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Sladek (Hermes:112-115) – L’anima mundi en tant que principe éthéré du mouvement

segunda-feira 4 de setembro de 2023, por Cardoso de Castro

  

SLADEK, Mirko. L’Étoile d’Hermès. Fragments de philosophie hermétique. Traduit de l’allemand par Josette Rigal. Paris: Albin Michel, 1993

Alors que sa théorie de la connaissance est de forme « éminemment alexandrine », More reste dans sa métaphysique et dans sa philosophie de la nature « éminemment hermétique ». Sa théorie de l’espace a été le point de départ de sa conception de l’esprit, de l’âme et du corps, et il a trouvé là l’occasion de formuler clairement les « Neo-Platonic-extravagances » qui lui sont souvent reprochées par les critiques. Son « spiritual realism » (Tulloch) ne fut pas clarifié par ses explications de l’anima corporea, ou de l’anima mundi; sa conception à la fois spiritualiste et hermétique du monde matériel témoigne aussi de l’influence de ses lectures.

More donne la définition suivante du corps : un corps est une « substance matérielle qui, par l’effet d’une force qui lui est étrangère, se constitue en unité et prend part à la vie et au mouvement ». Et ailleurs :

[...] a body whose parts cannot penetrate one another, is not self-moveable, nor can contract or dilate itself, is divisible and separable one part from another [...].

Le problème de la mati  ère conçue comme base de tout corps conduisit More à essayer de détacher de la tradition hermétique quelques apories liées à la définition de la matière et du mouvement. Dans l’Enchiridion, il part de la définition de la matière comme quelque chose d’homogène et suggère qu’elle a besoin pour se mouvoir d’un facteur étranger, c’est-à-dire extramatériel. La matière n’est ni mobile ni immobile : le passage d’un état à l’autre nécessite un troisième facteur, c’est-à-dire une force étrangère aux véritables propriétés de la matière. Cette force provient de l’esprit qui est le véritable moteur et initiateur de tout mouvement [1].

Dans Metaphysical Manual, More analyse presque tous les phénomènes naturels importants, tels que la double rotation de la Terre, le phénomène des marées, les mouvements et les constellations des corps célestes, la composition et l’effet de la lumière, les processus d’organisation dans le règne animal et dans le règne végétal, etc., et il explique combien il est impossible d’interpréter ce type de phénomènes uniquement par les lois mécaniques du monde matériel. Les trois degrés du développement de l’âme, qu’il décrit dans The Preexistency of the Soul (chap. X), c’est-à-dire « Ethereal », « Aerial » et « Terristrial », correspondent sur le plan des archétypes psychologiques aux trois principes de l’hermétisme et de Jakob Böhme  , sulfure, mercure et sel, manifestés cette fois sur le plan de l’être spirituel. Leur interaction avec le monde de la nature et leurs correspondances avec les phénomènes naturels mentionnés restent malheureusement le plus souvent cachées chez More, enveloppées dans une langue plus poétique que philosophique et scientifique, obscure et dépourvue de la précision d’un Jakob Böhme ou d’un Agrippa  . De même la répartition plus exacte des rôles entre les âmes et les esprits de différents niveaux qui concourent par leur interaction à la construction permanente du monde, ne ressort pas toujours clairement de son texte [2].

Le problème du mouvement de la matière inerte, privée de vie, et des corps qui en sont constitués — depuis les mouvements les plus élémentaires dans le monde de l’infiniment petit jusqu’aux rotations des corps célestes —, More l’a résolu à l’aide d’une voie originale, intermédiaire entre l’hermétisme traditionnel et l’atomisme. Si on compare le Metaphysical Manual aux écrits antérieurs, dans lesquels il polémiquait contre les représentations platoniciennes, alchimistes et rosi-cruciennes à la fois de Y anima mundi chez Thomas Vaughan (XVIIe siècle), ce texte nous montre qu’il a évolué dans l’intervalle vers les mêmes idées, encore plus fortement établies par la tradition de la Kabbale   de Louria. Ici, anima n’est plus tant un principe de la conscience qu’un principe de la vie et des êtres vivants, associé aux forces croissantes de la nature. Elle est une métamorphose de la déesse Physis, la mater natura (« dea natura » d’Alanus de Insulis), de l’anima mundi des alchimistes, le vieux principe dynamique, vitaliste, universel, de la Renaissance, que More représente dans son poème Psychozoia assise devant son métier en train de tisser le voile de la multiplicité [3]. Les mouvements (dans l’espace) ainsi que la pensée et la perception étaient pour More des facultés de l’âme ou de l’esprit, et cette conception le situait encore tout à fait aux côtés des hermétistes et des néoplatoniciens. L’âme possède les propriétés de « self-penetration », « self-motion », « self-contraction », etc., elle porte le principe de son propre mouvement en elle-même et non en dehors d’elle-même, aussi n’est-elle pas soumise aux lois de la mécanique et du monde matériel, mécanique. Ce qui est original chez More, c’est que l’âme relie et dissocie les atomes (« solve et coagula ») et par ce moyen fait mouvoir les différents corps. L’âme est donc le principe du mouvement.

Dans Immortality of the Soul (1659), More entreprend de s’expliquer « définitivement » avec le problème du mouvement. Non seulement il retient ouvertement l’hypothèse d’une « âme du monde », mais il distingue aussi quatre « Logoi spermatikoi » différents : « [...] séminal forms of the spirit of the nature, souls of brutes, human souls, and angelic souls ». Simultanément, en souvenir de Marsile Ficin  , Hermès Trismégiste et Descartes  , il rapproche l’âme du monde de l’éther :

I do not doubt but [the soul] takes the advantage of moving the most subtle parts of all first, such as Descartes his first and second éléments, which are never excluded from any such humid and tenuous substance : Which éléments of his are that true heavenly or aethereal matter which is every-where, as Ficinus somewhere saith Heaven is; and is that Fire which Trismegist affïrms is the most inward vehicle of the mind and the instrument that God used in forming the world and which the soul of the world, wherever she acts does most certainly still use.

Cette déclaration est intéressante à bien des égards. Non seulement More rapproche le feu d’Hermès du « most inward vehicle of the mind », mais il indique aussi, dès ce moment-là, que le matérialisme de Hobbes   bute sur le problème du mouvement de la matière inerte — un fait auquel deux cents ans plus tard les philosophes de l’idéalisme allemand, inspirés par Jakob Böhme, ont mûrement réfléchi.


[1Cf. Ench., vol. I, ch. VI, p. 158 dans Opera omnia. Sa définition de la matière : «[...] a homogeneous mass of physical monads which are mutually impénétrable, non-cohesive and indefinitely contiguous ; they are free to move and able to be moved, but nevertheless at rest and immobile » (Ench. in Opera omnia, IX, 1). L’esprit au contraire est une « substance immatérielle douée de vie et de la faculté de se mouvoir de l’intérieur » (« [...] spiritum definiamus, substantiam immaterialem vita movendique facultate intrinsecus praeditam » Ench., chap. 28, § 3), et comme l’esprit est également un ens extensum, la différence consiste seulement dans le fait que le corps est mort, qu’il reste dans ses limites spatiales et ne peut être mu que du dehors, par une cause qui s’exerce sur lui de façon mécanique, tandis que l’esprit est un extensum vivant qui peut lui-même étendre ses limites ou les réduire.

[2a) More, The Preexistency of the Soul, vol. II, ch. XII.

b) Pour prouver l’existence du spiritus naturae, More ajoute la loi de la gravitation, encore inconnue à cette époque. Karin Figala démontre dans son travail que Isaac Newton a repris la loi de la gravitation trouvée chez More et lui a donné une forme scientifique.

c) En ce qui concerne le « manque de clarté » des explications de More, cf. les essais cités d’Allison Coudert : A Cambridge Platonists Kabbalist Nightmare, et A. Miller Guinsburg : Henry More, Thomas Vaughan and the late Renaissance Magical Tradition.

d) Les trois principes paracelsiens de Böhme énumérés : soufre, mercure et sel, étaient identifiés dans la Kabbala Denudata de Knorr von Rosenroth aux trois sephirot supérieures : Kether, la plus haute couronne, correspond au mercure, Chochmah au sel, et Binah au soufre, tandis que les sept sephirot inférieures étaient rattachées aux sept métaux. Cité d’après Figala, die Kompositionshierarchie, p. 707.

[3Les rapports avec la déesse Isis ainsi qu’avec Déméter et Artémis sont étudiés. Elle était vénérée dans le haut Moyen Age essentiellement comme un aspect de la mère de Dieu, comme Madonna nella natura ou comme virgo paritura, célébrée à la fois comme mère du fils de Dieu et, dans son aspect cosmique, en tant que vierge qui a enfanté le monde nouveau.