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Blondel (52-54) – action et agir

quarta-feira 7 de junho de 2023, por Cardoso de Castro

  

Ecarter les emplois abusifs des mots ou les alliances hybrides des notions, ce n’est point appauvrir le langage ni ruiner ou stériliser la pensée, c’est les fortifier et c’est en accroître la fécondité. Ici donc, comme dans toutes nos recherches précédentes, nos critiques vont, non point à la destruction, mais à l’édification. Rien de plus périlleux que les précipitations, les extrapolations, les canonisations abusives qui préparent d’inévitables déceptions au détriment des certitudes nécessaires et salutaires. Déjà, en ce qui touche particulièrement le sens multiforme des termes action et agir, nous venons d’entrevoir combien les risques de confusion, de téméraires approximations, de satisfactions au rabais assaillent de toutes parts l’explorateur [52] de ce qui, à maints égards, reste une terra incognita, puisque c’est toujours d’une initiative, d’un jaillissement, d’un imprévisible avenir que le nom même de l’agir doit nous donner la vive impression. Se retourner vers le passé, le tout fait, le déjà vu, les faits en série, les lois statistiques, les codifications abstraites, les données empiriques, les spéculations a priori comme a posteriori, c’est, semble-t-il, méconnaître l’objet qu’on déclare vouloir étudier, en prenant un cadavre ou une préparation anatomique pour l’authentique vitalité de l’action.

Ainsi, par ce qu’il suggère de virtualités indéfinies et par ce qu’il recèle d’obscur contenu, ce mot agir se prête à des emplois fluents et peut-être même souvent fallacieux sous le manteau bigarré des métaphores. Il convient donc d’y regarder de près. A quoi ou à qui ne l’applique-t-on pas ? à l’incessante agitation des personnes, quoiqu’il soit incorrect d’assimiler « les actes réflexes », les automatismes et les gestes de l’habitude aux actions dites réfléchies et même libres ? aux actions instinctives de l’animal — qu’on préfère aujourd’hui il est vrai et non sans raison appeler tropismes et comportements ? à l’action soit des forces physiques, soit des influences psychiques ? à celle des « agents naturels » ? à celle des idées et des abstractions (car il y a une mythologie des entités dont l’influence ne laisse pas d’être immense) ? à l’action créatrice ou providentielle ? au souverain Agir de Dieu dans sa transcendante immutabilité ?

Par cette rapide énumération, bien incomplète, on voit déjà l’embarrassante ampleur du domaine à explorer ; car il faudrait encore étendre l’investigation au champ des sciences comme à celui de la nature et de la métaphysique. Que signifie en effet le mot d’idée-force ou la formule de Bossuet « nous n’égalons pas la moindre de nos idées » ou l’incessante novation de toutes les disciplines physiques et même mathématiques, si ce n’est que tout, [53] sans cesse, pousse sa pointe en avant, qu’il faut bannir de partout la torpeur et l’inertie et qu’au début, au milieu, au sommet même, l’agir est le nom secret de toute vérité, de toute réalité ? C’est donc là, dans cette apparente banalité d’un mot s’appliquant à tout, que réside l’extrême difficulté de découvrir une détermination exacte et, si l’on peut dire, une justice distributive vraiment capable d’attribuer à chaque être l’agir spécifique ou, selon le mot d’Aristote  , l’acte propre qui le caractérise et le constitue.

Pourtant distinguer ne suffit pas, ne serait même pas possible exactement si l’on ne savait en même temps unir en quelque façon. Ni équivocité, ni univocité, c’est entre ces deux excès qu’il nous faudra trouver le chemin d’une solution spécificatrice des différents genres ou degrés de l’agir. Mais, dans cette variété polymorphe d’actions, comment découvrir le fil conducteur qui, loin de confondre ou d’assujettir, relie toutes les phases du dynamisme universel, sans que soient compromises ou bien la transcendance de l’Etre ou bien l’immanente activité des êtres que leur solidarité n’empêche pas d’avoir une causalité propre ? Où trouver, en une acception forte et précise, ce qui, sous tant de conditions hétérogènes, mérite littéralement le nom d’action ? [54]


Ver online : Maurice Blondel