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Bréhier-Plotin: divin
quinta-feira 1º de fevereiro de 2024, por
Mais puisque Platon indique que la ressemblance avec Dieu est d’une autre espèce, en tant qu’elle appartient aux vertus supérieures, il nous faut parler de cette autre ressemblance ; ainsi nous verrons plus clairement quelle est l’essence de la vertu civile et celle de la vertu supérieure et, d’une manière générale, nous verrons qu’il existe une vertu différente de la vertu civile. Platon dit d’abord que la ressemblance avec Dieu consiste à fuir d’ici-bas ; ensuite il appelle les vertus dont il parle dans la République non pas simplement vertus, mais vertus civiles ; enfin ailleurs il appelle toutes les vertus des purifications ; tout cela fait voir qu’il admet deux genres de vertus et qu’il ne met pas dans la vertu politique la ressemblance avec Dieu. En quel sens disons-nous donc que les vertus sont des purifications et que par la purification, surtout, nous devenons semblables à Dieu ? N’est-ce pas parce que l’âme est mauvaise tant qu’elle est mêlée au corps, qu’elle est en sympathie avec lui et qu’elle juge d’accord avec lui, tandis qu’elle est bonne et possède la vertu si cet accord n’a plus lieu, et si elle agit toute seule (action qui est la pensée et la prudence), si elle n’est plus en sympathie avec lui (et c’est là la tempérance), si, le corps une fois quitté, elle ne ressent plus la crainte (c’est le courage), si la raison et l’intelligence dominent sans résistance (c’est la justice). L’âme, ainsi disposée, pense l’intelligible et elle est ainsi sans passion. Cette disposition peut être appelée, en toute vérité, la ressemblance avec Dieu car l’être divin est pur de tout corps et son acte également ; l’être qui l’imite possède donc la prudence. - Mais, dira-t-on, de telles dispositions existent-elles dans l’être divin ? - Non certes, il n’a pas de dispositions du tout ; on ne trouve de dispositions que dans l’âme. - De plus, l’âme a des pensées changeantes ; elle pense un même être intelligible sous des aspects différents et sans penser du tout aux autres. La pensée de Dieu et celle de l’âme n’ont donc que le nom de commun ? - Du tout ; mais l’une est primitive et l’autre dérivée et différente. Comme le langage parlé est une image du langage intérieur à l’âme, celui-ci est une image du Verbe intérieur à un autre être. Comme le langage parlé, comparé au langage intérieur de l’âme, se fragmente en mots, le langage de l’âme, qui traduit le Verbe divin, est fragmentaire si on le compare au Verbe. Oui, la vertu appartient à l’âme et non pas à l’Intelligence, ni au principe supérieur à l’Intelligence. ENNÉADES - Bréhier: I, 2 [19] - Des vertus 3
Car suivant un vieux discours, la tempérance, le courage, toute vertu et la prudence elle-même sont des purifications. C’est pourquoi les mystères disent à mots couverts que l’être non purifié, même dans l’Hadès, sera placé dans un bourbier, parce que l’être impur aime les bourbiers, à cause de ses vices, comme s’y complaisent les porcs, dont le corps est impur. En quoi consisterait donc la véritable tempérance sinon à ne pas s’unir aux plaisirs du corps, mais à les fuir parce qu’ils sont impurs et ne sont pas ceux d’un être pur ? Le courage consiste à ne pas redouter la mort. Or la mort est la séparation de l’âme et du corps. Il ne redoutera pas cette séparation, celui qui aime à être isolé du corps. La grandeur d’âme est le mépris des choses d’ici-bas. La prudence et la pensée qui se détourne des choses d’en bas et conduit l’âme vers le haut. L’âme, une fois purifiée, devient donc une forme, une raison ; elle devient toute incorporelle, intellectuelle ; elle appartient tout entière au divin, où est la source de la Beauté, et d’où viennent toutes les choses du même genre. Donc l’âme réduite à l’intelligence est d’autant plus belle. Mais l’intelligence et ce qui en vient, c’est, pour l’âme, une beauté propre et non pas étrangère, parce que l’âme est alors réellement isolée. C’est pourquoi l’on dit avec raison que le bien et la beauté de l’âme consistent à se rendre semblable à Dieu, parce que de Dieu viennent le Beau et toute ce qui constitue le domaine de la réalité. Mais la beauté est une réalité vraie, et la laideur une nature différente de cette réalité. C’est la même chose qui, primitivement, est bonne et belle, ou qui est le bien et la beauté. Il faut donc rechercher, par des moyens analogues, le beau et le bien, le laid et le mal. Il faut poser d’abord que la beauté est aussi le bien ; de ce bien, l’intelligence tire immédiatement sa beauté ; et l’âme est belle par l’intelligence : les autres beautés, celles des actions et des occupations, viennent de ce que l’âme y imprime sa forme ; l’âme fait aussi tout ce qu’on appelle les corps ; et, étant un être divin et comme une part de la beauté, elle rend belles toutes les choses qu’elle touche et qu’elle domine, pour autant qu’il leur est possible de participer à la beauté. ENNÉADES - Bréhier: I, 6 [1] - Du Beau 6
Que voit donc cet œil intérieur ? Dès son réveil, il ne peut bien voir les objets brillants. Il faut accoutumer l’âme elle-même à voir d’abord les belles occupations , puis les belles œuvres, non pas celles que les arts exécutent, mais celles des hommes de bien. Puis il faut voir l’âme de ceux qui accomplissent de belles œuvres. Comment peut-on voir cette beauté de l’âme bonne ? Reviens en toi-même et regarde : si tu ne vois pas encore la beauté en toi, fais comme le sculpteur d’une statue qui doit devenir belle ; il enlève une partie, il gratte, il polit, il essuie jusqu’à ce qu’il dégage de belles lignes dans le marbre ; comme lui, enlève le superflu, redresse ce qui est oblique, nettoie ce qui est sombre pour le rendre brillant, et ne cesse pas de sculpter ta propre statue, jusqu’à ce que l’éclat divin de la vertu se manifeste, jusqu’à ce que tu voies la tempérance siégeant sur un trône sacré. Es-tu devenu cela ? Est-ce que tu vois cela ? Est-ce que tu as avec toi-même un commerce pur, sans aucun obstacle à ton unification, sans que rien d’autre soit mélangé intérieurement avec toi-même ? Es-tu tout entier une lumière véritable, non pas une lumière de dimension ou de forme mesurables qui peut diminuer ou augmenter indéfiniment de grandeur, mais une lumière absolument sans mesure, parce qu’elle est supérieure à toute mesure et à toute quantité ? Te vois-tu dans cet état ? Tu es alors devenu une vision ; aie confiance en toi ; même en restant ici, tu as monté ; et tu n’as plus besoin de guide ; fixe ton regard et vois. Car c’est le seul œil qui voit la grande beauté. Mais s’il vient à contempler avec les chassies du vice sans être nettoyé, ou s’il est faible, il a trop peu d’énergie pour voir les objets très brillants, et il ne voit rien, même si on le met en présence d’un objet qui peut être vu. Car il faut que l’œil se rendre pareil et semblable à l’objet vu pour s’appliquer à le contempler. Jamais un œil ne verrait le soleil sans être devenu semblable au soleil, ni une âme ne verrait le beau sans être belle. Que tout être devienne donc d’abord divin et beau, s’il veut contempler Dieu et le Beau. En remontant, il ira d’abord jusqu’à l’Intelligence, et il saura que, en elle, toutes les idées sont belles ; et il prononcera que c’est là la beauté [à savoir les idées. Par celles-ci, qui sont les produits et l’être même de l’intelligence, existent toutes les beautés]. Ce qui est au-delà de la beauté, nous l’appelons la nature du Bien ; et le Beau est placé au devant d’elle. Ainsi, dans une formule d’ensemble, on dira que le premier principe est le Beau ; mais, si l’on veut diviser les intelligibles, il faudra distinguer le Beau, qui est le lieu des idées, du Bien qui et au-delà du Beau et qui en est la source et le principe. Sinon, on commencerait par faire du Bien et du Beau un seul et même principe. En tout cas, le Beau est dans l’intelligible. ENNÉADES - Bréhier: I, 6 [1] - Du Beau 9
L’amour est-il un dieu, un démon, ou une passion de l’âme ? Y a-t-il une espèce d’amour qui est dieu ou démon, et une autre qui est passion ? En quoi consiste alors chacune de ces espèces ? Voilà des questions qu’il vaut la peine d’examiner, en parcourant les idées du vulgaire et celles des philosophes sur ce sujet. Souvenons-nous surtout des pensées du divin Platon, qui a beaucoup écrit sur l’amour en plusieurs de ses oeuvres. Il dit que l’amour n’est pas seulement une passion qui naît dans les âmes ; il affirme qu’il est un démon ; et il raconte sa naissance et son origine. À prendre d’abord la passion que nous attribuons à l’amour, nul n’ignore qu’elle est la cause par laquelle naît dans les âmes l’idée de s’unir aux belles choses ; et l’on sait que ce désir tantôt naît chez des hommes tempérants qui s’unissent à la beauté en ellemême, tantôt recherche une action fort laide. Mais il convient de partir de là pour examiner philosophiquement l’origine de chacune de ces deux formes. En admettant qu’il y a dans les âmes, avant l’amour lui-même, une tendance vers la beauté, une connaissance du beau, une affinité avec lui et un sentiment irraisonné de cette parenté, on atteindrait, je crois, la véritable cause de la passion amoureuse. Car la laideur est aussi contraire à la nature qu’à Dieu. La nature produit, son regard fixé sur le beau et sur la détermination qui se trouve dans la ligne du bien ; l’indétermination est laide, et elle est dans la ligne du mal. La nature naît de l’être intelligible, c’est-àdire, évidemment, du Bien et du Beau. ENNÉADES - Bréhier: III, 3 [50] - De l’Amour 1
Donc première question : qui est Aphrodité ? Ensuite, l’amour est-il né d’elle ou seulement en même temps qu’elle, ou alors comment peut-il être à la fois né d’elle et en même temps qu’elle ? Il y a une double Aphrodité, l’Aphrodité céleste qui est, dit-on, fille d’Ouranos, et une autre qui est fille de Zeus et de Dioné, et qui préside aux marialges humains’. La première n’a pas de mère, et ne préside pas aux mariages, parce qu’il n’y a pas de mariage dans le ciel. L’Aphrodité céleste est la fille de Cronos, qui est l’intelligence ; elle est donc l’âme divine par excellence ; née sans intermédiaire d’un être pur, elle est pure et elle reste là-haut ; elle ne peut ni ne veut descendre ici-bas ; sa nature l’empêche de fouler notre sol terrestre ; elle est une hypostase séparée de la matière, une essence qui ne participe pas à la matière ; c’est ce qu’on a voulu laisser entendre, en disant qu’elle n’a pas de mère. Il est juste de dire qu’elle est un être divin et non un démon, puisqu’elle est un être pur, sans mélange de matière et qui reste en lui-même. L’être qui naît immédiatement de l’intelligence est lui-même un être pur, qui tire la force qu’il a en lui de ce qu’il est près d’elle, et qui éprouve le désir de se fixer à son générateur, seul capable de le maintenir là-haut. Donc l’âme ne tombe pas, parce qu’elle est suspendue à l’intelligence, bien moins encore que ne tombe du soleil la lumière qui resplendit autour de lui, qui rayonne de lui et se suspend à lui. Guidée par Cronos ou si l’on veut par le père de Cronos, Ouranos, elle dirige son activité vers lui et s’incline à lui ; elle l’aime ; ainsi, elle engendre Éros, et avec lui, elle contemple Cronos ; cet acte de contemplation a produit une hypostase et une essence, et ils regardent Cronos l’un et l’autre, la mère et Éros, son bel enfant. Éros est l’hypostase éternellement dirigée vers une autre beauté ; il n’est que l’intermédiaire entre celui qui désire et l’objet désiré ; il est pour l’amant l’oeil qui lui permet de voir son aimé ; de lui-même il court au devant de l’aimé et il se remplit de cette vision, avant même d’avoir donné à l’amant la faculté de voir par son organe. Il est le premier à voir: mais il ne voit pas comme l’amant; car l’objet de la vision se fixe dans l’amant, lui, il jouit du spectacle du beau qui le touche en passant. ENNÉADES - Bréhier: III, 3 [50] - De l’Amour 2
Poros est la raison venue des êtres intelligibles et intelligents, quand elle s’épanche et en quelque sorte se déploie ; alors elle s’approche de l’âme et vient en elle. Car, tant que la raison est dans l’intelligence, elle reste enroulée sur elle-même et ne laisse entrer en elle rien d’étranger ; or, puisque Poros s’enivre, c’est que sa plénitude lui vient d’ailleurs. Et qu’est-ce qui rassasie Poros de nectar, sinon la raison, quand elle déchoit d’un principe supérieur à un principe inférieur ? Cette raison passe alors de l’intelligence à l’âme ; c’est ce que signifie : Poros pénétra dans le jardin de Zeus, à l’époque où Aphrodité naquit. Un jardin, c’est l’éclat et la splendeur de la richesse. Le jardin doit son éclat à la raison de Zeus ; sa parure, c’est la lumière éclatante qui, partie de l’intelligence, pénètre dans l’âme. Que serait le jardin de Zeus s’il n’était la splendeur et l’éclat du dieu ? Que pourraient être cet éclat et ces parures, sinon les raisons qui émanent de lui ? Donc, en même temps que les raisons, se révèle Poros, qui est l’abondance et la richesse en beauté ; c’est ce que veut dire l’ivresse de Poros par le nectar. Qu’est-ce en effet que le nectar pour les dieux, sinon ce qu’obtient l’être divin ? Or, en descendant de l’intelligence, l’être divin emporte avec lui la raison. L’intelligence, elle, qui est dans un état d’entière satiété, ne s’enivre pas ; elle possède ce qu’elle a et ne reçoit rien d’étranger. Mais la raison, qui est un produit de l’intelligence et une hypostase postérieure à elle, n’est plus alors la raison de l’intelligence ; elle est en autre chose, dans le jardin de Zeus, nous dit Platon, où Poros est couché au moment même où Aphrodité vient à l’existence. ENNÉADES - Bréhier: III, 3 [50] - De l’Amour 9