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INTERROGER LES PHÉNOMÈNES OU PHILOSOPHER PAR ORDRE

domingo 8 de setembro de 2024, por Cardoso de Castro

  
  • INTERROGER LES PHÉNOMÈNES OU PHILOSOPHER PAR ORDRE
    • A. L’INTERROGATION, principe d’intervention.
      • 1. l’impulsion métaphysique prend naissance au niveau du logos (langage pensé), c’est-à-dire au niveau de ce que l’on estime-être, et que pour cette raison on interroge : car on n’est pas sûr, on ignore.
      • 2. laisser venir à soi, dans une série de questions, toutes les catégories d’êtres qui se présentent et se pressent. Se laisser aborder par les choses comme elles sont : non point comme elles sont foncièrement, définitivement (car c’est justement ce qui est en question), mais comme elles sont d’abord, à l’abord, selon leur apparence. C’est à la façon dont les choses ap-paraissent qu’elles posent du même coup, par leur op-position même, diverses questions sur l’être-de-ce-paraître...
      • 3. la situation rigoureusement originaire d’où l’on est provoqué à se mettre en branle, juge de la marche à suivre, ou plutôt l’engage, et en fournit le critère régulateur : c’est le moi-relié, l’indiscutable liaison de l’ego avec ce qui l’entoure (le monde), et qu’il ignore au fond (dont il ne sait pas à quoi cela rime).
      • 4. le postulat initial n’est donc point, à proprement parler, un postulat. Il n’est point postulé (postulatum), mais postulant (postulare).
        • Il consiste à interroger, à douter, à ignorer : non point postulatum passif, mais postulare actif. L’acte de naissance de la métaphysique c’est l’acte de douter : il consiste à ne rien savoir du tout. Et à ne point même exprimer — par mode d’affirmation — ce fait-là; mais à le vivre ponctuellement (comme un Todo y nada).
      • 5. cette dernière précision est capitale. On ne philosophe pas pour la galerie, on ne doute pas pour s’en vanter; on n’ignore pas pour son plaisir. On existe-philosophant, c’est-à-dire d’abord doutant : l’unité silencieuse et déchirée de l’être-qui-doute est le principe même de la déchirure qui va dévoiler ce monde. Mais en ce point tout à fait primitif on n’exprime pas, on n’affirme pas, on vit.
        • La question de l’affirmation, de l’expression, de l’assertion viendra plus tard (elle sert aussi bien à traduire le doute que la certitude...) : au chapitre du langage. Mais on ne commence pas par là.
        • Ce par quoi on commence, c’est le principe vécu, — si la philosophie doit être vivante; et donc le doute vécu, qui n’excepte rien.
      • 6. mais ici, — dans un livre où il faut bien s’exprimer le cheminement secret de ces choses, — il est évident qu’on recourt tout de suite au langage, — à ce langage dont on ne manque point de mettre en cause la validité, et qu’on se propose d’interroger à son tour comme tout le reste. Mais l’interrogation sur le langage n’est pas première, elle n’est que l’application sur un point particulier (l’existence de l’expression, le phénomène-expression) d’une plus fondamentale ignorance qui englobe tout.
        • Bref, le principe apparent — au niveau de l’expression — est un doute affirmé, ex-primé, é-tiré sur une phrase (dans ce livre sur le papier). Le principe radical est plus profond. Je fais une pro-position ici (sur le papier) de ce qui est vécu comme un acte, comme un point : dans l’unité déchirante du doute universel. Mais ce baptême de sang de la philosophie est d’abord une res passablement mystérieuse, — en dehors de quoi il n’y a plus (sacramentum tantum) que rite ou école, cultualisme et scolastique, paroles.
        • Ce vocabulaire est emprunté à saint Thomas. Sacramentum tantum, c’est le sacrement tout seul : un signe seulement. Res : c’est son efficacité dernière, c’est cela dont il tient sa vérité foncière, et qu’il reproduit. Le doute initial (comme res) reproduira quelque chose qui s’y trouve enfermé (de profondément vital), une certitude où peut-être (à travers les paroles ici nécessaires comme véhicules) il introduira finalement.
      • 7. l’Ego et son écho : certitude du fait qu’on cherche quelque chose, — quelque chose à quoi suspend le logos interrogateur. Reste à en faire le compte, par le détail, question après question, suivant les zones de résonance...
    • B. LES QUESTIONS, application de ce principe (et déjà « méth-ode »).
      • 8. Cosum cogitans; coens cogito; cogito interrogans; interrogo coens. Le « moi » (ego sous-entendu) : sous-jacent, soumis à l’être (qui pose question), est sujétion aux appels de choses, et donc ob-ligation à penser ces ob-jets, à affronter ces ob-stacles. Mais tous ces objets sont mis en cause, mis en doute. La liaison établie est donc, de prime abord, purement existentielle : c’est-à-dire que la question porte précisément, à propos de tout, sur l’existence.
        • Elle mesure les portions d’existence — et la sienne propre — en interrogeant chacune, en soupesant l’une après l’autre toutes les apparentes-réalités.
      • 9. L’inquiétude foncière porte la quête ou l’interrogatoire, au nom même de son principe (point de départ), sur de multiples choses : les questions qu’on « agite » ainsi (en « cogitant ») sont diverses. L’être apparaît distribué, sérié, monnayé.
      • 10. Les catégories représentent cette série (ouverte) de questions existentielles : plan de perquisition, méthode d’investigation toute trouvée. L’être, appréhendé au niveau des replis du terrain, est aussitôt interrogé.
      • 11. Catégories du langage, catégories de la pensée, catégories de de l’être : rien ne permet d’emblée de dissocier. Suivre l’esprit en doute (en chasse) là où il se porte : par-tout, de secteur en secteur.
      • 12. Réseau de questions et de prises (de surprises), dont il serait illusoire de penser se déprendre, car il coïncide avec le réseau même des réalités qui nous entourent. Il conditionne le dialogue universel de l’existence avec elle-même.
    • La distribution de la réalité rend possibles des appréciations nuancées, des mesures appropriées, qui sont le début de la sagesse (dans la crainte qu’on a de se tromper, dans le doute où l’on est de tout confondre...).
    • Raison de plus pour philosopher, c’est-à-dire pour analyser froidement chacune de ces valeurs que représentent tant de façons diverses d’exister (amour, passion, jeu, travail, action, souffrances, voyages, bonheur, beauté, etc.). Multiples façons d’exister qui représentent comme des invites, des tentations, des perspectives, des possibilités engageantes, des vocations ou des mirages... Où est le réel qui fait être au maximum? Ce monde serait-il un trompe-l’œil? Qu’y a-t-il finalement d’authentique derrière tout ce manège?
  • QU’EST-CE QUE LE LIEU? LA POSITION?
    • LE LIEU
      • — question fréquente : où? (composition du lieu, reconstitution du crime, etc.)
      • — qu’importe et comporte le lieu? Rien que d’ambiant, la surface convexe du corps enveloppant. Un trait qui cerne nos limites et ne conviendrait donc pas à l’Infinité; assignation à résidence, où que ce soit.
      • — d’où le besoin de se déplacer : le lieu change, quand nous changeons mais on ne saurait s’en évader (être absolument délogé, Absolu de lieu)
      • — Dieu (par hypothèse illimitée) partout présent sans être déplacé nulle part — partout à sa place, parce que contraint à aucune — échappe par hypothèse à ce mode de présence locale (ou régionale). L’être dégagé de lieu n’est pas encombrant.
      • — l’être matériel par contre doit être contenu; le repérage tient compte de cette contenance où se trouve chaque chose par rapport à ce qui l’entoure, l’encercle, l’obsède.
      • — le « lieu » est donc une indication du réel : une manière, de « signaler », de distinguer entre elles deux réalités. Expression d’une condition équivalente à une nécessité.
      • — Attitudes face à cet état de choses :
        • a) accepter le lieu que l’existence nous assigne, en étant indifférent au changement
        • b) n’en point varier du tout (car peu importent les lieux).
        • c) Pèlerinage aux « lieux », — convenance et relativité.
    • LA POSITION
      • — vérification de cette question dans la vie : on s’informe de la manière dont un être se trouve (dans tel lieu) : couché? debout? etc.
      • — ce qu’elle implique : ordre des parties du corps.
      • — la position en question : symbole d’une attitude intérieure, d’une « dis-position », d’une intention, etc.
    • N. B. L’être-en-situation enveloppe en soi plusieurs catégories : lieu, position, avoir, etc.
  • QU’EST-CE QU’AVOIR? OU L’INSTRUMENTATION?
    • Instrument direct de sa domination et de son vouloir, situation de fait, l’habitus est pour l’humanité une façon d’être qui implique ce libre pouvoir d’user et de jouir, dont nous voyons les manifestations :
      • 1. Dans le fait de s’habiller, où l’homme fait valoir ce qu’il est en montrant ce qu’il a. Universelle emprise de l’habitus : Université, Armée, Civils, etc., Blousons noirs ou chemises brunes, personne n’échappe à cette catégorie de l’avoir par où l’être s’affirme et qui commence avec l’ « habit ». Haillons de pauvres ou dentelles de riches, commencer de vivre, c’est commencer d’avoir.
      • 2. L’Instrument : nouvelle forme d’avoir, en fonction de ce qu’on « est », et permettant d’être effectivement. Perfection concernant des objets aussi divers que vastes : pouvoir dont l’homme se trouve par nature investi sur les objets à disposition, pour les tourner à son usage et bénéfice. L’objet à disposition se voit ainsi inscrit dans le cercle de l’homme, porté à son compte, acquis par la civilisation.
      • 3. L’Habitat : autre forme d’avoir en fonction de l’être. Domicile : réalité dont l’homme veut pouvoir disposer (user et jouir). Nécessaire manière d’être, en effet : elle importe à l’être-humain, au même titre que l’instrument ou l’habitat.
        • L’habitus ainsi compris ratifie l’être, et le gratifie, le prolonge, l’augmente, lui donne de l’importance, lui confère un spécial coefficient : il fait-corps-avec la personne. La dignité de l’homme s’y trouve engagée : d’où l’ivresse parfois fallacieuse, mais existentiellement prenante, issue de l’avoir, et que la métaphysique se doit d’assagir en fixant la part d’illusion qui s’y attache; ou les revendications que la métaphysique se doit de soutenir, en fixant la part de réalité, justement épanouissante, que l’avoir représente.
      • 4. L’Habitus intérieur : le même mot désigne encore autre chose (dont il sera question au chapitre de la « qualification »). De fait, à l’intérieur et au bénéfice de la personne s’inscrit une manière d’être qui évoque sous une autre forme les richesses précédentes, habillant, équipant, et construisant : intériorisation normale de cet équipement dont l’homme ne saurait se dispenser sans s’appauvrir plus réellement encore, l’habitus dont il s’agit là demeure quand l’outil s’effrite et que l’avoir disparaît : c’est un capital plus profondément ancré dans la substance de l’être (cf. infra chap. IV.).
      • 5. Mais déjà l’habitus n’est pas si mobile : on change de « lieu » au moindre mouvement, tandis que l’ « habitus » traduit cette interaction dynamique de l’habitus sur la vie : on habite ses habits, on habite ses outils, on habite sa femme, on habite Dieu (si on en fait usage pour en tirer jouissance, en augmenter sa joie).
      • 6. Expression de richesse et de progrès ou de civilisation : tous les espoirs sont permis dans l’ordre de l’habitus, considéré isolément. Jusqu’où ira l’équipement de l’homme? Quelle raison y aurait-il pour l’inviter à se démunir? Aucune apparemment...
        • Cependant, l’instinct vital qui porte l’homme à accaparer est l’un des des plus troublants, — mystérieux, — car il est le lieu du mal rencontré ici pour la première fois sous la forme de la privation : pauvres, sans-logis, etc. Le mal est précisément ce qui, dans la circonstance, manifestement ne se justifie pas, a tort d’être, est « sans cause ». D’où vient qu’existe pourtant ce qui n’a pas raison d’exister?
      • 7. De fait, à y regarder de plus près, l’habitus implique une carence, en fournit du moins l’indice dans le moment même où il pousse à s’enrichir. Expression d’un besoin, il est le signe d’une radicale insatisfaction. A la base de cette course à l’habitus, il y a comme un ver rongeur : la défiance, le sentiment d’une menace (appelant protection). L’avoir, qui paraissait d’abord naturel et normal, laisse désemparé le penseur...
      • 8. L’homme, seul, dans la nature, s’évertue à amasser : acquérir, bâtir, se vêtir, — carence que n’ont pas les animaux, — à quoi la raison et la main vont remédier... L’homme possède pour se défendre, pour vivre : il se sent comme menacé, naturellement en danger. D’une part, complément indispensable et normal de l’être; d’autre part, caractère indéfini et inquiétant de cette marche en avant, questions angoissantes sur sa légitimité, et le sens de ces appareillages, de ces munitions.
        • Antinomie dont l’un des termes ne se laisse pas supprimer. Il est naturel d’un côté que l’homme possède : progrès par où il humanise le cosmos. Le monde est dans la main de l’homme : à sa disposition, à son service. Dès là qu’il peut se le procurer, tout armement, équipement, aménagement convient à l’homme. Aucune limite n’étant posée par la nature à cette expansion de pouvoir, on ne voit pas quelle autre puissance la réduirait sans arbitraire. Mais le sentiment du danger croît d’autant, impossible à supprimer. L’inquiétude humaine est à la mesure du progrès, elle le suit comme son acolythe loin d’en être atténuée.
      • 9. Caractère non agressif de l’équipement comme tel. Il peut être dangereux : cet aspect ne rend point la possession comme telle illégitime ou contre nature. L’instrument n’est pas doué d’intention : suggestif, agressif, offensif ne sont point ses qualifications propres, mais bien de l’individu qui les porte ou les manipule (habits, armes).
        • Notre souci présent est d’analyse. Ce qui nous intéresse directement c’est le fait, la catégorie, l’affirmation d’être; et les normes qu’on y découvre, hiérarchisées selon leur densité d’existence. La métaphysique (du fait) conduit à une morale (du droit), comme à la considération spécifique de ce qui est à vivre dans la conduite pratique (utilisation qu’on fera, à des fins raisonnables ou non, de l’équipement où le progrès nous conduit irrésistiblement dans la civilisation que nous habitons).
      • 10. Constitution de l’avoir : l’avoir se comprend en relation :
        ****- avec l’usage qu’on en fait
        ****- avec l’action qui le fonde
        • L’avoir in-utile, in-utilisé, cesse d’être cet instrument qu’on a en main : il tombe des mains; il est à acquérir derechef, disponible (ex. : les maisons vides réclament à la fin d’être prises en charge, d’entrer dans le mouvement humain). Hors de ce dynamisme l’avoir n’existe pas, superflu. Le surplus n’est pas un habitus : il déborde et coule, il échappe.
        • L’habitus ne saurait être fondé ontologiquement sur n’importe quelle action : légitimité ou illégitimité profonde (métaphysique) de certaine situation économique, de telle revendication. Les malheureux, — les miséreux, — manquent précisément de cet « avoir » que nous voyons nécessaire à l’épanouissement de l’être. Situation incompréhensible : présence d’un mal dont le caractère naturel de l’avoir -— tel que nous le soulignons, — ne fait que rendre l’anomalie plus criante. Des êtres sont rayés de la carte de l’existence par privation d’avoir.
      • 11. Le mariage, expression d’un habitus : deux êtres se possèdent. Cet avoir s’inscrit comme les autres dans la ligne d’une fierté qui dissimule un besoin : possession qui remédie à la fragilité. Mais appartenance véritable comblant une lacune existentielle que ne saurait satisfaire le coït passager. Aspect instrumental de cet avoir : la chose possédée étant considérée tantôt comme enrichissant notre être, et tantôt comme servant à notre usage. Deux aspects qui n’en font qu’un : instrumentante liée à la notion d’avoir.
        • Notre corps, instrument « conjoint », — bien que son instrumentante soit du même type que celle de l’« avoir », — n’est pas à proprement parler possédé à la manière d’un habitus. C’est d’être et de substantialité qu’il s’agit à proprement parler.
      • 12. Les enfants ne sont pas un « avoir » dont les parents se puissent couvrir, mais une charge dont ils assument le poids. C’est le nouveau-né qui d’entrée de jeu « possède » des parents; cet « avoir » qui pour lui résume tous les autres (habits, habitat). Ce qu’ils ont amassé — le patrimoine — lui revient, tout naturellement, inclus dans ce bonheur naturel que rien ne devrait lui retirer, d’avoir des parents. Quand l’habitus est ce minimum vital, il faut, pour en dépouiller l’enfant, un pouvoir que la nature ne confère à personne (donc pas même à la collectivité d’Etat).
      • 13. Les amis sont élus, au terme d’une option, tandis que l’avoir est donné ou acquis. L’amitié ne comporte pas non plus instrumentante : elle n’a donc pas le statut de l’habitus. L’expression avoir des amis recouvre ici un type de relation (non un habilus) fondé sur la communication, et proportionné à cette communauté.
      • 14. L’État : nous appartenons à l’État par « relation » également dans sa communauté, non en vertu d’un habitus. L’État ne peut « avoir » les enfants, puisqu’en ce sens même les parents ne les « ont » pas. Mais les enfants ont, eux, des parents, dont la nature ne présente pas comme telle de raisons de les déposséder. Nous appartenons à l’État, à la communauté, comme des participants, non comme des instruments possédés. L’habitus ne peut être collectif : ce qui est commun, c’est éventuellement le bien (« bien commun »), mais l’avoir est toujours personnel (et donc particulier). Méprises fréquentes en ces domaines...
      • 15. Le mal, dont c’est ici la première apparition :
        • a) se définit comme privation (d’avoir)
        • b) privation actuelle ou habituelle
        • c) et donc atteinte à l’être (mal = non être)
        • Sous la forme très matérielle, physique, « naturelle » où il se présente d’abord (phénoménologie), le mal est anti-avoir, anti-être : privation qui commence à propos de l’avoir et dont les atteintes sont visibles là d’abord. Un affront à l’existence; l’annonce des révoltes contre le type le plus sensible et extérieur d’aliénation.
      • 16. La privation volontaire plus mystérieuse encore.
        • — l’avoir : forme indigente de l’être. C’est à défaut d’être qu’on s’enveloppe d’avoir et qu’on se satisfait à ce compte...
        • — l’Infini est pauvre : il n’a rien, il est.
        • — d’où la raison, métaphysiquement accessible, d’une pauvreté volontaire chez l’homme religieux : celui-ci réalise que de toutes les façons de ressembler à Dieu la pauvreté est des plus métaphysiquement consonantes.
      • 17. Pressentiment de ce que l’Avoir recouvre et cache...
        • — étudier être et avoir non pas comme deux réalités juxtaposées, mais comme une réalité elle-même qui est et a, qui est sans avoir assez, insatisfaite, privée.
        • — d’une part, profonde légitimité d’une progression dans l’être, par les voies de l’avoir (aucune régression vraisemblable; culte de l’avoir, finalement culte de la personne concrète).
        • — d’autre part, manière étonnante dont l’habitus est vécu dans le monde : « privation » et « renoncement voulu »...
        • — signification ambiguë mais certaine : l’homme dévêtu est désemparé, diminué, humilié; mais aussi l’homme dévêtu, dépossédé, offert, est en mesure de se donner tel qu’il est sans fard.
        • — dans le comportement humain — sur ces chapitres, — un profond déséquilibre, se fait jour, que les définitions de la sagesse métaphysique ne sauraient endiguer; une sorte de voracité dans la hâte d’avoir, appétit dont les symptômes sont inquiétants, et dont l’étiologie donne à réfléchir...
        • Tout se passe comme si l’humanité avait fait une expérience malheureuse, et que la trace demeurât, blessure saignante : toujours des pauvres, — toujours du mal, — parmi nous...
          *ÊTRE QUALIFIÉ
    • Il y a pour le réel bien des manières d’être : infinie diversité, multiples spécifications auxquelles chaque être peut donner lieu. On identifie un individu par le concours des traits qui le déterminent dans l’existence.
    • Identification : les qualifications orchestrent la spécification essentielle et en développent ou modulent le thème substantiel.
    • Altérité : il arrive qu’elles l’altèrent si bien que le thème n’est plus reconnaissable, plus identifiable : il a changé, substantiellement.
    • Ainsi identifie-t-on la substance à, ou du moins par ses qualités : elles vont et partent ensemble. Ces qualités d’un être permettent de l’identifier, tout en en suivant les évolutions ou le progrès. Elles relèvent d’une estimation, et incluent un jugement. Ces « espèces » sont en surface, —telles qu’elles sollicitent une considération et entraînent une appréciation que peut-être la sagesse serait de ne point sanctionner. La valeur des qualifications appelle une précaution, et donc un examen métaphysique. Comment savoir, au-delà des valeurs courantes, le prix du réel? En même temps que leur importance, on enregistre leur foisonnement. En l’absence d’une hiérarchie définitive, s’efforcer au moins de contrôler les appellations, — à l’intérieur de ce domaine de la « qualité », dire à défaut du critère absolu, quelles lignes de partage se dessinent, pour une sagesse phénoménologique, pour une sagesse provisoire.
    • 1er Niveau.
      • Les qualités manifestent qu’elles ne se valent pas, — elles ne « tiennent » pas de la même façon. Elles n’adhèrent donc pas au même titre. Le premier niveau de qualité est celui des qualités qui affectent le quantitatif : profil, morphologie, forme, figure. C’est le rebord de l’étendue.
    • 2e Niveau.
      • Quand les précédentes qualités se modifient (la quantité étant affectée différemment), demeurent des qualités de réception, et de sensibilité : qualitas sensibilis et passio.
      • Bien distinguer cette qualité de la mesure quantitative du même phénomène.
    • 3e Niveau.
      • Les Qualités qui se déterminent en fonction de l’agir sont de deux types : puissance qui permet d’agir, et habitus qui incline à le faire.
      • Le 3e niveau est donc celui de la « puissance ». On dit de tel ou tel : il est intelligent, volontaire, il sent, il pense, il voit, etc. Bref, ce qu’on appelle aussi les facultés. C’est un pouvoir qu’on repère à ses actes : une authentique capacité. L’être-humain notamment est pourvu de ces capacités dont il faut dire qu’elles ne s’identifient pas aux actes qui en émanent, mais qu’elles les rendent possibles, elles les expliquent (elles sont leur « hypo-thèse », la seule).
      • Ce n’est donc pas un être de raison. La puissance d’engendrer est du même type (ainsi que son corrélatif, l’impuissance). C’est à propos de cette qualité de troisième niveau que se posera le problème de la « convenance » : convenance consécutive à la forme spécifique de l’animal et à ses organes. Le « pouvoir » ainsi déterminé commande qu’on en tienne compte, beaucoup plus que d’une simple possibilité de conjonction matérielle (homosexualité, ou bestialité). La déviation de la puissance par rapport à l’acte se décèle et se vérifie, au niveau ontologique.
    • 4e Niveau.
      • La qualité incline positivement à répéter les actes : penchant ontologique, la puissance nue se munit, s’équipe, se double d’ « habitus », par l’exercice même (l’action dépose en avoir).
      • Trois caractéristiques de Y habitus ainsi constitué : sûreté, rapidité, joie. Bonnes ou mauvaises, les habitudes sont ontologiquement les mêmes, de même densité existentielle. L’habitude : issue d’action et porteuse d’action. Seconde nature qui habille la première, l’incline vers telle réalité, lui donne telle orientation.
      • Répartition des « habitus » selon les pouvoirs :
        • — habitus de la pensée (dont la science, le sens des principes, la lucidité, prudentielle, le savoir-faire, pratique, la sagesse).
        • — habitus de la conduite (vertus, vices).
        • — habitus de l’organisme (tout l’arsenal des qualifications et spécialisations artistiques, et ouvrières, ou techniques).
      • Variation des « habitus » : l’habitus s’accroît ou diminue, tantôt selon l’extension, tantôt selon la profondeur ou intensité. Le génie est une longue patience, c’est-à-dire une constante « action »; et la vertu, un long exercice, c’est-à-dire une ascèse décidée. Une formation accélérée est possible (entraînement), mais non point « instantanée ».
    • PHILOSOPHIE DE LA RELIGION
      • La philosophie s’interroge au chapitre de la qualification sur certains traits du fait religieux :
        • 1. les habitus que l’on n’acquiert pas, mais que l’on reçoit (notamment la « foi »).
        • 2. le développement, par exemple, de la foi : par extension (dans l’histoire ou la géographie), par intensité (dans le croyant).
          • La religion est donc susceptible de progression ou de récession, — comme la civilisation et ses « habitus » acquis, — en raison de l’action qu’on mène.
        • 3. mystique qui s’élève, ou savant qui démontre : deux qualifications très hautes sont ouvertes à l’homme, à partir du même principe naturel, à partir de la même puissance (l’intellect), en direction de Dieu. Deux richesses peuvent ainsi « habiter » l’esprit, l’une réservée à l’expérience du sujet qui s’en munit, l’autre communicable, par voie de science, les deux dérivées du nous
          • — le nous, l’esprit : puissance d’accueil, d’appréhension, littéralement habitée par l’être, obsédée par l’existence, sous toutes ses formes et au-delà.
  • L’ACTION ET LA PASSION
    • I. APPROCHES PHÉNOMÉNOLOGIQUES
      • A. Sous sa forme la plus manifeste, l’action
        • — implique un devenir
        • — procède d’un agent
        • — affecte un patient
      • B. Des degrés s’y révèlent que l’on peut grouper sous deux grandes rubriques :
        • 1. Action transitive : un passage s’opère entre un agent et un patient nettement distincts.
          • a) premier degré : l’agent n’atteint qu’en surface un effet peu durable. L’agent est alors cause du devenir et du terme de l’action qu’il induit.
          • b) deuxième degré : induction plus radicale (in genus, engendrer). L’agent est alors cause du devenir, mais non point, comme tel, du terme existant; il ne fait que transmettre, donner naissance, assurer la mise en route (responsable de ce qui se passe, non de ce qui est).
        • 2. Action immanente : l’action issue de l’agent n’en sort pas. L’immanence a toutefois aussi ses degrés.
          • — le devenir est interne, mais tantôt le point de départ, tantôt le terme, sont à l’extérieur (ex. : se nourrir, se moucher, se reproduire-par-génération).
          • — l’action se fait de plus en plus retirée : sensation, perception, imagination. Distinction qui s’affirme entre l’Ereignis (événement) et l’Erlebnis (expérience, le vécu) : l’Ereignis transitif, et l’Erlebnis immanent.
          • — cas où le vécu se fait très secret : conception d’une idée (qu’on ne dit à personne), inclination d’un amour (qu’on cèle) : opérations strictement intérieures, et comme telles, ne s’exprimant point nécessairement. Il reste pourtant ce paradoxe; que l’action y a trait à autre chose, trait c’est-à-dire relation à une coexistante réalité.
      • C. La ligne de l’action se prolonge, si on la poursuit en pointillé, à partir et au-delà de ce qu’on peut observer chez nous du psychisme le plus immanent.
        • — au niveau de son abord matériel, l’action
          • a) comporte un devenir
          • b) réfère (à) un agent
          • c) implique un patient
        • — au niveau du psychisme le plus secret, l’immanence est telle que lorsque l’être est-AGISSANT
          • a) pas de devenir décelable
            • Là où un devenir est perceptible, c’est dans les antécédents préalables de cette action noétique, au niveau justement où se prépare la « réception » des idées que nous prenons du monde ambiant, et notamment au niveau du « sensible » où elles nous sautent aux yeux, nous frappent, nous assaillent, (Gegenstand, ob-jet). La « psychologie » aura là, dans l’étude de ces « passions » sensibles, un terrain de choix.
          • b) l’agent est en-rapport-avec (un autre existant dont il reçoit et pâtit la forme selon laquelle agir; il est donc lui-même...)
          • c) ... patient (l’action est provoquée à l’intérieur de son immanence, suscitée par information).
        • — au niveau d’un agent dont l’action se pourrait concevoir en prolongeant à l’extrême cette ligne d’immanence croissante, l’acte serait celui, vertigineux, d’un vivant (d’un psychisme, si l’on peut dire) ultra-immanent : à vrai dire, ni immanent ni transitif, mais absolu. Cet événement (Ereignis), étant « absolument vécu » (Erlebnis), se présente donc à l’esprit comme suit : AGISSANT
          • a) pas de « devenir »; absolument pas autre avant et après
          • b) l’agent n’est en rapport qu’avec soi et avec rien d’autre
          • c) Il ne pâtit absolument pas, ne reçoit aucune information.
      • N. B. Le fait de concevoir ou d’aimer se passe donc assez différemment — en rigueur d’existentialité, — s’il s’agit d’un vivant dont l’action est, à l’intérieur d’elle-même, relative à autrui et rapportée essentiellement à un autre que soi; ou s’il s’agit d’un Vivant Absolu, tel qu’on peut le concevoir — sans se prononcer encore sur son existence, — relié à rien d’autre que Soi. L’événement identique alors à l’expérience lui coïncide rigoureusement de l’Agent avec l’Action et avec son Terminus; immanence parfaite, l’action n’en serait pas moins englobante par rapport à toutes les transactions (transitives) qui reculent chez nous les limites d’une influence, car elle est sans frontières. Un Tel Agent — on le conçoit nécessairement — connaît et aime tout-être sans avoir à se rattacher, à se relier intentionnellement à un être-autre. Aussi, devra-t-on penser que Dieu — le jour où nous identifierons ce Nom — connaît et aime d’une façon autrement profonde que. nous. Sa connaissance a la profondeur de Son Être et n’a point à se pencher, pour ainsi dire, sur les êtres. En contact avec Soi, il est en contact avec tout. Acte Absolu auquel nous donnerons plusieurs noms — avec raison d’ailleurs — en empruntant à nos modes divers d’agir (intellectuellement, amoureusement) qui s’y -retrouvent, et selon la mesure qui s’y retrouve, à partir de nos façons de penser.
    • II. CONDITIONS D’EXERCICE : CONVENANCE ET CONSONANCE
      • a) le devenir : trame de l’action
      • b) le contact (relation) sans quoi rien ne se passe
      • c) la puissance satisfaisante (du côté agent), convenant à une puissance suffisante (du côté patient); puissance active et puissance passive.
      • d) la « convenance » horizontale d’une puissance à son acte (isolément pris).
      • e) la « consonance » verticale de tel acte à la totalisation orchestrale de l’action d’être (dans le fait de vivre).
      • La sagesse (métaphysique) est de placer l’action dans ces coordonnées, à la fois horizontale et verticale, qui en représentent la forme existentielle.
    • III. ACTION OU PRESSION
      • Actio est in passo : ce qui se passe, se passe dans le patient, dans l’opéré.
      • Actiones sunt suppositorum : l’action suppose agent (lien saisi au niveau du patient, et de l’opération même, dans son résultat), ou « responsabilité », ou mise en « cause ».
      • Actio absoluta, ni « patient » où elle soit, ni agent « dont » elle soit. L’action absolue s’identifierait à elle-même (ni sujet ni patient). Elle serait in se et a se.
    • IV. L’ALIÉNATION MENAÇANTE
      • A. PHÉNOMÉNOLOGIE DU MAL EN ACTE (subi ou commis).
        • a) dans l’action transitive, le résultat est au-dehors. L’agent s’exprime, s’expatrie, s’extériorise de cela même qui émane de son action. D’où l’ambiguïté :
          • — extériorisation qui permet à l’homme d’assurer son empire sur le monde par le travail transformant
          • — épuisement de l’homme qui y consacre ses énergies et s’use à la tâche.
          • — ajoutons : caractère social du produit manufacturé qui le retire au pouvoir de l’individu, politiquement soumis à un pouvoir plus fort que la société.
        • b) le mal s’impose à l’observateur — phénoménologiquement — sans arrière-pensée d’ordre moral, comme une réalité dont voici trois aspects :
          • — caractère pénible de l’action pour un agent
          • — caractère malfaisant de l’action (ses victimes, ses coupables)
          • — caractère adverse de la passion (échecs subis, etc.).
        • c) le mal, — malvenu — en métaphysique. On y enquêtait sur l’être; et voici que se présente, comme une blessure de l’être, une contrariété de l’être, une offense à l’être, une négation. D’où les tentations d’éluder le problème : stoïcisme qui le nie (en faisant comme si la passion n’existait pas); existentialisme vulgaire, qui le néglige (comme si mal faire ou mal fait importait peu); solutions purement rationnelles et théoriques : on décide de ne pas tenir compte du mal. Mais on ne supprime pas ce qu’on étudie mal : alors quel compte en rendre?
        • d) reconnaître le mal et non point biaiser, — savoir qu’en le considérant pour le définir, on ne l’exorcise pas pour autant, mais qu’on évite de se méprendre sur les faux-espoirs des prophétismes et les théories de charlatans.
          • — déceler par-delà les symptômes la cause, cerner ainsi son étendue, en prendre la mesure réaliste (dût le salut paraître impossible et l’être!).
          • — le mal agir plus grave que le non-avoir. Il tient à ce que la convenance ou la consonance n’est pas respectée, pas assurée.
          • — le mal analysé ne permet pas de s’illusionner sur les faux remèdes, qui ne correspondent ni à ses causes ni à son étendue (symptômes localisés).
      • B. LE TRAVAIL
        • La mystique du travail comme surenchère (non cautionnée par une analyse de l’agir et du subir; aliénation mystifiante).
        • Sens du travail tel qu’il ressort de l’analyse phénoménologique :
          • — le côté astreignant du travail ne le caractérise pas en lui-même, ne préjuge pas de sa valeur (le fait pour l’ouvrier d’aimer ou non son travail ne décide pas de la valeur ou non-valeur de ce travail).
          • — l’orientation spontanée du travail, dans le sens d’un dégagement par rapport aux contraintes matérielles qui est fonction de l’avoir (équipement); puis d’une qualification technique (qualitas), d’abord; puis ensuite, d’une qualification scientifique ou théorique.
          • — tel est l’axe du travail : dominer finalement le monde, le posséder dans un Weltanschauung qui s’identifie à l’ambition métaphysique de la sagesse (disant pourquoi on travaille aussi au plus bas degré de l’échelle et de la peine). Homo faber, homo sapiens; le travail n’a d’autre sens que de permettre à l’homme une montée, — une promotion dont le critère est fourni à l’intérieur de l’action même par le sens progressif de l’immanence, —- intégrant la destinée personnelle.
          • — tel est le sens ultime du travail ; vaincre une résistance d’abord en vue d’assurer l’existence dans l’emprise et l’entreprise mondaine; et, pour finir, savoir pourquoi, — acquisition d’une vision totale où telle occupation s’insère. Rôle normalement libérateur des intellectuels.
          • — mais le travail de l’intelligence peut aussi se faire complice de l’esclavage, en se trompant sur la réalité (l’étendue, les causes, etc.....) des servitudes. Esclavage, au niveau de l’habitus; par manque d’avoir, d’équipement, de logis, d’habit, etc. Esclavage au niveau des valeurs qualitatives et de l’action; impossibilité d’acquérir telle ou telle qualification, soit professionnelle, soit éthique, soit intellectuelle; pressions et oppressions subies au niveau de la propagande ou de la théorie; mise en condition (à effet non seulement psychologique, mais philosophique).
      • C. LE LOISIR (et la maîtrise)
        • — spontanément désiré comme complément, comme aboutissement, et donc comme « fin » du travail : libération, détente.
        • — libération qui appelle un jugement sur ce qu’elle peut avoir d’authentique ou d’illusoire : sur ce qui astreint à tort, ou sur ce qui astreint à raison. Jugement sur la hiérarchie des actions, — puisque aussi bien le loisir en est rempli. Que va-t-on faire de ses loisirs?
        • — faire, c’est là encore s’occuper — de façon transitive (bricoler, se donner du mouvement, etc.) ou de façon immanente (lire, écouter, regarder, etc.) — et donc prendre des orientations qui sont, ou non, conformes à une philosophie, à une vue du monde cautionnée ou non par la science adéquate (« sagesse-science »).
        • — à son sommet le plus libérateur, le loisir se distingue de la fête, encore que celle-ci puisse être tout à fait sensée. Phénoménologiquement :
          • a) la fête se détache du train-train journalier; le loisir peut être quotidien.
          • b) la fête permet l’explosion de forces accumulées : il les met en œuvre. Le loisir est calme : il vise à s’étendre, alors que la fête ne peut être que momentanée.
          • c) la fête occupe; le loisir libère. On est pris par une fête; on dispose d’un loisir. Conséquence sur laquelle on va revenir : la fête empêche de penser, le loisir y achemine en mettant lui-même les réjouissances en question. Il s’interroge à leur sujet, comme il fait à propos du travail. Le loisir est donc vecteur de réflexion.
          • d) la fête resserre le lien social — ce que le loisir ne fait pas nécessairement, car il se peut prendre à l’écart.
          • e) la fête déchaîne les désirs refoulés, contenus au jour le jour par la discipline collective ou la nécessité du travail. Festins, danses, mascarades, courses, jeux sportifs, concours de beauté ou compétitions diverses, joutes burlesques, etc., mettront aux prises des corporations — des « équipes » — à la fois associées et concurrentes. Rixes et orgies terminent éventuellement la fête, — comme ne le fait point le loisir. Bref, la fête suppose le loisir, mais celui-ci ne s’épuise pas à festoyer, ne se limite pas à ce genre d’occupation qui à la limite le nie.
          • f) le loisir permet de réfléchir à l’abri des influences et il y aspire, quand la fête se termine :
            ******« Comment accorder le besoin d’exaltation à la fois individuelle et collective, de vie intense et complète pendant quelques heures avec l’inquiétude et la crainte? Les hommes se savent si faibles encore devant la nature! Comment supporter cette contradiction? La fête est un risque, un pari sur l’avenir. Que risque-t-on de perdre ou de gagner? » (H. Lefebvre, Critique de la vie quotidienne, L’Arche, 1958, p. 216)
            • C’est à résoudre ces questions, à les examiner en tout cas, que la liberté du loisir achemine l’homme. Dans la fête, les membres de la communauté vont pour ainsi dire au-delà d’eux-mêmes et tirent de la nature, de la nourriture, du corps social, de leur propre corps individuel « toutes les énergies, tous les plaisirs, tous les possibles » (H. Lefebvre, op. cit., p. 216). Mais s’il est vrai qu’alors « c’est le jour de la démesure » et que « tout est permis », s’il est vrai qu’on dévore en quelques heures tout un capital accumulé de provisions, on remarque aussi que « cette exubérance, cette ripaille, cette beuverie énormes ne vont pas sans une inquiétude profonde » (ib.). « La communauté regrettera ce jour de grande frairie dans laquelle elle a dévoré sa propre substance, nié ses propres conditions » (ib.).
            • Il n’est donc pas loisible à l’homme d’aller, dans sa générosité ou son désir, au-delà d’une certaine ligne et de mener ses réjouissances dans l’anarchie (prolongée). Car un souci de l’archê l’habite sans discontinuer. Passée la fête, tombée l’exaltation, dispersé le meeting, il « se retrouve » devant une tâche — la vie humaine — dont on a suspendu, et non point « pensé », pesé, l’existence, la réalité. La fête apparaît comme un mythe, une évasion plus ou moins incontrôlée. Elle ne doit donc subsister que démystifiée. Participation à l’enthousiasme dionysiaque ou simple parenthèse dans l’effort (repos!), la fête ne dispense pas du loisir intelligent et actif, qui consiste à regarder, à s’apercevoir, à observer ce qui est, dans le registre le plus vaste qui soit; à prendre, autrement dit, une vue de la totalité, bref, à philosopher.
          • g) c’est dans cette perspective que la plus haute vacance humaine peut coïncider avec une sorte de retraite, de loisir et de fête. L’ultime état de l’action, au-delà même de ce qu’on peut découvrir, consisterait apparemment à ne plus s’agiter pour voir encore; mais pati divina, — accueillir la passion de Dieu, s’exposer en vacances à son influx.
            • Alors sont dépassées les distinctions courantes : car action = loisir et loisir = retraite; mais retraite = contemplation et contemplation = action; mais action = passion; et passion, réjouissance, — loisir d’agir et de s’engager, le cœur en fête tous les jours.
            • Serait-ce là l’ultime perspective de l’engagement humain dans le bonheur d’agir? Nous y reviendrons à propos du problème posé à l’homme par ce qui est « vrai et bon » (dernière section de N.I.P. III, sur les « transcendantaux »).
    • V. LA PASSION ET LA FOLIE.
      • Une des façons d’être : se trouver en train de subir. Étendue considérable et importance philosophique de cette situation patho-logique : à examiner dans une sorte de métapathologie, qui en dévoile le logos, jusque dans l’état où apparemment il a le moins de chance d’être, la folie. Il y aurait une sagesse de la folie : une leçon philosophique à tirer de la passion en cette extrémité.
      • a) le double tableau logique des passions : par attraction (du bon), par répulsion (du mauvais).
      • b) la passion au registre sensible (ou psycho-somatique) et la passion du type noétique (passion rationnelle en elle-même).
      • c) la peur (de se méprendre), principe de sagesse (science et philosophie).
      • d) perspectives en philosophie de la religion : folie, passion et sacrifice. Passion suprême = Action suprême = Folie ou Raison?
      • e) signification (inspiration?) de la folie.
      • les faits de la folie et le problème qu’ils posent d’une ambiguïté; signifiant un malheur suprême, mais aussi, — par les œuvres qui en émanent maintefois, — invitant la raison à pressentir que dans l’irrationnel pourrait être une suprême sagesse. Une Folie qui serait débarrassée des scories et des avanies sous lesquelles présentement elle ploie. Une passion suprême, qui serait suprême action, sagesse culminante.
    • VI. INSTRUMENTS ET MÉDIATIONS.
      • Pour ce qui concerne l’outillage, l’ustensilité proprement dite, cf., supra l’habitus dans son rapport à l’être (avoir). Nous intéresse ici l’action : les médiations qu’elle utilise pour simplement être : on examine l’action dès lors, non plus comme convenance, mais comme intervention ou entreprise, dans ce qu’elle inclut de médium à l’œuvre.
      • Du côté du terme de l’action; médium in quo (ce qu’on appelle encore objet formel et objet matériel de l’action).
      • Du côté de l’agent de l’opération; médium quo. Moyens dont il dispose; depuis l’instrument, l’organe, le sens, la raison.
      • Application en philosophie de la religion : milieux de la foi et moyen de la foi. La formule : Extra Ecclesiam nulla salus, telle qu’un philosophe peut la comprendre, et qu’il la nuance nécessairement.
      • Application d’autre part à la métaphysique de la sexualité.