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Richir (PM:7-8) – Problème de la Mythologie
sábado 16 de outubro de 2021, por
Comme en témoignent de nombreux textes philosophiques (Jusqu’à Schelling et Cassirer ) et anthropologiques, on a très longtemps confondu mythologie et mythe. Depuis les travaux de Cl. Lévi-Strauss (en particulier les Mythologiques) et de P. Clastres dans le domaine amérindien, c’est ce qu’il n’est plus possible de faire aujourd’hui. La mythologie, c’est-à-dire très spécifiquement les récits mythologiques de fondation de l’ordre cosmique et socio-politique, se trouve pour ainsi dire en première approximation encadrée par deux autres types de formations symboliques de l’être et du penser humains : la pensée mythique, d’une part, coextensive de ces types de sociétés que P. Clastres a fort bien nommés « sociétés contre l’État », et la pensée monothéiste, d’autre part, qu’il s’agisse du monothéisme juif d’institution ancienne, ou du monothéisme philosophique, d’institution plus récente, et pour de tout autres motifs, chez les Grecs.
Ce qui caractérise la pensée mythique, dans une première approximation, ce sont plusieurs traits intimement solidaires : la multiplicité originaire des mythes, la localité du problème symbolique qui y est chaque fois traité – problème symbolique en ce que, chaque fois, quelque chose de l’institution symbolique [1], qui donc paraît se donner comme allant de soi, surgit comme n’allant pas de soi et est interrogé, dans une sorte d’« expérience en pensée » qui s’articule selon la « logique » pour nous étrange du mythe, quant à son origine et quant à sa légitimité –, et enfin cette « logique » elle-même qui, à travers l’intrigue du récit mythique, nous fait assister à des « métamorphoses » des êtres et des personnages, à ce qu’on a d’habitude rapporté au « merveilleux » mythique où êtres et personnages revêtent diverses identités signifiantes, confondant ce qui n’est que pour nous êtres naturels et êtres culturels, à travers toute l’échelle des êtres. A la mesure de ces traits caractéristiques, on n’observe pas, sinon tendanciellement, dans la pensée mythique, de polarisations ou de centrations par des personnages « principaux » qui rassembleraient autour de leurs noms des grappes ou des groupes d’intrigues mythiques. La pensée mythique, qu’il faut prendre, à moins d’ethnocentrisme, comme une pensée à part entière – et non pas comme une pensée « pré-logique » ou « pré-rationnelle » encore « dans l’enfance » –, est bien la pensée d’êtres humains qui pensent « contre l’État », c’est-à-dire « contre l’Un » : l’Un (et le pouvoir coercitif) constituant pour eux le risque de l’implosion de l’institution symbolique en le « trou noir » d’un chaos d’où l’on risque de ne plus jamais pouvoir revenir, c’est contre ce risque que la pensée mythique ne cesse de se reprendre, en droit à l’infini, en multipliant ses « expériences en pensée » où chaque fois, à l’occasion d’un problème particulier, elle fait comme si l’institution symbolique se précédait elle-même pour se réengendrer, en se recodant à l’intérieur d’elle-même, c’est-à-dire en re-déterminant les termes du problème symbolique qui, par là, sont susceptibles d’amener le problème à sa « résolution ». Celle-ci est toujours résolution « harmonique » des termes en question -création d’un sens qui soit compatible avec l’ensemble de l’institution symbolique. Cette « résolution », enfin, se présente au fil d’un récit d’événements censés s’être passés dans un passé – le passé mythique – qui n’a jamais été présent, auquel personne n’a jamais assisté ni n’assistera jamais, et que, pour cette raison nous nommons passé transcendantal. Par là, sur tel ou tel point problématique, l’institution symbolique est toujours censée s’être toujours déjà « rejointe » dans le résultat final du mythe, qui est lui-même censé porter la mémoire, ou plutôt la réminiscence transcendantale de ce passé transcendantal. La légitimation par le mythe de telle ou telle pratique, de tel ou tel événement, de telle ou telle situation, est toujours, en ce sens « conservatrice » : mais ce n’est jamais la légitimation d’une autorité sur la société, car c’est toujours une légitimation ou une relégitimation de la société, en continuité sans rupture avec le monde. L’idée d’un État, ou d’un pouvoir coercitif sur la société est, dans ce type d’institutions symboliques, aussi dangereuse et menaçante, aussi absurde et génératrice de chaos que l’est, dans nos sociétés issues de l’institution de l’État, l’idée d’une société sans pouvoir et sans autorité, le plus souvent appréhendée comme l’horreur de l’anarchie.
[1] Comme on le sait, nous entendons par là, en première approximation, l’ensemble, qui a sa cohérence, des « systèmes » symboliques (langues, pratiques, représentations) qui « quadrillent » l’être, l’agir et le penser des hommes. C’est ce qui fait, chaque fois, qu’une société tient ensemble. En ce sens, l’institution symbolique a toujours une dimension politique. Elle paraît se donner toujours déjà en l’absence de son origine. En un second sens, nous entendons par là aussi ce qu’il y a d’instituant dans l’institution elle-même, c’est-à-dire de déterminant et d’apparemment immotivé.