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HB: homme

sábado 3 de fevereiro de 2024

  

La passion est à la fois un épuisement et un démembrement. Le Serpent sans fin, qui demeurait invincible tant qu’il était l’Abondance une (NA: Taittirîya Aranyaka, V, 1, 3 ; Maitri Upanishad  , 11, 6 (a).), est disjoint et démembré comme un arbre que l’on abat et que l’on coupe en rondins (NA: Rig Vêda Samhitâ, I, 32.). Car le Dragon, comme nous allons le voir maintenant, est aussi l’Arbre du Monde, et il y a là une allusion au "bois" dont est fait le monde par le Charpentier (NA: Rig Vêda Samhitâ, X, 31, 7 ; X, 81, 4 ; Taittirîya Brâhmana, 11, 8, 9, 6 ; cf. Rig Vêda Samhitâ, X, 89, 7 ; Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), VI, 4, 7, 3.). Le Feu de la Vie et l’Eau de la Vie (Agni et Soma, le Sec et l’Humide), tous les Dieux, tous les êtres, les sciences et les biens, sont dans l’étreinte du Python, qui, en tant que "Constricteur" (namuchi), ne les relâchera pas tant qu’il ne sera pas frappé et réduit à s’entrouvrir et à palpiter (NA: Rig Vêda Samhitâ, 1, 54, 5, chvasanasya... chushnasya ; V, 29, 4, chvasantam dânavam ; Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), II, 5, 2, 4, janjabhyamânâd agnîshomau nirakrâmatâm ; cf. Shatapatha Brâhmana, I, 6, 3, 13-15.). De ce Grand Être, comme d’un feu abattu et fumant, sont exhalés les Écritures, le Sacrifice, les mondes et tous les êtres (NA: Brihadâranyaka Upanishad, IV, 5, 11, mahato bhûtasya... êtânî sarvâni nihshvasitâni ; Maitri Upanishad  , VI, 32, etc. "Car toutes choses sont issues d’un seul être" (B?hme, Sig. Rer., XIV, 74). Également dans Rig Vêda Samhitâ, X, 90.), le laissant épuisé de ce qu’il contenait et semblable à une dépouille vide (NA: Shatapatha Brâhmana, 1, 6, 3, 1.5, 16.). Il en est de même de l’Ancêtre quand il a émané ses enfants, il est vidé de ses possibilités de manifestation, et tombe relaxé (NA: "Il est dépourvu d’attaches, vyasransata, c’est-à-dire non lié, ou disjoint, de telle sorte que, ayant été sans jointures, il est articulé, ayant été un, il est divisé et vaincu, comme Makha (Taittirîya Aranyaka, 1, 3) et Vritra (originellement sans jointures, Rig Vêda Samhitâ, IV, 19, 3, mais désunis, I, 32, 7). Pour la "chute" et la restauration de Prajâpati, voir Shatapatha Brâhmana, I, 6, 3, 35 et passim ; Panchavimsha Brâhmana, IV, 10, 1 et passim ; Taittirîya Brâhmana, 1, 2, 6, 1 ; Aitarêya Aranyaka, III, 2, 6, etc. C’est par référence à sa "division" que, dans Katha Upanishad  , V, 4, la déité (dêhin) immanente est dite "dépourvue d’attaches" (visransamâna) ; car il est un en soi-même, mais multiple en tant qu’il est dans ses enfants (Shatapatha Brâhmana, X, 5, 2, 16), à partir desquels il ne peut pas facilement se réunir (voir note 21).), vaincu par la Mort (NA: Shatapatha Brâhmana, X, 4, 4, 1.), bien qu’il doive survivre à cette épreuve (NA: Panchavimsha Brâhmana, VI, 5, 1 (Prajâpati) ; cf. Shatapatha Brâhmana, IV, 4, 3, 4 (Vritra).). Les positions sont alors renversées , car le Dragon igné ne sera pas détruit et ne peut l’être, mais entrera dans le Héros, à la question duquel : "Quoi donc, me consumerais-tu?" il répond : "Je vais plutôt t’attiser (éveiller, raviver), afin que tu puisses manger (NA: Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), II, 4, 12, 6. La nourriture est, d’une façon tout à fait littérale, consumée par le Feu digestif. Ainsi, quand on annonce un repas rituel, on dit : "Allume le Feu"... ou "Viens au festin", en manière de benedicite. Chose digne de remarque, tandis que l’on désigne habituellement le Soleil ou l’Indra solaire comme le "Personnage dans l??il droit", on peut tout aussi bien dire que c’est Chushna (le Consumeur) qui est frappé et qui, lorsqu’il tombe, entre dans l??il comme dans sa pupille, ou que Vritra devient l??il droit (Shatapatha Brâhmana, III, 1, 3, 11, 18). C’est une des nombreuses modalités par lesquelles "Indra est maintenant ce que Vritra était".)." L’Ancêtre, dont les enfants sont comme des pierres dormantes et inanimées, se dit : "Entrons en eux pour les éveiller" ; mais, tant qu’il est un, il ne peut le faire, c’est pourquoi il se divise en pouvoirs de perception et de «consommation», et il étend ces pouvoirs depuis sa retraite secrète dans la caverne du coeur jusqu’à leurs objets, à travers les portes des sens, en pensant : "Mangeons ces objets". Ainsi "nos" corps sont mis en possession de la conscience, l’Ancêtre étant leur moteur (NA: Maitri Upanishad, II, 6 ; cf. Shatapatha Brâhmana, III, 9, 1, 2 et Jaiminîya Upanishad Brâhmana, I, 46, 1-2. "Celui qui meut", comme dans Paradiso, I, 116. Questi nef   cor mortali è permotore. Cf. Platon  , Lois, 898 C.). Et, du fait que ce sont les Dieux Multiples ou les Mesures Multiples du Feu dans lesquels il s’est ainsi divisé, qui constituent "nos" énergies et "nos" pouvoirs, on peut dire de la même façon que «les Dieux sont entrés dans l’homme, qu’ils ont fait d’un mortel leur demeure (NA: Atharva Vêda Samhitâ, XI, 8, 18 ; cf. Shatapatha Brâhmana, II, 3, 2, 3 ; Jaiminîya Upanishad Brâhmana, I, 14, 2, mayy êtâs sarvâ dêvatâh. Cf. Kaushîtaki Brâhmana, VII, 4 imê purushê dêvatâh; Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), V I, 1, 4, 5, prânâ vai dêvâ... têshu paroksham juhoti ("Les Dieux dans cet homme... Ils sont les Souffles... en eux il sacrifie en mode transcendant").)". Sa nature passible est devenue maintenant la "nôtre", et, à partir de cet état, il ne peut pas aisément se rassembler ou se restituer lui-même, dans sa pleine et entière unité (NA: Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), V, 5, 2, 1. Prajâpatih prajâ srishtwâ prênânu pravishat, tâbhyâm punar sambhavitum nâshaknot ; Shatapatha Brâhmana, I, 6, 3, 36, sa visrastaih parvabhih na shashâka samhâtum.). 18 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Le Mythe

Dieu est une essence sans dualité (adwaita), ou, comme certains le soutiennent, sans dualité mais non sans relations (vishishtâdwaita). Il ne peut être appréhendé qu’en tant qu’Essence (asti) (NA: Katha Upanishad, VI, 13; Maitri Upanishad, IV, 4, etc.), mais cette Essence subsiste dans une nature duelle (dwaitîbhâva) (NA: Shatapatha Brâhmana, X, 1, 4, 1 ; Brihadâranyaka Upanishad, II, 3 ; Maitri Upanishad, VI, 15, VII, 11. On ne trouve aucune trace de Monophysisme ou de Patripassianisme dans le prétendu "monisme" du Vêdânta, la "non-dualité" étant celle de deux natures unies sans composition.), comme être et comme devenir. Ainsi, ce que l’on appelle la Plénitude (kritsnam, pûrnam, bhûman) est à la fois explicite et non explicite (niruktânirukta), sonore et silencieux (shabdâshabda), caractérisé et non caractérisé (saguna, nirguna), temporel et éternel (kâlâkâlâ), divisé et indivisé (sakalâkala), dans une apparence et hors de toute apparence (mûrtâmûrta), manifesté et non manifesté (vyaktâvyakta), mortel et immortel (martyâmartya) et ainsi de suite. Quiconque le connaît sous son aspect prochain (apara), immanent, le connaît aussi sous son aspect ultime (para), transcendant (NA: Maitri Upanishad, VI, 22 ; Prash. Up  ., V, 2.). Le Personnage qui se tient dans notre coeur, mangeant et buvant, est aussi le Personnage dans le Soleil (NA: Brihadâranyaka Upanishad, IV, 4, 22, 24; Taitt. Up., III, 10, 4 ; Maitri Upanishad, VI, 1, 2.). Ce soleil des hommes, cette Lumière des lumières (NA: Rig Vêda Samhitâ, I, 146, 4 ; cf. Jean, I, 4 ; Rig Vêda Samhitâ, 1, 113, I ; Brihadâranyaka Upanishad, IV, 16 ; Mund. Up.  , II, 2, 9 ; Bhagavad Gîtâ, XIII, 16.), que "tous voient mais que peu connaissent en esprit (NA: Atharva Vêda Samhitâ, X, 8, 14 ; cf. Platon, Lois, 898 D.)", est le Soi Universel (âtman) de toutes les choses mobiles et immobiles (NA: Rig Vêda Samhitâ, I, 115, 1., 8 ; VII, 101, 6 ; Atharva Vêda Samhitâ, X, 8, 44; Aitarêya Aranyaka, III, 2, 4. L’autologie (âtmâ-jhâna) est le thème fondamental de l’Écriture ; mais il faut comprendre que cette connaissance du Soi diffère de toute connaissance empirique de l’objet en ce que notre Soi est toujours le sujet et ne peut jamais devenir l’objet de la connaissance ; en d’autres termes, toute définition du Soi ultime doit se faire par négation. Âtman (racine an, respirer, cf. atmos, autme) est en premier lieu l’Esprit, principe lumineux et pneumatique, et comme tel, souvent assimilé au Vent (vdyu, vâta, racine vâ, souffler) de l’Esprit qui "souffle où il veut" (yathâ vasham charati, Rig Vêda Samhitâ, X,168, 4 et Jean, III, 8). Etant l’essence ultime de toutes choses, âtman acquiert le sens secondaire de "moi", compte non tenu du plan de référence, qui peut être corporel, psychique ou spirituel, de sorte que, en face de notre Soi réel, l’Esprit en nous-mêmes et dans toutes choses vivantes, il y a le "moi", de qui nous parlons quand nous disons "je" ou "tu", signifiant cet homme ou celui-ci, Un Tel. En d’autres termes, il y a les deux en nous, l’Homme Extérieur et l’Homme Intérieur, l’individualité psychique et physique, et la Personne véritable. C’est donc en accord avec le contexte que nous devons traduire. Du fait que le mot âtman, employé en mode réfléchi, ne peut être rendu que par "soi", nous nous en sommes tenu partout à la version "soi" en distinguant le Soi du soi par une majuscule, comme on le fait communément. Mais il doit être clairement entendu que la distinction est en réalité entre "esprit" (pneuma) et "âme" (psyche) au sens paulinien. Il est vrai que ce "Soi" ultime, "ce Soi immortel du soi", est identique à l’"âme de l’âme" (psyche psyches) de Philon  , et à l’ "âme immortelle" de Platon posée comme distincte de l’"âme mortelle", et que maint traducteur rend âtman par "âme" ; mais, bien qu’il y ait des contextes où "âme" est mis pour "esprit" (cf. Guillaume de Saint-Thierry, Epistola ad Fratres de Monte Dei, ch. XV), il devient dangereusement trompeur, par suite de nos notions courantes de "psychologie", de parler du Soi ultime et universel comme d’une "âme". Ce serait, par exemple, une très grande méprise que de supposer que, quand un "philosophe" tel que Jung   parle de "l’homme à la recherche d’une âme", cela puisse avoir quelque rapport avec la recherche hindoue du Soi, ou avec ce dont il s’agit dans l’exhortation Gnothi seauton. Le "soi" de l’empiriste est, pour le métaphysicien, tout comme le reste de ce qui nous entoure, "non mon Soi". Des deux "soi" dont il s’agit, le premier est né de la femme, le second du Sein Divin, du feu sacrificiel ; et quiconque n’est pas ainsi "né de nouveau" ne possède effectivement que ce moi mortel né de la chair et qui doit finir avec elle (Jaiminîya Brâhmana, I, 17 ; cf. Jean, III, 6 ; Gal., VI, 8 ; I Cor., 15, 50, etc.). De là dans les Upanishads et le Bouddhisme les questions fondamentales : "Qui es-tu ?" et "Par quel soi" l’immortalité peut-elle être atteinte ? La réponse étant : uniquement par ce Soi qui est immortel ; les textes hindous ne tombent jamais dans l’erreur de supposer qu’une âme qui a eu un commencement dans le temps puisse être immortelle ; et, à la vérité, nous ne voyons pas que les Évangiles chrétiens aient mis nulle part en avant une doctrine aussi irrecevable.). Il est à la fois dedans et dehors (bahir   antach cha bhûtânâm) mais sans discontinuité (anantarama) ; il est donc une présence totale, indivise dans les choses divisées (NA: Bhagavad Gîtâ, XIII, 15, 16; XVIII, 20.). Il ne vient de nulle part, il ne devient qui que ce soit (NA: Katha Upanishad, II, 18; cf. Jean, 3, 18.), mais il se prête seulement à toutes les modalités possibles d’existence (NA: Brihadâranyaka Upanishad, IV, 4, 5.). 26 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Théologie et Autologie

Que nous le nommions la Personnalité, le Sacerdoce, la Magna Mater, ou de tout autre nom grammaticalement masculin, féminin ou neutre, "Cela" (tad, tad êkam) dont nos facultés sont des mesures (tanmâtrâ), constitue une sizygie de principes conjoints, sans composition ni dualité. Ces principes conjoints ou "soi" multiples qu’on ne peut distinguer ab intra, mais respectivement nécessaires et contingents en eux-mêmes ab extra, ne deviennent des contraires que lorsqu’on envisage l’acte de manifestation du Soi (swaprakâshatwam) que constitue la descente depuis le silence de la Non-Dualité jusqu’au niveau où l’on parle en termes de sujet et d’objet, et où l’on reconnaît la multiplicité des existences individuelles séparées que le Tout (sarvam = to pan) ou Univers (vishwam) présente à nos organes de perception physique. Et, dès lors que l’on peut, logiquement mais non réellement, séparer la totalité finie de sa source infinie, on peut aussi appeler "Cela" une "Multiplicité intégrale (NA: Rig Vêda Samhitâ, III, 34, 8, vishwam êkam.)", une "Lumière Omniforme (NA: VS., V, 35 ; jyotir asi vishwarûpam.)". La création est exemplaire. Les principes conjoints, tels que Ciel et Terre, Soleil et Lune, homme et femme, étaient un à l’origine. Ontologiquement leur conjonction (mithunam, sambhava, êko bhava) est une opération vitale, productrice d’un troisième à l’image du premier et ayant la nature du second. De même que la conjonction du Mental (manas = nous, logos, aletheia) avec la Voix (vâch = logos, phoen, aisthesis, doxa) donne naissance à un concept, de même la conjonction du Ciel et de la Terre éveille le Bambino, le Feu, dont la naissance sépare ses parents et remplit de lumière l’espace intermédiaire (antariksha, Midgard). Il en est de même pour le microcosme : allumé dans la cavité du coeur, il en est la lumière. Il brille dans le sein de sa mère (NA: Rig Vêda Samhitâ, VI, 16, 35, cf. III, 29, 14. Le Bodhisattwa, également, est visible dans le sein de sa mère, (M. III, 121). De même, en Égypte, le Soleil nouveau est vu dans le sein de la Déesse du Ciel (H. Schfæer, Von ?gyptischen Kunst, 1940, AGG., 71) : le parallèle chrétien, où Jean est dit avoir vu Jésus enfant dans le sein de sa mère, est probablement d’origine égyptienne.), en pleine possession de ses pouvoirs (NA: Rig Vêda Samhitâ, III, 3, 10; X, 115, 1.). Il n’est pas plus tôt né qu’il traverse les Sept Mondes (NA: Rig Vêda Samhitâ, X, 8, 4 ; X, 122, 3.), s’élève pour franchir la Porte du Soleil, comme la fumée de l’autel ou du foyer central, soit extérieur soit intérieur à nous, s’élève pour franchir l’?il du Dôme (NA: Pour la Porte du Soleil, l’"ascension à la suite d’Agni" (Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), V, 6-8 ; Aitarêya Brâhmana, IV, 20-22), etc., voir mon "Swayâmâtrinnâ ; Janua C?li" dans Zalmoxis, II, 1939 (1941).). Cet Agni est alors le messager de Dieu, l’hôte de toutes les demeures humaines, soit bâties, soit corporelles, le principe lumineux et pneumatique de vie, et le prêtre qui transmet l’odeur de l’offrande consumée d’ici-bas jusqu’au monde au-delà de la voûte du Ciel, à travers laquelle il n’est d’autre voie que cette "Voie des Dieux" (dêvâyana). Cette Voie doit être suivie, d’après les empreintes de l’Avant-Coureur, comme le mot "Voie (NA: Mârga, "Voie", de mrig = ichneuo. La doctrine des vestigia pedis est commune aux enseignements grec, chrétien, hindou, bouddhiste et islamique, et forme la base de l’iconographie des "empreintes de pas". Cf., par exemple, Platon, Phèdre  , 253 A, 266 B., et Rùmî, Mathnawî, II, 160-1. "Quel est le viatique du Çoufi ? Ce sont les empreintes. Il poursuit le gibier comme un chasseur : il voit la trace du daim musqué et suit ses empreintes" ; Maître Eckhart   parle de "l’âme en chasse ardente de sa proie, le Christ". Les avant-coureurs peuvent être suivis à la trace par leurs empreintes aussi loin que la Porte du Soleil, Janua C?li, le Bout de la Route ; au-delà, on ne peut les pister. Le symbolisme de la poursuite à la trace, comme celui de l’"erreur" (péché) en tant que "manque à toucher la cible", est l’un de ceux qui nous sont venus des plus anciennes civilisations de chasseurs. Cf. note 5.)" lui-même le suggère, par tout être qui veut atteindre l’"autre rive" du fleuve de vie (NA: Lo gran mar d’essere, Paradiso, I, 113. La "traversée" est la diaporeia d’Epinomis  , 986 E.) immense et lumineux qui sépare cette grève terrestre de la grève céleste. Cette notion de la Voie est sous-jacente à tous les symbolismes particuliers du Pont, du Voyage, du Pèlerinage et de la Porte de l’Action. 28 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Théologie et Autologie

Tout cela s’applique de la façon la plus pertinente à l’individu, homme ou femme : l’individualité extérieure et agissante d’un homme ou d’une femme donnés est féminine par nature, et soumise à son propre Soi intérieur et contemplatif. La soumission de l’Homme Extérieur à l’Homme Intérieur est exactement ce que l’on entend par "maîtrise de soi" et "autonomie", et dont le contraire est la "suffisance". D’autre part, c’est là-dessus que se fonde la description du retour à Dieu dans les termes d’un symbolisme érotique "De même qu’un homme embrassé par sa bien-aimée ne sait plus rien du "Je" et du "Tu", ainsi le soi embrassé par le Soi omniscient (solaire) ne sait plus rien d’un "moi-même" au-dedans ou d’un «toi-même" au-dehors (NA: Brihadâranyaka Upanishad, IV, 3, 21 (traduit assez librement), cf. I, 4, 3 ; Chândogya Upanishad, VII, 25, 2. "Dans l’étreinte de cet Un souverain qui anéantit le soi séparé des choses, l’être est un sans distinction" (Evans, 1, 368). On nous dit souvent que la divinité est "à la fois au-dedans et au-dehors", c’est-à-dire immanente et transcendante ; en dernière analyse cette distinction théologique s’écroule, et "quiconque est uni au Seigneur est un seul esprit" (I Cor., 6, 17). "Je vis, mais non pas moi" (Gal., 2, 20) : "Mais si je vis, et non pas moi, ayant l’être, toutefois pas le mien, cet un-en-deux et ce deux-en-un, comment le définiront mes paroles ?" (Jacoponi da Todi).) à cause de l’"unité", comme le remarque Shankara  . C’est ce Soi que l’homme qui aime réellement, lui-même ou les autres, aime en lui-même ou dans les autres ; "c’est pour le seul amour du Soi que toutes choses sont chères (NA: Brihadâranyaka Upanishad, II, 4, etc. Sur l’"amour du Soi", voir les références dans Harvard Journal of Asiatic Studies, 4, 1939, p. 135.)". Dans cet amour véritable du Soi, la distinction d’égoïsme et d’altruisme perd toute signification. Celui qui aime voit le Soi, le Seigneur, pareillement dans tous les êtres, et tous les êtres pareillement dans le Soi seigneurial (NA: Bhagavad Gîtâ, VI, 29 ; XIII, 27.). "En aimant ton Soi, dit Maître Eckhart, tu aimes tous les hommes comme étant ton Soi (NA: Maître Eckhart, Evans, 1., 139 ; cf. Sutta Nipâta, 705.)." Toutes ces doctrines coïncident avec cette parole çoufi : "Qu’est-ce que l’amour ? Tu le sauras quand tu seras moi (NA: Rûmî  , Mathnawî, Bk., II, introduction.)". 30 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Théologie et Autologie

De là aussi la prière : "Ce que Tu es, puissé-je l’être (NA: Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), I, 5, 7, 6.)", et le sens éternel de la question critique : "De qui sera-ce le départ lorsque je partirai d’ici (NA: Prash. Up., VI, 3 ; cf. réponses dans Chândogya Upanishad, III, 14, 4 et Kaush. Up., II, 14.) ?" de moi-même ou du «Soi immortel", du "Conducteur (NA: Chândogya Upanishad, VIII, 12, 1 ; Maitri Upanishad, III, 2 ; VI, 7. Pour le hgemwn Aitarêya Aranyaka, II, 6 et Rig Vêda Samhitâ, V, 50, 1.)". Si l’on a réalisé effectivement les véritables réponses, si l’on a trouvé le Soi et fait tout ce qu’il y avait à faire (kritakritya), sans aucun résidu de potentialité (krityâ), la fin dernière de notre vie est actuellement atteinte (NA: Aitarêya Aranyaka, II, 5 ; Shankhâyana Aranyaka, II, 4 ; Maitri Upanishad, VI, 30 ; cf. Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), I, 8, 3, 1. Kritakritya, "tout en acte" correspond au pali katamkaranîyam dans la "formule Arhat" bien connue.). On ne saurait trop insister sur le fait que la liberté et l’immortalité (NA: Amritattwa, littéralement "immortalité" ; dans toute la mesure où il s’agit d’êtres nés, soit dieux, soit hommes, ce mot n’implique pas une durée sans fin, mais la "totalité de la vie" ; on doit entendre : ne mourant pas prématurément (Shatapatha Brâhmana, V, 4 ; I, 1 ; IX, 5, 1, 10; Panchavimsha Brâhmana, XXII, 12, 2, etc.). Ainsi la totalité de la vie de l’homme (âyus = aeon) est de cent ans (Rig Vêda Samhitâ, I, 89, 9 ; II, 27, 10, etc.) ; celle des Dieux est de "mille ans" (XI, 1, 6, 6, 15) ou de la durée que représente ce chiffre rond (Shatapatha Brâhmana, VIII, 7, 4, 9; X, 2, 1-11, etc.). Dès lors, quand les Dieux, qui, à l’origine, étaient "mortels", obtiennent leur "immortalité" (Rig Vêda Samhitâ, V, 3, 4, et X, 63, 4, ; Shatapatha Brâhmana, XI, 2, 3, 6, etc.), cela ne doit être compris que dans un sens relatif et ne signifie pas autre chose que leur vie, comparée à celle des hommes, est plus longue (Shatapatha Brâhmana, VII, 3, 1, 10, Shankara. Sur les Br. Sûtra, I, 2, 17 et II, 3, 7, etc.). Dieu seul, comme "non-né" ou "né seulement en apparence" est absolument immortel ; Agni, vishwâyus = pyr aionos, seul "immortel parmi les mortels, Dieu parmi les Dieux" (Rig Vêda Samhitâ, IV, 2, 1 ; Shatapatha Brâhmana, II, 2, 2, 8, etc.). Sa nature intemporelle (akâla) est celle du "maintenant" sans durée, dont nous, qui ne pouvons penser qu’en termes de passé et de futur (bhûtam bhavyam) n’avons et ne pouvons avoir l’expérience. De Lui toutes choses procèdent, et en Lui elles s’unifient (êko bhavanti) à la fin (Aitarêya Aranyaka, II, 3, 8, etc.). En d’autres termes, l’"immortalité" est de trois ordres : la longévité humaine, l’æviternité des Dieux, et l’immortalité sans durée de Dieu (sur l’æviternité, voir saint Thomas d’Aquin  ., Sum. Theol., I, 10, 5). Les textes hindous eux-mêmes ne permettent aucune confusion : toutes les choses sous le Soleil sont au pouvoir de la Mort (Shatapatha Brâhmana, II, 3, 37, X, 5, 1, 4). Pour autant qu’elle descend dans le monde, la Divinité elle-même est un "Dieu qui meurt" ; il n’y a dans la chair aucune possibilité de ne jamais mourir (Shatapatha Brâhmana, II, 2, 2, 14; X, 4, 3, 9 ; Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 38, 10, etc.) ; la naissance et la mort sont indissolublement liées (Bhagavad Gîtâ, II, 27; Angutara Nikâya, IV, 137 ; Sutta Nipâta, 742). On peut observer que le grec athanasia a des significations analogues ; pour l’"immortalité mortelle", cf. Platon, Banquet  , 207, D-208 B, et Hermès, Lib., XI, I, 4a et Ascl., III, 40 b.) peuvent être, non seulement atteintes, mais encore réalisées ici-même et maintenant aussi bien que dans un quelconque au-delà. Celui qui "est délivré en cette vie" (jîvan mukta) ne "meurt plus" (napunar mriyatê) (NA: Shatapatha Brâhmana, II, 3, 3, 9 ; Brihadâranyaka Upanishad, I, 5, 2, etc. Cf. Luc, 20, 36; Jean, II, 26.). "Celui qui a compris le Soi contemplatif sans âge et sans mort, qui n’a en lui aucun manque et qui ne manque de rien, celui-là ne redoute pas la mort (NA: Atharva Vêda Samhitâ, X, 8, 44; cf. Aitarêya Aranyaka, III, 2, 4.).". Étant déjà mort, il est, comme le çoufi, "un mort qui marche (NA: Mathnawî, VI, 723 f. La parole "Mourez avant que vous ne mouriez" est attribuée à Mohammed  . Cf. Angelus Silesius  , "Stirb ehe du stirbst".)". Un tel homme n’aime plus ni lui-même ni les autres : il est le Soi de lui-même et des autres. La mort à soi-même est la mort aux autres ; et, si le "mort" semble ne pas être égoïste, ce n’est pas pour quelque motif altruiste, mais à titre accidentel, et parce qu’il est littéralement sans ego. Délivré de lui-même et de toutes conditions, de tous devoirs et de tous droits, il est devenu Celui qui se meut à son gré (kâmachârî) (NA: Rig Vêda Samhitâ, IX, 113, 9 ; Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 28, 3 ; Shankhâyana Aranyaka, VII, 22; Brihadâranyaka Upanishad, II, 1, 17, 18, Chândogya Upanishad, VIII, 5, 4 ; VIII, I, 6 (cf. D, I, 72) ; Taitt. Up., III, 10, 5 (de même dans Jean, X, 9).) comme l’Esprit (Vâyu, âtmâ dêvânâm) qui "va où il veut" (yathâ vasham charati) (NA: Rig Vêda Samhitâ, IX, 88, 3 ; X, 168, 4 ; cf. Jean, III, 8 ; Gylfiginning, 18.), n’étant plus, comme le dit saint Paul  , "sous la loi". 37 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Théologie et Autologie

Tel est le désintéressement surhumain de ceux qui ont trouvé leur Soi : "Je suis le même dans tous les êtres et il n’en est aucun que j’aime, aucun que je haïsse (NA: Bhagavad Gîtâ, IX, 29.)". Telle est la liberté de ceux qui ont rempli les conditions exigées par le Christ de ses disciples, à savoir de haïr leur père et leur mère et pareillement leur propre "vie" terrestre (NA: Luc, XIV, 26 ; cf., Maitri Upanishad, VI, 28 : "Si un homme est attaché à son fils, à sa femme, à sa famille, pour un tel homme, non jamais" ; Sutta Nipâta, 60, puttam cha dâvam pitaram cha mâtaram... hitwâna. Maître Eckhart dit de même : "Aussi longtemps que tu sais qui ont été dans le temps ton père et ta mère, tu n’es pas mort de la mort véritable" (Pfeiffer, p. 462). CI. Note 17, p. 92.). On ne peut dire ce qu’est l’homme libre, mais seulement ce qu’il n’est pas : Trasumanar significar per verba, non si potria... (Dante  . Paradiso, 1, 70). Transfigurer ne se peut exprimer par des mots... Mais l’on peut dire ceci : ceux qui ne se sont pas connus eux-mêmes ne seront délivrés ni maintenant ni jamais, et "grande est la ruine" de (ceux qui sont ainsi) victimes de leurs propres sensations (NA: Brihadâranyaka Upanishad, IV, 4, 14 ; Chândogya Upanishad, VII, 1, 6; VII, 8, 4, etc.). L’autologie brahmanique n’est pas plus pessimiste qu’optimiste ; elle est seulement d’une autorité plus impérieuse que celle de n’importe quelle autre science dont la vérité ne dépend pas de notre bon plaisir. Il n’est pas plus pessimiste de reconnaître que tout ce qui est étranger au Soi est un état de détresse, qu’il n’est optimiste de reconnaître que là où il n’y a pas d’autrui il n’y a littéralement rien à craindre (NA: Brihadâranyaka Upanishad, I, 4, 2.). Que notre Homme Extérieur soit un "autre", cela ressort de l’expression : "Je ne peux pas compter sur moi". Ce que l’on a appelé l’"optimisme naturel" des Upanishads est leur affirmation que la conscience d’être, bien que sans valeur en tant que conscience d’être Un Tel, est valable dans l’absolu, et leur doctrine de la possibilité actuelle de réaliser la Gnose de la Déité Immanente, notre Homme Intérieur : "Tu es Cela". Dans la langue de saint Paul : "Vivo, autem jam non ego". 38 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Théologie et Autologie

On saisit mieux maintenant l’identification du Soma avec l’Eau de la Vie, et celle de notre âme élémentaire et composite (bhûtâtman) avec les plantes à Soma d’où l’élixir royal doit être extrait (NA: Maitri Upanishad, III, 3 f.); et l’on comprend comment et par qui "ce que les Brâhmanes entendent par Soma" est consommé dans nos coeurs (hritsu) (NA: Rig Vêda Samhitâ, I, 168, 3 ; I, 179, 5 ; cf. X, 107, 9 (antahpêyam).). C’est le sang de vie de l’âme draconnienne qui offre maintenant ses pouvoirs tout équipés à leur souverain (NA: Cf. Philon, LA., II, 56, "répandre en libation le sang de l’âme et offrir en encens l’esprit tout entier à Dieu, notre Sauveur et Bienfaiteur".). Le sacrificateur livre aux flammes l’offrande de ce qui est à lui et de ce qu’il est ; vidé ainsi de lui-même (NA: Shatapatha Brâhmana, III, 8, 1, 2 ; Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), I, 17, 5, 2. Comme c’était au commencement, Rig Vêda Samhitâ, X, 90, 5 ; Shatapatha Brâhmana, III, 9, 1, 2.), il devient un Dieu (NA: Les Dieux sont véritables, ou réels (satyam), les hommes faux et irréels (anritam), Aitarêya Brâhmana, I, 6 ; Shatapatha Brâhmana, I, 1, 1, 4 ; III, 9, 4, 1, etc. (les universaux sont réels, les particuliers irréels). Le sacrificateur initié est sorti de ce monde et est temporairement un Dieu. Agni ou Indra (Shatapatha Brâhmana, III, 3, 10, etc. Cf. Philon, Heres, 84, "ce n’est pas un homme quand il est dans le Saint des Saints") ; et, s’il ne se munissait pas pour le retour au monde des hommes, il serait en danger de mourir prématurément (Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), I, 7, 6, 6, etc.), C’est pourquoi il est pourvu à la redescente (Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), VII, 3, 10, 4; Panchavimsha Brâhmana, XVIII, 10, 10 ; Aitarêya Brâhmana, IV, 21) ; et c’est en revenant au monde humain, au monde d’irréalité et de mensonge, en redevenant cet homme-ci, Un Tel, une fois encore, qu’il dit : "Maintenant je suis celui que je suis" (aham ya êvâsmi so’smi, Shatapatha Brâhmana, I, 9, 3, 23 ; Aitarêya Brâhmana, VII, 24) ; aveu tragique d’être "conscient une fois encore d’une vie toujours limitée, toujours corporelle et terrestre" (Macdonald, Phantastes, 1858, p. 317). Car il ne peut y avoir de plus grande douleur que de percevoir que nous sommes encore ce que nous sommes (Cloud of unknowing  , ch. XLIV). "Il n’y a pas de plus grand crime que ton être" (Shams-i-Talviz).). Quand il abandonne le rite il revient à lui-même, il revient du réel à l’irréel. Mais, bien qu’il dise alors : "Maintenant je suis ce que je suis", ces mots mêmes montrent bien qu’il s’agit là d’une apparence n’ayant qu’une réalité temporaire. Il est né de nouveau du Sacrifice, et il n’est pas vraiment abusé. "Ayant tué son propre Dragon (NA: Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), II, 5, 4, 4.)", il n’est plus réellement quelqu’un. L??uvre a été accomplie une fois pour toutes. Il est parvenu au bout de la route et au bout du monde, "là où le Ciel et la Terre se tiennent embrassés", et peut dès lors "travailler" ou "jouer" à son gré. C’est à lui que les paroles suivantes s’adressent : Lo tuo piacere omai prende per duce... per ch’io te sopra te corono e mitrio : Prends désormais ton plaisir pour guide... je te couronne roi et pape de toi-même (NA: Purgatorio, XXVII, 131, 142.). Nous qui étions en guerre avec nous-mêmes, nous sommes maintenant réintégrés et en paix ; le rebelle a été dompté (dânta) et pacifié (shânta), et, là où les volontés étaient en conflit règne désormais l’unanimité (NA: Bhagavad Gîtâ, VI, 7, Jitâtmanah prashântasya paramâtmà samdhitah : Le Suprême Soi du soi individuel est "apaisé" (samâhitah = "en samâdhi") quand ce dernier a été conquis et pacifié. Cf. Dhammapada, 103-105 êkam cha jêyya attânam sa vê sangâma-juttamo... attâ havê jitam... n’êvadêvo... apajitam kayira... bhâvit’attânam. Celui qui gagne cette bataille (psychomachie, jihad) est le véritable Conquérant (jina). Observer que "pacifier" est littéralement procurer le repos. Shânti, "la paix", n’est pas pour un soi qui ne veut pas mourir. La racine sham se trouve aussi dans shamayitri, le "boucher" qui "apaise" la victime dans le rituel extérieur (Rig Vêda Samhitâ, V, 43, 3 ; Shatapatha Brâhmana, III, 8, 3, 4, etc.) ; le sacrificateur "apaise" (shamayati) le feu de la colère de Varuna (Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), V, 1, 6 ; Shatapatha Brâhmana, IX, 1, 2, 1) ; en nous, c’est le plus haut soi qui "pacifie" le soi individuel, qui apaise son feu. Quiconque désire être "en paix avec lui-même" doit être mort à lui-même. Cf. République  , 556 E ; Gorgias, 482 C ; Timée  , 47 D ; et Harvard Journal of Asiatic Studies, VI, 389, 1942 ("On Peace").). 52 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme La Voie des ?uvres

Nous ne pouvons faire qu’une très rapide allusion à un autre aspect très significatif du Sacrifice ; la réconciliation que le Sacrifice établit constamment entre les pouvoirs en conflit est aussi leur mariage. Il y a plus d’une manière de "tuer" le Dragon ; la flèche du Tueur de Dragon (vajra) étant en fait un trait de lumière, et "le pouvoir génésique étant lumière", sa signification n’est pas seulement guerrière mais aussi phallique (NA: Cf. Rig Vêda Samhitâ, I, 32, 5 vajrêna = II, 11, 5, vîryena comme dans Manu, vîryam avasrijat, et dans le sens de Rig Vêda Samhitâ, X, 95, 4, snathitâ vaitasêna. Sur le fier baiser, le Désenchantement par un Baiser, voir W. H. Schofield, Studies on the Libeaus Desconus, 1895, 199 ff., et mon "The Hoathly Bride", Speculum, 20, 1945.). C’est la bataille d’amour, qui est gagnée quand le Dragon "expire". En tant que Dragon, le Soma est identifié à la Lune ; en tant qu’Élixir, la Lune devient la nourriture du Soleil, qui l’avale durant les nuits de leur cohabitation (amâvâsya) : "Ce qui est mangé est nommé du nom du mangeur, et non par son propre nom (NA: Shatapatha Brâhmana, X, 6, 2, 1.)" ; en d’autres termes, qui dit ingestion dit assimilation. Selon les paroles de Maître Eckhart "là l’âme s’unit à Dieu comme l’aliment à l’homme, devenant ?il dans l??il, oreille dans l’oreille ; ainsi en Dieu l’âme devient Dieu" ; car "je suis ce qui m’absorbe, plutôt que moi-même (NA: Maître Eckhart, Evans, I, 287, 380. Ainsi notre bien le plus grand est d’être dévoré par "Noster Deus ignis consumans". Cf. Speculum, XI, 1936, p. 332, 333, et d’autre part Dante, Paradiso, XXVI, 51, Con quanti denti questo amor ti morde ? Son baiser, qui est à la fois Amour et Mort, nous éveille au devenir ici-bas, et sa morsure d’amour nous éveille à l’être là-haut. Cf. mon "Sun-kiss" dans Journal of the American Oriental Society, 60, 1940.)". Comme le Soleil engloutit l’Aube ou dévore la Lune dans le Monde extérieur et visible, chaque jour et chaque mois, en nous se consomme le mariage divin quand les entités solaire et lunaire de l??il droit et de l??il gauche, Eros et Psyché, la Mort et la Dame, entrent dans la caverne du coeur, s’y unissent comme l’homme et la femme sont unis dans le mariage humain ; c’est là leur "suprême béatitude (NA: Shatapatha Brâhmana, X, 5, 2, 11, 12.)". Dans cette synthèse extatique (samâdhi), le Soi a retrouvé sa condition primordiale, "celle d’un homme et d’une femme étroitement embrassés (NA: Brihadâranyaka Upanishad, 1, 4, 3.)", au-delà de toute conscience d’une distinction entre un dedans et un dehors (NA: Brihadâranyaka Upanishad, IV, 3, 21.). "Tu es Cela". 53 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme La Voie des ?uvres

Là où tout s’ordonne à la fin de la nature humaine, et où c’est l??uvre sacrificielle qui constitue la voie par laquelle se réalisent les fins actuelles et suprêmes de la vie, la forme de la société sera évidemment déterminée par les exigences du Sacrifice ; et le sens de cet ordre (yathârthatâ) et de son impartialité (samadrishti) sera de mettre chaque homme en mesure de devenir ce qu’il est en puissance, de l’empêcher de s’égarer. Nous avons vu que c’est à ceux qui maintiennent fidèlement le Sacrifice qu’est faite la promesse d’épanouissement. Dès lors, le Sacrifice accompli in divinis par le Maître d’?uvre universel (Vishwakarma, omnifaisant), demande, pour être imité ici-bas, la coopération de tous les arts (vishwâ karmâni) (NA: Shatapatha Brâhmana, IX, 5, 1, 42. De même que le Sacrifice chrétien réclame la collaboration de tous les arts.), par exemple ceux de la musique, de l’architecture, de la charpente, de l’agriculture, et celui de la guerre pour assurer la protection du rite. La politique des communautés céleste, sociale et individuelle est gouvernée par une seule et même loi. L’exemplaire de la politique céleste est révélé dans l’Écriture et reflété dans la constitution de l’état autonome et dans celle de l’homme qui se gouverne lui-même. 62 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme L’Ordre social

Dans cet homme, quand sa vie sacramentelle est complète, il y a une hiérarchie des pouvoirs sacerdotal, royal et administratif, ainsi qu’une quatrième classe formée des organes physiques de sensation et d’action, qui traitent la mati  ère première ou "nourriture" à préparer pour tous. Il est clair que, si cet organisme doit s’épanouir - chose impossible s’il se divise contre lui-même - les pouvoirs sacerdotal, royal et administratif doivent être les maîtres selon leur rang, et les agents, qui travaillent sur les matières premières, leurs serviteurs. C’est exactement de la même façon que les exigences du Sacrifice, dont dépend la prospérité d’un royaume, déterminent la hiérarchie de ses fonctions. A la lettre, les castes sont "nées du Sacrifice (NA: On trouvera la meilleure discussion de ce point dans A. M. Hocart, Les Castes, Paris, 1939.)". Dans l’ordre sacramentel, il y a nécessité et place pour le travail de tous les hommes. Et dans ces conditions il n’y a pas de conséquence plus significative du principe selon lequel le travail est sacrifice, que le fait, si éloigné que cela puisse être de nos modes de pensée profanes, que chaque fonction, depuis celle du prêtre et du roi jusqu’à celle du potier et du balayeur, est littéralement un sacerdoce et toute action un rite. De plus, chacune de ces sphères a son "éthique professionnelle". L’institution des castes diffère de la "division du travail" industriel, avec son fractionnement de la capacité humaine, en ce qu’elle présuppose une distinction dans les modalités, mais non dans les degrés, de la responsabilité. Et c’est précisément parce qu’une telle organisation de fonctions, avec son loyalisme et ses devoirs mutuels, est absolument incompatible avec le caractère de compétition de notre industrialisme, qu’une telle institution, fondée sur la monarchie, la féodalité et les castes, est toujours peinte en couleurs si sombres par les sociologues, dont l’opinion est déterminée beaucoup plus par les préjugés de leur milieu que par le recours aux vrais principes. 63 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme L’Ordre social

La notion du caractère héréditaire des capacités individuelles et des vocations correspondantes découle nécessairement de la doctrine de la filiation ancestrale : le fils d’un homme donné est qualifié et prédestiné de naissance pour assumer la "marque distinctive" de son père, et pour prendre sa place dans le monde. C’est la raison pour laquelle il est initié dans la profession paternelle et confirmé définitivement en elle par les rites de transmission accomplis au lit de mort, à la suite desquels, quand bien même le père survivrait, le fils devient le chef de famille. En remplaçant son père, le fils délivre celui-ci de la responsabilité de la fonction dont il était chargé dans cette vie, en même temps qu’il pourvoit à la continuation du service sacrificiel (NA: Aitarêya Aranyaka, II, 4, 5 (Ait. Up. IV, 4) : "Pour la perpétuation de ces mondes. Car, de cette façon, les mondes sont perpétués. C’est là sa seconde naissance. Ce soi, le sien, est mis à sa place pour l’accomplissement des ?uvres saintes. Son autre Soi, ayant fait ce qu’il y avait à faire, entre dans le Vent et prend son départ. C’est sa troisième naissance", cf. Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 9, 6 ; Maitri Upanishad, VI, 30. La transmission héréditaire des vocations pourvoit à la continuité du service divin. Le même point de vue est dans Platon, Lois 773 E f. : "En ce qui concerne le mariage... il est décrété que nous nous conformerons à la nature sans cesse productrice en fournissant à Dieu des serviteurs à notre place, cela en laissant toujours après nous des enfants de nos enfants". De même Shatapatha Brâhmana, 1, 8, 1, 31, tasmât prajottarâ dêvayajyâ ; Aitarêya Brâhmana, VII, 13 ; Brihadâranyaka Upanishad, I, 5, 17 ; Rig Vêda Samhitâ, IX, 97, 30, pitur na putrah ritubhir (i. e. karmabhir) yatânah.). Pour la même raison, une lignée familiale trouve sa fin, non pas quand les descendants font défaut (l’adoption peut y suppléer), mais quand la vocation et la tradition de la famille sont abandonnées. C’est également pour cela qu’une totale confusion des castes marque la mort d’une société, qui n’est plus alors qu’une foule informe, où l’homme peut changer de profession à volonté, comme si celle-ci était quelque chose d’indépendant de sa propre nature. En fait, c’est ainsi que les sociétés traditionnelles sont tuées et leur culture détruite, au contact des civilisations industrielles et prolétariennes. Le jugement de l’Orient traditionnel sur la civilisation occidentale est parfaitement traduit dans ces paroles de Macaulay : L’Orient s’est incliné devant l’Occident - Avec un patient et profond dédain. 64 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme L’Ordre social

Par cette intégration de fonctions, l’ordre social est destiné, d’une part à pourvoir à la prospérité générale, et d’autre part à rendre chaque membre de la société capable de réaliser sa propre perfection. Dans le sens où la religion peut s’identifier à la "loi" et se distinguer de l’esprit, la religion hindoue est strictement parlant, une obéissance. Cela, apparaît clairement dans le fait qu’un homme est tenu pour hindou eu égard à son bon comportement, et non par suite de ce qu’il croit ou de ce qu’il fait ; autrement dit, en raison de son "adresse" à bien agir selon la loi. Car, s’il n’y a pas de délivrance par les ?uvres, il est évident que la partie pratique de l’ordre social, même accomplie avec une fidélité parfaite, ne peut, pas plus qu’un autre rite ou que la théologie affirmative, être regardée comme quelque chose de plus qu’un moyen en vue d’une fin qui le dépasse. Il reste toujours un dernier pas où le rituel est abandonné et où les vérités relatives de la théologie sont reniées. De même que l’homme est déchu de l’élévation de son premier état par la connaissance du bien et du mal, c’est de la connaissance du bien et du mal, de la loi morale, qu’il devra être finalement délivré. Si loin que l’on soit parvenu, il reste un dernier pas à faire, qui emporte la dissolution de toutes les valeurs antérieures. Une église ou une société - un Hindou ne fait pas de distinction entre les deux - qui ne fournit pas le moyen d’échapper à ses propres institutions, qui empêche ses membres de se libérer d’elle-même réduit à néant sa suprême raison d’être (NA: Sur la loi et la Liberté, cf. Saint Augustin  , De spiritu et littera. C’est par le Pouvoir Spirituel que le pouvoir temporel est affranchi de son asservissement (brahmanaivênam dâmno’ pombhanâm munchati, Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), II, 4, 13).). 66 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme L’Ordre social

C’est précisément à ce pas ultime que prépare le dernier des "Quatre Stades" (âshrama) (NA: Maitri Upanishad, IV, 4. Voir aussi Shankarâchârya, Br. Sûtra, Sacred Books of the East, vol. XXXVIII, Index, "Stades de la vie" (âshrama). Les trois premiers conduisent aux états d’être célestes ; le quatrième seul, qui peut être intégré à tout moment, conduit à l’immortalité absolue en Dieu. Sur le quatrième âshrama, cf. Platon : "Mais quand l’âge avance, quand l’âme commence à atteindre sa maturité... ils ne feront rien si ce n’est (eu égard à tout temps et à tout être) comme une tâche latérale, s’ils veulent mener une vie sainte, et, quand ils parviendront au terme, ils couronneront leur vie (ici-bas) par un destin correspondant là-bas... quand ils atteindront cette vie à laquelle ils vont renaître" (République, 498 C, D avec 486 A). La vraie philosophie est un ars moriendi   (Phédon  , 61, 64, 67).) de la vie. Le mot lui-même sous-entend que tout homme est un pèlerin (shramana), dont l’unique devise est "Va de l’avant". Le premier de ces Stades est celui de l’état d’étudiant et de discipline ; le second celui de l’état de mariage et d’activité professionnelle, avec ses responsabilités et ses droits ; le troisième celui de l’état de retraite et de pauvreté relative ; le quatrième celui du renoncement total (sannyâsa). Ainsi, tandis que dans une société profane l’homme aspire à une vieillesse confortable et économiquement indépendante, dans l’ordre sacramentel il tend à devenir indépendant du fait économique et indifférent au confort comme à l’inconfort. Nous gardons l’image de l’un de ces hommes magnifiques : naguère chef d’une famille de la plus fabuleuse richesse, il en était alors au troisième stade, à l’âge de soixante-dix-huit ans, vivant seul dans une cabane de bois, faisant cuire lui-même sa nourriture, et lavant de ses mains les deux seuls vêtements qu’il possédait. Deux ans encore, et il abandonnerait ce demi-luxe pour devenir un mendiant religieux, sans autre possession qu’un bout d’étoffe sur ses reins et l’écuelle où le mendiant reçoit les restes de nourriture que ceux qui n’en sont encore qu’au second stade lui donnent gratuitement. 67 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme L’Ordre social

Il est expressément déclaré d’autre part que les Brâhmanes d’aujourd’hui - bien qu’il y ait des exceptions - ont perdu les grâces qui étaient l’apanage de leurs ancêtres purs et sans ego (NA: Sutta Nipâta, 284 ff. (cf. Rig Vêda Samhitâ, X, 71, 9) ; D., III, 81, 82 et 94 f ; exceptions Samyutta Nikâya, 11, 13 ; Sutta Nipâta, 1082.). C’est de ce point de vue, et en relation avec le fait que le Bouddha est né dans un âge où la caste royale était plus en honneur que la caste sacerdotale, que l’on peut le mieux comprendre la raison de la promulgation des Upanishads et de la doctrine bouddhique à une seule et même époque. Ces deux corps de doctrine intimement liés et concordants, tous deux d’origine "sylvestre", ne s’opposent pas l’un à l’autre, mais à un adversaire commun. Leur intention est manifestement de restituer les vérités d’une antique doctrine. Non que la continuité de la transmission par les lignées érémitiques des forêts se soit jamais interrompue, mais parce que les Brâhmanes des cours et du "monde", occupés d’abord des formes extérieures du rituel, et peut-être trop intéressés à leurs émoluments, étaient alors devenus plutôt "Brâhmanes de naissance" (brahmabandhu) que Brâhmanes dans le sens des Upanishads et du Bouddhisme, à savoir "connaissants de Brahma" (brahmavit). Il y a peu de doute que la doctrine profonde du Soi ait été enseignée jusque-là par transmission magistrale (guruparamparâ) à des disciples qualifiés ; cela est pleinement évident, d’une part dans les Upanishads elles-mêmes (NA: Maitri Upanishad, VI, 29 : "Ce très profond mystère..." ; Brihadâranyaka Upanishad, VI, 3, 12 ; Bhagavad Gîtâ, IV, 3 : XVIII, 67. Pourtant les Upanishads étaient alors "publiées" ; et, de même que le Bouddha "ne cache rien", de même on nous dit que "rien n’a été omis dans ce qui fut dit à Satyakâma, homme qui ne peut prouver son lignage, mais qui est appelé brâhmane à cause de la vérité de sa parole". (Chândogya Upanishad, IV, 4, 9). Il n’y a pas d’autre secret, en sorte que quiconque comprend peut proprement être appelé brâhmane (Shatapatha Brâhmana, XII, 6, 1, 41).) (leur nom même signifie "s’asseoir auprès d’un maître"), et d’autre part dans le fait que le Bouddha parle souvent de "ne rien garder par devers soi". Il résulterait nettement de ces conditions que ceux à qui le Bouddha se réfère si souvent comme à l’"inculte multitude" doivent avoir entretenu ces fausses "théories de l’âme" et ces croyances en une réincarnation "personnelle" contre quoi il fulmine inlassablement. 97 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: Introduction

En nous demandant : qu’est-ce que le Bouddhisme, nous devons commencer comme auparavant par le Mythe, car celui-ci se confond désormais avec la vie même du Fondateur (quelque quatre-vingts ans), qui résume l’épopée entière de la victoire sur la mort. Mais si nous faisons abstraction, dans le récit pseudo-historique, de tous les traits légendaires ou miraculeux, le noyau résiduel que formerait le fait historiquement plausible serait à la vérité fort petit. Tout ce que l’on peut dire est qu’il à bien pu exister un maître individuel qui a donné à l’antique sagesse sa "couleur bouddhique" particulière et dont l’individualité est complètement voilée, comme il a dû le désirer (NA: Dhammapada, 74, mam’êva kata... iti bâlassa sankappo, "J’ai fait cela, idée puérile". Cf. Note 16.), par la substance éternelle (akâlika dharma) à laquelle il s’identifiait. Autrement dit, "le Bouddha a seulement la forme humaine ; ce n’est pas un homme (NA: Kern, Manual of Indian Buddhism, p. 65. Cf. Angutara Nikâya, II, 38, 39, où le Bouddha dit qu’il a détruit toutes les causes par lesquelles il pouvait devenir un dieu ou un homme, etc., et n’est pas contaminé par le monde, "c’est pourquoi je suis Bouddha" (tasmâ buddho’ smi), f. Sutta Nipâta, 558, abhinnêyam abhinnatam, bhâvêtabbam cabhâvitam, pahâtabbam pahînam mê, tasmâ buddho’ smi.)". 106 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: Le Mythe

La majorité des érudits modernes, evhéméristes de tempérament et de formation, s’imaginent, il est vrai, qu’il n’était pas I’Homme, mais un homme déifié par après. Nous adoptons l’opinion contraire, commandée par les textes, d’où il ressort que le Bouddha est une déité solaire descendue du ciel pour sauver à la fois les hommes et les Dieux, de tout le mal que désigne le mot "mortalité" ; et dans cette perspective sa naissance et son éveil sont perpétuels (NA: Saddharma Pundarîka, XV, 1, en réponse au trouble de ses auditeurs qui ne peuvent comprendre que le Bouddha puisse prétendre avoir été le maître de Bodhisattwas sans nombre dans les ans passés. De même Arjuna est jeté dans le trouble par l’idée de la naissance éternelle de Krishna, et les Juifs ne pouvaient comprendre la parole du Christ : "Avant qu’Abraham fût, je suis". "Le Fils de Dieu est plus ancien que toute sa création" (Shepherd of Hermas  , IX, 12, 1).). 107 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: Le Mythe

Platon encore nous rappelle sans cesse qu’il y a en nous deux âmes ou deux soi, et que de ces deux l’immortel est notre "Soi réel". Cette distinction d’un Esprit immortel et d’une âme mortelle, que nous avons déjà trouvée dans le Brahmanisme, est en fait la doctrine fondamentale de la Philosophia Perennis, où que nous la rencontrions. L’esprit retourne à Dieu qui le donna quand la poussière retourne à la poussière. Gnwqi seauton ; Si ignoras te, egredere. "Là où je vais, vous ne pouvez encore me suivre... Si quelqu’un me suit, qu’il se nie lui-même (NA: Jean, XIII, 36 ;Marc, VIII, 34. Ceux qui le suivent ont "tout abandonné", et ce tout les comprend naturellement "eux-mêmes".)". Nous ne devons pas nous faire illusion à nous-mêmes en supposant que les mots denegat seipsum doivent être pris dans une acception éthique, ce qui serait prendre le moyen pour la fin. Ils signifient ce qu’entendent saint Bernard quand il dit que l’on doit deficere a se tota, a semetipsa liquescere, et Maître Eckhart quand il dit que "le Royaume de Dieu n’est pour personne si ce n’est pour celui qui est entièrement mort". "La parole de Dieu va jusqu’à séparer l’âme et l’esprit (NA: Héb., IV, 12.)" ; et l’Éveillé aurait pu dire aussi que "personne ne peut être mon disciple s’il ne hait sa propre âme" (Kai ou misei? ten eautou psychen) (NA: Luc, XIV, 26, "qui ne hait son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et ses s?urs", cf. Maitri Upanishad, VI, 28. "S’il est attaché à sa femme et à sa famille, pour un tel homme, non jamais", et Sutta Nipâta, 60. "Seul je m’en vais, abandonnant femme et enfant, mère et père", cf. 38. Cf. note 68, p. 40.). "L’âme doit se mettre elle-même à mort" - "De peur que le Jugement Dernier ne vienne et ne me trouve non annihilé, et que je sois saisi et mis entre les mains de ma propre individualité (NA: Maître Eckhart et William Blake  . Cf. B?hme, Sex Puncta Theosophica, VII, 10. "Ainsi voit-on comment périt une vie..., à savoir quand elle veut être son propre maître... Si elle ne s’offre elle-même à la mort, elle ne pourra gagner un autre monde", Matth., XV, 25 ; Phédon, 67, 68. "Nulle créature ne peut atteindre un plus haut degré de nature sans cesser d’exister", (Saint Thomas d’Aquin, Sum. Theol., I, 63, 3). Cf. Schiller : "Dans l’erreur seulement il y a vie, et la connaissance est nécessairement une mort" ; cf. également ce qui a été dit plus haut du Nirvâna comme d’un achèvement de l’être. Ce qui se trouve au-delà de telles morts ne peut être défini dans les termes propres à notre modalité d’existence.)". 127 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: Le Mythe

Dans la question du Bouddha citée plus haut : "Ne serait-il pas mieux pour vous que vous poursuiviez le Soi (NA: Sutta Nipâta, 508: Ko sujjhati muchchati bajjhati chah ? kên’attanâ gacchati brahmalokam ? Les réponses que comportent évidemment ces questions sont Yakkha comme dans Sutta Nipâta, 875 et brahmabhûtêna attanâ comme dans Angutara Nikâya, II, 211 : les réponses brahmaniques, Aitarêya Aranyaka, II, 6, prajnânam brahma, sa êtêna prajnênâtmanâ... amritah samabhavat, Brihadâranyaka Upanishad, IV, 4, 6, brahmaiva san brahmâpyêti (avec le commentaire de Shankra, disant que c’est du Paramâtmâ seulement que l’on peut affirmer l’asservissement et la délivrance) sont essentiellement les mêmes ; cf. Bhagavad Gîtâ, XVIII, 54, brahma-bhûtah prasannâtmâ. Rendre kên’attanâ par "par quoi ?" seulement est caractéristique des amoindrissements de Lord Chalmers. De la même façon, le PTS Dictionary omet soigneusement des références positives concernant attâ et ignore mahattâ. Mrs. Rhys David   a discuté le rapport mahattâ = mahâtmâ (par ex. Review of Religion, VI, 22 f.), mais ignore la nature du mahiman ("majesté") sur quoi repose l’épithète.) ?" il y a un contraste précis entre le pluriel du verbe et le singulier de l’objet. C’est l’Un que doit trouver la multitude. Considérons les nombreux autres textes bouddhiques dans lesquels les "soi", respectivement composé et mortel et unique et immortel, sont mis en opposition. La question est posée, tout, comme elle l’avait été dans les livres brahmaniques : "Par quel soi (kêna âtmanâ) 1 atteint-on le monde de Brahma ?" La réponse est donnée dans un autre passage, où la formule habituellement employée pour décrire la réalisation de l’état d’Arhat conclut : "Par le Soi qui est Identique à Brahma" (brahma-bhûtêna-âtmanâ), tout comme elle l’est dans les Upanishads : "C’est en tant que Brahma qu’il retourne à Brahma (NA: Angutara Nikâya, ll, 211, brahma-bhûtêna attanâ viharati ; de même Brihadâranyaka Upanishad, IV, 4, 6, brahmaiva san brahmâpyêti.)". De ce monde il n’est aucun retour (punar âvartana) par nécessité de renaissance (NA: Sumangala Vilâsinî, I, 313, tato brahma-lokâ patisandhi-vasêna na âvattana-dhammo, développant D., I, 156, anâvatti-dhammo ; comme dans Buddhacharita, VI, 2, 15, tê têshu brhama lokëshu... vasanti, têshâm na punarâvrittih ; Chândogya Upanishad, IV, 15, 6, imam mânavam-avartam nâvartantê ; Chândogya Upanishad, VIII, 15. Il faut toutefois distinguer salut et perfection. Être devenu un Brahmâ dans le monde de Brahma est sans doute un haut accomplissement, mais ce n’est pas le degré suprême, la sortie finale (uttarakaranîyam, uttarim nissaranam), l’extinction exempte de tous les facteurs de l’existence dans le temps (anupâdisêsa-nibbânam) que peut atteindre un Brahmâ, même dans le monde de Brahma. La seule condition supérieure à celle-là est l’atteinte de cette fin suprême ici même et maintenant plutôt qu’après la mort (Majjhima Nikâya, II, 195-6 ; D., I, 156 ; Angutara Nikâya, IV, 76-7 ; cf. Brihadâranyaka Upanishad, IV, 3, 33 où Janaka, instruit de ce qui concerne le monde béatifique de Brahma, demande "plus que cela, pour ma délivrance"). Ces textes rendent évident que dans l’équation ordinaire brahma-bhûto = buddho, ce n’est pas "devenir Brahmâ" mais "devenir Brahma" qu’il faut comprendre : le Bodhisattwa était d’ores et déjà un Brahmâ et un Mahâ-Brahmâ, dans ses précédents états (Angutara Nikâya, IV, 88), mais, somme toute, il n’était pas encore un Bouddha ; cf. Maitri Upanishad, VI, 22 où il est question de dépasser le Brahmâ intelligible, et de réintégrer le suprême, le non-intelligible Brahma en qui (ou quoi) toutes les caractéristiques individuelles (prithag-dharminah) ont disparu ; ainsi dans Sutta Nipâta, 1074-6 où le Muni, affranchi du nom et de la forme, "atteint son but" dont on ne peut rien dire, parce que toutes ses caractéristiques individuelles sont "confondues" (sabbêsu dhammêsu samuhatêsu) comme les fleuves quand ils atteignent la mer (Angutara Nikâya, IV, 198). D’autre part, quand, Sutta Nipâta, 478, 509, le Bouddha, en tant que personnage visible, est reconnu comme le sakkhi brahmâ (= sâhshât brahma, Brihadâranyaka Upanishad, III, 4, 2 = pratyaksham brahma, Taitt. Up., 1, 12), Brahmâ au masculin est manifestement approprié, le Brahmâ visible étant, comme le dit Shankara, saguna. De même Sutta Nipâta, 934, sakkhi dhammam adassî ; Samyutta Nikâya, III, 120, yokho dhammam passati main passati ; Angutara Nikâya, 1, 149, sakkhi attâ.). D’autres passages distinguent le Grand Soi (mahâtman) du petit soi (alpâtman), ou le Soi splendide (kâlyânâtman) du soi impur (pâpâtman) ; le premier est le juge du second (NA: Angutara Nikâya, I, 57, 58, 87 (attâ pi attanam upavadati), 149, 249, V., 88 ; Sutta Nipâta, 778, 913 ; cf. Manu, XI, 230 ; République, 440 B ; I Cor., IV, 4. C’est le "Ayenbyte of Inwyt".). "Le Soi est le Seigneur du soi et son but (NA: Dhammapada, 160, attâ hi attano nâtho ; 380, attâ hi attano gati (cf. Brihadâranyaka Upanishad, IV, 3, 32 ; Katha Upanishad, III, 11 ; Maitri Upanishad, VI, 7, âtmano’tmâ nêtâ amritâkhyah ; Rig Vêda Samhitâ, V, 50, 1, vishwo dêvasya nêtuh, viz. Savitri). Cf. Samyutta Nikâya, III, 82, 83, yad anattâ... na mê so attâ, «Ce qui est non-Soi, ce n’est pas mon Soi" ; le Soi (âtman) est sans ego (anâtmya), cf. Taittirîya Upanishad, II, 7.)". Dans la parole : "Pour celui qui l’a atteint il n’est rien de plus cher que le Soi (NA: Samyutta Nikâya, 1, 75, n’êv’ajjhagâ piyataram attanâ kwachi... attakâmo ; Udâna 47 ; Angutara Nikâya, 12, 91 (cf., II, 21), attakâmêna mahattam abhikkhankatâ. Samyutta Nikâya, I, 71, 72, comme Bhagavad Gîtâ, VI, 5-7, montre dans quelles circonstances le Soi est cher (piyo) ou n’est pas cher (appiyo) de l’ego. Dans Angutara Nikâya, IV, 97, d’autre part, attâ hi paramo piyo, l’homme "trop épris de lui-même", est ce que l’on entend d’habitude par "égoïste".)", on reconnaît la doctrine des Upanishads selon laquelle "seul le Soi est véritablement cher (NA: Brihadâranyaka Upanishad, I, 4, 8 ; II, 4 ; IV, 5.)", le "Aime-toi Toi même (NA: Hermès, Lib., IV, 6 B.)" hermétique et la doctrine chrétienne selon laquelle "un homme, par charité, doit s’aimer lui-même plus que personne d’autre (NA: Saint Thomas d’Aquin, Sum. Theol., II-II, 26, 4 ; cf. Dhammapada, 166 (le premier devoir de l’homme est de travailler à son propre salut).)" ; lui-même, c’est-à-dire le Soi pour l’amour duquel il doit se nier soi-même. 132 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine

En fait, il n’y a pas plus d’individu que d’âme du monde (NA: Angutara Nikâya, II, 177 : "Je ne suis rien de quiconque, quelque part, et il n’y a rien de moi nulle part" ; semblablement, Majjhima Nikâya, II, 263, 264, Sutta Nipâta, 950, 951. Plotin  , Ennéades, VI, 9, 10 : "Mais cet homme est maintenant devenu un autre, et il n’est plus lui-même et ne s’appartient plus". Cf. mon "Akimcannâ : Self-naughting" dans New Indian Antiquary, III, 1940, et The Cloud of Unknowing, ch. LXVIII "Let be this everywhere and this aught, in comparison of this nowhere and this naught" (littéralement : "Sois ce partout et ce tout, en comparaison avec ce nulle part et ce rien").). Ce que nous appelons notre "conscience" n’est rien d’autre qu’un processus mental. Son contenu change de jour en jour, et il est aussi soumis au déterminisme causal que le contenu de la réalité corporelle (NA: Samyutta Nikâya, II, 13 ; III, 165, etc. En outre, annicam dukkham anattâ, Samyutta Nikâya, III, 41, etc., comme ato’ (âtmatas) nyad ârtam, Brihadâranyaka Upanishad, III, 4, 2. Comme le dit saint Augustin, le corps et l’âme sont pareillement changeants, et ceux qui ont réalisé cela sont partis à la recherche de Ce qui est Immuable (Sermo CCXLI, 2, 2).). Notre individualité est constamment en cours de destruction et de renouvellement (NA: Samyutta Nikâya, II, 96, vinnânam... rattiyâ cha divassassa cha ânnad êva upajjati annam nirujjhati.); il n’y a dans le monde ni soi ni rien de cette nature ; et tout cela s’applique à tous les êtres, ou plutôt à tous les devenirs, soit d’hommes, soit de Dieux, maintenant et dans l’au-delà. Plutarque déclare semblablement : "Nul ne demeure une personne, ni n’est une personne... Nos sens, par suite de notre ignorance de la réalité, nous disent faussement que ce qui paraît être est effectivement (NA: Moralia, 392, D, s’appuyant sur Platon, Banquet, 207 D, E ; Phédon, 78 C. Voir note précédente.)". Le vieux symbole brahmanique (et platonicien) du char illustre cela : le char, avec toutes ses parties, correspond à ce que nous appelons notre soi ; il n’y avait pas de char avant que ses parties ne fussent assemblées, et il n’y en aura plus lorsqu’elles s’en iront en morceaux ; il n’y a pas de char en dehors de ses parties ; le "char" n’est qu’un nom, donné par convenance à un certain objet de perception, et qui ne saurait être pris pour une entité (sattwa). Il en est de même pour nous qui sommes, comme le char, des "assemblages". Celui qui comprend a vu les choses "comme elles se sont produites" (yathâ bhûtam), issues de leur principe et y disparaissant, et il s’est distingué lui-même de toutes ces choses ; ce n’est pas lui, mais l’ignorant qui posera des questions telles que celles-ci : "Suis-je ?" "Qu’étais-je avant ?" "D’où est-ce que je viens ?", "Où vais-je (NA: Samyutta Nikâya, II, 26, 27. Le disciple éclairé ne doit pas se regarder lui-même comme transmigrant, mais seulement reconnaître l’opération incessante des causes médiates selon lesquelles les individualités contingentes paraissent et disparaissent.) ?". S’il est encore expressément permis à l’Arhat de dire "je", c’est uniquement par commodité ; il a depuis longtemps dépassé toute croyance en une personnalité qui lui serait propre (NA: Samyutta Nikâya, I, 14 ; D., 1, 202, le Bouddha parle de "lui-même" de façon conventionnelle, mais cela ne signifie pas qu’il pense dans ces termes.). Mais tout cela ne signifie pas - et il n’est dit nulle part - qu’"il n’y a pas de Soi". Au contraire, il y a tels passages où, après le dénombrement des cinq constituants de notre "existence" évanescente et irréelle, l’on trouve, non pas la formule habituelle de négation, "ceci n’est pas mon Soi", mais le commandement positif : "Réfugie-toi dans le Soi (NA: Samyutta Nikâya, III, 143. Voir note 11.)", tout comme le Bouddha dit l’avoir fait lui-même (NA: D., II, 120. Voir note 11.). 134 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine

L’individualité empirique de tel ou tel étant un simple processus, ce n’est pas "ma" conscience ou mon individualité qui peut franchir la mort et renaître (NA: Majjhima Nikâya, I, 256 (l’hérésie concernant Sati).). Il est impropre de demander : "De qui est-ce la conscience ?»; on pourrait demander seulement : "Comment cette conscience surgit-elle (NA: Samyutta Nikâya, II, 13 ; II, 61, etc.) ?" Et voici l’antique réponse (NA: Aitarêya Aranyaka, II, 1, 3 : "L’homme est le produit d??uvres" (karmakritam ayam purushah), c’est-à-dire de choses qui ont été accomplies jusqu’au moment où nous parlons. Cf. Samyutta Nikâya, I, 38, satto samsâam âpâdi kammam asya parâyanam ; et notes 53, 17 et 31.) : "Ce corps n’est pas le mien, mais le résultat des ?uvres passées (NA: Samyutta Nikâya, II, 64.). Il n’y a pas d’"essence" passant d’un habitacle à un autre ; comme une flamme s’allume d’une autre flamme, ainsi se transmet la vie, mais non une vie, ni ma vie (NA: Milinda Panho, 71-72. Cette parole, selon laquelle rien n’est transmis sinon le "feu" de la vie, est en parfait accord avec la parole védantique : "Le Seigneur seul transmigre", et avec Héraclite  , pour lequel il n’est d’autre flux que celui du feu jaillissant et courant en nous, pyr aionios = Agni, vishwâyus. Elle ne contredit donc pas Platon et al., dont la doctrine ne rejetait certainement pas le "flux", mais présuppose un Être de qui tout devenir procède, un Être qui n’est pas lui-même une "chose", nais de qui toutes "choses" incessamment découlent.). Les êtres sont les héritiers des actes (NA: Majjhima Nikâya, I, 390 ; Samyutta Nikâya, 11, 64 ; Atharva Vêda Samhitâ, 88 : "Ma nature est faite d’actes (kammassako’mhi), j’hérite les actes, je nais des actes, je suis parent des actes, je suis quelqu’un sur qui les actes reviennent ; de tout acte, bon ou mauvais, que je fais, j’hériterai". On ne doit pas, bi