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Borella : La conviction du moi

segunda-feira 1º de dezembro de 2014, por Cardoso de Castro

  

L’âme affective constitue le domaine du « moi » ; mais on peut déjà comprendre que le moi est « engendré » par la conviction d’être affecté, ou, si l’on veut, « concerné » : ce qui est « moi », c’est ce qui est « touché ». Le moi surgit à la blessure de l’âme. En effet, lorsque quelque chose atteint l’âme, l’âme se découvre comme ce qui est visé, donc comme différente de ce qui vient vers elle, donc comme un centre d’intériorité face à un environnement d’extériorité. Telle est la « conviction du moi ». Une âme totalement inaffectée n’aurait aucune conviction du moi, et ne distinguerait aucunement entre un intérieur et un extérieur. C’est probablement le cas de l’âme d’un arbre. Au contraire, si par exemple nous essuyons des moqueries, des sarcasmes ou des reproches, ou si quelque chose nous menace, alors un point dans notre poitrine devient soudain sensible, « nous recevons un coup au cœur », le sentiment du moi éclate douloureusement en nous, et notre main se porte au centre de la poitrine pour nous étonner ou nous accuser [1].

Cependant, le simple fait que l’âme soit « affectable » ne suffit pas à expliquer l’apparition du moi. Il y faut la connaissance de cette « affectabilité ». Cette connaissance est d’ailleurs présupposée dans tout le cours de la description précédente. L’affectivité n’est pas seulement ressentie, elle est aussi connue et pensée, sans quoi d’ailleurs nous ne pourrions même pas en parler. Une affectivité purement ressentie serait un simple fait, incapable d’engendrer la conviction du moi, et qui paraîtrait tout aussi « objectif et naturel qu’un processus chimique à l’intérieur d’une cellule. Il faut non seulement l’affectivité comme « mati  ère » du moi, mais encore Vidée de cette affectivité pour lui donner « forme ». Le moi, c’est l’affectivité pensée, c’est-à-dire, non plus un fait, mais une structure. En effet, penser l’affectivité, c’est faire ce que nous avons fait tout à l’heure, c’est formuler la structure intelligible (ou conceptible) qui est sous-jacente à l’expérience affective : en pensant l’expérience affective, l’âme « se pense elle-même » comme centre intérieur opposé à un environnement extérieur, et voilà le moi. L’idée de centre d’intériorité ne vient pas de l’affectivité comme telle, mais de la pensée qui seule est vraiment « intérieure » relativement au monde des énergies psychiques, parce que seule elle en est vraiment distincte, n’étant point une force, mais une lumière. C’est donc sa propre « situation » qu’elle projette en quelque sorte sur l’expérience qu’elle pense. Et pourtant la pensée pure, réduite à elle-même, n’engendrerait pas non plus la conviction du moi. Une telle pensée, en effet, n’est pas, en elle-même « subjective », elle ne se pose pas comme un sujet, elle est simplement conscience (ou connaissance), et, comme telle, elle est objective, transparente, neutre : la pensée d’un triangle ou la pensée d’un sentiment, ne recèle, par elle-même, aucune affirmation du moi. La conscience n’est rien d’autre, à ce niveau, que la propriété qu’a le psychisme humain de se connaître lui-même. Si bien que paradoxalement, c’est l’objet de la conscience, le psychisme affectif qui, sous la lumière de la conscience, apparaît comme une subjectivité. Notre description met ainsi en évidence l’ambiguïté du moi ; la conscience ne pouvant se séparer de l’objet qu’elle connaît, le moi qui surgit de leur union, se présente tantôt comme sujet pensant (la conscience), tantôt comme sujet existant (l’âme affective). La subjectivité est vue à la fois comme le pôle conscience de notre être et comme le pôle être de notre conscience.


[1Ce n’est pas sans raison que l’âme affective a été mise en rapport (chez Platon par exemple) avec la poitrine, et l’âme végétative avec le ventre.