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Edith Stein (1992:110-113) – Moi, âme, esprit, personne

quarta-feira 14 de junho de 2023, por Cardoso de Castro

  

Moi, âme, esprit, personne — manifestement tout cela est étroitement lié, et pourtant chacun de ces termes a un sens particulier, qui ne coïncide pas complètement avec celui des autres. Par moi, nous entendons l’étant dont l’être est vivre (et vivre certes pas au sens de l’organisation de la mati  ère, mais en tant que déploiement du moi dans un être qui jaillit de ce moi) et qui, dans cet être, s’appréhende soi-même (sous la forme inférieure de la sensation confuse ou sous celle, supérieure, de la conscience éveillée). Il n’est pas équivalent à l’âme, pas plus qu’il n’est équivalent au corps. Il « habite » dans le corps et dans l’âme — présent en chaque point où il ressent quelque chose d’une manière vivante et actuelle, quand bien même il a son « siège » le plus authentique en un point déterminé du corps et à un « endroit » déterminé de l’âme [1], et c’est parce que « son » corps et « son » âme lui appartiennent que l’on transpose sur l’homme tout entier le nom je. La vie corporelle n’est pas tout entière une vie du moi —, la croissance et les processus de nutrition, par exemple, s’effectuent dans une large mesure sans que nous en sentions quelque chose, quand bien même nous éprouvons mainte chose qui en fait partie ou qui s’y rattache. La vie de l’âme, elle non plus, n’est pas une pure vie du moi. [111] Le déploiement et la formation de l’âme s’accomplissent en grande partie sans que j’en prenne conscience. Il se peut que je considère une expérience douloureuse comme « surmontée » et que je n’y pense plus pendant longtemps. Mais soudain elle m’est remise en mémoire par une nouvelle expérience vécue, et l’impression qu’elle produit maintenant sur moi, l’idée qu’elle suscite, me font comprendre qu’elle n’a cessé de travailler en moi tout le temps, et même que, sans elle, je ne serais pas ce que je suis aujourd’hui. « En moi », c’est-à-dire dans mon âme, à une profondeur qui la plupart du temps est cachée et qui ne s’ouvre que rarement. La vie du moi, éveillée et consciente, est la voie d’accès à l’âme et à sa vie cachée, comme la vie sensible est l’accès au corps et à sa vie cachée. C’est une voie d’accès, car c’est le témoignage de ce qui se produit dans l’âme et la manifestation de sa nature. Tout ce que je « vis » vient de mon âme, est la rencontre de mon âme avec quelque chose qui lui « fait de l’impression ». Son point de départ ou son issue dans l’âme peuvent être plus en surface ou plus en profondeur. Sa provenance et cette stratification de l’âme elle-même se manifestent dans l’expérience vécue qui en émerge, et qui est en elle, parce qu’ils s’ouvrent en elle et y atteignent leur être actuel, présentement vivant. Cela se produit déjà dans la direction originaire de l’expérience vécue, avant même qu’un regard rétrospectif (une réflexion) — alerté, attentif, observateur et analysant — ne se tourne vers l’expérience vécue, de même que la forme la plus originaire de la conscience accompagne la vie du moi sans s’en dissocier comme une perception particulière et sans se retourner sur elle. C’est pourquoi, tout homme apprend déjà à se connaître lui-même par sa simple vie éveillée, sans se constituer en objet et sans s’efforcer de se connaître en s’observant et en s’analysant. La conscience originaire ne devient perception de soi ou perception intérieure (les deux ne coïncident pas, parce que la perception du corps fait, elle aussi, partie de la perception de soi, et qu’il y a aussi un accès au corps par la perception externe et à travers le corps — grâce aux phénomènes expressifs du corps — mais aussi un accès à l’âme à partir de l’extérieur), que lorsque le moi sort de l’expérience vécue originaire et en fait son objet. Puis l’âme apparaît au moi [112] comme quelque chose « du genre d’un objet », quelque chose de « substantiel », avec des qualités durables, avec ses capacités qui ont besoin d’être développées et accrues, avec ses activités et ses états changeants. Mais le moi découvre ainsi sa propre face, car il se retrouve lui-même dans ce qu’est le porteur de l’expérience vécue, dans ce qui accomplit les actions et subit les impressions. Le moi dont jaillit toute la vie du moi et qui y est conscient de lui-même est le même que celui qui a en propre le corps et l’âme, qui les englobe et les étreint. Ce qui dans la chose morte est le fait de la forme d’objet vide est ici l’affaire du moi vivant-spirituel-personnel. Par personne, nous avons entendu le moi conscient et libre. Il est libre parce qu’il est « maître de ses actes », parce que — sous la forme d’actes libres — il détermine sa vie de lui-même. Les actes libres sont le premier espace de domination de la personne. Mais comme, par son action, elle a une influence formatrice sur le corps et sur l’âme, c’est toute sa « nature humaine » propre qui appartient au domaine sur lequel elle règne. Et comme par son action psycho-physique elle peut intervenir dans le monde environnant, elle a là également un espace de domination qu’elle est en droit de considérer comme « mien ». Ce qu’elle accomplit librement et consciemment, cela est la vie du moi ; mais elle la tire de profondeurs plus ou moins grandes : la résolution de faire une promenade, par exemple, vient d’une couche beaucoup plus superficielle qu’une résolution concernant une orientation de vie, et cette profondeur est la profondeur de l’âme, qui dans la vie du moi devient « vivante » et luit dans la vie du moi, mais qui auparavant était cachée et qui, malgré cette lueur, reste mystérieuse. Ce que l’homme en tant que personne libre « peut », il ne le sait que lorsqu’il le fait, ou d’une certaine manière déjà par anticipation lorsqu’il le rencontre comme une exigence. Les connexions entre le moi, la personne et l’âme, deviennent plus nettes. Si l’on prend le moi pur comme le « point » à partir duquel toute action libre s’entreprend et auquel tout ce que l’on reçoit est senti et porté à la conscience, il est tout à fait possible de voir les choses ainsi. Mais cette conception fait abstraction de l’enracinement de la vie du moi dans le fond duquel elle surgit. Le moi est pour ainsi dire la brèche qui ouvre de l’obscure [113] profondeur vers la claire lumière de la vie consciente et ainsi permet de passer de la « possibilité » ou « préréalité » à la pleine réalité présente (de la puissance à l’acte). En faisant l’expérience de ce « pouvoir », le moi devient conscient des « forces » qui « sommeillent » dans l’âme et dont il vit. Et la vie du moi est la réalisation, le produit de ces forces, ce qui les manifeste. En tant que moi englobant corps et âme, en tant que moi élucidant par le savoir et dominant par la volonté, la personne nous est apparue comme le porteur dressé derrière et au-dessus du tout que forment le corps et l’âme, ou comme la forme unifiante de toute plénitude. Apparaît ici d’une manière particulièrement claire ce qui a été dit d’une façon générale : que la forme vide ne peut pas exister sans plein, ni le plein sans forme. La personne ne saurait vivre comme moi pur. Elle vit de la plénitude de son essence qui luit dans la vie éveillée sans jamais pouvoir être entièrement élucidée ou dominée. Elle porte cette plénitude et est portée en même temps par celle-ci comme par son fond obscur. Ici se montre le propre de la personne humaine : ce qui lui est commun avec l’être-personne de Dieu et des esprits purs et ce qui l’en distingue. Douée d’une vie consciente et libre, englobant et portant la plénitude de son essence, elle ressemble aux purs esprits, ; surgissant d’un obscur fondement et portée par lui, incapable de façonner, d’illuminer et de dominer tout son « soi » de manière personnelle, elle reste en arrière d’eux; mais d’un autre côté, elle jouit d’un certain privilège ontologique sur les purs esprits créés grâce à la « profondeur » qui lui est propre, et donc grâce à une similitude à Dieu différente de la leur.


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[1Voir A. Pfänder, Die Seele des Menschen, Halle, 1933, p. 20 : « Le sujet psychique a une situation déterminée à l’intérieur de son environnement conscient. D’un côté, c’est en un certain sens le centre de l’âme et de la vie psychique personnelles. D’un autre côté, il se trouve derrière les yeux, à peu près au milieu de la tète [...]. Le sujet se rapproche toujours de lui-même lorsqu’il revient des autres parties de son propre corps à ce centre qu’est la tête. A partir de ce lieu, le sujet psychique s’oriente dans son propre corps et dans tout le reste de l’environnement de son corps, dont il est conscient. Involontairement, les regards des autres hommes (et aussi de certains animaux) se dirigent vers cet endroit de la tête situé derrière les yeux, lorsqu’ils veulent s’adresser au sujet psychique lui-même. »