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Berdyaeff: LA DIALECTIQUE DU DIVIN ET DE L’HUMAIN D’APRÈS LA PENSÉE ALLEMANDE.

domingo 6 de abril de 2008, por Cardoso de Castro

Le trinitarisme de la Divinité n’est pas seulement une formule dogmatique ou une vérité de la théologie scolastique : il a un profond sens existentiel. Trois est un nombre sacré, parce qu’il signifie l’achèvement, le dépassement du dualisme, du dédoublement. Toute l’originalité du christianisme consiste en ce qu’il n’est pas un monisme pur. C’est justement ce qui a provoqué l’hostilité du judaïsme et sa résistance au christianisme. La tendance purement moniste dans le christianisme est l’Islam ou le retour au judaïsme. La Trinité de Dieu signifie qu’il possède une vie spirituelle intérieure, et qui est répandue dans le monde entier. La révélation d’un Dieu trinitaire est en opposition avec la conception de Dieu comme d’un acte pur, comme d’un Etre abstrait, dépourvu de toute existence concrète. Il y a l’Un et il y a l’Autre, et il y a la solution de cette dualité par un Troisième, dans la Sainte Trinité. On disait de Hegel qu’il a remplacé la Trinité par une triade purement philosophique qui n’avait plus aucune signification religieuse. Il serait plus exact de dire que Hegel a emprunté sa triade à l’expérience chrétienne et lui a donné une expression philosophique. La philosophie dépend de la religion. L’Humain pré-éternel est l’Autre Divin, la deuxième hypostase de la Divinité. La communauté humaine et cosmique dans la liberté et l’amour est l’œuvre résolutive de la Trinité Divine et représente le troisième aspect du Divin. Ce qu’on appelle exotériquement création du monde n’est pas autre chose que la manifestation de la vie intérieure de la Divinité. Et cela ne se laisse réduire ni à l’identité, ni au monisme, ni au panthéisme. On se trouve là en présence d’une antinomie qui échappe à toute résolution rationnelle. Il y a deux natures, la divine et l’humaine, aucune identité n’existe entre elles. Et, cependant, malgré cette absence d’identité, les deux natures se trouvent réunies dans la Trinité Divine. Dans l’éternité, il y a l’Autre de Dieu. Il y a le mystère de l’union de Dieu-Humanité et de Dieu-Trinité, le mystère de deux (l’Homme-Dieu) et le mystère de trois (Trinité Divine). Le mystère de la Trinité Divine est incompatible avec la conception de Dieu comme d’un Maître et d’un Souverain, comme d’un Monarque autocrate. Dieu n’est pas seulement unité, mais aussi idéale pluralité. Toutes les déviations hérétiques des premiers siècles qui ont cherché à donner une expression abstraite des mystères divins renfermaient une part de vérité. C’est surtout le savélianisme, condamné par la conscience ecclésiastique, qui renferme la vérité, bien qu’incomplète. Le trinitarisme correspond aux modes de révélation de la Divinité Unique et à ceux des époques de révélations en général. Mais pour la conscience rationnelle, habituée à penser à l’aide de notions, tout cela se tient sur une pointe, et le vrai devient facilement une erreur, tandis que l’erreur peut laisser transparaître le vrai. La différence posée par Eckhardt et la mystique allemande entre Gottheit (Divinité) et Gott (Dieu) et qui vient de la théologie apophatique, était d’une grande importance. Il y a un mystère divin et inexprimable au delà du Créateur et de la Création, et il y a le Mystère de la Trinité, orienté vers le monde. Le Dieu qui se révèle à l’homme et au monde n’est pas l’Absolu, car l’Absolu ne se rapporte à rien, il est le mystère inexprimable. La Divinité (Gottheit) est le mystère inexprimable dans lequel, nous en avons la foi, tout se résoudra. Mais Dieu est un mystère qui s’est déjà révélé. Ce n’est pas de différents dieux que nous parlons, mais d’un seul et même Dieu qui tantôt se voile, tantôt se découvre à des degrés variés. Et la différence tient non à l’objet, mais au sujet. On assiste, dans l’histoire de la conscience religieuse et des sociétés humaines, à une objectivation de Dieu. La théologie cataphatique ne connaît que le Dieu objectivé. Mais la théologie apophatique ou mystique dépasse cette objectivation de Dieu, débarrasse la conception de Dieu de toute déformation anthropomorphique et conçoit les rapports entre l’homme et Dieu sans les rattacher aux catégories de l’Etat, du pouvoir, du jugement et du châtiment. L’idée de Feuerbach, d’après laquelle l’homme " attribue à Dieu sa propre nature supérieure, ne doit pas servir d’argument en faveur de la négation de Dieu. Bien au contraire : cela signifie seulement qu’il y a une commensurabilité entre Dieu et l’homme, non l’homme naturel et social, mais l’homme en tant que libre esprit. C’est dans les profondeurs mêmes de l’existence que se déroule la dialectique de la Trinité Divine, de même que celle du Divin et de l’humain.