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Lavelle : Introduction à la dialectique de l’éternel présent

quinta-feira 28 de agosto de 2014, por Cardoso de Castro

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Cependant le mot de possible n’a de sens, ou du moins il ne s’oppose à l’être, que lorsqu’il s’agit de cet être que nous actualisons par une opération qui est nôtre. En lui-même il est un être, et en disant qu’il est un être de pensée nous marquons assez nettement qu’il est un être spirituel qui ne s’est pas encore incarné. Les possibles, il est vrai, ne se présentent jamais à nous que sous une forme séparée; ils sont en tant que possibles le produit même de cette séparation qui est à son tour la condition de la participation ; entre tous ces possibles, il nous appartiendra de choisir celui qui s’accomplira en nous. Mais le tout de la possibilité n’est plus un possible : c’est l’être même considéré comme participable et non plus comme participé. En soi, il n’est plus ni participé, ni participable; il est l’absolu considéré comme un acte sans passivité, à l’intérieur duquel toute existence particulière se constitue elle-même par une double opposition, d’une part, entre la possibilité qui la dépasse et l’opération qu’elle accomplit et, d’autre part, entre cette opération elle-même et la donnée qui lui répond. Et c’est à l’absolu que le sujet emprunte par analyse non seulement la possibilité, telle qu’il la conçoit d’abord par son entendement avant de l’actualiser par sa volonté, mais encore la force même de l’actualiser. La dissociation entre l’entendement et la volonté est la condition à la fois de la naissance de la conscience et de l’exercice de la liberté. On ne manquera pas toutefois de remarquer que la possibilité, loin d’entrer avec l’être dans une relation d’opposition, comme on le croit presque toujours, exprime seulement une relation entre deux aspects de l’être, ici entre le tout de l’être et une existence particulière. Mais cette relation est susceptible d’être renversée, car si le tout de l’être n’est qu’une possibilité infinie à l’égard de toute existence particulière qui ne parvient jamais à l’actualiser, ce sont les existences particulières qui, à l’égard du tout de l’être où elles s’actualisent, ne sont plus, comme le montre le rôle joué en elles par le temps et par le désir, que des possibilités toujours remises sur le métier. Il est remarquable enfin que la théologie puisse dire de Dieu à la fois qu’il est l’être de tous les êtres (vers lequel chaque être tend pour s’accomplir) et qu’il est aussi le tout-puissant, comme si la puissance était au-dessus de l’existence qui l’actualise à notre niveau.

Il importe cependant encore de répondre à une triple objection, car :

1. on peut alléguer que l’acte pur ou absolu doit posséder une suffisance parfaite et que l’on voit mal comment il aura besoin de créer, même si cette création consiste uniquement à communiquer son être même ou à le faire participer par d’autres êtres. Mais peut-être faut-il dire précisément que la suffisance parfaite consiste non pas dans une fermeture sur soi, mais dans cette puissance infinie de créer, c’est-à-dire de se donner, là où le propre de la créature en tant qu’elle est passive et imparfaite est toujours de recevoir. Ce que l’on vérifierait peut-être dans les rapports que les hommes ont les uns avec les autres, et où les lois de l’activité spirituelle trouvent encore une application imparfaite et approchée.

2. On nous dira aussi que nous ne savons rien de ces rapports dont nous parlons toujours entre Dieu et les créatures, qu’il y a là une hypothèse invérifiable, et que toute dialectique descendante est par conséquent impossible. Mais la réplique sera que l’origine de toute dialectique, c’est l’expérience de la participation où nous saisissons le rapport vivant de notre être propre et de ce qui le dépasse, non point comme un pur au-delà dont on ne peut rien dire, mais comme une présence où nous puisons sans cesse et qui ne cesse de nous enrichir.

3. Et on répondra facilement au reproche de panthéisme en montrant que Dieu ne peut communiquer à un autre être que l’être même qui lui est propre, c’est-à-dire un être qui est causa sui, de telle sorte que tout rapport que nous avons avec lui nous libère, comme tout rapport que nous avons avec la nature nous asservit, ou encore qu’il ne crée lui-même que des libertés, le monde étant l’instrument de cette création plutôt qu’il n’en est l’objet.


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