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Richir (PM:12-15) – 4ª e 5ª transformações do pensamento mítico
domingo 30 de novembro de 2008, por
Cela nous amène à une quatrième transformation, qui est non moins importante. Alors que les mythes sont toujours énigmatiquement – un peu comme le sont, aujourd’hui, les « histoires drôles » qu’on se raconte – le fruit de l’élaboration collective et anonyme, de et dans la société – il n’y a pas d’auteurs repérables pour les mythes –, les récits mythologiques sont toujours élaborés par des classes savantes, plus ou moins proches du pouvoir royal, ce qui communique sans doute avec le fait que certains d’entre eux, tout au moins, nous aient été transmis par la voie de l’écrit. Ils sont donc le fruit d’une élaboration savante, et dès lors réfléchie et complexe, ce qui ne veut pas dire, telle est la difficulté, qu’ils soient univoquement le résultat d’une création savante. Nous nous trouvons, en posant cette question, au nœud, qui nous échappera toujours faute de documents, où ont dû s’articuler pensée mythique et pensée mythologique dans le moment d’institution de la royauté. Tout ce qu’on peut repérer par l’histoire et l’archéologie, c’est que celle-ci a tout d’abord été l’institution de petites royautés locales – l’exemple grec est à cet égard frappant –, et que c’est dans ce moment qu’ont dû surgir les dieux comme divinités locales, au fil de récits dont nous avons perdu la trace. Il est caractéristique, à cet égard, que les grands récits mythologiques que nous connaissons, procèdent toujours d’une tentative d’unification de ces mythologies locales, soit corrélativement à l’institution d’une royauté « impériale » (plus vaste), comme en Mésopotamie [1], soit corrélativement à un rêve d’unification culturelle de différents petits royaumes, comme en Grèce, ainsi qu’en témoignent, les épopées homériques et la Théogonie d’Hésiode [2]. Il faut donc admettre que les grands récits mythologiques que nous connaissons ne sont pas à eux-mêmes leur propre origine absolue – au sens où c’est en eux que les dieux prendraient naissance –, mais qu’ils procèdent à la réélaboration savante, unitaire, et téléologique, de matériaux, non pas mythiques, mais mythologiques préexistants. Ces grands récits, comme le montre d’ailleurs l’exemple grec, n’étaient pas nécessairement uniques, mais pouvaient connaître des variantes ou des variations. Ce serait donc également une erreur anthropologique que d’ériger telle ou telle version parvenue jusqu’à nous en version canonique et a priori nécessaire. L’histoire, telle est aussi son essence, se fait aussi au fil de ses contingences.
[13] Nous sommes dès lors en mesure d’aborder la cinquième et dernière transformation. Alors que le récit mythique, nous l’avons indiqué, est récit de « choses » et d’« événements » censés s’être passés dans un passé transcendantal – passé non historique, qui n’a jamais eu lieu au présent, pour nous, hommes –, le récit mythologique institue une sorte de chronologie ou d’historicité transcendantale globale dans ce passé transcendantal : la succession des généalogies et des dynasties divines se fait, en quelque sorte, par emboîtement successif de passés transcendantaux les uns dans les autres, du plus originel au moins originel, du plus primitif et du plus chaotique au plus civilisé et au plus organisé, en court-circuit, encore une fois, des humains, qui sont les « tards venus », et, à partir desquels commencent les vicissitudes de l’Histoire. Il y a donc quelque chose comme le problème d’une genèse dans les généalogies, et c’est sans doute, nous y reviendrons au terme de ce parcours, par l’extrême difficulté qu’il y a de penser la genèse que les généalogies ne peuvent en re-présenter le déploiement que par essais ou par glissements successifs, mutuellement harmonisés et emboîtés par codages et recodages toujours plus fins de l’irrésolu au sein d’un développement quasi-musical de la pensée. On en retrouvera d’ailleurs toujours quelque chose jusqu’au cœur de la philosophie, quant elle se confrontera au problème de la genèse [3]. Mais il y a aussi corrélativement, ce qui ne donnera pas moins l’impression d’« éléments » au moins « pré-philosophiques » dans les récits mythologiques, une sorte de quête de l’origine radicale dans la régression de la pensée jusqu’à elle : qu’il s’agisse, chez Hésiode de Chaos, Gaïa, et Éros, ou, dans le récit mésopotamien de la création [4], du couple originel Apsu-Tiamat, il est question, chaque fois, de la figuration ou du recodage symboliques de ce qui est censé être l’origine radicale, la plus ancienne. Et l’on est en droit de se demander, car c’est là, déjà, une énigme, si ce que ces noms sont censés nommer sont bien des « divinités » au même sens que celles qui viennent plus tard. Schelling , quant à lui, n’hésitera pas à dire que les touts premiers « êtres » de la Théogonie d’Hésiode témoignent de leur essence philosophique et non pas mythologique. Sans pouvoir trancher de manière aussi décidée, disons seulement que cette régression de la pensée mythologique à l’origine radicale témoigne, tout à la fois, de ce que c’est bien l’institution symbolique dans son ensemble qui fait question, et de ce que l’élaboration symbolique de cette question suppose une pensée « spéculative », hautement concertée, d’un ou de groupes de « savants » – ce qui ne veut pas dire pour autant que cette « spéculation » soit philosophique, mais tout au plus, pourrait-on préciser, « métaphysique » au sens le plus large du terme [5].
[14] Cela signifie donc que le récit mythologique, par son élaboration, est congruent à une certaine institution symbolique de la temporalité. Le récit est là pour nous dire, en un sens, que c’est comme si les intrigues, conflits, et parfois combats guerriers entre les dieux avaient été là, dans Γ« autre » temps du passé transcendantal, pour nous épargner, à nous hommes, le gigantesque et surhumain « travail » de l’institution et de la fondation du monde. Avec cela qu’en retour, nous leur sommes redevables de tout ce « travail », dans les services cultuels que nous devons leur rendre, en entretenant leur « subsistance » : la dette symbolique des hommes à l’égard des dieux est originaire et irréductible. Le roi lui-même n’en est pas dégagé, à moins qu’il ne s’identifie aux dieux, ce qui le conduit à être broyé dans le processus de fondation pour lui aveugle, qui le dépasse absolument. C’est dire que, entre le passé transcendantal lui-même « historicisé » du récit mythologique et le futur transcendantal qui lui correspond de manière indéfinie, s’institue proprement la présence comme présence de l’invisible divin, figurée comme présence dans le Temple et dans les effigies des dieux, au cours des rituels religieux : il s’agit par là non seulement d’honorer le passé, mais de préserver l’avenir de sa destruction dans ce qui serait une implosion catastrophique de l’institution symbolique dans sa globalité. Ce sera un argument philosophique, celui des Épicuriens, que de dire que si les dieux sont immortels, ils sont indifférents aux sorts des hommes. Cela, certes, ils le sont en un sens, quand on s’avise de leur barbarie et de leur cruauté. Mais ils ne le sont pas en un autre sens quand on remarque qu’ils ne peuvent exister, paradoxalement, qu’à travers la présence instituée dans le sanctuaire et le culte : sans cela, leur immortalité, et de là, l’ordre du monde et de la société – l’institution symbolique -n’aurait pas plus de consistance que celle des « ombres » des morts qui sont censés circuler, errer indéfiniment, sans force, sous la terre.
Telle est, de manière rapidement ébauchée, la complexité de la pensée mythologique – que nous prenons aussi, par parti-pris méthodologique, comme une pensée à part entière – et la complexité des questions qu’elle pose à la pensée. Il nous faut dire deux mots, pour conclure, du monothéisme, sur lequel Schelling nous fera abondamment revenir. Tout comme la pensée mythique et la pensée mythologique, la pensée monothéiste procède, elle aussi, pour nous, d’une institution symbolique, tout aussi énigmatique, dans ses tréfonds, que les deux autres. Mais il y a deux monothéismes, le monothéisme religieux, d’origine juive, et le monothéisme philosophique, d’origine grecque – les deux origines étant hétérogènes. Il est caractéristique que le premier s’institue en court-circuit de tout développement mythologique, et qu’en lui les généalogies soient d’emblée généalogies humaines au lieu d’être généalogies divines. Son combat sera d’ailleurs constant contre toute résurgence tendancielle de la mythologie (l’« idolâtrie »), et il se réfléchira toujours comme exigence de la fidélité à l’Alliance originelle que Dieu est censé avoir scellée avec le peuple, dans une configuration symbolique, au reste tout à fait originale, du théologico-politique. Les éléments en quelque sorte « archaïques » (« irrationnels ») de cette pensée sont donc passés, il ne faut pas s’y tromper, dans les recodages historico-généalogiques de l’Alliance elle-même, où Ton retrouve bien des traits structuraux, mais seulement eux, de la pensée mythologique – comme si l’amont avait été retourné vers l’aval. Il en va tout autrement du monothéisme philosophique, même [15] s’il est non moins complexe, puisque l’unification de l’institution symbolique se cherche au fil d’un logos d’un tout autre ordre, que l’on baptise bien vite, sans trop comprendre, « rationnel ». Cela signifie en tout cas qu’il n’y a plus en lui ni généalogie ni dynastie, sinon « logique » ou « logologique », selon des enchaînements qui nous sont devenus trop familiers pour que nous en ayons, le plus souvent, clairement conscience. C’est à la question d’une rencontre possible entre pensée philosophique – et son monothéisme propres et pensée mythologique que nous allons être confrontés tout au long de ces pages. Question difficile, passionnante, mais redoutable, de la rencontre possible (ou impossible) de deux institutions symboliques différentes de la pensée.
[1] Cf. J. Bottéro et S.N. Kramer, Lorsque les dieux faisaient l’homme, Gallimard, Bibl. des Histoires, Paris, 1989, indispensable pour la mythologie mésopotamienne.
[2] Cf. G. Nagy, The Best of the Achaeans, Baltimore-London, 1979. Tr. fr. par J. Carlier et Nicole Laraux, Paris, Seuil, 1994.
[3] En ce sens, il est manifeste que, en quelque sorte, la « distance » entre la pensée philosophique et la pensée mythologique est beaucoup moins « grande » qu’entre la pensée philosophique et la pensée mythique. C’est pourquoi, pour désancrer la pensée mythologique d’un « ethnocentrisme » philosophique aisément possible, nous avons pris le parti de la présenter depuis la pensée mythique.
[4] Cf. Bottéro et S.N. Kramer, op. cit., récit n° 50, L’« Enûma elîs », pp. 602-653. Schelling ignorait, comme tous ses contemporains, le « domaine » mésopotamien, qui n’a été découvert que plus à tard, à partir de la fin du XIXe siècle.
[5] Cela peut conduire aussi à distinguer, dans le récit mythologique, une phase plus proprement cosmogonique et une phase plus proprement théogonique et socio-politique. Cf. M. Detienne et J. P. Vernant, Les ruses de l’intelligence. La métis chez les Grecs, Flammarion, Coll. « Champs », Paris, 1974, pp. 61-125.