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HB: Bhagavad Gîtâ

sábado 3 de fevereiro de 2024

  

Nous sommes dès lors la pierre d’où peut être tirée l’étincelle, la montagne sous laquelle Dieu gît enseveli, la peau de serpent écailleuse qui le cache, et l’huile pour sa flamme. Que sa retraite soit devenue une caverne ou une maison présuppose la montagne ou les murs qui l’enclosent, verborgen (nihito guhâyâm) et verbaut. "Tu" et "Je" sont la prison psycho-physique, le Constricteur où le Premier Principe a été absorbé afin que "nous" puissions pleinement être. Car, comme cela nous est constamment enseigné, le Tueur de Dragon dévore sa victime, l’avale et la boit jusqu’à la dernière goutte. Grâce à ce repas eucharistique il prend possession des trésors et des pouvoirs du Dragon premier-né, et il devient ce qu’il était. On peut citer, de fait, un texte remarquable où notre âme composite est appelée la "montagne de Dieu", et où il est dit que celui qui comprendra cette doctrine absorbera de la même façon son propre mal, son adversaire haïssable (NA: Aitarêya Aranyaka, II, 1, 8. Cf. Platon  , Phèdre  , 250 C ; Plotin  , Ennéades, IV, 8, 3 ; Maître Eckhart   ("hat gewonet in uns verborgenliche", Pfeiffer, p. 593) ; Henry Constable ("Enseveli en moi, jusqu’à ce qu’apparaisse mon âme"). Saint Bonaventure   assimilait de même mons et mens (De dec, preceptiis, II, ascendere in montem, id est, in eminentiam mentis) ; cette image traditionnelle, que l’on doit, comme beaucoup d’autres, faire remonter au temps où "caverne" et "habitation" étaient une seule et même chose, est sous-entendue dans les symboles familiers de la mine et de la recherche du trésor enfoui (Maitri Upanishad  , VI, 29, etc.). Les pouvoirs de l’âme (bhutâni, terme qui signifie également "gnômes") au travail dans la montagne-esprit, sont les prototypes des nains mineurs qui protègent la "Blanche-Neige"-Psyché quand elle a mordu dans le fruit du bien et du mal et tombe dans son sommeil de mort, où elle demeure jusqu’à ce que l’Éros divin la réveille, et que le fruit tombe de ses lèvres. Qui a jamais compris le Mythe scripturaire en reconnaîtra les paraphrases dans tous les contes de fées du monde, qui n’ont pas été créés par le "peuple", mais hérités et fidèlement transmis par lui à ceux à qui ils étaient originellement destinés. L’une des erreurs majeures de l’analyse historique et rationnelle est de supposer que la "vérité" et la "forme originale" d’une légende peuvent être séparés de ses éléments miraculeux. C’est dans le merveilleux même que réside la vérité : to thaumazein, ou gar alle arche philosophias he auto, Platon, Théétète  , 155D. Même pensée chez Aristote  , qui ajoute, dio kai philomethos philosophos pos estin o gar mythos sugkeitai ek thaumasion "Ainsi l’amoureux des mythes, qui sont des concentrés de prodiges, est du même coup un amoureux de sagesse". (Métaphysique, 982 B). Le Mythe incarne la plus haute approximation de la vérité absolue qui puisse se traduire en paroles.). Cet "adversaire" n’est, bien entendu, rien d’autre que notre moi. On saisira la pleine signification du texte lorsque nous aurons dit que le mot giri, "montagne", dérive du mot gir, engloutir. Ainsi Celui en qui nous étions prisonniers est devenu notre prisonnier ; il est l’Homme Intérieur submergé et caché par notre Homme Extérieur. C’est à Lui maintenant de devenir le Tueur de Dragon. Dans cette guerre de la Divinité et du Titan, livrée désormais en nous, où nous sommes "en guerre avec nous-mêmes (NA: Bhagavad Gîtâ, VI, 6 ; cf. Samyutta Nikâya, 1, 57 = Dhammapada, 66 ; Angutara Nikâya, 1, 149; Rûmî  , Mathnawî, 1, 267, f.)", sa victoire et sa résurrection seront également les nôtres, si nous savons Qui nous sommes. C’est à Lui maintenant de nous boire jusqu’à la dernière goutte, et à nous d’être son vin. 19 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Le Mythe

Dieu est une essence sans dualité (adwaita), ou, comme certains le soutiennent, sans dualité mais non sans relations (vishishtâdwaita). Il ne peut être appréhendé qu’en tant qu’Essence (asti) (NA: Katha Upanishad  , VI, 13; Maitri Upanishad  , IV, 4, etc.), mais cette Essence subsiste dans une nature duelle (dwaitîbhâva) (NA: Shatapatha Brâhmana, X, 1, 4, 1 ; Brihadâranyaka Upanishad, II, 3 ; Maitri Upanishad, VI, 15, VII, 11. On ne trouve aucune trace de Monophysisme ou de Patripassianisme dans le prétendu "monisme" du Vêdânta, la "non-dualité" étant celle de deux natures unies sans composition.), comme être et comme devenir. Ainsi, ce que l’on appelle la Plénitude (kritsnam, pûrnam, bhûman) est à la fois explicite et non explicite (niruktânirukta), sonore et silencieux (shabdâshabda), caractérisé et non caractérisé (saguna, nirguna), temporel et éternel (kâlâkâlâ), divisé et indivisé (sakalâkala), dans une apparence et hors de toute apparence (mûrtâmûrta), manifesté et non manifesté (vyaktâvyakta), mortel et immortel (martyâmartya) et ainsi de suite. Quiconque le connaît sous son aspect prochain (apara), immanent, le connaît aussi sous son aspect ultime (para), transcendant (NA: Maitri Upanishad, VI, 22 ; Prash. Up  ., V, 2.). Le Personnage qui se tient dans notre coeur, mangeant et buvant, est aussi le Personnage dans le Soleil (NA: Brihadâranyaka Upanishad, IV, 4, 22, 24; Taitt. Up., III, 10, 4 ; Maitri Upanishad, VI, 1, 2.). Ce soleil des hommes, cette Lumière des lumières (NA: Rig Vêda Samhitâ, I, 146, 4 ; cf. Jean, I, 4 ; Rig Vêda Samhitâ, 1, 113, I ; Brihadâranyaka Upanishad, IV, 16 ; Mund. Up.  , II, 2, 9 ; Bhagavad Gîtâ, XIII, 16.), que "tous voient mais que peu connaissent en esprit (NA: Atharva Vêda Samhitâ, X, 8, 14 ; cf. Platon, Lois, 898 D.)", est le Soi Universel (âtman) de toutes les choses mobiles et immobiles (NA: Rig Vêda Samhitâ, I, 115, 1., 8 ; VII, 101, 6 ; Atharva Vêda Samhitâ, X, 8, 44; Aitarêya Aranyaka, III, 2, 4. L’autologie (âtmâ-jhâna) est le thème fondamental de l’Écriture ; mais il faut comprendre que cette connaissance du Soi diffère de toute connaissance empirique de l’objet en ce que notre Soi est toujours le sujet et ne peut jamais devenir l’objet de la connaissance ; en d’autres termes, toute définition du Soi ultime doit se faire par négation. Âtman (racine an, respirer, cf. atmos, autme) est en premier lieu l’Esprit, principe lumineux et pneumatique, et comme tel, souvent assimilé au Vent (vdyu, vâta, racine vâ, souffler) de l’Esprit qui "souffle où il veut" (yathâ vasham charati, Rig Vêda Samhitâ, X,168, 4 et Jean, III, 8). Etant l’essence ultime de toutes choses, âtman acquiert le sens secondaire de "moi", compte non tenu du plan de référence, qui peut être corporel, psychique ou spirituel, de sorte que, en face de notre Soi réel, l’Esprit en nous-mêmes et dans toutes choses vivantes, il y a le "moi", de qui nous parlons quand nous disons "je" ou "tu", signifiant cet homme ou celui-ci, Un Tel. En d’autres termes, il y a les deux en nous, l’Homme Extérieur et l’Homme Intérieur, l’individualité psychique et physique, et la Personne véritable. C’est donc en accord avec le contexte que nous devons traduire. Du fait que le mot âtman, employé en mode réfléchi, ne peut être rendu que par "soi", nous nous en sommes tenu partout à la version "soi" en distinguant le Soi du soi par une majuscule, comme on le fait communément. Mais il doit être clairement entendu que la distinction est en réalité entre "esprit" (pneuma) et "âme" (psyche) au sens paulinien. Il est vrai que ce "Soi" ultime, "ce Soi immortel du soi", est identique à l’"âme de l’âme" (psyche psyches) de Philon  , et à l’ "âme immortelle" de Platon posée comme distincte de l’"âme mortelle", et que maint traducteur rend âtman par "âme" ; mais, bien qu’il y ait des contextes où "âme" est mis pour "esprit" (cf. Guillaume de Saint-Thierry, Epistola ad Fratres de Monte Dei, ch. XV), il devient dangereusement trompeur, par suite de nos notions courantes de "psychologie", de parler du Soi ultime et universel comme d’une "âme". Ce serait, par exemple, une très grande méprise que de supposer que, quand un "philosophe" tel que Jung   parle de "l’homme à la recherche d’une âme", cela puisse avoir quelque rapport avec la recherche hindoue du Soi, ou avec ce dont il s’agit dans l’exhortation Gnothi seauton. Le "soi" de l’empiriste est, pour le métaphysicien, tout comme le reste de ce qui nous entoure, "non mon Soi". Des deux "soi" dont il s’agit, le premier est né de la femme, le second du Sein Divin, du feu sacrificiel ; et quiconque n’est pas ainsi "né de nouveau" ne possède effectivement que ce moi mortel né de la chair et qui doit finir avec elle (Jaiminîya Brâhmana, I, 17 ; cf. Jean, III, 6 ; Gal., VI, 8 ; I Cor., 15, 50, etc.). De là dans les Upanishads et le Bouddhisme les questions fondamentales : "Qui es-tu ?" et "Par quel soi" l’immortalité peut-elle être atteinte ? La réponse étant : uniquement par ce Soi qui est immortel ; les textes hindous ne tombent jamais dans l’erreur de supposer qu’une âme qui a eu un commencement dans le temps puisse être immortelle ; et, à la vérité, nous ne voyons pas que les Évangiles chrétiens aient mis nulle part en avant une doctrine aussi irrecevable.). Il est à la fois dedans et dehors (bahir   antach cha bhûtânâm) mais sans discontinuité (anantarama) ; il est donc une présence totale, indivise dans les choses divisées (NA: Bhagavad Gîtâ, XIII, 15, 16; XVIII, 20.). Il ne vient de nulle part, il ne devient qui que ce soit (NA: Katha Upanishad, II, 18; cf. Jean, 3, 18.), mais il se prête seulement à toutes les modalités possibles d’existence (NA: Brihadâranyaka Upanishad, IV, 4, 5.). 26 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Théologie et Autologie

Tout cela s’applique de la façon la plus pertinente à l’individu, homme ou femme : l’individualité extérieure et agissante d’un homme ou d’une femme donnés est féminine par nature, et soumise à son propre Soi intérieur et contemplatif. La soumission de l’Homme Extérieur à l’Homme Intérieur est exactement ce que l’on entend par "maîtrise de soi" et "autonomie", et dont le contraire est la "suffisance". D’autre part, c’est là-dessus que se fonde la description du retour à Dieu dans les termes d’un symbolisme érotique "De même qu’un homme embrassé par sa bien-aimée ne sait plus rien du "Je" et du "Tu", ainsi le soi embrassé par le Soi omniscient (solaire) ne sait plus rien d’un "moi-même" au-dedans ou d’un «toi-même" au-dehors (NA: Brihadâranyaka Upanishad, IV, 3, 21 (traduit assez librement), cf. I, 4, 3 ; Chândogya Upanishad, VII, 25, 2. "Dans l’étreinte de cet Un souverain qui anéantit le soi séparé des choses, l’être est un sans distinction" (Evans, 1, 368). On nous dit souvent que la divinité est "à la fois au-dedans et au-dehors", c’est-à-dire immanente et transcendante ; en dernière analyse cette distinction théologique s’écroule, et "quiconque est uni au Seigneur est un seul esprit" (I Cor., 6, 17). "Je vis, mais non pas moi" (Gal., 2, 20) : "Mais si je vis, et non pas moi, ayant l’être, toutefois pas le mien, cet un-en-deux et ce deux-en-un, comment le définiront mes paroles ?" (Jacoponi da Todi).) à cause de l’"unité", comme le remarque Shankara  . C’est ce Soi que l’homme qui aime réellement, lui-même ou les autres, aime en lui-même ou dans les autres ; "c’est pour le seul amour du Soi que toutes choses sont chères (NA: Brihadâranyaka Upanishad, II, 4, etc. Sur l’"amour du Soi", voir les références dans Harvard Journal of Asiatic Studies, 4, 1939, p. 135.)". Dans cet amour véritable du Soi, la distinction d’égoïsme et d’altruisme perd toute signification. Celui qui aime voit le Soi, le Seigneur, pareillement dans tous les êtres, et tous les êtres pareillement dans le Soi seigneurial (NA: Bhagavad Gîtâ, VI, 29 ; XIII, 27.). "En aimant ton Soi, dit Maître Eckhart, tu aimes tous les hommes comme étant ton Soi (NA: Maître Eckhart, Evans, 1., 139 ; cf. Sutta Nipâta, 705.)." Toutes ces doctrines coïncident avec cette parole çoufi : "Qu’est-ce que l’amour ? Tu le sauras quand tu seras moi (NA: Rûmî, Mathnawî, Bk., II, introduction.)". 30 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Théologie et Autologie

Par la séparation du Ciel et de la Terre, on distingue les "Trois Mondes" ; le Monde Intermédiaire (antariksha) produit l’espace, dans lequel les possibilités latentes de manifestation formelle pourront naître selon la multiplicité de leurs natures. De la première substance, l’éther (âkâsha), dérivent successivement l’air, le feu, l’eau et la terre ; et de ces cinq éléments (bhûtâni), combinés en proportions variées, sont formés les corps inanimés des créatures (NA: Chândogya Upanishad, 1, 9, 1 ; VII, 12, 1 ; Taittirîya Upanishad, II, 1, 1. L’Éther est l’origine et la fin du "nom et de la forme", i. e. de l’existence ; les quatre autres éléments sont issus de lui et retournent à lui comme à leur principe. Quand il est tenu compte de quatre éléments seulement, comme cela arrive fréquemment dans le Bouddhisme, on a en vue les bases concrètes des choses matérielles ; cf. Saint Bonaventure, De red. artium ad theol., 3, Quinque sunt corpora mundi simplicia, scilicet quatuor elementa et quinta essentia. Tout comme, dans l’ancienne philosophie grecque, les "quatre racines" ou "éléments" (feu, air, terre et eau d’Empédocle  , etc.) ne comprennent pas l’éther spatial, tandis que Platon mentionne les cinq (Epinomis  , 981 C) et qu’Hermès fait remarquer que "l’existence de toutes les choses qui sont eût été impossible si l’espace n’avait existé comme une condition préalable de leur être". (Ascl. II, 15). Il serait absurde de supposer que ceux qui parlaient seulement de quatre éléments n’avaient pas à l’esprit cette notion passablement évidente.), dans lesquels la Divinité entre pour les éveiller, se divisant elle-même pour remplir ces mondes et devenir la "Multitude des Dieux" (vishwê dêvâh), Ses enfants (NA: Maitri Upanishad, II, 6 ; VI, 26 ; c’est-à-dire apparemment (iva) divisé dans les choses divisées, mais en réalité non divisé (Bhagavad Gîtâ, XIII, 16 ; XVIII, 20), cf. Hermès Lib., X, 7, où "les âmes prosiennent pour ainsi dire (wsper) du morcellement et du partage de la seule Ame Totale".). Ces Intelligences (jn  ânâni, ou spirations, prânâh) (NA: Jnânâni, prajnâ-mâtrâ etc. Katha Upanishad, VI, 10 ; Maitri Upanishad, VI, 30 ; Kaush. UP., III, 8.), sont les hôtes des "êtres" (bhûtagana) ; elles opèrent en nous, unanimement, à titre d’"âme élémentaire" (bhûtâtman), ou de soi conscient (NA: Maitri Upanishad, III, 2 f.). C’est là en effet notre "soi", mais un soi pour le moment mortel, sans essence spirituelle (anâtmya, anâtmâna), ignorant du Soi immortel (âtmânam ananuvidya, anâtmajna) (NA: Shatapatha Brâhmana, II, 2, 2, 3, 6. Cf. Notes 199, 204.), et qu’il ne faut pas confondre avec les Déités immortelles qui sont déjà devenues ce qu’elles sont par leur "valeur" (arhana), et que l’on désigne sous le nom d’"Arhats" (Dignités) (NA: Rig Vêda Samhitâ, V., 86, 5 ; X, 63, 4.). Par le moyen des déités perfectibles et terrestres, tout comme un Roi reçoit le tribut (balim âhri) de ses sujets (NA: Atharva Vêda Samhitâ, X, 7, 39, XI, 4, 19 ; Jaiminîya Upanishad Brâhmana, 23, 7 ; Brihadâranyaka Upanishad, IV, 3, 37, 38.), le Personnage dans le coeur, l’Homme Intérieur, qui est aussi le Personnage dans le Soleil, obtient la nourriture (anna, ahara), tant physique que mentale, qui lui est nécessaire pour subsister durant sa procession de l’être vers le devenir. En raison de la simultanéité de sa présence dynamique dans tous les devenirs passés et futurs (NA: Rig Vêda Samhitâ, X, 90, 2 ; Atharva Vêda Samhitâ, X, VIII, 1 ; Katha Upanishad, IV, 13 ; Shwêt. Up., III, 15.), on peut regarder les pouvoirs créés, à l??uvre dans notre conscience, comme le support temporel de la prosidence (prajnâna) et de l’omniscience (sarvajnâna) éternelles de l’Esprit solaire. Non que le monde sensible, avec ses événements successifs, déterminés par des causes médiates (karma, adrishta apûrva), soit pour lui source de connaissance ; mais bien plutôt parce que ce monde est lui-même la conséquence de la science qu’a l’Esprit de "cette image diverse peinte par lui-même sur le vaste canevas de lui-même (NA: Shankarâchârya, Swâtmanirûpana, 95. L’"image du monde" (jagacchitra = kosmos noetos) peut être appelée la forme de l’omniscience divine, et elle est le paradigme hors du temps de toute existence, la «création" étant exemplaire, cf. mon "Vedic Exemplarism" dans Harvard Journal of Asiatic Studies, I, 1936. "Un précurseur de l’Indo-Iranien arta et même de l’Idée platonicienne se trouve dans le sumérien gish-ghar, le contour, plan ou modèle des choses-qui-doivent-être, établi par les Dieux à la création du monde et fixé dans le ciel en vue de déterminer l’immutabilité de leur création" (Albright, dans JAOS, 54, 1934, p. 130, cf. p. 121, note 48). L’"image du monde" est la paradeigma aiona de Platon (Timée  , 29 A, 37 C), to archetypou eidas d’Hermès, et l’éternel miroir qui conduit les esprits qui regardent en lui vers la connaissance de toutes les créatures, et "mieux qu’en regardant ailleurs" de saint Augustin   (voir Bissen, L’exemplarisme divin selon saint Bonaventure, 1929, p. 39, note 5) ; cf. saint Thomas d’Aquin  , Sum. Theol., I, 12, 9 et 10, Sed omnia sic videntur in Deo sicut in quodam speculo intelligibili... non successive, sed simul. "Quand l’habitant du corps, contrôlant les facultés de l’âme qui saisissent ce qui leur appartient dans les sons, etc., s’illumine, il voit l’Esprit (âtman) dans le monde, et le monde dans l’Esprit" (Mahâbhârata, III, 210) ; "Je vois le monde comme une image, l’Esprit" (Siddhântamuktâvalî, p. 181).)". Ce n’est pas par le moyen de la Totalité qu’il se connaît lui-même : c’est par sa connaissance de lui-même qu’il devient la Totalité (NA: Brihadâranyaka Upanishad, I, 4, 10 ; Prashna Upanishad, IV, 10. L’omniscience présuppose l’omniprésence et inversement. Cf. ma "Recollection, Indian and Platonic", Journal of the American Oriental Society, Supplement, 3, 1945.). C’est le propre de notre façon inductive de connaître, que de le connaître par la Totalité. 32 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Théologie et Autologie

Ce n’est pas seulement notre nature passible qui est engagée, mais aussi la Sienne. Dans cette compatibilité de nature, Il sympathise avec nos misères et nos délices, et Il est soumis aux conséquences des choses autant que "nous". Il ne choisit pas le sein où il va naître ; Il accède à des naissances qui peuvent être élevées ou médiocres (sadasat) (NA: Maitri Upanishad, III, 2 ; Bhagavad Gîtâ, XIII, 21. Paradiso, VIII, 127, non distingue l’un dall’ altro ostello.), où sa nature mortelle goûte le fruit (bhoktri) du bien comme du mal, de la vérité comme de l’erreur (NA: Maitri Upanishad, II, 6, VI, 11, 8.). Dire qu’"Il est seul voyant, oyant, pensant, connaissant et fructifiant (NA: Aitarêya Aranyaka, III, 2, 4 ; Brihadâranyaka Upanishad, III, 8, 11, IV, 5, 15.)" en nous, dire que "quiconque voit, voit par Sa lumière (NA: Jaiminîya Upanishad Brâhmana, I, 28, 8 et semblablement pour les autres facultés de l’âme.)", car Il est dans tous les êtres Celui qui regarde, c’est dire que "le Seigneur est le seul qui transmigre (NA: Shankarâchârya, Sur les Brahma-Sûtras   I, 1, 5, Satyam, nêshwarâd anyah samsârî : cette affirmation très importante est largement appuyée par les textes primitifs e. g. Rig Vêda Samhitâ, VIII, 43, 9, X, 72, 9 ; Atharva Vêda Samhitâ, X, 8, 13; Brihadâranyaka Upanishad, III, 7, 23, III, 8 11, IV, 3, 37, 38 ; Shwêt. Up., II, 16, IV, 11 ; Maitri Upanishad, V, 2. Il n’y a pas d’essence individuelle qui transmigre. Cf. Jean, III, 13. "Personne n’est monté au ciel si ce n’est celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’Homme qui est dans le ciel". Le symbole de la chenille dans Brihadâranyaka Upanishad, IV, 4, 3, n’implique pas le passage d’un corps à un autre, d’une vie individuelle distincte de l’Esprit Universel, mais d’une "part pour ainsi dire" de cet Esprit enveloppée dans les activités qui occasionnent la prolongation du devenir (Shankarâchârya, Br. Sûtra, II, 3, 43; III, 1, 1). En d’autres termes, la vie est renouvelée par l’Esprit vivant dont la semence est le véhicule, alors que la nature de cette vie est déterminée par les propriétés de la semence elle-même (Brihadâranyaka Upanishad, III, 9, 28; Kaush. Up., III, 3, et également saint Thomas d’Aquin. Sum. Theol., III, 32, 11). Blake dit de même : "L’homme naît comme un jardin tout planté et semé". Le caractère est tout ce que nous héritons de nos ancêtres ; le Soleil est notre Père réel. De même dans Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 14, 10, M. I., 265/6, et Aristote, Phys., II, 2. anqrwpos gar anqrwpon genna hlios comme l’ont bien compris saint Thomas d’Aquin, Sum. Theol., I, 115, 3 ad 2 et Dante  , De monarchia, IX. Cf. Saint Bonaventure, De red. artium ad theologiam, 20. (Les remarques de Wicksteed et Cornford dans la Physique de la L?b Library, p. 126, montrent qu’ils n’ont pas saisi la doctrine).)". Il s’ensuit inévitablement que, par l’acte même où Il nous doue de conscience, "Il s’emprisonne Lui-même comme un oiseau dans le filet", et s’assujettit au mal, à la Mort (NA: Shatapatha Brâhmana, X, 4, 4, 1.), ou semble du moins s’emprisonner et s’assujettir ainsi. 35 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Théologie et Autologie

Par là Il est soumis à notre ignorance, et souffre pour nos péchés. Mais alors, qui peut être délivré ? et par qui ? et de quoi ? Il vaudrait mieux demander, eu égard à cette liberté absolument inconditionnelle, Qui est libre maintenant et à jamais des limitations que la notion même d’individualité implique ? (aham cha marna cha, "Moi et le mien" ; kartâ’ham iti, "Je suis un être agissant (NA: Bhagavad Gîtâ, III, 27; XVIII, 17 ; cf. Jaiminîya Upanishad Brâhmana, I, 5, 2 ; Brihadâranyaka Upanishad, III, 7, 23; MU;, VI, 30, etc. Également Samyutta Nikâya, II, 252 ; Udâna, 70, etc. A l’idée du "Je suis" (asmimâna) et du "Je fais" (kartâ’ham iti) correspond le grec oiesis = doxa (Phèdre, 92 A, 244 C). Pour Philon oiesis est à l’ignorance (I, 93) ; la pensée qui dit "Je plante" est impie (I, 53) ; "je ne trouve rien d’aussi honteux que de supposer que j’exerce mon esprit ou mes sens" (I, 78). Plutarque accouple oihma et tujos. C’est de ce même point de vue que saint Thomas dit que, "pour autant que les hommes sont pécheurs, ils n’existent pas du tout" (Sum. Theol., I, 20, 2, ad 4) ; et, en accord avec l’axiome Ens et bonum convertuntur, sat et asat ne sont pas seulement "l’être" et le "non-être", mais aussi le "bien" et le "mal" (Par ex. dans Maitri Upanishad, III, 1 et Bhagavad Gîtâ, XIII, 21). Tout ce que "nous" faisons en plus ou en moins de ce qui est juste est une faute, et doit être regardé simplement comme n’ayant pas été fait du tout. Par exemple, "Dans la louange, omettre c’est ne pas louer, en dire trop, c’est mal louer, louer exactement, c’est louer effectivement" (Jaiminîya Brâhmana, I, 356). Ce qui n’a pas été fait "en règle" pourrait aussi bien n’avoir pas été fait du tout et n’est, à strictement parler, "pas un acte" (akritam, "unthat"), c’est la raison de l’accent redoutable mis sur la notion d’un accomplissement "correct" des rites et des autres actes. Il en résulte finalement que "nous" sommes les auteurs de tout ce qui est mal fait, et qui par là même n’est pas fait du tout en réalité, tandis que, de tout ce qui est effectivement fait, l’auteur est Dieu. De même que, selon notre propre expérience, si je fais une table qui ne tient pas debout, je ne suis pas menuisier et la table n’est pas réellement une table ; tandis que, si je fais une vraie table, ce n’est pas par moi en tant qu’homme, mais par l’"art" qu’en réalité la table est faite, "Je" étant seulement une cause efficiente. De la même façon le Soi Intérieur se distingue du soi élémentaire comme le moteur (kârayitri) se distingue de l’agent (kartri, Maitri Upanishad, III, 3, etc. ). L’opération est mécanique et serve ; l’agent est libre seulement dans la mesure où sa propre volonté est à ce point identifiée à celle de son maître qu’il devient son propre "patron" (kârayitri) "Ma servitude est liberté parfaite".)"). La liberté est par rapport à soi-même, au "Je" et à ses affections. Celui-là seulement est libre des vertus et des vices et de toutes leurs fatales conséquences, qui n’est jamais devenu qui que ce soit ; celui-là seulement peut l’être qui n’est plus désormais qui que ce soit ; on ne peut être libéré de soi-même tout en demeurant soi-même. La délivrance du bien et du mal, qui semblait impossible et qui l’est en effet pour l’homme défini comme agissant et pensant, celui qui, à la question : "Qui est-ce ? répond : "C’est moi", cette délivrance n’est possible qu’à celui-là seul qui, à la Porte du Soleil, à la question : "Qui es-tu ?" peut répondre : "Toi-même (NA: Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 14, etc. Cf. mon "The ’E’ at Delphi", Review of Religion, nos. 1941.)". Celui qui s’est emprisonné lui-même doit se libérer lui-même, et cela ne peut se faire qu’en réalisant l’affirmation : «Tu es Cela". C’est aussi bien à nous de le libérer en connaissant Qui nous sommes, qu’à Lui de Se libérer lui-même en sachant Qui Il est. C’est pourquoi, dans le Sacrifice, celui qui l’offre s’identifie à la victime. 36 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Théologie et Autologie

De là aussi la prière : "Ce que Tu es, puissé-je l’être (NA: Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), I, 5, 7, 6.)", et le sens éternel de la question critique : "De qui sera-ce le départ lorsque je partirai d’ici (NA: Prash. Up., VI, 3 ; cf. réponses dans Chândogya Upanishad, III, 14, 4 et Kaush. Up., II, 14.) ?" de moi-même ou du «Soi immortel", du "Conducteur (NA: Chândogya Upanishad, VIII, 12, 1 ; Maitri Upanishad, III, 2 ; VI, 7. Pour le hgemwn Aitarêya Aranyaka, II, 6 et Rig Vêda Samhitâ, V, 50, 1.)". Si l’on a réalisé effectivement les véritables réponses, si l’on a trouvé le Soi et fait tout ce qu’il y avait à faire (kritakritya), sans aucun résidu de potentialité (krityâ), la fin dernière de notre vie est actuellement atteinte (NA: Aitarêya Aranyaka, II, 5 ; Shankhâyana Aranyaka, II, 4 ; Maitri Upanishad, VI, 30 ; cf. Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), I, 8, 3, 1. Kritakritya, "tout en acte" correspond au pali katamkaranîyam dans la "formule Arhat" bien connue.). On ne saurait trop insister sur le fait que la liberté et l’immortalité (NA: Amritattwa, littéralement "immortalité" ; dans toute la mesure où il s’agit d’êtres nés, soit dieux, soit hommes, ce mot n’implique pas une durée sans fin, mais la "totalité de la vie" ; on doit entendre : ne mourant pas prématurément (Shatapatha Brâhmana, V, 4 ; I, 1 ; IX, 5, 1, 10; Panchavimsha Brâhmana, XXII, 12, 2, etc.). Ainsi la totalité de la vie de l’homme (âyus = aeon) est de cent ans (Rig Vêda Samhitâ, I, 89, 9 ; II, 27, 10, etc.) ; celle des Dieux est de "mille ans" (XI, 1, 6, 6, 15) ou de la durée que représente ce chiffre rond (Shatapatha Brâhmana, VIII, 7, 4, 9; X, 2, 1-11, etc.). Dès lors, quand les Dieux, qui, à l’origine, étaient "mortels", obtiennent leur "immortalité" (Rig Vêda Samhitâ, V, 3, 4, et X, 63, 4, ; Shatapatha Brâhmana, XI, 2, 3, 6, etc.), cela ne doit être compris que dans un sens relatif et ne signifie pas autre chose que leur vie, comparée à celle des hommes, est plus longue (Shatapatha Brâhmana, VII, 3, 1, 10, Shankara. Sur les Br. Sûtra, I, 2, 17 et II, 3, 7, etc.). Dieu seul, comme "non-né" ou "né seulement en apparence" est absolument immortel ; Agni, vishwâyus = pyr aionos, seul "immortel parmi les mortels, Dieu parmi les Dieux" (Rig Vêda Samhitâ, IV, 2, 1 ; Shatapatha Brâhmana, II, 2, 2, 8, etc.). Sa nature intemporelle (akâla) est celle du "maintenant" sans durée, dont nous, qui ne pouvons penser qu’en termes de passé et de futur (bhûtam bhavyam) n’avons et ne pouvons avoir l’expérience. De Lui toutes choses procèdent, et en Lui elles s’unifient (êko bhavanti) à la fin (Aitarêya Aranyaka, II, 3, 8, etc.). En d’autres termes, l’"immortalité" est de trois ordres : la longévité humaine, l’æviternité des Dieux, et l’immortalité sans durée de Dieu (sur l’æviternité, voir saint Thomas d’Aquin., Sum. Theol., I, 10, 5). Les textes hindous eux-mêmes ne permettent aucune confusion : toutes les choses sous le Soleil sont au pouvoir de la Mort (Shatapatha Brâhmana, II, 3, 37, X, 5, 1, 4). Pour autant qu’elle descend dans le monde, la Divinité elle-même est un "Dieu qui meurt" ; il n’y a dans la chair aucune possibilité de ne jamais mourir (Shatapatha Brâhmana, II, 2, 2, 14; X, 4, 3, 9 ; Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 38, 10, etc.) ; la naissance et la mort sont indissolublement liées (Bhagavad Gîtâ, II, 27; Angutara Nikâya, IV, 137 ; Sutta Nipâta, 742). On peut observer que le grec athanasia a des significations analogues ; pour l’"immortalité mortelle", cf. Platon, Banquet  , 207, D-208 B, et Hermès, Lib., XI, I, 4a et Ascl., III, 40 b.) peuvent être, non seulement atteintes, mais encore réalisées ici-même et maintenant aussi bien que dans un quelconque au-delà. Celui qui "est délivré en cette vie" (jîvan mukta) ne "meurt plus" (napunar mriyatê) (NA: Shatapatha Brâhmana, II, 3, 3, 9 ; Brihadâranyaka Upanishad, I, 5, 2, etc. Cf. Luc, 20, 36; Jean, II, 26.). "Celui qui a compris le Soi contemplatif sans âge et sans mort, qui n’a en lui aucun manque et qui ne manque de rien, celui-là ne redoute pas la mort (NA: Atharva Vêda Samhitâ, X, 8, 44; cf. Aitarêya Aranyaka, III, 2, 4.).". Étant déjà mort, il est, comme le çoufi, "un mort qui marche (NA: Mathnawî, VI, 723 f. La parole "Mourez avant que vous ne mouriez" est attribuée à Mohammed  . Cf. Angelus Silesius  , "Stirb ehe du stirbst".)". Un tel homme n’aime plus ni lui-même ni les autres : il est le Soi de lui-même et des autres. La mort à soi-même est la mort aux autres ; et, si le "mort" semble ne pas être égoïste, ce n’est pas pour quelque motif altruiste, mais à titre accidentel, et parce qu’il est littéralement sans ego. Délivré de lui-même et de toutes conditions, de tous devoirs et de tous droits, il est devenu Celui qui se meut à son gré (kâmachârî) (NA: Rig Vêda Samhitâ, IX, 113, 9 ; Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 28, 3 ; Shankhâyana Aranyaka, VII, 22; Brihadâranyaka Upanishad, II, 1, 17, 18, Chândogya Upanishad, VIII, 5, 4 ; VIII, I, 6 (cf. D, I, 72) ; Taitt. Up., III, 10, 5 (de même dans Jean, X, 9).) comme l’Esprit (Vâyu, âtmâ dêvânâm) qui "va où il veut" (yathâ vasham charati) (NA: Rig Vêda Samhitâ, IX, 88, 3 ; X, 168, 4 ; cf. Jean, III, 8 ; Gylfiginning, 18.), n’étant plus, comme le dit saint Paul  , "sous la loi". 37 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Théologie et Autologie

Tel est le désintéressement surhumain de ceux qui ont trouvé leur Soi : "Je suis le même dans tous les êtres et il n’en est aucun que j’aime, aucun que je haïsse (NA: Bhagavad Gîtâ, IX, 29.)". Telle est la liberté de ceux qui ont rempli les conditions exigées par le Christ de ses disciples, à savoir de haïr leur père et leur mère et pareillement leur propre "vie" terrestre (NA: Luc, XIV, 26 ; cf., Maitri Upanishad, VI, 28 : "Si un homme est attaché à son fils, à sa femme, à sa famille, pour un tel homme, non jamais" ; Sutta Nipâta, 60, puttam cha dâvam pitaram cha mâtaram... hitwâna. Maître Eckhart dit de même : "Aussi longtemps que tu sais qui ont été dans le temps ton père et ta mère, tu n’es pas mort de la mort véritable" (Pfeiffer, p. 462). CI. Note 17, p. 92.). On ne peut dire ce qu’est l’homme libre, mais seulement ce qu’il n’est pas : Trasumanar significar per verba, non si potria... (Dante. Paradiso, 1, 70). Transfigurer ne se peut exprimer par des mots... Mais l’on peut dire ceci : ceux qui ne se sont pas connus eux-mêmes ne seront délivrés ni maintenant ni jamais, et "grande est la ruine" de (ceux qui sont ainsi) victimes de leurs propres sensations (NA: Brihadâranyaka Upanishad, IV, 4, 14 ; Chândogya Upanishad, VII, 1, 6; VII, 8, 4, etc.). L’autologie brahmanique n’est pas plus pessimiste qu’optimiste ; elle est seulement d’une autorité plus impérieuse que celle de n’importe quelle autre science dont la vérité ne dépend pas de notre bon plaisir. Il n’est pas plus pessimiste de reconnaître que tout ce qui est étranger au Soi est un état de détresse, qu’il n’est optimiste de reconnaître que là où il n’y a pas d’autrui il n’y a littéralement rien à craindre (NA: Brihadâranyaka Upanishad, I, 4, 2.). Que notre Homme Extérieur soit un "autre", cela ressort de l’expression : "Je ne peux pas compter sur moi". Ce que l’on a appelé l’"optimisme naturel" des Upanishads est leur affirmation que la conscience d’être, bien que sans valeur en tant que conscience d’être Un Tel, est valable dans l’absolu, et leur doctrine de la possibilité actuelle de réaliser la Gnose de la Déité Immanente, notre Homme Intérieur : "Tu es Cela". Dans la langue de saint Paul : "Vivo, autem jam non ego". 38 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Théologie et Autologie

Le Sacrifice, de même que les paroles liturgiques qui le rendent valable, doit être compris (Erlebt), si l’on veut qu’il soit pleinement effectif. Les actes physiques peuvent, par eux-mêmes, comme tout autre travail, assurer des avantages temporels. Sa célébration ininterrompue maintient en fait le "courant de prospérité" (vasor dhâra) sans fin qui descend du ciel comme la pluie fertilisante, laquelle, passant dans les plantes et les animaux, devient notre nourriture et retourne au ciel dans la fumée de l’offrande consumée. Cette pluie et cette fumée sont les cadeaux de noces au mariage sacré du Ciel et de la Terre, du Sacerdoce et du Règne, mariage qui est impliqué dans l’opération tout entière (NA: Vasor dhârâ, Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), V, 4, 8, 1, V, 7, 3, 2 ; Shatapatha Brâhmana, IX, 3, 2-3 ; Aitarêya Aranyaka, II, 1, 2 ; III, 1, 2 ; Maitri Upanishad, VI, 37 ; Bhagavad Gîtâ, III, 10 f. etc. Cadeaux de noces, Panchavimsha Brâhmana, VII, 10 ; Aitarêya Brâhmana, IV, 27 ; Jaiminîya Brâhmana, I, 145 ; Shatapatha Brâhmana, I, 8, 3, 12, etc.). Mais il est demandé plus que les actes purs et simples, si l’on veut réaliser le dessein ultime dont les actes ne sont que les symboles. Il est dit expressément que "ce n’est ni par l’action ni par les sacrifices que l’on peut L’atteindre" (na ishtam karmanâ nachad... na yajnaih) (NA: Rig Vêda Samhitâ, VIII, 70, 3.), Celui dont la connaissance est notre bien suprême (NA: Aitarêya Aranyaka, II, 2, 3 ; Kaush. Up., III, 1.). Il est en même temps affirmé sans cesse que le Sacrifice ne s’accomplit pas seulement en mode parlé et visible, mais aussi en mode "intellectuel" (manasât) (NA: Rig Vêda Samhitâ, passim, cf. Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), II, 5, 11, 4, 5 ; Brihadâranyaka Upanishad, IV, 4, 19.), silencieusement et invisiblement, à l’intérieur de nous. Autrement dit, la pratique n’est que le support extérieur et la démonstration de la théorie. La distinction s’impose donc entre le véritable sacrificateur de soi-même (sadyâjî, satishad, âtmayâjî) et celui qui se contente simplement d’être présent au sacrifice (sattrasad) et d’attendre que la déité fasse tout le travail réel (dêvayâjî) (NA: Shatapatha Brâhmana, XI, 2, 6, 13, 14, cf. VIII, 6, 1, 10; Maitri Upanishad, VI, 9. Voir aussi mon "Atmayajna" dans HJAS, 6, 1942. Le soi est sacrifié au Soi. Le âtmayajna peut être comparé à la euch megalh telle que l’interprète Philon, Spec., I, 248 f., Fug., 115, LA., II, 56.). Il est même dit bien souvent que "quiconque comprend ces choses et accomplit le bon travail, ou même s’il comprend simplement (sans accomplir effectivement le rite), restitue la déité démembrée dans sa totalité et son intégrité (NA: Shatapatha Brâhmana, X, 4, 3, 24.)" ; c’est par la gnose, et non par les ?uvres, que l’on peut atteindre cette réalité (NA: Shatapatha Brâhmana, X, 5, 4, 16. Cf. Rig Vêda Samhitâ, VIII, 70, 3 ; et Aitarêya Aranyaka, III, 2, 6 avec la note de Keith.). Il ne faut pas non plus perdre de vue que le rite, dans lequel est préfigurée la fin dernière du sacrificateur, est un exercice de mort, et par là une entreprise dangereuse, où il pourrait perdre prématurément la vie. Mais "Celui qui comprend passe d’un devoir à un autre, comme d’un courant dans un autre ou d’un refuge à un autre, pour obtenir son bien, le monde céleste (NA: Shatapatha Brâhmana, XII, 2, 3, 12.)". 49 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme La Voie des ?uvres

On saisit mieux maintenant l’identification du Soma avec l’Eau de la Vie, et celle de notre âme élémentaire et composite (bhûtâtman) avec les plantes à Soma d’où l’élixir royal doit être extrait (NA: Maitri Upanishad, III, 3 f.); et l’on comprend comment et par qui "ce que les Brâhmanes entendent par Soma" est consommé dans nos coeurs (hritsu) (NA: Rig Vêda Samhitâ, I, 168, 3 ; I, 179, 5 ; cf. X, 107, 9 (antahpêyam).). C’est le sang de vie de l’âme draconnienne qui offre maintenant ses pouvoirs tout équipés à leur souverain (NA: Cf. Philon, LA., II, 56, "répandre en libation le sang de l’âme et offrir en encens l’esprit tout entier à Dieu, notre Sauveur et Bienfaiteur".). Le sacrificateur livre aux flammes l’offrande de ce qui est à lui et de ce qu’il est ; vidé ainsi de lui-même (NA: Shatapatha Brâhmana, III, 8, 1, 2 ; Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), I, 17, 5, 2. Comme c’était au commencement, Rig Vêda Samhitâ, X, 90, 5 ; Shatapatha Brâhmana, III, 9, 1, 2.), il devient un Dieu (NA: Les Dieux sont véritables, ou réels (satyam), les hommes faux et irréels (anritam), Aitarêya Brâhmana, I, 6 ; Shatapatha Brâhmana, I, 1, 1, 4 ; III, 9, 4, 1, etc. (les universaux sont réels, les particuliers irréels). Le sacrificateur initié est sorti de ce monde et est temporairement un Dieu. Agni ou Indra (Shatapatha Brâhmana, III, 3, 10, etc. Cf. Philon, Heres, 84, "ce n’est pas un homme quand il est dans le Saint des Saints") ; et, s’il ne se munissait pas pour le retour au monde des hommes, il serait en danger de mourir prématurément (Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), I, 7, 6, 6, etc.), C’est pourquoi il est pourvu à la redescente (Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), VII, 3, 10, 4; Panchavimsha Brâhmana, XVIII, 10, 10 ; Aitarêya Brâhmana, IV, 21) ; et c’est en revenant au monde humain, au monde d’irréalité et de mensonge, en redevenant cet homme-ci, Un Tel, une fois encore, qu’il dit : "Maintenant je suis celui que je suis" (aham ya êvâsmi so’smi, Shatapatha Brâhmana, I, 9, 3, 23 ; Aitarêya Brâhmana, VII, 24) ; aveu tragique d’être "conscient une fois encore d’une vie toujours limitée, toujours corporelle et terrestre" (Macdonald, Phantastes, 1858, p. 317). Car il ne peut y avoir de plus grande douleur que de percevoir que nous sommes encore ce que nous sommes (Cloud of unknowing  , ch. XLIV). "Il n’y a pas de plus grand crime que ton être" (Shams-i-Talviz).). Quand il abandonne le rite il revient à lui-même, il revient du réel à l’irréel. Mais, bien qu’il dise alors : "Maintenant je suis ce que je suis", ces mots mêmes montrent bien qu’il s’agit là d’une apparence n’ayant qu’une réalité temporaire. Il est né de nouveau du Sacrifice, et il n’est pas vraiment abusé. "Ayant tué son propre Dragon (NA: Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), II, 5, 4, 4.)", il n’est plus réellement quelqu’un. L??uvre a été accomplie une fois pour toutes. Il est parvenu au bout de la route et au bout du monde, "là où le Ciel et la Terre se tiennent embrassés", et peut dès lors "travailler" ou "jouer" à son gré. C’est à lui que les paroles suivantes s’adressent : Lo tuo piacere omai prende per duce... per ch’io te sopra te corono e mitrio : Prends désormais ton plaisir pour guide... je te couronne roi et pape de toi-même (NA: Purgatorio, XXVII, 131, 142.). Nous qui étions en guerre avec nous-mêmes, nous sommes maintenant réintégrés et en paix ; le rebelle a été dompté (dânta) et pacifié (shânta), et, là où les volontés étaient en conflit règne désormais l’unanimité (NA: Bhagavad Gîtâ, VI, 7, Jitâtmanah prashântasya paramâtmà samdhitah : Le Suprême Soi du soi individuel est "apaisé" (samâhitah = "en samâdhi") quand ce dernier a été conquis et pacifié. Cf. Dhammapada, 103-105 êkam cha jêyya attânam sa vê sangâma-juttamo... attâ havê jitam... n’êvadêvo... apajitam kayira... bhâvit’attânam. Celui qui gagne cette bataille (psychomachie, jihad) est le véritable Conquérant (jina). Observer que "pacifier" est littéralement procurer le repos. Shânti, "la paix", n’est pas pour un soi qui ne veut pas mourir. La racine sham se trouve aussi dans shamayitri, le "boucher" qui "apaise" la victime dans le rituel extérieur (Rig Vêda Samhitâ, V, 43, 3 ; Shatapatha Brâhmana, III, 8, 3, 4, etc.) ; le sacrificateur "apaise" (shamayati) le feu de la colère de Varuna (Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), V, 1, 6 ; Shatapatha Brâhmana, IX, 1, 2, 1) ; en nous, c’est le plus haut soi qui "pacifie" le soi individuel, qui apaise son feu. Quiconque désire être "en paix avec lui-même" doit être mort à lui-même. Cf. République  , 556 E ; Gorgias, 482 C ; Timée, 47 D ; et Harvard Journal of Asiatic Studies, VI, 389, 1942 ("On Peace").). 52 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme La Voie des ?uvres

L’éthique, en tant que "prudence" ou en tant qu’art, n’est pas autre chose que l’application scientifique des normes doctrinales aux problèmes contingents. Bien agir ou bien faire n’est pas une question de volonté, mais de conscience ou de lucidité, le choix n’étant possible qu’entre l’obéissance et la rébellion. Autrement dit, les actions sont dans l’ordre ou contre l’ordre, exactement de la même façon que l’iconographie est correcte ou incorrecte, en forme ou informe (NA: En fait, de même que la forme des images est prescrite dans les Shilpa-Shâstras, celle des actes est prescrite dans les Dharma-Shâstras. Art et "prudence" sont l’un et l’autre des sciences, qui ne se distinguent de la métaphysique pure que par le fait de leur application aux factibilia et aux agibilia. Le fait qu’il s’agit d’une application à des problèmes contingents introduit un élément de contingence dans les lois elles-mêmes, qui ne sont pas les mêmes pour toutes les castes, ni tous les âges. En ce sens, la tradition est susceptible d’adaptation aux conditions changeantes, pourvu que les solutions soient toujours directement obtenues à partir des premiers principes, qui jamais ne changent. Autrement dit, alors même que la modification des lois est possible, celles-là seules pourront être dites authentiques qui restent réductibles à la Loi Éternelle. De même la variété des religions est une application nécessaire et régulière des purs principes métaphysiques correspondant à la variété des besoins humains, chacune d’entre elles pouvant être dite "la vraie religion" dans la mesure où elle réfléchit les principes éternels. En disant cela nous faisons une distinction entre la métaphysique et la "philosophie", et nous n’entendons pas suggérer que quelque philosophie systématique ou naturaliste puisse prétendre à la validité de la théologie, qu’Aristote place au-dessus de toutes les autres sciences (Métaphysique, 1, 2, 12 f. ; VI, 1, 10 f.).). L’erreur, c’est de manquer la cible ; on doit l’attendre de tous ceux qui agissent selon leurs instincts, pour se plaire en eux-mêmes. L’habileté (kaushalyâ = sophia) est vertu, dans l’agir comme dans le faire ; il est nécessaire d’insister là-dessus parce qu’on est arrivé à perdre de vue que le péché existe aussi bien en art qu’en morale. "Le yoga est habileté dans les ?uvres (NA: Bhagavad Gîtâ, II, 50 ; le Yoga est aussi le "renoncement (sannyâsa) aux oeuvres" (Bhagavad Gîtâ, VI, 2). En d’autres termes, yoga ne signifie pas faire moins ou plus qu’il ne faut, ni ne rien faire du tout, mais agir sans attachement au fruit des actes, sans penser au lendemain ; celui-là voit la vérité, qui voit l’inaction dans l’action et l’action dans l’inaction (Bhagavad Gîtâ, IV, 18 et passim). C’est la doctrine chinoise du wu wei. Le yoga, c’est littéralement et étymologiquement le "joug", tel celui des chevaux ; et, sous ce rapport, on ne doit pas perdre de vue qu’aux Indes, comme dans la psychologie grecque, les "chevaux" du véhicule corporel sont les facultés sensibles par quoi il est traîné ici ou là, pour le bien ou pour le mal, ou vers le but ultime si les chevaux sont sous le contrôle du conducteur, auquel ils sont joints par les rênes. L’individualité est l’attelage, le Conducteur Intérieur ou Homme Intérieur est le cavalier. L’homme, alors "s’attelle lui-même comme un cheval qui comprend" (Rig Vêda Samhitâ, V, 46, 1). En tant que discipline physique et mentale, le Yoga est Contemplation, dharana, dhyâna, et samâdhi, correspondant aux consideratio, contemplatio et excessus ou raptus chrétiens. Dans sa consommation et sa signification totale, le yoga implique la réduction des choses séparées à leur principe d’unité, et par là ce que l’on appelle parfois l’"union mystique" ; mais il doit être clairement entendu que le yoga diffère de l’"expérience mystique" en ce qu’il n’est pas une méthode passive, mais bien active et contrôlée. Le yogî parfait peut passer à volonté d’un état à un autre ; c’est le cas par exemple du Bouddha, Majjhima Nikâya, I, 249. On trouvera quelques-unes des correspondances chrétiennes les plus étroites dans The Clowde of Unknowyng et The Book of Prive Counseling ; cf. V. Elwin, Christian Dhyâna, a study of "The Cloud of Unknowing", Londres, 1930. Tout Hindou est dans quelque mesure un praticien du Yoga, et ce que cela signifie au juste est admirablement exposé dans Platon, République, 671 D f., eis sunnoian autos auto aphikomenos. Toutefois, quand il est question d’exercices plus poussés de contemplation, et que l’intention est d’escalader les sommets les plus hauts, le disciple doit se préparer par des exercices physiques appropriés ; il doit en particulier avoir acquis un contrôle et une science parfaitement au point du processus entier de la respiration avant de se livrer à n’importe quel exercice mental. Aucun de ces exercices ne peut d’ailleurs être tenté avec sécurité sans la direction d’un maître. On aura quelque idée des premiers degrés à franchir, lesquels consistent à arrêter le cours vagabond de la pensée et à le faire passer sous son contrôle, si on essaie de penser à une chose donnée, n’importe laquelle, pendant un laps de temps de dix secondes ; on découvrira, non sans surprise, et embarras peut-être, que l’on ne peut même pas faire cela sans beaucoup de pratique.)." 61 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme L’Ordre social

Dans cet ordre dont les membres ne sont plus personne, nul ne demande : "Qui es-tu, ou qui étais-tu dans le monde?" L’Hindou de n’importe quelle caste, et même un étranger, peut devenir l’un de ceux qui ne sont plus personne. Béni soit l’homme sur la tombe duquel on peut écrire : Hic jacet nemo (NA: "Béni le royaume où l’un d’eux demeure ; dans un instant ils peuvent faire plus de bien durable que toutes les actions extérieures que l’on a jamais faites" (Maître Eckhart, Evans, I, 102) ; et, comme il le dit aussi, "pendant que les autres veillent, ils seront endormis", cf. Bhagavad Gîtâ, II, 69. Car ceux que nous appelons "inutiles" sont les "véritables pilotes" (Platon, République, 489 f.).). 70 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme L’Ordre social

Ils sont d’ores et déjà délivrés des chaînes de la fatalité, à laquelle reste seul attaché le véhicule psycho-physique, jusqu’à ce que vienne la fin. La mort en samâdhi ne change rien d’essentiel. De leur condition on ne peut désormais dire plus que : ils sont. Sans doute ne sont-ils pas anéantis, non seulement parce que l’annihilation d’une chose réelle est une impossibilité métaphysique, mais parce qu’il est expressément déclaré : "Jamais il n’y eut de temps où je n’ai pas été, et où tu n’as pas été, jamais non plus il n’y aura de temps où nous ne serons pas (NA: Bhagavad Gîtâ, II, 12.). Il est dit que le soi devenu parfait devient un rayon de Soleil, et, qu’il se meut à son gré de haut en bas des mondes, prenant la forme qu’il veut, mangeant ce qu’il veut, de même que l’élu, dans saint Jean, "entrera et sortira, et trouvera des pâturages (NA: Rig Vêda Samhitâ, IX, 113, 9 ; Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 28, 3 ; Shankhâyana Aranyaka, VII, 22 ; Brihadâranyaka Upanishad, II,1,18 ; Chândogya Upanishad, VII, 25, 2, VIII, 1, 5, 6 ; Mund. Up., III, 1, 4 ; Taitt. Up., III, 10, 5 : Pistis Sophia. II, 191 b ; Jean, X, 9.)". Ces expressions sont en rapport avec la doctrine de la "distinction sans séparation" (bhêdâbhêda) qui passe pour être propre au "théisme" hindou mais qui est: présupposée en fait dans la doctrine de l’essence une et de la nature duelle ainsi que par de nombreux textes védantiques, y compris les Brahma-Sûtras, que Shankara lui-même n’a pas réfutés (NA: Br. Sûtra, II, 3, 43 f. Das Gupta, Indian Philosophy, II, 42 f.). La doctrine elle-même correspond exactement à ce qu’entendait Maître Eckhart lorsqu’il disait : "Fondus mais non confondus". 71 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme L’Ordre social

On ne peut mieux concevoir cela que par l’analogie du rayon de lumière dans sa relation avec sa source, ou par celle du rayon d’un cercle dans sa relation avec son centre. Si l’on se représente un tel rayon comme ayant pénétré, à travers le centre, dans l’infini extra-cosmique et sans dimensions, on ne peut rien en dire ; si l’on se le représente comme étant au centre, ce ne peut être qu’en tant qu’identifié à ce centre et ne pouvant s’en distinguer. Et c’est seulement quand il "sort", qu’il acquiert une apparence de position et d’existence propre. Il se produit alors une "descente" (avatarana) (NA: Avatarana = katabasisos, comme dans République, 519 D et Jean, III, 13, le "retour dans la caverne" de ceux qui ont fait l’"ascension verticale" correspond à la redescente du Sacrificateur, dont les références sont données à une autre note. Avatri varie en significations entre "venir sur" et "surmonter", le dernier sens prédominant dans les plus anciens textes. Le sens de "descente" est souvent exprimé d’une autre manière ou par d’autres verbes tels que avakram ou avasthâ, prati-i, (praty-) avaruh. La plus ancienne référence à la "descente" de Vishnu est peut-être Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), 1, 7, 6, 1, 2... punar imam lokam praytavaroha, cf. Shatapatha Brâhmana, XI, 2, 3, 3 où Brahma imân lokân... pratyavait. En ce qui concerne la reconnaissance ultérieure du Bouddha comme un avatâra, cf. J. I., 50 où le Bouddha descend (oruyha os avaroha) du ciel de Tusita pour naître, l’illustration de cet événement à Bharhut étant notée bhagavo okamti (os avakrâmati  ), et Dhammapada Atthakathâ, III, 226, où il descend (otaritwâ os avatîrtwâ) du ciel à Sankassa. Pour d’autres expressions de l’idée de "descente", voir Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 28, 4 ; Shatapatha Brâhmana, XI, 2, 3, 4 et Bhagavad Gîtâ, IV, 5 f. Cf. Clementine Homilies, III, 20 : "Celui-là seul le possède (l’esprit du Christ) qui a changé de noms et de formes depuis le commencement du monde, et ainsi a reparu maintes fois dans le monde".) de la Lumière des Lumières comme lumière, mais non comme une "autre" lumière. Une descente telle que celle de Râma ou de Krishna présente une différence essentielle avec l’incarnation des natures mortelles qui ont oublié qui elles sont, et avec leur déterminisme fatal. C’est en vérité le besoin de ces dernières qui détermine cette descente, et non quelque imperfection chez celui qui descend. Une semblable descente est celle d’un être che solo esso a sè piace, qui seul se plaît en soi-même (NA: Dante, Purgatorio, XXV III, 91.) et cet être n’est pas "sérieusement" engagé dans la forme qu’il assume, ni lié par quelque nécessité coactive ; il joue seulement le jeu" (krîdâ, lîlâ) (NA: Voir note 31 et "Play and Seriousness" dans Journal of Philosophy, XXXIX, 550-552. Nitya et lîlâ, le constant et le variable, sont l’Être et le Devenir, dans l’Éternité et le Temps.). Notre Soi immortel est "comme la rosée sur la feuille de lotus (NA: Chândogya Upanishad, IV, 14, 3 ; Maitri Upanishad, III, 2 ; Sutta Nipâta, 71, 213, 547 (comme Katha Upanishad, V, 11), 812, 845 ; Angutara Nikâya, II, 39.)", il touche mais il n’adhère pas. "Suprême, inouï, hors d’atteinte, impensable, indompté, invisible, indiscernable et indicible, bien qu’écoutant, pensant, voyant, parlant, scrutant, sachant, telle est cette Personne Intérieure, qui est dans tous les êtres et dont on doit savoir (NA: Aitarêya Aranyaka, III, 2, 4, cf. Atharva Vêda Samhitâ, X, 8, 44 ; Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 14, 3 ; Chândogya Upanishad, IV, 11, 1 ; VI, 8, 7 f ; Kaush. Up., 1 : 2, I, 5, 6.) : "Il est mon Soi", "Tu es Cela" (NA: Shankhâyana Aranyaka, XIII et note précédente. "Tout ce que vous avez été, et vu, et fait, et pensé, Ce n’est pas vous, mais Moi qui le vis, qui le fus, qui le façonnai. Pèlerin, Pèlerinage. et Voie, C’était uniquement Moi vers Moi-même : Et votre Arrivée, c’était Moi-même à ma propre Porte. Venez, Atomes perdus, attirés par votre Centre... Rayons errants dans la vaste Obscurité, Revenez et réintégrez votre Soleil". Mantiqu’t-Tair (d’après la traduction Fitzgerald).). 72 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme L’Ordre social

Il est expressément déclaré d’autre part que les Brâhmanes d’aujourd’hui - bien qu’il y ait des exceptions - ont perdu les grâces qui étaient l’apanage de leurs ancêtres purs et sans ego (NA: Sutta Nipâta, 284 ff. (cf. Rig Vêda Samhitâ, X, 71, 9) ; D., III, 81, 82 et 94 f ; exceptions Samyutta Nikâya, 11, 13 ; Sutta Nipâta, 1082.). C’est de ce point de vue, et en relation avec le fait que le Bouddha est né dans un âge où la caste royale était plus en honneur que la caste sacerdotale, que l’on peut le mieux comprendre la raison de la promulgation des Upanishads et de la doctrine bouddhique à une seule et même époque. Ces deux corps de doctrine intimement liés et concordants, tous deux d’origine "sylvestre", ne s’opposent pas l’un à l’autre, mais à un adversaire commun. Leur intention est manifestement de restituer les vérités d’une antique doctrine. Non que la continuité de la transmission par les lignées érémitiques des forêts se soit jamais interrompue, mais parce que les Brâhmanes des cours et du "monde", occupés d’abord des formes extérieures du rituel, et peut-être trop intéressés à leurs émoluments, étaient alors devenus plutôt "Brâhmanes de naissance" (brahmabandhu) que Brâhmanes dans le sens des Upanishads et du Bouddhisme, à savoir "connaissants de Brahma" (brahmavit). Il y a peu de doute que la doctrine profonde du Soi ait été enseignée jusque-là par transmission magistrale (guruparamparâ) à des disciples qualifiés ; cela est pleinement évident, d’une part dans les Upanishads elles-mêmes (NA: Maitri Upanishad, VI, 29 : "Ce très profond mystère..." ; Brihadâranyaka Upanishad, VI, 3, 12 ; Bhagavad Gîtâ, IV, 3 : XVIII, 67. Pourtant les Upanishads étaient alors "publiées" ; et, de même que le Bouddha "ne cache rien", de même on nous dit que "rien n’a été omis dans ce qui fut dit à Satyakâma, homme qui ne peut prouver son lignage, mais qui est appelé brâhmane à cause de la vérité de sa parole". (Chândogya Upanishad, IV, 4, 9). Il n’y a pas d’autre secret, en sorte que quiconque comprend peut proprement être appelé brâhmane (Shatapatha Brâhmana, XII, 6, 1, 41).) (leur nom même signifie "s’asseoir auprès d’un maître"), et d’autre part dans le fait que le Bouddha parle souvent de "ne rien garder par devers soi". Il résulterait nettement de ces conditions que ceux à qui le Bouddha se réfère si souvent comme à l’"inculte multitude" doivent avoir entretenu ces fausses "théories de l’âme" et ces croyances en une réincarnation "personnelle" contre quoi il fulmine inlassablement. 97 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: Introduction

Dans la question du Bouddha citée plus haut : "Ne serait-il pas mieux pour vous que vous poursuiviez le Soi (NA: Sutta Nipâta, 508: Ko sujjhati muchchati bajjhati chah ? kên’attanâ gacchati brahmalokam ? Les réponses que comportent évidemment ces questions sont Yakkha comme dans Sutta Nipâta, 875 et brahmabhûtêna attanâ comme dans Angutara Nikâya, II, 211 : les réponses brahmaniques, Aitarêya Aranyaka, II, 6, prajnânam brahma, sa êtêna prajnênâtmanâ... amritah samabhavat, Brihadâranyaka Upanishad, IV, 4, 6, brahmaiva san brahmâpyêti (avec le commentaire de Shankra, disant que c’est du Paramâtmâ seulement que l’on peut affirmer l’asservissement et la délivrance) sont essentiellement les mêmes ; cf. Bhagavad Gîtâ, XVIII, 54, brahma-bhûtah prasannâtmâ. Rendre kên’attanâ par "par quoi ?" seulement est caractéristique des amoindrissements de Lord Chalmers. De la même façon, le PTS Dictionary omet soigneusement des références positives concernant attâ et ignore mahattâ. Mrs. Rhys David   a discuté le rapport mahattâ = mahâtmâ (par ex. Review of Religion, VI, 22 f.), mais ignore la nature du mahiman ("majesté") sur quoi repose l’épithète.) ?" il y a un contraste précis entre le pluriel du verbe et le singulier de l’objet. C’est l’Un que doit trouver la multitude. Considérons les nombreux autres textes bouddhiques dans lesquels les "soi", respectivement composé et mortel et unique et immortel, sont mis en opposition. La question est posée, tout, comme elle l’avait été dans les livres brahmaniques : "Par quel soi (kêna âtmanâ) 1 atteint-on le monde de Brahma ?" La réponse est donnée dans un autre passage, où la formule habituellement employée pour décrire la réalisation de l’état d’Arhat conclut : "Par le Soi qui est Identique à Brahma" (brahma-bhûtêna-âtmanâ), tout comme elle l’est dans les Upanishads : "C’est en tant que Brahma qu’il retourne à Brahma (NA: Angutara Nikâya, ll, 211, brahma-bhûtêna attanâ viharati ; de même Brihadâranyaka Upanishad, IV, 4, 6, brahmaiva san brahmâpyêti.)". De ce monde il n’est aucun retour (punar âvartana) par nécessité de renaissance (NA: Sumangala Vilâsinî, I, 313, tato brahma-lokâ patisandhi-vasêna na âvattana-dhammo, développant D., I, 156, anâvatti-dhammo ; comme dans Buddhacharita, VI, 2, 15, tê têshu brhama lokëshu... vasanti, têshâm na punarâvrittih ; Chândogya Upanishad, IV, 15, 6, imam mânavam-avartam nâvartantê ; Chândogya Upanishad, VIII, 15. Il faut toutefois distinguer salut et perfection. Être devenu un Brahmâ dans le monde de Brahma est sans doute un haut accomplissement, mais ce n’est pas le degré suprême, la sortie finale (uttarakaranîyam, uttarim nissaranam), l’extinction exempte de tous les facteurs de l’existence dans le temps (anupâdisêsa-nibbânam) que peut atteindre un Brahmâ, même dans le monde de Brahma. La seule condition supérieure à celle-là est l’atteinte de cette fin suprême ici même et maintenant plutôt qu’après la mort (Majjhima Nikâya, II, 195-6 ; D., I, 156 ; Angutara Nikâya, IV, 76-7 ; cf. Brihadâranyaka Upanishad, IV, 3, 33 où Janaka, instruit de ce qui concerne le monde béatifique de Brahma, demande "plus que cela, pour ma délivrance"). Ces textes rendent évident que dans l’équation ordinaire brahma-bhûto = buddho, ce n’est pas "devenir Brahmâ" mais "devenir Brahma" qu’il faut comprendre : le Bodhisattwa était d’ores et déjà un Brahmâ et un Mahâ-Brahmâ, dans ses précédents états (Angutara Nikâya, IV, 88), mais, somme toute, il n’était pas encore un Bouddha ; cf. Maitri Upanishad, VI, 22 où il est question de dépasser le Brahmâ intelligible, et de réintégrer le suprême, le non-intelligible Brahma en qui (ou quoi) toutes les caractéristiques individuelles (prithag-dharminah) ont disparu ; ainsi dans Sutta Nipâta, 1074-6 où le Muni, affranchi du nom et de la forme, "atteint son but" dont on ne peut rien dire, parce que toutes ses caractéristiques individuelles sont "confondues" (sabbêsu dhammêsu samuhatêsu) comme les fleuves quand ils atteignent la mer (Angutara Nikâya, IV, 198). D’autre part, quand, Sutta Nipâta, 478, 509, le Bouddha, en tant que personnage visible, est reconnu comme le sakkhi brahmâ (= sâhshât brahma, Brihadâranyaka Upanishad, III, 4, 2 = pratyaksham brahma, Taitt. Up., 1, 12), Brahmâ au masculin est manifestement approprié, le Brahmâ visible étant, comme le dit Shankara, saguna. De même Sutta Nipâta, 934, sakkhi dhammam adassî ; Samyutta Nikâya, III, 120, yokho dhammam passati main passati ; Angutara Nikâya, 1, 149, sakkhi attâ.). D’autres passages distinguent le Grand Soi (mahâtman) du petit soi (alpâtman), ou le Soi splendide (kâlyânâtman) du soi impur (pâpâtman) ; le premier est le juge du second (NA: Angutara Nikâya, I, 57, 58, 87 (attâ pi attanam upavadati), 149, 249, V., 88 ; Sutta Nipâta, 778, 913 ; cf. Manu, XI, 230 ; République, 440 B ; I Cor., IV, 4. C’est le "Ayenbyte of Inwyt".). "Le Soi est le Seigneur du soi et son but (NA: Dhammapada, 160, attâ hi attano nâtho ; 380, attâ hi attano gati (cf. Brihadâranyaka Upanishad, IV, 3, 32 ; Katha Upanishad, III, 11 ; Maitri Upanishad, VI, 7, âtmano’tmâ nêtâ amritâkhyah ; Rig Vêda Samhitâ, V, 50, 1, vishwo dêvasya nêtuh, viz. Savitri). Cf. Samyutta Nikâya, III, 82, 83, yad anattâ... na mê so attâ, «Ce qui est non-Soi, ce n’est pas mon Soi" ; le Soi (âtman) est sans ego (anâtmya), cf. Taittirîya Upanishad, II, 7.)". Dans la parole : "Pour celui qui l’a atteint il n’est rien de plus cher que le Soi (NA: Samyutta Nikâya, 1, 75, n’êv’ajjhagâ piyataram attanâ kwachi... attakâmo ; Udâna 47 ; Angutara Nikâya, 12, 91 (cf., II, 21), attakâmêna mahattam abhikkhankatâ. Samyutta Nikâya, I, 71, 72, comme Bhagavad Gîtâ, VI, 5-7, montre dans quelles circonstances le Soi est cher (piyo) ou n’est pas cher (appiyo) de l’ego. Dans Angutara Nikâya, IV, 97, d’autre part, attâ hi paramo piyo, l’homme "trop épris de lui-même", est ce que l’on entend d’habitude par "égoïste".)", on reconnaît la doctrine des Upanishads selon laquelle "seul le Soi est véritablement cher (NA: Brihadâranyaka Upanishad, I, 4, 8 ; II, 4 ; IV, 5.)", le "Aime-toi Toi même (NA: Hermès, Lib., IV, 6 B.)" hermétique et la doctrine chrétienne selon laquelle "un homme, par charité, doit s’aimer lui-même plus que personne d’autre (NA: Saint Thomas d’Aquin, Sum. Theol., II-II, 26, 4 ; cf. Dhammapada, 166 (le premier devoir de l’homme est de travailler à son propre salut).)" ; lui-même, c’est-à-dire le Soi pour l’amour duquel il doit se nier soi-même. 132 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine

Dans la doctrine brahmanique, notre Soi ou notre Personnalité intérieure, immortelle, imperturbable et bienheureuse, la seule et la même pour tous les êtres, est Brahma immanent, Dieu en nous (NA: Rig Vêda Samhitâ, I, 115, 1, âtmâ jagatas tasthushash cha ; SHB., X, 4, 2, 27, sarvêshâm bhûtânâm âtmâ ; Brihadâranyaka Upanishad, II, 5, 15, sarvêshâm... adhipatih ; III, 5, brahma ya âtmâ sarvântarah ; Maitri Upanishad, V, 1, vishwâtmâ ; Bhagavad Gîtâ, V I, 29, sarvabhûtastham âtmânam, VII, 9, jîvênam sarvabhûtêshu ; Manu I, 54, sarvabhûtâtmâ, etc. Cette doctrine d’une seule «Ame" ou «Soi" par delà ce qui se présente comme nos diverses âmes ou egos, se retrouve chez Platon (notamment Ménon  , 81, où est décrite la naissance universelle et l’omniscience consécutive de l’"Ame Immortelle", cf. note 12) ; chez Plotin (notamment Ennéades, IV, 9 passim, au sujet de "la réduction de toutes les âmes en une seule") ; chez Hermès (notamment Lib., V, 10 A : "sans corps et ayant des corps en grand nombre, ou plutôt présent dans tous les corps"), cf. Katha Upanishad, II, 22 (asharîram sharîrêshu ; et X, 2 "l’essence de tous les êtres" ; chez Denys, "L’Être qui pénètre immédiatement toutes choses, bien que non affecté par elles" (De div. nom., II, 10).). Il ne vient de nulle part et ne devient personne (NA: Katha Upanishad, II, 18, nâyam kutachchin na babhûva kachchit ; II, 25, ka itthâ vêda sah ? VI, 13, asti. Cf. Milinda Panho, 73, bhagavâ atthi... na sakkâ... nidassêtum idha vâ idha ; et Shankara (sur Brihadâranyaka Upanishad, III, 3), muktasya cha na gatih kwachit.). "Cela" est ; mais