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René Guénon sur Eugène Aroux

segunda-feira 23 de março de 2009, por Cardoso de Castro

  

E. AROUX. Dante   hérétique, révolutionnaire et socialiste : Révélations d’un catholique sur le moyen âge. (Editions Niclaus, Paris).

— C’est une excellente idée d’avoir réédité le livre d’Aroux sur Dante, dont l’édition originale date de 1854, et qui naturellement était depuis longtemps introuvable. Aroux eut le mérite d’être un des premiers, avec Rossetti et à peu près en même temps que lui, à signaler l’existence d’un sens ésotérique dans l’œuvre de Dante ; et, malgré les travaux assez nombreux qui ont été publiés depuis lors sur ce sujet, surtout en ces dernières années, la documentation contenue dans son ouvrage n’a rien perdu de son intérêt, et il faudra toujours s’y reporter comme à une sorte d’introduction indispensable aux études plus récentes. Il est d’ailleurs bien entendu que l’interprétation d’Aroux appelle beaucoup de réserves et a besoin d’être rectifiée sur bien des points, à commencer par les imputations formulées à l’égard de Dante dans le titre même ; nous nous sommes déjà expliqué, dans L’Esoterisme de Danfe, sur ce qu’il faut penser de l’accusation d’hérésie qui ne repose en somme que sur une confusion entre les deux domaines exotérique et ésotérique, ou, si l’on veut, initiatique et religieux. Aroux, du reste, ignorait visiblement tout de la nature réelle de l’initiation ; aussi ne voit-il, dans l’emploi d’un langage secret et symbolique, qu’une simple précaution destinée à dissimuler ce qu’il aurait pu être dangereux de dire ouvertement, car il ne paraît concevoir les organisations initiatiques que comme de vulgaires « sociétés secrètes », à tendances plus ou moins politiques, comme il y en eut tant dans la première moitié du XIXe siècle ; la mentalité particulière de cette époque est sans doute responsable aussi de l’idée plutôt paradoxale de faire de Dante, défenseur de la conception d’une monarchie universelle que le « Saint Empire » aurait dû réaliser, un précurseur du « socialisme » et des utopies révolutionnaires de 1848. Une autre erreur singulière est celle d’après laquelle les organisations initiatiques du moyen âge, transformées en « sectes » par incompréhension de leur véritable caractère, auraient eu des doctrines « rationalistes » non seulement il y a là un anachronisme, mais le « rationalisme », depuis qu’il existe, a toujours été l’adversaire et le négateur le plus irréductible de tout ésotérisme, et c’est même là une des parties les plus essentielles de son rôle dans la déviation du monde moderne. Il y a d’ailleurs dans l’attitude d’Aroux, remarquons-le incidemment, quelque chose qui donne une impression un peu étrange : il semble que ses déclarations catholiques « sonnent faux » par leur exagération même, si bien qu’on est tenté de se demander de quel côté allaient réellement ses sympathies au double point de vue religieux et politique, d’autant plus que la façon dont il présente Dante coïncide en somme avec celle de Rossetti, dont les tendances apparentes étaient tout opposées ; nous ne prétendons pas résoudre cette question, faute de renseignements « biographiques » suffisants, et elle n’a au fond qu’un intérêt de pure curiosité, car il est évident que cela n’affecte en rien le contenu du livre. On pensera peut-être que, après tant de réserves, il ne doit rester de celui-ci qu’assez peu de chose ; ce serait tout à fait inexact, car il reste au contraire tout le côté documentaire, ainsi que nous l’avons dit, et c’est là ce qui importe le plus dans un ouvrage de ce genre ; au surplus, tous ceux qui possèdent certaines données traditionnelles peuvent facilement rectifier eux-mêmes et « réinterpréter » correctement tout ce qui a été déformé par la « perspective » spéciale de l’auteur, et c’est même là un travail qui est loin de manquer d’intérêt.