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HB: Angutara Nikâya

sábado 3 de fevereiro de 2024

  

Nous sommes dès lors la pierre d’où peut être tirée l’étincelle, la montagne sous laquelle Dieu gît enseveli, la peau de serpent écailleuse qui le cache, et l’huile pour sa flamme. Que sa retraite soit devenue une caverne ou une maison présuppose la montagne ou les murs qui l’enclosent, verborgen (nihito guhâyâm) et verbaut. "Tu" et "Je" sont la prison psycho-physique, le Constricteur où le Premier Principe a été absorbé afin que "nous" puissions pleinement être. Car, comme cela nous est constamment enseigné, le Tueur de Dragon dévore sa victime, l’avale et la boit jusqu’à la dernière goutte. Grâce à ce repas eucharistique il prend possession des trésors et des pouvoirs du Dragon premier-né, et il devient ce qu’il était. On peut citer, de fait, un texte remarquable où notre âme composite est appelée la "montagne de Dieu", et où il est dit que celui qui comprendra cette doctrine absorbera de la même façon son propre mal, son adversaire haïssable (NA: Aitarêya Aranyaka, II, 1, 8. Cf. Platon  , Phèdre  , 250 C ; Plotin  , Ennéades, IV, 8, 3 ; Maître Eckhart   ("hat gewonet in uns verborgenliche", Pfeiffer, p. 593) ; Henry Constable ("Enseveli en moi, jusqu’à ce qu’apparaisse mon âme"). Saint Bonaventure   assimilait de même mons et mens (De dec, preceptiis, II, ascendere in montem, id est, in eminentiam mentis) ; cette image traditionnelle, que l’on doit, comme beaucoup d’autres, faire remonter au temps où "caverne" et "habitation" étaient une seule et même chose, est sous-entendue dans les symboles familiers de la mine et de la recherche du trésor enfoui (Maitri Upanishad  , VI, 29, etc.). Les pouvoirs de l’âme (bhutâni, terme qui signifie également "gnômes") au travail dans la montagne-esprit, sont les prototypes des nains mineurs qui protègent la "Blanche-Neige"-Psyché quand elle a mordu dans le fruit du bien et du mal et tombe dans son sommeil de mort, où elle demeure jusqu’à ce que l’Éros divin la réveille, et que le fruit tombe de ses lèvres. Qui a jamais compris le Mythe scripturaire en reconnaîtra les paraphrases dans tous les contes de fées du monde, qui n’ont pas été créés par le "peuple", mais hérités et fidèlement transmis par lui à ceux à qui ils étaient originellement destinés. L’une des erreurs majeures de l’analyse historique et rationnelle est de supposer que la "vérité" et la "forme originale" d’une légende peuvent être séparés de ses éléments miraculeux. C’est dans le merveilleux même que réside la vérité : to thaumazein, ou gar alle arche philosophias he auto, Platon, Théétète  , 155D. Même pensée chez Aristote  , qui ajoute, dio kai philomethos philosophos pos estin o gar mythos sugkeitai ek thaumasion "Ainsi l’amoureux des mythes, qui sont des concentrés de prodiges, est du même coup un amoureux de sagesse". (Métaphysique, 982 B). Le Mythe incarne la plus haute approximation de la vérité absolue qui puisse se traduire en paroles.). Cet "adversaire" n’est, bien entendu, rien d’autre que notre moi. On saisira la pleine signification du texte lorsque nous aurons dit que le mot giri, "montagne", dérive du mot gir, engloutir. Ainsi Celui en qui nous étions prisonniers est devenu notre prisonnier ; il est l’Homme Intérieur submergé et caché par notre Homme Extérieur. C’est à Lui maintenant de devenir le Tueur de Dragon. Dans cette guerre de la Divinité et du Titan, livrée désormais en nous, où nous sommes "en guerre avec nous-mêmes (NA: Bhagavad Gîtâ, VI, 6 ; cf. Samyutta Nikâya, 1, 57 = Dhammapada, 66 ; Angutara Nikâya, 1, 149; Rûmî  , Mathnawî, 1, 267, f.)", sa victoire et sa résurrection seront également les nôtres, si nous savons Qui nous sommes. C’est à Lui maintenant de nous boire jusqu’à la dernière goutte, et à nous d’être son vin. 19 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Le Mythe

On a compris que la déité est implicitement ou explicitement une victime volontaire. Ceci est reflété dans le Rite humain, où le consentement de la victime, qui a dû être humaine à l’origine, est toujours assuré suivant les formes. Dans l’un ou l’autre cas, la mort de la victime est aussi sa naissance, en accord avec la règle infaillible qui veut que toute naissance ait été précédée d’une mort. Dans le premier cas il y a naissance multiple de la déité dans les êtres vivants, dans le second ils renaissent en elle. Mais, même ainsi, il est reconnu que le sacrifice et le démembrement de la victime sont des actes de cruauté, voire de perfidie (NA: Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), II, 5, 1, 2 ; II, 5, 3, 6 ; cf., VI, 4, 8, 1 ; Shatapatha Brâhmana, I, 2, 3, 3 ; III, 9, 4, 17 ; XII, 6, 1, 39, 40 ; Panchavimsha Brâhmana, XII, 6, 8, 9 ; Kaus. Up., III, 1, etc. ; cf. Bloomfield dans Journal of the American Oriental Society, XV, 161.). C’est là le péché originel (kilbisha) des Dieux, auquel tous les hommes participent du fait même de leur existence distincte et de leur façon de connaître en termes de sujet et d’objet, de bien et de mal, et auquel l’Homme Extérieur doit d’être exclu d’une participation directe (NA: Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), II, 4, 12, 1, Aitarêya Brâhmana, VII, 28.) à "ce que les Brâhmanes entendent par Soma". Les formes de notre "connaissance", ou plutôt de notre "opinion" (avidyâ) ou de notre "art" (mâyâ), le démembrent chaque jour. Une expiation pour cette ignorantia divisiva est fournie dans le Sacrifice, où, par le renoncement à lui-même de celui qui l’offre, et par la restitution de la déité démembrée dans son intégrité et sa plénitude premières, la multitude des "soi" est réduite à son Principe unique. Il y a ainsi multiplication incessante de l’Un inépuisable et unification incessante de l’indéfinie Multiplicité. Tels sont les commencements et les fins des mondes et des individus, produits d’un point sans lieu ni dimensions, d’un présent sans date ni durée, accomplissant leur destinée, et, après leur temps achevé, retournant "chez eux", dans la Mer ou le Vent où leur vie prit origine, affranchis par là de toutes les limitations inhérentes à leur individualité temporelle (NA: Pour le retour des "Fleuves" vers la "Mer" où leur individualité se perd, de sorte que l’on parle seulement de la mer : Chândogya Upanishad, VI, 10, 1 ; Prashna UP., VI, 5, Mund. Up.  , IlI, 2, 8 ; Angutara Nikâya, IV, 198 ; Udâna, 55, et de même Lao Tseu, Tao Te King  , XXXII ; Rûmî, Mathnawî, VI, 4052, Maître Eckhart (dans Pfeiffer, p. 314), tout à l’effet que "Wenn du das Tröpflein wist im grossen Meere nennen, Den wirst du meine Seel’im grossen Gott erkennen" (Angeles Silesius  , Cherubinische Wandersmann, II, 15) ; "e la sua volontate è nostra pace ; ella è quel mare, al quai tutto se mose" (Dante  , Paradiso III, 85, 86). Pour le "retour" (en Agni), Rig Vêda Samhitâ, I, 66, 5, V, 2, 6) ; (en Brahma), Maitri Upanishad  , VI, 22: (dans la "Mer"), Prashna Up., VI, 5 ; (dans le Vent), Rig Vêda Samhitâ, X, 16, 3 ; Atharva Vêda Samhitâ, X, 8, 16 (ainsi que Katha Up., IV, 9 ; BU  , I, 5, 23) ; Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 1, 1, 2, 3, 12 ; Chândogya Upanishad, IV, 3, 1-3 ; (vers le summum bonum, fin dernière de l’homme), Samyutta Nikâya, IV, 158 ; Sutta Nipâta, 1074-6 ; Mil. 73 ; (vers notre Père), Luc, 15, 11 f.). 20 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Le Mythe

De là aussi la prière : "Ce que Tu es, puissé-je l’être (NA: Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), I, 5, 7, 6.)", et le sens éternel de la question critique : "De qui sera-ce le départ lorsque je partirai d’ici (NA: Prash. Up  ., VI, 3 ; cf. réponses dans Chândogya Upanishad, III, 14, 4 et Kaush. Up., II, 14.) ?" de moi-même ou du «Soi immortel", du "Conducteur (NA: Chândogya Upanishad, VIII, 12, 1 ; Maitri Upanishad, III, 2 ; VI, 7. Pour le hgemwn Aitarêya Aranyaka, II, 6 et Rig Vêda Samhitâ, V, 50, 1.)". Si l’on a réalisé effectivement les véritables réponses, si l’on a trouvé le Soi et fait tout ce qu’il y avait à faire (kritakritya), sans aucun résidu de potentialité (krityâ), la fin dernière de notre vie est actuellement atteinte (NA: Aitarêya Aranyaka, II, 5 ; Shankhâyana Aranyaka, II, 4 ; Maitri Upanishad, VI, 30 ; cf. Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), I, 8, 3, 1. Kritakritya, "tout en acte" correspond au pali katamkaranîyam dans la "formule Arhat" bien connue.). On ne saurait trop insister sur le fait que la liberté et l’immortalité (NA: Amritattwa, littéralement "immortalité" ; dans toute la mesure où il s’agit d’êtres nés, soit dieux, soit hommes, ce mot n’implique pas une durée sans fin, mais la "totalité de la vie" ; on doit entendre : ne mourant pas prématurément (Shatapatha Brâhmana, V, 4 ; I, 1 ; IX, 5, 1, 10; Panchavimsha Brâhmana, XXII, 12, 2, etc.). Ainsi la totalité de la vie de l’homme (âyus = aeon) est de cent ans (Rig Vêda Samhitâ, I, 89, 9 ; II, 27, 10, etc.) ; celle des Dieux est de "mille ans" (XI, 1, 6, 6, 15) ou de la durée que représente ce chiffre rond (Shatapatha Brâhmana, VIII, 7, 4, 9; X, 2, 1-11, etc.). Dès lors, quand les Dieux, qui, à l’origine, étaient "mortels", obtiennent leur "immortalité" (Rig Vêda Samhitâ, V, 3, 4, et X, 63, 4, ; Shatapatha Brâhmana, XI, 2, 3, 6, etc.), cela ne doit être compris que dans un sens relatif et ne signifie pas autre chose que leur vie, comparée à celle des hommes, est plus longue (Shatapatha Brâhmana, VII, 3, 1, 10, Shankara  . Sur les Br. Sûtra, I, 2, 17 et II, 3, 7, etc.). Dieu seul, comme "non-né" ou "né seulement en apparence" est absolument immortel ; Agni, vishwâyus = pyr aionos, seul "immortel parmi les mortels, Dieu parmi les Dieux" (Rig Vêda Samhitâ, IV, 2, 1 ; Shatapatha Brâhmana, II, 2, 2, 8, etc.). Sa nature intemporelle (akâla) est celle du "maintenant" sans durée, dont nous, qui ne pouvons penser qu’en termes de passé et de futur (bhûtam bhavyam) n’avons et ne pouvons avoir l’expérience. De Lui toutes choses procèdent, et en Lui elles s’unifient (êko bhavanti) à la fin (Aitarêya Aranyaka, II, 3, 8, etc.). En d’autres termes, l’"immortalité" est de trois ordres : la longévité humaine, l’æviternité des Dieux, et l’immortalité sans durée de Dieu (sur l’æviternité, voir saint Thomas d’Aquin  ., Sum. Theol., I, 10, 5). Les textes hindous eux-mêmes ne permettent aucune confusion : toutes les choses sous le Soleil sont au pouvoir de la Mort (Shatapatha Brâhmana, II, 3, 37, X, 5, 1, 4). Pour autant qu’elle descend dans le monde, la Divinité elle-même est un "Dieu qui meurt" ; il n’y a dans la chair aucune possibilité de ne jamais mourir (Shatapatha Brâhmana, II, 2, 2, 14; X, 4, 3, 9 ; Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 38, 10, etc.) ; la naissance et la mort sont indissolublement liées (Bhagavad Gîtâ, II, 27; Angutara Nikâya, IV, 137 ; Sutta Nipâta, 742). On peut observer que le grec athanasia a des significations analogues ; pour l’"immortalité mortelle", cf. Platon, Banquet  , 207, D-208 B, et Hermès, Lib., XI, I, 4a et Ascl., III, 40 b.) peuvent être, non seulement atteintes, mais encore réalisées ici-même et maintenant aussi bien que dans un quelconque au-delà. Celui qui "est délivré en cette vie" (jîvan mukta) ne "meurt plus" (napunar mriyatê) (NA: Shatapatha Brâhmana, II, 3, 3, 9 ; Brihadâranyaka Upanishad, I, 5, 2, etc. Cf. Luc, 20, 36; Jean, II, 26.). "Celui qui a compris le Soi contemplatif sans âge et sans mort, qui n’a en lui aucun manque et qui ne manque de rien, celui-là ne redoute pas la mort (NA: Atharva Vêda Samhitâ, X, 8, 44; cf. Aitarêya Aranyaka, III, 2, 4.).". Étant déjà mort, il est, comme le çoufi, "un mort qui marche (NA: Mathnawî, VI, 723 f. La parole "Mourez avant que vous ne mouriez" est attribuée à Mohammed  . Cf. Angelus Silesius, "Stirb ehe du stirbst".)". Un tel homme n’aime plus ni lui-même ni les autres : il est le Soi de lui-même et des autres. La mort à soi-même est la mort aux autres ; et, si le "mort" semble ne pas être égoïste, ce n’est pas pour quelque motif altruiste, mais à titre accidentel, et parce qu’il est littéralement sans ego. Délivré de lui-même et de toutes conditions, de tous devoirs et de tous droits, il est devenu Celui qui se meut à son gré (kâmachârî) (NA: Rig Vêda Samhitâ, IX, 113, 9 ; Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 28, 3 ; Shankhâyana Aranyaka, VII, 22; Brihadâranyaka Upanishad, II, 1, 17, 18, Chândogya Upanishad, VIII, 5, 4 ; VIII, I, 6 (cf. D, I, 72) ; Taitt. Up., III, 10, 5 (de même dans Jean, X, 9).) comme l’Esprit (Vâyu, âtmâ dêvânâm) qui "va où il veut" (yathâ vasham charati) (NA: Rig Vêda Samhitâ, IX, 88, 3 ; X, 168, 4 ; cf. Jean, III, 8 ; Gylfiginning, 18.), n’étant plus, comme le dit saint Paul  , "sous la loi". 37 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Théologie et Autologie

On ne peut mieux concevoir cela que par l’analogie du rayon de lumière dans sa relation avec sa source, ou par celle du rayon d’un cercle dans sa relation avec son centre. Si l’on se représente un tel rayon comme ayant pénétré, à travers le centre, dans l’infini extra-cosmique et sans dimensions, on ne peut rien en dire ; si l’on se le représente comme étant au centre, ce ne peut être qu’en tant qu’identifié à ce centre et ne pouvant s’en distinguer. Et c’est seulement quand il "sort", qu’il acquiert une apparence de position et d’existence propre. Il se produit alors une "descente" (avatarana) (NA: Avatarana = katabasisos, comme dans République  , 519 D et Jean, III, 13, le "retour dans la caverne" de ceux qui ont fait l’"ascension verticale" correspond à la redescente du Sacrificateur, dont les références sont données à une autre note. Avatri varie en significations entre "venir sur" et "surmonter", le dernier sens prédominant dans les plus anciens textes. Le sens de "descente" est souvent exprimé d’une autre manière ou par d’autres verbes tels que avakram ou avasthâ, prati-i, (praty-) avaruh. La plus ancienne référence à la "descente" de Vishnu est peut-être Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), 1, 7, 6, 1, 2... punar imam lokam praytavaroha, cf. Shatapatha Brâhmana, XI, 2, 3, 3 où Brahma imân lokân... pratyavait. En ce qui concerne la reconnaissance ultérieure du Bouddha comme un avatâra, cf. J. I., 50 où le Bouddha descend (oruyha os avaroha) du ciel de Tusita pour naître, l’illustration de cet événement à Bharhut étant notée bhagavo okamti (os avakrâmati  ), et Dhammapada Atthakathâ, III, 226, où il descend (otaritwâ os avatîrtwâ) du ciel à Sankassa. Pour d’autres expressions de l’idée de "descente", voir Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 28, 4 ; Shatapatha Brâhmana, XI, 2, 3, 4 et Bhagavad Gîtâ, IV, 5 f. Cf. Clementine Homilies, III, 20 : "Celui-là seul le possède (l’esprit du Christ) qui a changé de noms et de formes depuis le commencement du monde, et ainsi a reparu maintes fois dans le monde".) de la Lumière des Lumières comme lumière, mais non comme une "autre" lumière. Une descente telle que celle de Râma ou de Krishna présente une différence essentielle avec l’incarnation des natures mortelles qui ont oublié qui elles sont, et avec leur déterminisme fatal. C’est en vérité le besoin de ces dernières qui détermine cette descente, et non quelque imperfection chez celui qui descend. Une semblable descente est celle d’un être che solo esso a sè piace, qui seul se plaît en soi-même (NA: Dante, Purgatorio, XXV III, 91.) et cet être n’est pas "sérieusement" engagé dans la forme qu’il assume, ni lié par quelque nécessité coactive ; il joue seulement le jeu" (krîdâ, lîlâ) (NA: Voir note 31 et "Play and Seriousness" dans Journal of Philosophy, XXXIX, 550-552. Nitya et lîlâ, le constant et le variable, sont l’Être et le Devenir, dans l’Éternité et le Temps.). Notre Soi immortel est "comme la rosée sur la feuille de lotus (NA: Chândogya Upanishad, IV, 14, 3 ; Maitri Upanishad, III, 2 ; Sutta Nipâta, 71, 213, 547 (comme Katha Upanishad  , V, 11), 812, 845 ; Angutara Nikâya, II, 39.)", il touche mais il n’adhère pas. "Suprême, inouï, hors d’atteinte, impensable, indompté, invisible, indiscernable et indicible, bien qu’écoutant, pensant, voyant, parlant, scrutant, sachant, telle est cette Personne Intérieure, qui est dans tous les êtres et dont on doit savoir (NA: Aitarêya Aranyaka, III, 2, 4, cf. Atharva Vêda Samhitâ, X, 8, 44 ; Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 14, 3 ; Chândogya Upanishad, IV, 11, 1 ; VI, 8, 7 f ; Kaush. Up., 1 : 2, I, 5, 6.) : "Il est mon Soi", "Tu es Cela" (NA: Shankhâyana Aranyaka, XIII et note précédente. "Tout ce que vous avez été, et vu, et fait, et pensé, Ce n’est pas vous, mais Moi qui le vis, qui le fus, qui le façonnai. Pèlerin, Pèlerinage. et Voie, C’était uniquement Moi vers Moi-même : Et votre Arrivée, c’était Moi-même à ma propre Porte. Venez, Atomes perdus, attirés par votre Centre... Rayons errants dans la vaste Obscurité, Revenez et réintégrez votre Soleil". Mantiqu’t-Tair (d’après la traduction Fitzgerald).). 72 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme L’Ordre social

Le Bouddhisme semble différer d’autant plus du Brahmanisme, dont il est issu, qu’on l’étudie plus superficiellement ; mais plus on approfondit cette étude, plus il devient difficile de les distinguer l’un de l’autre, ou de dire sous quels rapports, s’il en est aucun, le Bouddhisme n’est pas réellement orthodoxe. La distinction la plus saillante est le fait que la doctrine bouddhique a été exposée par un fondateur d’apparence historique, qui aurait vécu et enseigné au VIe siècle avant Jésus-Christ. Hors cela, il y a seulement dans le Bouddhisme de larges différences d’accent. Ainsi, l’on tient généralement pour évident qu’il faut quitter le monde si l’on veut suivre la Voie et comprendre la doctrine. L’enseignement s’adresse, soit à des Brâhmanes sur le point de se convertir, soit à la congrégation des Moines Errants (pravrâjaka) déjà entrés dans le Sentier ; certains d’entre eux sont déjà des Arhats parfaits, devenus à leur tour les maîtres d’autres disciples. Il y a également un enseignement éthique pour les laïques, avec commandements et défenses sur ce qu’il faut faire ou ne pas faire (NA: Vinaya, 1, 235 et passim ; D. I, 52, 68 f. ; Samyutta Nikâya, III, 208 ; A. 1, 62 (Gradual Sayings, p. 57, où la note 2 de Woodward est complètement erronée). Le Bouddha enseigne qu’il y a "ce qui est à faire" (kiriya) et "ce qui est à ne pas faire" (akiriya) ; ces deux termes ne se réfèrent jamais à "la doctrine du Karma (rétribution) et à son opposée". Cf. Harvard Journal of Asiatic Studies, IV, 1939, p. 119. Que le But (comme dans la doctrine brahmanique) soit d’être délivré du bien comme du mal (voir notes 54 et 55) est une tout autre question ; faire le bien et éviter le mal est indispensable au Voyageur. L’idée qu’il n’y a pas de devoir (a-kiriya), bien que parfois soutenue, est hérétique : on ne peut échapper à la responsabilité ni par l’argument d’un déterminisme fatal fondé sur l’efficacité causale des actes passés, ni par l’imputation de cette responsabilité à Dieu (issaro), ni par la négation de la causalité ou le postulat du hasard. L’ignorance est la racine de tout mal, et c’est de ce que nous faisons maintenant que dépend le "bonheur" de notre voyage (Angutara Nikâya, I, 173 f). L’homme n’est impuissant que pour autant qu’il voit le Soi dans ce qui n’est pas le Soi ; dans la mesure où il s?affranchit de l’idée "c’est moi", ses actions deviennent bonnes et non mauvaises ; aussi longtemps qu’il s’identifie lui-même avec l’âme-corps (savinnânakâya) ses actions demeurent "ego"-istes.), mais rien qui puisse être décrit comme une "réforme sociale" ou une protestation contre le système des castes. La distinction qui est faite à maintes reprises entre le "vrai Brâhmane" et le simple Brâhmane de naissance est celle qu’affirmaient déjà sans cesse les livres brahmaniques. 93 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: Introduction

Si l’on peut en quelque façon parler du Bouddha comme d’un réformateur, c’est seulement dans le sens strictement étymologique du terme : ce n’est pas pour établir un nouvel ordre, mais pour restaurer un ordre ancien que le Bouddha est descendu du ciel. Mais si son enseignement est "parfait et infaillible (NA: D., III, 135 (tath’êva hoti no annatha) ; Angutara Nikâya, II, 23 ; D., III, 133 ; Sutta Nipâta, 357, yathâ vâdî tathâ kârî (cf. Rig Vêda Samhitâ, IV, 33, 6, satyam uchur nara êva hi chakruh) ; de là Sutta Nipâta, 430, Itivuttaka, 122, tathâvâdin. Dans ce sens, tathâgato peut être appliqué au Bouddha, au Dhamma et au Sangha, Sutta Nipâta, 236-238.)", c’est parce qu’il a entièrement pénétré la Loi Éternelle (akâlika dharma) (NA: Le Dhamma enseigné par le Bouddha, d’une parfaite beauté du commencement à la fin, s’applique à la fois dans le présent (samditthiko) et hors du temps (akâliko). 94 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: Introduction

En nous demandant : qu’est-ce que le Bouddhisme, nous devons commencer comme auparavant par le Mythe, car celui-ci se confond désormais avec la vie même du Fondateur (quelque quatre-vingts ans), qui résume l’épopée entière de la victoire sur la mort. Mais si nous faisons abstraction, dans le récit pseudo-historique, de tous les traits légendaires ou miraculeux, le noyau résiduel que formerait le fait historiquement plausible serait à la vérité fort petit. Tout ce que l’on peut dire est qu’il à bien pu exister un maître individuel qui a donné à l’antique sagesse sa "couleur bouddhique" particulière et dont l’individualité est complètement voilée, comme il a dû le désirer (NA: Dhammapada, 74, mam’êva kata... iti bâlassa sankappo, "J’ai fait cela, idée puérile". Cf. Note 16.), par la substance éternelle (akâlika dharma) à laquelle il s’identifiait. Autrement dit, "le Bouddha a seulement la forme humaine ; ce n’est pas un homme (NA: Kern, Manual of Indian Buddhism, p. 65. Cf. Angutara Nikâya, II, 38, 39, où le Bouddha dit qu’il a détruit toutes les causes par lesquelles il pouvait devenir un dieu ou un homme, etc., et n’est pas contaminé par le monde, "c’est pourquoi je suis Bouddha" (tasmâ buddho’ smi), f. Sutta Nipâta, 558, abhinnêyam abhinnatam, bhâvêtabbam cabhâvitam, pahâtabbam pahînam mê, tasmâ buddho’ smi.)". 106 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: Le Mythe

Il n’est pas utile de rapporter en détail les événements ultérieurs de la vie du Bouddha. Il édifie peu à peu une grande communauté de moines errants comme lui ; un peu contre son gré, les femmes furent également autorisées à être ordonnées nonnes ; et, vers la fin de sa vie, il avait formé un corps organisé de moines et de nonnes, dont beaucoup vivaient dans des monastères et des couvents offerts en donation par de pieux laïques. Le Bouddha partageait son temps entre les soins de la communauté monacale et les prédications devant des assemblées de moines, des réunions de Brahmanes, sortant invariablement vainqueur des controserses qui le mettaient aux prises avec eux. Il accomplit également de nombreux miracles. En fin il annonce sa mort imminente. Comme Ânanda se récrie, il lui dit qu’à côté de ceux qui pensent encore selon le monde et qui pleureront et se rouleront dans l’angoisse en criant : "Il est trop tôt pour que disparaisse l’?il du Monde", il en est d’autres, calmes et maîtres d’eux-mêmes, qui considéreront l?impermanence de tout ce qui entre en composition, et la nécessité intime de dissolution que porte en soi toute chose née : "Ceux-là honoreront véritablement ma mémoire, qui vivront selon la Voie que j’ai enseignée". Quand un fidèle vient le visiter avant sa mort, il lui dit : "Quel bien cela peut-il vous faire, de voir ce corps impur ? Celui qui voit la Loi me voit, celui qui me voit, voit la Loi (dharma) (NA: Samyutta Nikâya, IlI, 120.)". En annonçant sa mort toute proche, le Bouddha laisse ce message : "Soyez avec le Soi (âtman) pour lampe, le Soi pour unique refuge, la Loi pour lampe et unique refuge (NA: D., II, 101 : atta-dîpâ viharatha atta-saranâ... dhammadîpâ dhammasaranâ. Cf. Samyutta Nikâya, 501, yê atta-dîpâ vicharanti lokê akimchanâ sabbadhi vippamuttâ ; Dhammapada, T 146, 232, andhakârêna onaddhâ padîpam na gavêssatha... so karohi dîpam attano. L’admonition "Fais du Soi ton refuge" karêyya saranattano, Samyutta Nikâya, III, 143) commande ce que le Bouddha lui-même a fait : "J’ai fait du Soi mon refuge", dit-il (katam mê saranam attano, D., II, 120); car, en vérité, "ce qu’il enseigne, il le fait" (yathâ vâdî, tathâ kârî, Angutara Nikâya, II, 23 ; III, 135 ; Sutta Nipâta, 357). Ce tathâ revient souvent dans l’épithète "Tathâgata". Les textes bouddhiques sur la "lampe" correspondent à Shwêt. Up., II, 15 : "Quand l’homme qui se maîtrise perçoit, grâce à la quiddité de son propre Soi, comme à la lumière d’une lampe (âtma-tattwêna... dîpopamêna) la Quiddité de Brahma sans naissance, immuable et pure de toutes autres quiddités, alors, connaissant Dieu, il est délivré de tous les maux". L’Esprit (âtman) est notre lumière quand toutes les autres lumières nous ont quittés (Brihadâranyaka Upanishad, VI, 3, 6))". 125 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: Le Mythe

Dans la question du Bouddha citée plus haut : "Ne serait-il pas mieux pour vous que vous poursuiviez le Soi (NA: Sutta Nipâta, 508: Ko sujjhati muchchati bajjhati chah ? kên’attanâ gacchati brahmalokam ? Les réponses que comportent évidemment ces questions sont Yakkha comme dans Sutta Nipâta, 875 et brahmabhûtêna attanâ comme dans Angutara Nikâya, II, 211 : les réponses brahmaniques, Aitarêya Aranyaka, II, 6, prajnânam brahma, sa êtêna prajnênâtmanâ... amritah samabhavat, Brihadâranyaka Upanishad, IV, 4, 6, brahmaiva san brahmâpyêti (avec le commentaire de Shankra, disant que c’est du Paramâtmâ seulement que l’on peut affirmer l’asservissement et la délivrance) sont essentiellement les mêmes ; cf. Bhagavad Gîtâ, XVIII, 54, brahma-bhûtah prasannâtmâ. Rendre kên’attanâ par "par quoi ?" seulement est caractéristique des amoindrissements de Lord Chalmers. De la même façon, le PTS Dictionary omet soigneusement des références positives concernant attâ et ignore mahattâ. Mrs. Rhys David   a discuté le rapport mahattâ = mahâtmâ (par ex. Review of Religion, VI, 22 f.), mais ignore la nature du mahiman ("majesté") sur quoi repose l’épithète.) ?" il y a un contraste précis entre le pluriel du verbe et le singulier de l’objet. C’est l’Un que doit trouver la multitude. Considérons les nombreux autres textes bouddhiques dans lesquels les "soi", respectivement composé et mortel et unique et immortel, sont mis en opposition. La question est posée, tout, comme elle l’avait été dans les livres brahmaniques : "Par quel soi (kêna âtmanâ) 1 atteint-on le monde de Brahma ?" La réponse est donnée dans un autre passage, où la formule habituellement employée pour décrire la réalisation de l’état d’Arhat conclut : "Par le Soi qui est Identique à Brahma" (brahma-bhûtêna-âtmanâ), tout comme elle l’est dans les Upanishads : "C’est en tant que Brahma qu’il retourne à Brahma (NA: Angutara Nikâya, ll, 211, brahma-bhûtêna attanâ viharati ; de même Brihadâranyaka Upanishad, IV, 4, 6, brahmaiva san brahmâpyêti.)". De ce monde il n’est aucun retour (punar âvartana) par nécessité de renaissance (NA: Sumangala Vilâsinî, I, 313, tato brahma-lokâ patisandhi-vasêna na âvattana-dhammo, développant D., I, 156, anâvatti-dhammo ; comme dans Buddhacharita, VI, 2, 15, tê têshu brhama lokëshu... vasanti, têshâm na punarâvrittih ; Chândogya Upanishad, IV, 15, 6, imam mânavam-avartam nâvartantê ; Chândogya Upanishad, VIII, 15. Il faut toutefois distinguer salut et perfection. Être devenu un Brahmâ dans le monde de Brahma est sans doute un haut accomplissement, mais ce n’est pas le degré suprême, la sortie finale (uttarakaranîyam, uttarim nissaranam), l’extinction exempte de tous les facteurs de l’existence dans le temps (anupâdisêsa-nibbânam) que peut atteindre un Brahmâ, même dans le monde de Brahma. La seule condition supérieure à celle-là est l’atteinte de cette fin suprême ici même et maintenant plutôt qu’après la mort (Majjhima Nikâya, II, 195-6 ; D., I, 156 ; Angutara Nikâya, IV, 76-7 ; cf. Brihadâranyaka Upanishad, IV, 3, 33 où Janaka, instruit de ce qui concerne le monde béatifique de Brahma, demande "plus que cela, pour ma délivrance"). Ces textes rendent évident que dans l’équation ordinaire brahma-bhûto = buddho, ce n’est pas "devenir Brahmâ" mais "devenir Brahma" qu’il faut comprendre : le Bodhisattwa était d’ores et déjà un Brahmâ et un Mahâ-Brahmâ, dans ses précédents états (Angutara Nikâya, IV, 88), mais, somme toute, il n’était pas encore un Bouddha ; cf. Maitri Upanishad, VI, 22 où il est question de dépasser le Brahmâ intelligible, et de réintégrer le suprême, le non-intelligible Brahma en qui (ou quoi) toutes les caractéristiques individuelles (prithag-dharminah) ont disparu ; ainsi dans Sutta Nipâta, 1074-6 où le Muni, affranchi du nom et de la forme, "atteint son but" dont on ne peut rien dire, parce que toutes ses caractéristiques individuelles sont "confondues" (sabbêsu dhammêsu samuhatêsu) comme les fleuves quand ils atteignent la mer (Angutara Nikâya, IV, 198). D’autre part, quand, Sutta Nipâta, 478, 509, le Bouddha, en tant que personnage visible, est reconnu comme le sakkhi brahmâ (= sâhshât brahma, Brihadâranyaka Upanishad, III, 4, 2 = pratyaksham brahma, Taitt. Up., 1, 12), Brahmâ au masculin est manifestement approprié, le Brahmâ visible étant, comme le dit Shankara, saguna. De même Sutta Nipâta, 934, sakkhi dhammam adassî ; Samyutta Nikâya, III, 120, yokho dhammam passati main passati ; Angutara Nikâya, 1, 149, sakkhi attâ.). D’autres passages distinguent le Grand Soi (mahâtman) du petit soi (alpâtman), ou le Soi splendide (kâlyânâtman) du soi impur (pâpâtman) ; le premier est le juge du second (NA: Angutara Nikâya, I, 57, 58, 87 (attâ pi attanam upavadati), 149, 249, V., 88 ; Sutta Nipâta, 778, 913 ; cf. Manu, XI, 230 ; République, 440 B ; I Cor., IV, 4. C’est le "Ayenbyte of Inwyt".). "Le Soi est le Seigneur du soi et son but (NA: Dhammapada, 160, attâ hi attano nâtho ; 380, attâ hi attano gati (cf. Brihadâranyaka Upanishad, IV, 3, 32 ; Katha Upanishad, III, 11 ; Maitri Upanishad, VI, 7, âtmano’tmâ nêtâ amritâkhyah ; Rig Vêda Samhitâ, V, 50, 1, vishwo dêvasya nêtuh, viz. Savitri). Cf. Samyutta Nikâya, III, 82, 83, yad anattâ... na mê so attâ, «Ce qui est non-Soi, ce n’est pas mon Soi" ; le Soi (âtman) est sans ego (anâtmya), cf. Taittirîya Upanishad, II, 7.)". Dans la parole : "Pour celui qui l’a atteint il n’est rien de plus cher que le Soi (NA: Samyutta Nikâya, 1, 75, n’êv’ajjhagâ piyataram attanâ kwachi... attakâmo ; Udâna 47 ; Angutara Nikâya, 12, 91 (cf., II, 21), attakâmêna mahattam abhikkhankatâ. Samyutta Nikâya, I, 71, 72, comme Bhagavad Gîtâ, VI, 5-7, montre dans quelles circonstances le Soi est cher (piyo) ou n’est pas cher (appiyo) de l’ego. Dans Angutara Nikâya, IV, 97, d’autre part, attâ hi paramo piyo, l’homme "trop épris de lui-même", est ce que l’on entend d’habitude par "égoïste".)", on reconnaît la doctrine des Upanishads selon laquelle "seul le Soi est véritablement cher (NA: Brihadâranyaka Upanishad, I, 4, 8 ; II, 4 ; IV, 5.)", le "Aime-toi Toi même (NA: Hermès, Lib., IV, 6 B.)" hermétique et la doctrine chrétienne selon laquelle "un homme, par charité, doit s’aimer lui-même plus que personne d’autre (NA: Saint Thomas d’Aquin, Sum. Theol., II-II, 26, 4 ; cf. Dhammapada, 166 (le premier devoir de l’homme est de travailler à son propre salut).)" ; lui-même, c’est-à-dire le Soi pour l’amour duquel il doit se nier soi-même. 132 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine

En fait, il n’y a pas plus d’individu que d’âme du monde (NA: Angutara Nikâya, II, 177 : "Je ne suis rien de quiconque, quelque part, et il n’y a rien de moi nulle part" ; semblablement, Majjhima Nikâya, II, 263, 264, Sutta Nipâta, 950, 951. Plotin, Ennéades, VI, 9, 10 : "Mais cet homme est maintenant devenu un autre, et il n’est plus lui-même et ne s’appartient plus". Cf. mon "Akimcannâ : Self-naughting" dans New Indian Antiquary, III, 1940, et The Cloud of Unknowing  , ch. LXVIII "Let be this everywhere and this aught, in comparison of this nowhere and this naught" (littéralement : "Sois ce partout et ce tout, en comparaison avec ce nulle part et ce rien").). Ce que nous appelons notre "conscience" n’est rien d’autre qu’un processus mental. Son contenu change de jour en jour, et il est aussi soumis au déterminisme causal que le contenu de la réalité corporelle (NA: Samyutta Nikâya, II, 13 ; III, 165, etc. En outre, annicam dukkham anattâ, Samyutta Nikâya, III, 41, etc., comme ato’ (âtmatas) nyad ârtam, Brihadâranyaka Upanishad, III, 4, 2. Comme le dit saint Augustin  , le corps et l’âme sont pareillement changeants, et ceux qui ont réalisé cela sont partis à la recherche de Ce qui est Immuable (Sermo CCXLI, 2, 2).). Notre individualité est constamment en cours de destruction et de renouvellement (NA: Samyutta Nikâya, II, 96, vinnânam... rattiyâ cha divassassa cha ânnad êva upajjati annam nirujjhati.); il n’y a dans le monde ni soi ni rien de cette nature ; et tout cela s’applique à tous les êtres, ou plutôt à tous les devenirs, soit d’hommes, soit de Dieux, maintenant et dans l’au-delà. Plutarque déclare semblablement : "Nul ne demeure une personne, ni n’est une personne... Nos sens, par suite de notre ignorance de la réalité, nous disent faussement que ce qui paraît être est effectivement (NA: Moralia, 392, D, s’appuyant sur Platon, Banquet, 207 D, E ; Phédon  , 78 C. Voir note précédente.)". Le vieux symbole brahmanique (et platonicien) du char illustre cela : le char, avec toutes ses parties, correspond à ce que nous appelons notre soi ; il n’y avait pas de char avant que ses parties ne fussent assemblées, et il n’y en aura plus lorsqu’elles s’en iront en morceaux ; il n’y a pas de char en dehors de ses parties ; le "char" n’est qu’un nom, donné par convenance à un certain objet de perception, et qui ne saurait être pris pour une entité (sattwa). Il en est de même pour nous qui sommes, comme le char, des "assemblages". Celui qui comprend a vu les choses "comme elles se sont produites" (yathâ bhûtam), issues de leur principe et y disparaissant, et il s’est distingué lui-même de toutes ces choses ; ce n’est pas lui, mais l’ignorant qui posera des questions telles que celles-ci : "Suis-je ?" "Qu’étais-je avant ?" "D’où est-ce que je viens ?", "Où vais-je (NA: Samyutta Nikâya, II, 26, 27. Le disciple éclairé ne doit pas se regarder lui-même comme transmigrant, mais seulement reconnaître l’opération incessante des causes médiates selon lesquelles les individualités contingentes paraissent et disparaissent.) ?". S’il est encore expressément permis à l’Arhat de dire "je", c’est uniquement par commodité ; il a depuis longtemps dépassé toute croyance en une personnalité qui lui serait propre (NA: Samyutta Nikâya, I, 14 ; D., 1, 202, le Bouddha parle de "lui-même" de façon conventionnelle, mais cela ne signifie pas qu’il pense dans ces termes.). Mais tout cela ne signifie pas - et il n’est dit nulle part - qu’"il n’y a pas de Soi". Au contraire, il y a tels passages où, après le dénombrement des cinq constituants de notre "existence" évanescente et irréelle, l’on trouve, non pas la formule habituelle de négation, "ceci n’est pas mon Soi", mais le commandement positif : "Réfugie-toi dans le Soi (NA: Samyutta Nikâya, III, 143. Voir note 11.)", tout comme le Bouddha dit l’avoir fait lui-même (NA: D., II, 120. Voir note 11.). 134 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine

En faisant de l’ignorance la racine de tout mal, le Bouddhisme rejoint toutes les doctrines traditionnelles (NA: Angutara Nikâya, IV, 195 : Dhammapada, 243, avijjâ param malam ; cf. Majjhima Nikâya, I, 263. Avec D., I, 70, sur l’engouement fatal qui résulte de la complaisance de la vue et des autres sens, cf. Platon, Protagoras, 356 D, "c’est la puissance de l’apparence (to phainomenon = pali : rûpa) qui nous égare" ; 357 E : "être dominé par le plaisir constitue l’ignorance à son plus haut degré" ; 358 C : "Cet abandon à soi-même est exactement l’"ignorance", et la maîtrise de soi est tout aussi sûrement la "sagesse" (sophia = pali : kusalatâ). Cf. Lois, 389. De même Hermès, Lib., X, 8, 9 : "Le vice de l’âme est l’ignorance, la connaissance est sa vertu, Lib., XIII, 7 B, où l?"ignorance" est le premier des douze tourments de la matière" (comme dans la Chaîne des Causes bouddhiste, cf. Hartmann   dans Journal of the American Oriental Society, 60, 1940, 356-360) et Lib., I, 18 : "La cause de la mort est le désir". Cf. Cicéron, Acad., II, 29 : "Nul homme ne pouvait être un sage (sapiens) s’il ignorait le commencement de la connaissance ou la fin du désir, et si, par suite, il ne savait ni d’où il devait partir, ni à quoi il devait arriver".). Mais nous devons nous garder de supposer qu’il s’agit ici de l’ignorance de choses particulières, et surtout de confondre l’ignorance traditionnelle avec le fait d’être illettré ; tout au contraire, notre connaissance empirique des faits est un élément essentiel de cette ignorance, qui rend possible le désir. D’ailleurs, une autre erreur ne doit pas moins être évitée : il faut se garder de supposer que la sagesse traditionnelle s’oppose à la connaissance utilitaire des faits positifs ; ce qu’elle demande, c’est que l’on reconnaisse dans ce qu’il est convenu d’appeler les "faits" ou les "lois scientifiques", non des vérités absolues, mais des formules statistiques de probabilité. La recherche de la connaissance scientifique n’implique pas nécessairement l’ignorance ; c’est seulement lorsque son motif est la curiosité, lorsque la science est poursuivie pour elle-même, ou l’art pour lui-même, que l’on se conduit comme un ignorant. En termes brahmaniques, c’est l’ignorance de Celui que nous sommes ; en langage bouddhique, c’est l’ignorance de ce que nous ne sommes pas. Il y a là simplement deux façons de dire la même chose, ce que nous sommes véritablement ne pouvant se définir que par ce que nous ne sommes pas. 140 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine

Nous disons "une sorte de mort", car le mot nirvâna peut se dire de choses encore vivantes. Le Bodhisattwa est "éteint" quand il devient Bouddha. On trouve un fait des plus significatifs à ce sujet : chaque degré atteint dans le dressage d’un coursier royal est appelé un Parinirvâna (NA: Majjhima Nikâya, I, 446.). Le Bouddha se sert principalement de ce mot en connexion avec l’idée d’"extinction" des feux de la passion, de la faute et de l’illusion (râga, dosha et moha). Mais il y a ici une distinction à faire : l’extinction est une expérience actuelle (samdrishtikam) selon deux modes, l’un éthique dans la mesure où elle implique l’extirpation de la passion ou de la faute, l’autre éternel ou métaphysique, en ce qu’elle est un affranchissement de l’illusion ou ignorance (avidyâ) ; de ces deux points de vue elle comporte le non-soi, mais d’un côté en pratique, et de l’autre en théorie (NA: Angutara Nikâya, I, 156. Si dans la suite râgo, doso et moho, on remplace moho (illusion) par son équivalent avijjâ, ignorance (par ex. Itivuttaka, 57), l’on voit encore mieux que l’absence de râgo et de doso est une vertu morale, et l’absence de moho = avijjâ une vertu intellectuelle. D’une façon à peu près semblable Itivuttaka, 38, 39, distingue entre les deux Nibbânas : le Nibbâna présent, avec quelque résidu de ce qui a causé l’existence (conditionnée), et le Nibbâna ultime, sans aucun résidu. Cela marque aussi la distinction entre Nibbâna et Parinibbâna, pour autant qu’elle peut réellement être faite.). Ainsi, tandis que la métaphore est celle du grec aposbennymi (être calmé, éteint, apaisé, s’entendant du vent, du feu et de la passion), la signification est celle du grec teleo et telentao (être parfait, mourir). Tous ces sens sont contenus dans le mot "achever" (anglais : finish) ; un produit achevé n’est plus en cours de fabrication, il n’est plus devenant ce qu’il doit être ; de même, l’être achevé, l’homme parfait, en a terminé avec tout devenir ; la dissolution finale de son corps ne saurait l’affecter, quelle que soit la mesure dans laquelle elle peut affecter les autres, eux-mêmes imparfaits, inachevés. Le Nirvâna est un terme final, et, comme Brahma même, quelque chose sur quoi ceux qui sont encore "en feu" ne peuvent pas interroger davantage (NA: Majjhima Nikâya, I, 304 ; Samyutta Nikâya, III, 188. Cf. Brihadâranyaka Upanishad, III, 6 (Brahma). Cf. Jacques, III, 6.). 143 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine

Il faut aussi se rendre compte clairement que c’est ici qu’il convient de poser la question : "Qui est l’Éveillé (NA: C’est là, à strictement parler, un faux problème ; un Bouddha n’est plus qui que ce soit.)" ? Car la réponse à cette question nous dira tout ce qui peut être dit de ceux qui ont suivi ses traces jusqu’à la fin, et qui peuvent être appelés "ceux qui mettent fin au monde". Qui est le Grand Personnage, le Parent du Soleil, l’?il dans le Monde (NA: Cf. Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), II, 9, 3 ; II, 3, 8, 1, 2 ; II, 5, 8, 2 ; L’expression répétée "?il du Monde" revient à identifier le Bouddha avec Agni et le Soleil.), le descendant d’Angirasa, le Dieu des Dieux, qui déclare qu’il n’est ni un Dieu, ni un Génie, ni un homme, mais un Bouddha, un être en qui toutes les conditions qui déterminent les modes particuliers d’existence ont été détruites (NA: Angutara Nikâya, II, 37.) ? Qui sont ces Arhats qui, comme les Immortels védiques, ont gagné d’être ce qu’ils sont par leur "dignité" ? 147 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine

Le fait que les parfaits possèdent les pouvoirs de motion et de manifestation à volonté est familier à l’enseignement chrétien, où il est dit qu’"ils entreront et sortiront et trouveront des pâturages (NA: Jean, X, 9, 14 ; Purgatorio, XXVII, 131. Cf. ShA., VII, 22 ; Taitt. Up., III, 10, 5.)" ; et de tels pouvoirs appartiennent naturellement à ceux qui, "unis au Seigneur, sont un seul esprit (NA: I Cor., 6, 17.)". La même chose est dite à maintes reprises dans les Écritures brahmaniques, et souvent dans des termes presque semblables. Dans un texte qui revient fréquemment, le Bouddha décrit les quatre degrés de contemplation (dhyâna) comme des chemins de puissance (iddhipâda) qui sont les équivalents du "Sentier Aryen", et qui sont des moyens d’atteindre l’Omniscience, l’Éveil Total et le Nirvâna (NA: Samyutta Nikâya, II, 212 f. ; V. 254 f., Angutara Nikâya, I, 170 ; I, 254 f. 149 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine

Iddhi (Scr. riddhi, de riddh, prospérer emporwachsen) est la vertu, la force (au sens de Marc, V, 30, dunamiV), l’art (par ex. l’adresse du chasseur, Majjhima Nikâya, 1, 152), le talent ou le don. Les iddhis de Iddhi-pâda, "Pas de Puissance", sont supranormales et non anormales. Nous ne pouvons résoudre ici en détail l’apparente difficulté présentée par le fait que les iddhis sont aussi attribuées à l’Adversaire du Bouddha (Mâra, Namuchi, Ahi-Nâga), et nous indiquerons seulement que la Mort est aussi un être spirituel (dans le sens même où Satan reste un "ange"), et que les "pouvoirs" ne sont pas moraux en eux-mêmes, mais représentent bien plutôt des vertus intellectuelles. Les pouvoirs du Bouddha sont plus grands que ceux de l’Adversaire parce que son rang est plus haut ; il connaît le Brahmaloka aussi bien que les mondes jusqu’au Brahmaloka (i. e. sous le Soleil), tandis que le pouvoir de la "Mort" s’étend seulement jusqu’au Brahmaloka, et non au-delà du Soleil.). Quand le disciple s’est rendu maître de toutes ces stations de contemplation au point de pouvoir passer à volonté de l’une à l’autre et de commander de la même manière à cette paix ou synthèse (samâdhi) vers laquelle elles mènent, alors dans cet état d’unification (êko’ vadhibhâva), l’Arhat délivré est rendu aussitôt omniscient et omnipotent ; le Bouddha, décrivant sa propre conquête, peut évoquer ses "précédentes habitations" (pûrva-nivâsa), ou, comme nous serions enclins à dire, ses "naissances passées", dans leur détail. Décrivant ses pouvoirs, il dit : "Frères, je peux manifester (pratyanubhû) des pouvoirs sans nombre ; étant plusieurs je deviens un, comme, de plusieurs que j’étais, je suis devenu un ; visible ou invisible, je peux passer à travers un mur ou une montagne comme s’ils étaient l’air ; je peux plonger dans la terre ou en émerger comme si c’était l’eau ; je peux marcher sur les eaux comme si elles étaient une terre solide (NA: Consulter sur l’histoire primitive de ce pouvoir, W. N. Brown, Walking on the Water, Chicago, 1928. C’est avant tout le pouvoir de l’Esprit (Genèse, 1, 2). C’est typiquement du Vent (Vâyu) invisible de l’Esprit que la motion à volonté est proclamée (Rig Vêda Samhitâ, X, 168, 4, âtmâ dêvânâm yathâ vasham charati... na rûpam tasmai). Dans Atharva Vêda Samhitâ, X, 7, 38, le Yaksha primordial (Brahma) "arpente" le faîte de la mer ; ainsi fait, par conséquent, le brahmachârî, ibid, XI, 5, 26, car "de même que Brahma peut changer de forme et se mouvoir à son gré, de même, parmi tous les êtres, Celui qui comprend peut changer de forme et se mouvoir à son gré" (ShA., VII, 22) ; "Le Seul Dieu (Indra) se tient à son gré sur le courant des eaux" (Atharva Vêda Samhitâ, III, 3, 4 ; Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), V, 6, 1, 3). "Le mouvement spontané désigne l’essence même de l’Ame" (Phèdre, 241 Cf.). Il y a là, comme dans toutes les autres formes de lévitation, une question de légèreté et de luminosité (selon les deux acceptions du terme anglais light-ness). Ainsi, dans Samyutta Nikâya, I, 1, le Bouddha dit : "Je ne traversais les flots que lorsque je ne me soutenais pas moi-même et ne faisais aucun effort" (appatittham anâyûham ogham atari) ; c’est-à-dire lorsque j’étais sans poids à la surface de l’eau. Cf. saint Augustin, Conf., XIII, 4, superferebatur super aquas, non ferebatur ab eis, tanquam in eis requiesceret. Milinda Panho, 84, 85, décrit le pouvoir de voyager dans l’air, "même jusqu’au ciel de Brahma", comme celui de quelqu’un qui sauterait (langhayati) en décidant (chittam uppâdêti) : "C’est là que j’atteindrai", et c’est par celte intention que "son corps devient léger" (kâyo mê lahuko hoti) ;c’est, d’une semblable manière, "par le pouvoir de la pensée" (chitta-vasêna) que l’on se meut dans l’air. La légèreté (laghutwa) se développe par la contemplation (Shwêt. Up., II, 13) ; tous les pouvoirs (iddhi) sont des résultats de la contemplation (jn  âna, cf. note 78) et en dépendent, de sorte que l’on peut demander : "Quel est celui qui ne coule pas au fond du golfe, bien qu’il n’ait ni support ni soutien ?", et, répondre : "Celui qui a la prescience, qui est pleinement intégré (susamâhito), celui-là peut traverser les flots dont le passage est si difficile" (ogham tarati dultaram, Samyutta Nikâya, I, 53, où l’application est d’ordre éthique). Le notion de légèreté est impliquée dans le symbolisme universel des "oiseaux" et des "ailes" (Rig Vêda Samhitâ, VI, 9, 5 ; Panchavimsha Brâhmana, V, 3, 5 ; XIV, 1, 13, XXV, 3, 4, etc.). Réciproquement, pour atteindre le monde informel, on doit avoir rejeté "la charge pesante du corps" (rûpagaru-bhâram, Sdhp., 494), cf. Phèdre, 246 B, 248 D, où c’est "le poids de l’oubli et du mal" qui arrête "le vol de l’âme" ; Saint. Augustin, Conf., XIII, 7, quomodo dicam de pondere cupiditatis in abruptam abyssum et de sublevatione caritatis per spriritum tuum qui superferebatur super aquas ; Dante, Paradiso, XXVII, 64, mortal pondo, et X, 74, chi non s’impenna si che lassu voli. Autrement dit, le pouvoir de lévitation est exercé "par le moyen d’un enveloppement du corps dans le manteau de la contemplation" (jhâna-vêthanêna sarîram, vêthêtwâ, J., V, 126), où ce pouvoir est en même temps un pouvoir d’invisibilité.); je peux me mouvoir dans l’air comme un oiseau ; je peux toucher de mes mains le soleil et la lune : j’ai sur mon corps un pouvoir qui s’étend jusqu’au monde de Brahma (NA: Samyutta Nikâya, V, 25 f., Angutara Nikâya, I, 254, Samyutta Nikâya, Il, 212, NI., 1, 34 et passim : explications, Vis. 393 f.)". Les mêmes pouvoirs sont exercés par les autres adeptes selon leur degré de perfection dans ces mêmes disciplines et selon la mesure où ils sont maîtres du samâdhi. C’est seulement quand la contemplation (dhyâna) vient à faire défaut que le pouvoir de la libre motion se perd (NA: L’échec prosient du manque de "foi", ou de toute distraction dans la contemplation, selon J., 125-127.). C’est une vieille formule brahmanique (NA: Rig Vêda Samhitâ, IX, 86, 44 ; Jaiminîya Brâhmana, II, 34 : Shatapatha Brâhmana, IV, 3, 4, 5 ; Aitarêya Brâhmana, II, 39-41 ; VI, 27-31 ; Katha Upanishad, VI, 17, etc.) qu’emploie le Bouddha quand il dit qu’il a appris à ses disciples à extraire de ce corps matériel un autre corps, de substance intellectuelle, comme on tire une flèche de son carquois, une épée de son fourreau, un serpent de sa dépouille ; c’est à l’aide de ce corps intellectuel que l’on goûte l’omniscience et que l’on se meut à son gré jusqu’au Brahmaloka (NA: Comme Shankara l’explique en connection avec Prash. Up., IV, 5, c’est le mano-maya âtman qui goûte l’omniscience et il peut être où et tel qu’il veut. Ce "soi ou corps intellectuel" (ânno attâ dibbo rûpî manomayo, D., I, 34, cf. I, 77 ; Majjhima Nikâya, II, 17), le Bouddha a enseigné à ses disciples comment l’extraire du corps physique, et c’est manifestement dans cet autre corps, dans ce "corps intellectuel et divin", et non dans sa détermination humaine, non à quelque moment ou dans quelque condition, "soit de mouvement ou de repos, soit de sommeil ou de veille" (charato chu mê litthato cha suttassa cha jagarassa cha), mais "quand il lui plaît" (yâvadê akankhâmi, comme dans le texte relatif aux iddhis) que le Bouddha lui-même peut se rappeler (anussarâmi) ses précédentes naissances, qu’il peut, sans limites, avec "l’?il divin, transcendant à la vision humaine", considérer les naissances et les morts des autres êtres dans ce monde-ci et dans les autres, dans lesquels et au-delà desquels il a vérifié dès ici et dès maintenant la double délivrance (Majjhima Nikâya, I, 482). L’expression "de sommeil ou de veille" prêterait en elle-même à une longue exégèse. On notera que l’ordre des mots relie le mouvement au sommeil et l’immobilité à la veille. Cela signifie que, comme dans tant de textes des Upanishads, le sommeil dont il s’agit, sommeil dans lequel on "rentre en soi-même" (swapiti = svam apîta, Chândogya Upanishad, VI, 8, 1, Shatapatha Brâhmana, X, 5, 2, 14), n’est pas le sommeil d’épuisement, mais le "sommeil de contemplation" (dhyâna) ; c’est précisément dans cet état de sommeil, où les sens sont résorbés, que se situe la possibilité de se mouvoir à son gré (supto... prânân grihîtwâ swê sharîrê yathâ-kâmam parivartatê, Brihadâranyaka Upanishad, II, 1, 17) ; c’est dans ce sommeil de contemplation que, "terrassant ce qui est physique, l’Oiseau-Soleil, l’Immortel, va où il veut" (dhyâyatîva... svapno bhütwâ... sharîram abhiprahatya... îyatê’mrito yatra kâmam, Brihadâranyaka Upanishad, IV, 3, 7, 11, 12).). 150 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine

Avant de nous demander ce que tout cela signifie, remarquons que surnaturel ne veut pas plus dire non-naturel que suressentiel ne veut dire non-essentiel, et qu’il ne serait pas "scientifique" de dire que de telles conquêtes sont impossibles, à moins d’en avoir fait l’expérience en appliquant les disciplines prescrites et parfaitement intelligibles. Dire de ces choses qu’elles sont miraculeuses n’est pas dire qu’elles sont impossibles, mais seulement qu’elles sont merveilleuses, et, comme nous l’avons dit auparavant, suivant Platon, "la sagesse commence par l’émerveillement". En outre, il doit être clairement entendu que le Bouddha, comme les autres maîtres orthodoxes, n’attache pas grande importance à ces pouvoirs, et s’oppose avec la plus grande force à ce qu’ils soient cultivés pour eux-mêmes ; et, de toute façon, il interdit aux moines qui les possèdent d’en faire l’exhibition publique. "En vérité, dit-il, je possède les trois pouvoirs (riddhi) de la libre motion, de la lecture de pensée et de l’enseignement ; mais il ne peut y avoir de comparaison entre les deux premières de ces merveilles (pratihârya) et la merveille autrement difficile d’accès et autrement féconde de mon enseignement (NA: Angutara Nikâya, I, 171, 172 : des trois pouvoirs, le rappel des naissances, la lecture des pensées et l’enseignement (adêsa-pâtihâriyam), le dernier est le plus important et le plus fécond (abhikkankataram cha panitataram cha).)". Il nous est beaucoup plus profitable de nous demander ce que ces prodiges, ou ceux du Christ, impliquent, que de nous demander s’ils se sont "réellement" produits en telle ou telle occasion ; tout comme, dans l’exégèse des contes, il est beaucoup plus utile de se demander ce que signifient les "bottes de sept lieues" et les "tricornes magiques" que de faire remarquer qu’ils ne sont pas en vente dans les magasins. 151 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine

Toutefois, le texte ne dit positivement rien pour ou contre l’imperceptible présence, dans le véhicule composite, d’une substance éternelle distincte de lui et identique dans tous les véhicules. Nâgasêna, qui refuse d’être regardé comme "quelqu’un" et qui maintient que "Nâgasêna" n’est qu’un nom donné à l’agrégat changeant du phénomène psycho-physique, eût certainement pu dire : "Je vis, toutefois non pas "moi", mais la Loi en moi". Et si nous prenons en considération d’autres textes palis, nous voyons qu’ils tiennent pour admise la réalité du maître de char et de ce qu’il représente, à savoir celui qui "n’est jamais devenu qui que ce soit". C’est la Loi Éternelle (dharma) qui est, en fait, le maître de char (NA: Samyutta Nikâya, I, 33, dhammâham sârathim brûmi ; cf. Jataka., n° 457, dhammo na jaram upêti ; Sutta Nipâta, 1139, dhammam... sanditthikam akâlikam.); et, tandis que "les chars du roi vieillissent, et que le corps de même vieillit, la Loi Éternelle des existences ne vieillit pas (NA: D., II, 120, katam mê saranam attano.)". Le Bouddha s’identifie Soi-même - ce Soi qu’il appelle son refuge (NA: D., II, 101 attâ-dîpâ viharatha atta-saranâ... dhamma-dîpâ dhammasaranâ. D., II, 120 et S. III, 143, kareyya saranattano.) - avec cette Loi (NA: Samyutta Nikâya, 111, 120, Yo kho dhammam passati so mam passati, yo mana passati so dhammam passati. Semblablement D., III, 84, Bhagavato’mhi... dhammajo... Dhammakâyo iti pi brahmakâyo iti pi, dhammabhûto iti pi ; Samyutta Nikâya, II, 221, Bhagavato’mhi putto... dhammajo ; Samyutta Nikâya, IV, 94, dhammabhûto brahmabhûto... dhammasâmi tathâgato : Angutara Nikâya, II, 211, brahmabhûtêna attanâ ; Samyutta Nikâya, III, 83, brahmabhûtâ... buddhâ. Il ne peut y avoir aucun doute au sujet des équations : dhamma = brahma = buddha = attâ : comme dans Brihadâranyaka Upanishad, II, 5, 11, ayam dharmah... ayam âtmâ idam amritam idam brahma idam sarvam. Dans Dhammapada, 169, 364 (II, 25, 2) dhamma est manifestement l’équivalent de brahma, âtman. Un Bouddha est. ce que tous ces termes ou chacun d’eux désignent, et, de ce lait même, il n’est "aucun ce" (akimeano, Mi., 421, Sutta Nipâta, 1063), et il est "sans analogie" (yassa n’atthi upamâ ksvachi, Sutta Nipâta, 1139). "Ce que le Bouddha prêchait, le Dhamma kat? exochen, était l’ordre de la loi de l’univers, immanente, éternelle, incréée, non pas seulement comme interprétée par lui, et encore moins comme inventée, ou décrétée par lui" (PTaittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), Pali Dict., art. Dhamma).), et se nomme lui-même "le meilleur des maîtres de char (NA: Sutta Nipâta, 83. buddham dhammasâminam vîtatanham dîpaduttamam sârathinam pavaram. Dhammasâmi = Rig Vêda Samhitâ, X .129, 3, satyadharmêndra, Rig Vêda Samhitâ, X, 129, 3, 8, 9. "Le Roi unique du monde, Dieu des Dieux, Satyadharma" cf., I, 12, 7 ; X, 34, 8 ; et le dharmas-têjomayo’ mritah purushah... âtmâ... brahma de Brihadâranyaka Upanishad, II, 5, 11. Le Dhamma bouddhique (nomos, logos, ratio) est le Dharma éternel de Bu.. I, 5, 23 ("de Lui, Vâyu, Prâna, les Dieux ont fait leur Loi") ; Brihadâranyaka Upanishad, I, 4, 14 : "Il n’y a rien au-delà de cette Loi, de cette Vérité ; Brihadâranyaka Upanishad, V, 4, 1, satyam hyêva brahma ; La Vérité est une, en vérité, il n’y en a pas d’autre".), celui qui dompte les hommes comme s’ils étaient des chevaux (NA: Vinaya Pitaka, I, 35, etc.). Pour finir, nous trouvons une analyse détaillée du "char", dont la conclusion est que le passager est le Soi (âtman), exposée dans des termes presque identiques, à ceux des Upanishads (NA: J., VI, 252, kâyo tê ratha... attâ vâ sârathi, comme Katha Upanishad, III, 3, âtmânam rathinam viddhi, sharîram ratham. Voir Platon, Lois, 898 C.). Dès lors, l’énoncé d’un commentateur bouddhiste, à savoir que le Bouddha est le Soi spirituel, est assurément correct (NA: Udâna, 67, Commentaire.). Ce "Grand Personnage" (mahâ-purusha) est le maître de char dans tous les êtres. 155 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine