe de raison suffisante de la connaissance selon lequel les jugements doivent être fondés ; 3) les représentations formelles pures, l’espace et le temps, dont le rapport réciproque des parties, c’est-à-dire la position et la succession, est déterminé par le principe de raison suffisante de l’être ; et 4), unique en son espèce, la représentation immédiate du sens interne, le sujet du vouloir en tant qu’objet immédiat pour le sujet de la connaissance, dont les actes obéissent à la loi de motivation, principe de raison suffisante de l’action. L’entendement, la raison, la sensibilité pure, le sens intime ou conscience de soi sont les corrélats subjectifs de chacune de ces quatre classes de représentations.

Les représentations intuitives et complètes – la mati  ère assujettie à la causalité – constituent le monde de l’expérience offert à la connaissance. Mais connaître, c’est connaître la cause depuis l’effet. Cela signifie d’abord, la sensibilité supposant la matière et la causalité, que l’intuition empirique consiste dans la connaissance de la cause à partir de l’effet, au moyen de l’entendement, bref, qu’elle est intellectuelle ; ensuite, qu’aucune intuition du monde ne serait possible sans un effet premier servant de point de départ aux opérations de l’entendement. Quelle est alors la représentation immédiatement donnée sur laquelle s’applique l’entendement, c’est-à-dire la loi de causalité, et d’où procède la connaissance du monde en tant que totalité des représentations ?

C’est le corps, dont les sensations sont appréhendées par l’entendement comme des effets renvoyant nécessairement à des causes. La sensation subjective devient alors intuition objective et le monde objet de connaissance. « Le corps, écrit Schopenhauer, est pour nous ici l’objet immédiat, c’est-à-dire cette représentation qui est le point de départ de la connaissance du sujet, puisqu’elle précède, avec ses modifications immédiatement connues, l’application de la loi de causalité et lui procure ainsi les premières données. Toute l’essence de la matière consiste dans la causalité, dans l’effectivité. Or, il n’y a d’effet et de cause que pour l’entendement, qui n’est rien de plus que leur corrélat subjectif. Mais l’entendement ne pourrait jamais s’appliquer si quelque chose d’autre ne lui était donné dont il puisse partir. Cette autre chose est la pure et simple sensation sensible, la conscience immédiate des modifications du corps en vertu de laquelle celui-ci est son objet immédiat. » [4] Une telle argumentation, où le lexique kantien est si étrangement sollicité, soulève aussitôt un problème. En effet, est-il possible de faire de mon corps un objet, fût-ce immédiat, avant l’intervention de l’entendement ? Autrement dit : si le corps est à l’origine de l’objectivité, peut-il être lui-même un objet et, en le qualifiant d’objet immédiat servant de point de départ à l’intuition intellectuelle et objective, Schopenhauer ne commet-il pas d’entrée de jeu une pétition de principe ? Certes, il précise, à propos de l’expression « objet immédiat », que « le concept d’objet ne doit pas y être pris au sens le plus propre puisque, par cette connaissance immédiate du corps qui précède l’application de l’entendement et qui est une pure et simple sensation sensible, ce n’est pas le corps (Leib) lui-même qui se présente en tant qu’objet, mais les corps (Körper) qui ont un effet sur lui » [5]. Voir la difficulté ne suffit cependant pas à la résoudre, et si mon propre corps n’est objectivement connu que par l’application de la loi de causalité aux rapports entre ses organes, la question demeure de savoir d’où provient l’objectivité immédiate du premier organe, dont l’affection est comprise comme l’effet d’un second qui en est la cause. L’aporie n’est pas sans conséquence dès lors que le corps est le point de départ de la connaissance par la causalité, qui ne lie que des objets, et le médiateur obligé de toute intuition objective.

Le corps est donc la représentation immédiate qui ouvre accès à l’ensemble ordonné des représentations. Mais le monde n’est-il que représentation ou bien autre chose encore qui ne serait plus représentation ? Avant de répondre, il faut justifier la question. La représentation est la forme fondamentale de la conscience, et en distinguant représentations intuitives et représentations abstraites, Schopenhauer fait des premières le contenu des secondes. Dès lors, si la représentation abstraite est une forme contenant la représentation intuitive, ne convient-il pas de s’enquérir du contenu de la représentation intuitive elle-même ? Il va de soi que ce dernier ne saurait être représentatif ou objectif, partant qu’il est inaccessible au fil conducteur du principe de raison suffisante.

Il serait toutefois impossible d’atteindre l’être non-représentatif du monde (et l’être du monde est, selon Schopenhauer, l’unique thème de la philosophie [6]) sans une représentation permettant d’excéder la représentation vers ce qui en diffère radicalement. « La signification recherchée du monde qui me fait face au seul titre de représentation, ou le passage de ce monde en tant que simple représentation à ce qu’il peut être outre-représentation, serait à jamais introuvable, remarque alors Schopenhauer, si le chercheur lui-même n’était rien que le pur sujet connaissant (une tête d’ange ailée sans corps). » [7] C’est donc parce que le sujet de la connaissance, le philosophe, n’est pas angélique et incorporel mais incorporé et individué hic et nunc, qu’il est possible d’outrepasser la représentation. Le corps n’est pas seulement une représentation que le sujet a, mais également que le sujet est, et si ses mouvements ne m’apparaissaient que sous forme représentative, ils me seraient aussi étrangers et extérieurs que ceux de n’importe quel autre corps. Qu’il n’en soit rien avère que mon corps s’offre à moi de deux manières : « D’une part, comme représentation dans l’intuition intellectuelle, en tant qu’objet parmi les objets et soumis à leurs lois, d’autre part et simultanément, sur un mode tout à fait différent, comme ce qui est immédiatement connu et que désigne le mot volonté. » [8] Mon corps est représentation et volonté, le sujet de la connaissance est identique à celui du vouloir.

Bettina Bergo & Philippe Farah

Schopenhauer’s work, whose title recapitulates the entirety of modem philosophy, opens with the following proposition: “The world is my representation.” If this thesis is valid, according to Schopenhauer, for every living and knowing being, then it is exclusively in humans that it can become the object of reflective consciousness. As the pure correlation of the subject and the object, representation is thus “the form of all possible and imaginable experience, more general than the other forms, time, space, and causality.” From the moment that the I think, understood as an I represent to myself a representation, is set as the principle of philosophy, no truth is more evident, certain, and absolute than that which affirms the essential connection between the knowing subject and the objects known, between the subject as “whole and undivided in every representing being” and those objects that are necessarily multiple because subordinate to the a priori forms of time, space, and causality.

This thesis from Descartes and Berkeley, and recognized, as Schopenhauer adds, by the philosophy of the Vedanta school, nevertheless [80] results from an abstraction—as attested by the “internal resistance” that we feel when taking the world for a pure and simple representation. The thesis must therefore be completed by another truth, more originary than the first one: “the world is my will.” But what does this statement mean? How does one come to it? At the end of what argument or what experience? And if it is only representations that constitute the initial datum, then what is the representation (or the object) apt to lead us to posit that the intuitive world is—beyond representation—will?

Representations are distributed into classes, an inventory of which was established by Schopenhauer’s dissertation On the Four-fold, Root of the Principle of Sufficient Reason. If this principle expresses, in the most general way, the necessary connection between representations, its form will not fail to vary according to the nature of the representations subjected to it. Schopenhauer thus distinguishes (1) intuitive representations, which are complete and empirical (real objects) and connected by the law of causality or the sufficient reason of becoming. (2) Abstract representations, representations of representations, concepts, connected by the principle of sufficient reason of knowledge, according to which judgments should be grounded. (3) Pure, formal representations, i.e., space and time, whose reciprocal relationship of parts, that is position and succession, is determined by the principle of sufficient reason of being. Finally, (4) and unique in its genre, the immediate representation of the internal sense, or the subject of willing qua immediate object for the subject of knowledge, whose acts obey the law of motivation, or the principle of sufficient reason of action. Understanding, reason, pure sensibility, the internal sense or self-consciousness, are the subjective correlates of each one of Schopenhauer’s four classes or representations.

Intuitive and complete representations—matter subjected to causality—constitute the world of experience offered to knowledge. But to know is to know the cause from the effect. That means first, with sensibility presupposing matter and causality, that empirical intuition consists in the knowledge of the cause starting from the effect, by means of the understanding; in a word, that it is intellectual. It further means that no intuition of the world would be possible without a first effect serving as the point of departure to the operations of the understanding. What then is the representation immediately given, to which the understanding is applied, that is to say, the law of causality, and whence proceeds knowledge qua totality of representations?

It is the body whose sensations are apprehended by the understanding as effects referring necessarily to causes. Subjective sensation thereby becomes objective intuition, and the world an object of knowledge. “The body,” writes Schopenhauer, “is for us immediate object, in other words, [81] that representation which forms the starting-point of the subject’s knowledge, since it itself with its immediately known changes precedes the application of the law of causality, and thus furnishes this with the first data. The whole essence of matter consists, as we have shown, in its action. But there is cause and effect only for the understanding, which is nothing but their subjective correlative of these. The understanding, however, could never be applied if there were not something else from which it starts. Such a something is mere sensuous sensation, the immediate consciousness of the changes in the body, by virtue of which this body is [its] immediate object.” Such a mode of argument, appealing so strangely to a Kantian vocabulary, immediately raises a problem. Is it possible, in effect, to make my body an object, even an immediate one, before the intervention of the understanding? In other words, if the body stands at the origin of objectivity, can it then itself be an object and, in qualifying it as an immediate object serving as the point of departure for objective and intellectual intuition, does Schopenhauer not commit from the outset a petition of principle? To be sure, he will specify, regarding the expression “immediate object,” that “the conception of object, however, is not to be taken here in the fullest sense, for through this immediate knowledge of the body, which precedes the application of the understanding and is mere sensation, the body [Leib] itself does not exist really as object, but first the bodies [Körper] acting on it.” Seeing the difficulty, however, does not suffice to resolve it, and if my own body is known objectively only through the application of the law of causality to the relations among its organs, then the question remains of knowing whence comes the immediate objectivity of the first organ, the affection of which is understood as the effect of a second organ, which is its cause. The aporia is not without implications, when the body is the point of departure of knowledge through causality, which connects only objects, and when it is the obligatory mediator of every objective intuition.

The body is thus the immediate representation that opens our access to the ordered set of representations. Yet is the world only representation, or again something else that would no longer be a representation? Before responding, we must justify the question. Representation is the fundamental form of consciousness and, by distinguishing intuitive representations from abstract representations, Schopenhauer makes the first into the content of the second. Consequently, if abstract representation is a form that contains intuitive representation, then should we not inquire about the content of intuitive representation itself? It goes without saying that the latter could not be representative or objective, and hence that it is inaccessible to the red thread that is the principle of sufficient reason.

[82] It would nevertheless be impossible to reach the non-representational being of the world (and the being of the world is, according to Schopenhauer, the sole theme of philosophy) without some representation that permits us to exceed representation toward that which differs radically from it. “The meaning that I am looking for of the world that stands before me simply as my representation, or the transition from it as mere representation of the knowing subject to whatever it may be besides this, could never be found if the investigator himself were nothing more than the purely knowing subject (a winged cherub without a body).” It is therefore because the subject of knowledge, the philosopher, is neither cherubic and incorporeal but rather incorporated and individuated hie et nunc, that it is possible to pass beyond representation. The body is not only a representation that the subject has, but likewise one that the subject is, and if its movements appeared only in a representational form, then they would be as foreign and external to me as those of any other body. That this is not the case proves that my body is offered to me in two ways: “it is given in intellectual intuition as representation, as an object among objects, subject to the laws of these objects. But it is also given in quite a different way, namely as what is known immediately, and denoted by the word will.” My body is representation and will; the subject of knowledge is identical with that of willing.


Ver online : Didier Franck


[1Die Welt als Wille und Vorstellung, Bd. I, p. 29 ; trad. franç. A. Burdeau et R. Roos, p. 25. Nous citerons les œuvres de Schopenhauer d’après l’édition suivante : Arthur Schopenhauer, Zürcher Ausgabe, Werke in zehn Bänden, Zurich, 1977, qui reproduit le texte établi par A. Hübscher. Nous indiquerons successivement le tome et la page en renvoyant également aux traductions françaises que nous avons toujours modifiées.

[2Id., p. 32 ; trad. franç., p. 28.

[3Id., p. 30 ; trad. franç., p. 26.

[4Id., p. 48 ; trad. franç., p. 44-45.

[5Id., p. 49 ; trad. franç., p. 45.

[6Id., p. 123 ; trad. franç., p. 121.

[7Id., p. 142 ; trad. franç., p. 140.

[8Id., p. 143 ; trad. franç., p. 141.