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HB: mondes

sábado 3 de fevereiro de 2024

  

La passion est à la fois un épuisement et un démembrement. Le Serpent sans fin, qui demeurait invincible tant qu’il était l’Abondance une (NA: Taittirîya Aranyaka, V, 1, 3 ; Maitri Upanishad  , 11, 6 (a).), est disjoint et démembré comme un arbre que l’on abat et que l’on coupe en rondins (NA: Rig Vêda Samhitâ, I, 32.). Car le Dragon, comme nous allons le voir maintenant, est aussi l’Arbre du Monde, et il y a là une allusion au "bois" dont est fait le monde par le Charpentier (NA: Rig Vêda Samhitâ, X, 31, 7 ; X, 81, 4 ; Taittirîya Brâhmana, 11, 8, 9, 6 ; cf. Rig Vêda Samhitâ, X, 89, 7 ; Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), VI, 4, 7, 3.). Le Feu de la Vie et l’Eau de la Vie (Agni et Soma, le Sec et l’Humide), tous les Dieux, tous les êtres, les sciences et les biens, sont dans l’étreinte du Python, qui, en tant que "Constricteur" (namuchi), ne les relâchera pas tant qu’il ne sera pas frappé et réduit à s’entrouvrir et à palpiter (NA: Rig Vêda Samhitâ, 1, 54, 5, chvasanasya... chushnasya ; V, 29, 4, chvasantam dânavam ; Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), II, 5, 2, 4, janjabhyamânâd agnîshomau nirakrâmatâm ; cf. Shatapatha Brâhmana, I, 6, 3, 13-15.). De ce Grand Être, comme d’un feu abattu et fumant, sont exhalés les Écritures, le Sacrifice, les mondes et tous les êtres (NA: Brihadâranyaka Upanishad, IV, 5, 11, mahato bhûtasya... êtânî sarvâni nihshvasitâni ; Maitri Upanishad  , VI, 32, etc. "Car toutes choses sont issues d’un seul être" (B?hme, Sig. Rer., XIV, 74). Également dans Rig Vêda Samhitâ, X, 90.), le laissant épuisé de ce qu’il contenait et semblable à une dépouille vide (NA: Shatapatha Brâhmana, 1, 6, 3, 1.5, 16.). Il en est de même de l’Ancêtre quand il a émané ses enfants, il est vidé de ses possibilités de manifestation, et tombe relaxé (NA: "Il est dépourvu d’attaches, vyasransata, c’est-à-dire non lié, ou disjoint, de telle sorte que, ayant été sans jointures, il est articulé, ayant été un, il est divisé et vaincu, comme Makha (Taittirîya Aranyaka, 1, 3) et Vritra (originellement sans jointures, Rig Vêda Samhitâ, IV, 19, 3, mais désunis, I, 32, 7). Pour la "chute" et la restauration de Prajâpati, voir Shatapatha Brâhmana, I, 6, 3, 35 et passim ; Panchavimsha Brâhmana, IV, 10, 1 et passim ; Taittirîya Brâhmana, 1, 2, 6, 1 ; Aitarêya Aranyaka, III, 2, 6, etc. C’est par référence à sa "division" que, dans Katha Upanishad  , V, 4, la déité (dêhin) immanente est dite "dépourvue d’attaches" (visransamâna) ; car il est un en soi-même, mais multiple en tant qu’il est dans ses enfants (Shatapatha Brâhmana, X, 5, 2, 16), à partir desquels il ne peut pas facilement se réunir (voir note 21).), vaincu par la Mort (NA: Shatapatha Brâhmana, X, 4, 4, 1.), bien qu’il doive survivre à cette épreuve (NA: Panchavimsha Brâhmana, VI, 5, 1 (Prajâpati) ; cf. Shatapatha Brâhmana, IV, 4, 3, 4 (Vritra).). Les positions sont alors renversées , car le Dragon igné ne sera pas détruit et ne peut l’être, mais entrera dans le Héros, à la question duquel : "Quoi donc, me consumerais-tu?" il répond : "Je vais plutôt t’attiser (éveiller, raviver), afin que tu puisses manger (NA: Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), II, 4, 12, 6. La nourriture est, d’une façon tout à fait littérale, consumée par le Feu digestif. Ainsi, quand on annonce un repas rituel, on dit : "Allume le Feu"... ou "Viens au festin", en manière de benedicite. Chose digne de remarque, tandis que l’on désigne habituellement le Soleil ou l’Indra solaire comme le "Personnage dans l??il droit", on peut tout aussi bien dire que c’est Chushna (le Consumeur) qui est frappé et qui, lorsqu’il tombe, entre dans l??il comme dans sa pupille, ou que Vritra devient l??il droit (Shatapatha Brâhmana, III, 1, 3, 11, 18). C’est une des nombreuses modalités par lesquelles "Indra est maintenant ce que Vritra était".)." L’Ancêtre, dont les enfants sont comme des pierres dormantes et inanimées, se dit : "Entrons en eux pour les éveiller" ; mais, tant qu’il est un, il ne peut le faire, c’est pourquoi il se divise en pouvoirs de perception et de «consommation», et il étend ces pouvoirs depuis sa retraite secrète dans la caverne du coeur jusqu’à leurs objets, à travers les portes des sens, en pensant : "Mangeons ces objets". Ainsi "nos" corps sont mis en possession de la conscience, l’Ancêtre étant leur moteur (NA: Maitri Upanishad, II, 6 ; cf. Shatapatha Brâhmana, III, 9, 1, 2 et Jaiminîya Upanishad Brâhmana, I, 46, 1-2. "Celui qui meut", comme dans Paradiso, I, 116. Questi nef   cor mortali è permotore. Cf. Platon  , Lois, 898 C.). Et, du fait que ce sont les Dieux Multiples ou les Mesures Multiples du Feu dans lesquels il s’est ainsi divisé, qui constituent "nos" énergies et "nos" pouvoirs, on peut dire de la même façon que «les Dieux sont entrés dans l’homme, qu’ils ont fait d’un mortel leur demeure (NA: Atharva Vêda Samhitâ, XI, 8, 18 ; cf. Shatapatha Brâhmana, II, 3, 2, 3 ; Jaiminîya Upanishad Brâhmana, I, 14, 2, mayy êtâs sarvâ dêvatâh. Cf. Kaushîtaki Brâhmana, VII, 4 imê purushê dêvatâh; Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), V I, 1, 4, 5, prânâ vai dêvâ... têshu paroksham juhoti ("Les Dieux dans cet homme... Ils sont les Souffles... en eux il sacrifie en mode transcendant").)". Sa nature passible est devenue maintenant la "nôtre", et, à partir de cet état, il ne peut pas aisément se rassembler ou se restituer lui-même, dans sa pleine et entière unité (NA: Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), V, 5, 2, 1. Prajâpatih prajâ srishtwâ prênânu pravishat, tâbhyâm punar sambhavitum nâshaknot ; Shatapatha Brâhmana, I, 6, 3, 36, sa visrastaih parvabhih na shashâka samhâtum.). 18 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Le Mythe

On a compris que la déité est implicitement ou explicitement une victime volontaire. Ceci est reflété dans le Rite humain, où le consentement de la victime, qui a dû être humaine à l’origine, est toujours assuré suivant les formes. Dans l’un ou l’autre cas, la mort de la victime est aussi sa naissance, en accord avec la règle infaillible qui veut que toute naissance ait été précédée d’une mort. Dans le premier cas il y a naissance multiple de la déité dans les êtres vivants, dans le second ils renaissent en elle. Mais, même ainsi, il est reconnu que le sacrifice et le démembrement de la victime sont des actes de cruauté, voire de perfidie (NA: Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), II, 5, 1, 2 ; II, 5, 3, 6 ; cf., VI, 4, 8, 1 ; Shatapatha Brâhmana, I, 2, 3, 3 ; III, 9, 4, 17 ; XII, 6, 1, 39, 40 ; Panchavimsha Brâhmana, XII, 6, 8, 9 ; Kaus. Up., III, 1, etc. ; cf. Bloomfield dans Journal of the American Oriental Society, XV, 161.). C’est là le péché originel (kilbisha) des Dieux, auquel tous les hommes participent du fait même de leur existence distincte et de leur façon de connaître en termes de sujet et d’objet, de bien et de mal, et auquel l’Homme Extérieur doit d’être exclu d’une participation directe (NA: Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), II, 4, 12, 1, Aitarêya Brâhmana, VII, 28.) à "ce que les Brâhmanes entendent par Soma". Les formes de notre "connaissance", ou plutôt de notre "opinion" (avidyâ) ou de notre "art" (mâyâ), le démembrent chaque jour. Une expiation pour cette ignorantia divisiva est fournie dans le Sacrifice, où, par le renoncement à lui-même de celui qui l’offre, et par la restitution de la déité démembrée dans son intégrité et sa plénitude premières, la multitude des "soi" est réduite à son Principe unique. Il y a ainsi multiplication incessante de l’Un inépuisable et unification incessante de l’indéfinie Multiplicité. Tels sont les commencements et les fins des mondes et des individus, produits d’un point sans lieu ni dimensions, d’un présent sans date ni durée, accomplissant leur destinée, et, après leur temps achevé, retournant "chez eux", dans la Mer ou le Vent où leur vie prit origine, affranchis par là de toutes les limitations inhérentes à leur individualité temporelle (NA: Pour le retour des "Fleuves" vers la "Mer" où leur individualité se perd, de sorte que l’on parle seulement de la mer : Chândogya Upanishad, VI, 10, 1 ; Prashna UP., VI, 5, Mund. Up.  , IlI, 2, 8 ; Angutara Nikâya, IV, 198 ; Udâna, 55, et de même Lao Tseu, Tao Te King  , XXXII ; Rûmî  , Mathnawî, VI, 4052, Maître Eckhart   (dans Pfeiffer, p. 314), tout à l’effet que "Wenn du das Tröpflein wist im grossen Meere nennen, Den wirst du meine Seel’im grossen Gott erkennen" (Angeles Silesius  , Cherubinische Wandersmann, II, 15) ; "e la sua volontate è nostra pace ; ella è quel mare, al quai tutto se mose" (Dante  , Paradiso III, 85, 86). Pour le "retour" (en Agni), Rig Vêda Samhitâ, I, 66, 5, V, 2, 6) ; (en Brahma), Maitri Upanishad, VI, 22: (dans la "Mer"), Prashna Up., VI, 5 ; (dans le Vent), Rig Vêda Samhitâ, X, 16, 3 ; Atharva Vêda Samhitâ, X, 8, 16 (ainsi que Katha Up., IV, 9 ; BU  , I, 5, 23) ; Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 1, 1, 2, 3, 12 ; Chândogya Upanishad, IV, 3, 1-3 ; (vers le summum bonum, fin dernière de l’homme), Samyutta Nikâya, IV, 158 ; Sutta Nipâta, 1074-6 ; Mil. 73 ; (vers notre Père), Luc, 15, 11 f.). 20 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Le Mythe

Il est d’usage de traiter la question de ses noms Agni, Indra, Prajâpati, Shiva, Brahmâ, Mitra, Varuna, etc., de la façon suivante : "ils le nomment multiple, lui qui, en réalité, est un (NA: Rig Vêda Samhitâ, X, 145 ; cf. III, 5, 4 ; V, 3, 1.)" ; "tel il paraît, tel il devient (NA: Rig Vêda Samhitâ, V, 44, 6.)" ; "il prend les formes que se représentent ceux qui l’adorent (NA: Kailayamâlai (voir Ceylon National Review, n° 3, 1907, p. 280).)". Les noms trinitaires, Agni, Vâyu et Âditya ou Brahmâ, Rudra et Vishnu, "sont les plus hautes personnifications du suprême, de l’immortel et de l’informel Brahma... Leur devenir est une naissance l’un de l’autre, ils sont des participations à un Soi commun défini par ses différentes opérations... Ces personnifications sont appelées à être contemplées, célébrées, et, en dernier lieu, désavouées. Car c’est par leur moyen que l’on s’élève de plus en plus haut dans les mondes ; mais, là où tout finit, on atteint la simplicité de la Personne (NA: Nirukta, VII, 4 ; Brihad Dêvatâ, I, 70-74; Maitri Upanishad, IV, 6.)". De tous les noms et de toutes les formes de Dieu, la syllabe monogrammatique Om, qui totalise les sons et la musique des sphères chantée par le Soleil résonnant, est le meilleur. La validité de ce symbole sonore est exactement la même que celle du symbole plastique de l’icône. Ils sont l’un et l’autre des supports de contemplation (dhiyâlamba). La nécessité de tels supports découle du fait que ce qui est imperceptible à l??il ou à l’oreille ne peut être saisi objectivement tel qu’il est en lui-même, mais seulement dans une similitude. Le symbole doit, bien entendu être adéquat, et ne saurait être choisi au hasard. On infère (avêshyati, âvâhayati) l’invisible dans le visible, le non-entendu dans l’entendu. Mais ces formes ne sont que des moyens d’approche de l’informel et doivent être écartées avant qu’il nous soit donné de nous changer en lui. 27 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Théologie et Autologie

Par la séparation du Ciel et de la Terre, on distingue les "Trois Mondes" ; le Monde Intermédiaire (antariksha) produit l’espace, dans lequel les possibilités latentes de manifestation formelle pourront naître selon la multiplicité de leurs natures. De la première substance, l’éther (âkâsha), dérivent successivement l’air, le feu, l’eau et la terre ; et de ces cinq éléments (bhûtâni), combinés en proportions variées, sont formés les corps inanimés des créatures (NA: Chândogya Upanishad, 1, 9, 1 ; VII, 12, 1 ; Taittirîya Upanishad, II, 1, 1. L’Éther est l’origine et la fin du "nom et de la forme", i. e. de l’existence ; les quatre autres éléments sont issus de lui et retournent à lui comme à leur principe. Quand il est tenu compte de quatre éléments seulement, comme cela arrive fréquemment dans le Bouddhisme, on a en vue les bases concrètes des choses matérielles ; cf. Saint Bonaventure  , De red. artium ad theol., 3, Quinque sunt corpora mundi simplicia, scilicet quatuor elementa et quinta essentia. Tout comme, dans l’ancienne philosophie grecque, les "quatre racines" ou "éléments" (feu, air, terre et eau d’Empédocle  , etc.) ne comprennent pas l’éther spatial, tandis que Platon mentionne les cinq (Epinomis  , 981 C) et qu’Hermès fait remarquer que "l’existence de toutes les choses qui sont eût été impossible si l’espace n’avait existé comme une condition préalable de leur être". (Ascl. II, 15). Il serait absurde de supposer que ceux qui parlaient seulement de quatre éléments n’avaient pas à l’esprit cette notion passablement évidente.), dans lesquels la Divinité entre pour les éveiller, se divisant elle-même pour remplir ces mondes et devenir la "Multitude des Dieux" (vishwê dêvâh), Ses enfants (NA: Maitri Upanishad, II, 6 ; VI, 26 ; c’est-à-dire apparemment (iva) divisé dans les choses divisées, mais en réalité non divisé (Bhagavad Gîtâ, XIII, 16 ; XVIII, 20), cf. Hermès Lib., X, 7, où "les âmes prosiennent pour ainsi dire (wsper) du morcellement et du partage de la seule Ame Totale".). Ces Intelligences (jn  ânâni, ou spirations, prânâh) (NA: Jnânâni, prajnâ-mâtrâ etc. Katha Upanishad, VI, 10 ; Maitri Upanishad, VI, 30 ; Kaush. UP., III, 8.), sont les hôtes des "êtres" (bhûtagana) ; elles opèrent en nous, unanimement, à titre d’"âme élémentaire" (bhûtâtman), ou de soi conscient (NA: Maitri Upanishad, III, 2 f.). C’est là en effet notre "soi", mais un soi pour le moment mortel, sans essence spirituelle (anâtmya, anâtmâna), ignorant du Soi immortel (âtmânam ananuvidya, anâtmajna) (NA: Shatapatha Brâhmana, II, 2, 2, 3, 6. Cf. Notes 199, 204.), et qu’il ne faut pas confondre avec les Déités immortelles qui sont déjà devenues ce qu’elles sont par leur "valeur" (arhana), et que l’on désigne sous le nom d’"Arhats" (Dignités) (NA: Rig Vêda Samhitâ, V., 86, 5 ; X, 63, 4.). Par le moyen des déités perfectibles et terrestres, tout comme un Roi reçoit le tribut (balim âhri) de ses sujets (NA: Atharva Vêda Samhitâ, X, 7, 39, XI, 4, 19 ; Jaiminîya Upanishad Brâhmana, 23, 7 ; Brihadâranyaka Upanishad, IV, 3, 37, 38.), le Personnage dans le coeur, l’Homme Intérieur, qui est aussi le Personnage dans le Soleil, obtient la nourriture (anna, ahara), tant physique que mentale, qui lui est nécessaire pour subsister durant sa procession de l’être vers le devenir. En raison de la simultanéité de sa présence dynamique dans tous les devenirs passés et futurs (NA: Rig Vêda Samhitâ, X, 90, 2 ; Atharva Vêda Samhitâ, X, VIII, 1 ; Katha Upanishad, IV, 13 ; Shwêt. Up., III, 15.), on peut regarder les pouvoirs créés, à l??uvre dans notre conscience, comme le support temporel de la prosidence (prajnâna) et de l’omniscience (sarvajnâna) éternelles de l’Esprit solaire. Non que le monde sensible, avec ses événements successifs, déterminés par des causes médiates (karma, adrishta apûrva), soit pour lui source de connaissance ; mais bien plutôt parce que ce monde est lui-même la conséquence de la science qu’a l’Esprit de "cette image diverse peinte par lui-même sur le vaste canevas de lui-même (NA: Shankarâchârya, Swâtmanirûpana, 95. L’"image du monde" (jagacchitra = kosmos noetos) peut être appelée la forme de l’omniscience divine, et elle est le paradigme hors du temps de toute existence, la «création" étant exemplaire, cf. mon "Vedic Exemplarism" dans Harvard Journal of Asiatic Studies, I, 1936. "Un précurseur de l’Indo-Iranien arta et même de l’Idée platonicienne se trouve dans le sumérien gish-ghar, le contour, plan ou modèle des choses-qui-doivent-être, établi par les Dieux à la création du monde et fixé dans le ciel en vue de déterminer l’immutabilité de leur création" (Albright, dans JAOS, 54, 1934, p. 130, cf. p. 121, note 48). L’"image du monde" est la paradeigma aiona de Platon (Timée  , 29 A, 37 C), to archetypou eidas d’Hermès, et l’éternel miroir qui conduit les esprits qui regardent en lui vers la connaissance de toutes les créatures, et "mieux qu’en regardant ailleurs" de saint Augustin   (voir Bissen, L’exemplarisme divin selon saint Bonaventure, 1929, p. 39, note 5) ; cf. saint Thomas d’Aquin  , Sum. Theol., I, 12, 9 et 10, Sed omnia sic videntur in Deo sicut in quodam speculo intelligibili... non successive, sed simul. "Quand l’habitant du corps, contrôlant les facultés de l’âme qui saisissent ce qui leur appartient dans les sons, etc., s’illumine, il voit l’Esprit (âtman) dans le monde, et le monde dans l’Esprit" (Mahâbhârata, III, 210) ; "Je vois le monde comme une image, l’Esprit" (Siddhântamuktâvalî, p. 181).)". Ce n’est pas par le moyen de la Totalité qu’il se connaît lui-même : c’est par sa connaissance de lui-même qu’il devient la Totalité (NA: Brihadâranyaka Upanishad, I, 4, 10 ; Prashna Upanishad  , IV, 10. L’omniscience présuppose l’omniprésence et inversement. Cf. ma "Recollection, Indian and Platonic", Journal of the American Oriental Society, Supplement, 3, 1945.). C’est le propre de notre façon inductive de connaître, que de le connaître par la Totalité. 32 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Théologie et Autologie

Dans la seconde image, la constitution des mondes et de l’individu est comparée à une roue (chakra) dont le moyeu est le coeur, les rayons nos facultés, et les points de contacts avec la jante, nos organes de perception et d’action (NA: Brihadâranyaka Upanishad, II, 5, 15, IV, 4, 22, Kaush. Up., III, 8, etc. Semblablement Plotin  , Ennéades, V I, 5, 5.). Les "pôles" que représentent respectivement notre Soi profond et notre Soi superficiel, sont ici d’une part, l’essieu immobile sur lequel la roue tourne - il punto dello stelo al cui la prima rota va dintorno - la pointe de l’axe autour duquel tourne le premier orbe   (NA: Paradiso, XIII, II, 12.), et d’autre part, la jante en contact avec la terre sur laquelle elle réagit. Telle est "la roue du devenir et des naissances" (bhavachakra = o trochos tes geneseos). Le mouvement commun de toutes ces roues intérieures les unes aux autres - chacune tournant autour d’un même point non spatial et constituant chacune un monde ou un individu -est appelé la Confluence (samsâra). C’est dans cette "tourmente du flot du monde" que notre "soi élémentaire" (bhûtâtman) est fatalement emporté : fatalement parce que tout ce que "nous" sommes "destinés" par nature à accomplir ici-bas, est la conséquence inéluctable de l’opération continue, quoique invisible, des causes médiates, dont seul le "point" susdit demeure indépendant, étant dans la roue, sans doute, mais non en tant que partie de celle-ci. (NA: Jacques, 3, 6, Cf. Philon  , Somn., II, 44. Ici le concept est d’origine orphique.) 34 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Théologie et Autologie

La notion du caractère héréditaire des capacités individuelles et des vocations correspondantes découle nécessairement de la doctrine de la filiation ancestrale : le fils d’un homme donné est qualifié et prédestiné de naissance pour assumer la "marque distinctive" de son père, et pour prendre sa place dans le monde. C’est la raison pour laquelle il est initié dans la profession paternelle et confirmé définitivement en elle par les rites de transmission accomplis au lit de mort, à la suite desquels, quand bien même le père survivrait, le fils devient le chef de famille. En remplaçant son père, le fils délivre celui-ci de la responsabilité de la fonction dont il était chargé dans cette vie, en même temps qu’il pourvoit à la continuation du service sacrificiel (NA: Aitarêya Aranyaka, II, 4, 5 (Ait. Up. IV, 4) : "Pour la perpétuation de ces mondes. Car, de cette façon, les mondes sont perpétués. C’est là sa seconde naissance. Ce soi, le sien, est mis à sa place pour l’accomplissement des ?uvres saintes. Son autre Soi, ayant fait ce qu’il y avait à faire, entre dans le Vent et prend son départ. C’est sa troisième naissance", cf. Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 9, 6 ; Maitri Upanishad, VI, 30. La transmission héréditaire des vocations pourvoit à la continuité du service divin. Le même point de vue est dans Platon, Lois 773 E f. : "En ce qui concerne le mariage... il est décrété que nous nous conformerons à la nature sans cesse productrice en fournissant à Dieu des serviteurs à notre place, cela en laissant toujours après nous des enfants de nos enfants". De même Shatapatha Brâhmana, 1, 8, 1, 31, tasmât prajottarâ dêvayajyâ ; Aitarêya Brâhmana, VII, 13 ; Brihadâranyaka Upanishad, I, 5, 17 ; Rig Vêda Samhitâ, IX, 97, 30, pitur na putrah ritubhir (i. e. karmabhir) yatânah.). Pour la même raison, une lignée familiale trouve sa fin, non pas quand les descendants font défaut (l’adoption peut y suppléer), mais quand la vocation et la tradition de la famille sont abandonnées. C’est également pour cela qu’une totale confusion des castes marque la mort d’une société, qui n’est plus alors qu’une foule informe, où l’homme peut changer de profession à volonté, comme si celle-ci était quelque chose d’indépendant de sa propre nature. En fait, c’est ainsi que les sociétés traditionnelles sont tuées et leur culture détruite, au contact des civilisations industrielles et prolétariennes. Le jugement de l’Orient traditionnel sur la civilisation occidentale est parfaitement traduit dans ces paroles de Macaulay : L’Orient s’est incliné devant l’Occident - Avec un patient et profond dédain. 64 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme L’Ordre social

Ils sont d’ores et déjà délivrés des chaînes de la fatalité, à laquelle reste seul attaché le véhicule psycho-physique, jusqu’à ce que vienne la fin. La mort en samâdhi ne change rien d’essentiel. De leur condition on ne peut désormais dire plus que : ils sont. Sans doute ne sont-ils pas anéantis, non seulement parce que l’annihilation d’une chose réelle est une impossibilité métaphysique, mais parce qu’il est expressément déclaré : "Jamais il n’y eut de temps où je n’ai pas été, et où tu n’as pas été, jamais non plus il n’y aura de temps où nous ne serons pas (NA: Bhagavad Gîtâ, II, 12.). Il est dit que le soi devenu parfait devient un rayon de Soleil, et, qu’il se meut à son gré de haut en bas des mondes, prenant la forme qu’il veut, mangeant ce qu’il veut, de même que l’élu, dans saint Jean, "entrera et sortira, et trouvera des pâturages (NA: Rig Vêda Samhitâ, IX, 113, 9 ; Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 28, 3 ; Shankhâyana Aranyaka, VII, 22 ; Brihadâranyaka Upanishad, II,1,18 ; Chândogya Upanishad, VII, 25, 2, VIII, 1, 5, 6 ; Mund. Up., III, 1, 4 ; Taitt. Up., III, 10, 5 : Pistis Sophia. II, 191 b ; Jean, X, 9.)". Ces expressions sont en rapport avec la doctrine de la "distinction sans séparation" (bhêdâbhêda) qui passe pour être propre au "théisme" hindou mais qui est: présupposée en fait dans la doctrine de l’essence une et de la nature duelle ainsi que par de nombreux textes védantiques, y compris les Brahma-Sûtras  , que Shankara   lui-même n’a pas réfutés (NA: Br. Sûtra, II, 3, 43 f. Das Gupta, Indian Philosophy, II, 42 f.). La doctrine elle-même correspond exactement à ce qu’entendait Maître Eckhart lorsqu’il disait : "Fondus mais non confondus". 71 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme L’Ordre social

La question peut être abordée sous bien des angles différents. En premier lieu, les noms et les épithètes du Bouddha sont suggestifs ; dans les Vêdas, par exemple, les premiers et les plus grands des Angirases sont Agni et Indra (NA: Rig Vêda Samhitâ, 1, 31, 1 (Agni) ; 1, 130, 3 (Indra).), à qui également la désignation d’Arhat est très souvent appliquée. Agni, comme le Bouddha, "s’éveille à l’aube" (usharbudh) : Indra est pressé de rester "l’esprit en éveil" (bodhin-manas (NA: Rig Vêda Samhitâ, V, 75, 5 (afin qu’il puisse dominer Vritra). Bodhinmanas suggère le bodhi-chitta bouddhique. Milinda Panho, 75, assimile buddhi, Bouddha. Dans Rig Vêda Samhitâ, V, 30, 2, naro bubudhânah, et III, 2, 14, etc., ushar-budh sont des anticipations des termes ultérieurs buddhi, buddhimat, buddha.) ), et, lorsqu’il s’est laissé dominer par l’orgueil de sa propre force, il se "réveille" effectivement en recevant les reproches de son alter ego spirituel (NA: Brihad Dêvatâ, VII, 57 sa (Indra), buddhwâ âtmânam. Les récits de Jâtaka mentionnent nombre de naissances antérieures du Bouddha en tant que Sakka (Indra). Dans les Nikâyas, Sakka se comporte comme le protecteur du Bouddha, comme Indra à l’égard d’Agni ; mais c’est le Bouddha lui-même qui l’emporte sur Mâra. Autrement dit, le Bouddha est comparable à cet Agni qui est "à la fois Agni et Indra, brahma et kshatra". Dans Majjhima Nikâya, I, 386, il semble que l’on parle du Bouddha comme d’Indra (purindado sakko) ; mais ailleurs, par exemple Sn. 1069, et quand ses disciples sont appelés "fils du Sakyan", l’on se réfère au clan de Sakya, dont le nom, comme celui d’Indra, contient l’idée d’ "être capable".). Que le Bouddha soit appelé le "Grand Personnage" et l’ "Homme par excellence" (mahâ purusha, nritama) ne signifie nullement qu’il soit un homme, dès lors que ce sont là des épithètes appliquées aux plus grands Dieux dans les premiers livres brahmaniques. Mâyâ n’est pas un nom de femme, mais celui de la Natura naturans, de "notre Mère Nature (NA: Mâyâ, le "moyen" de toute création, divine ou humaine, ou l’"art" maternel par quoi toute chose est faite, est "magique" seulement dans le sens de B?hme, Sex Puncta Mystica, V., 1, f ("La Mère d’éternité, l’état originel de Nature ; la puissance formative dans l’éternelle Sagesse, la puissance d’imagination, la mère dans les trois mondes ; utile aux enfants pour le Royaume de Dieu, aux Sorciers pour le Royaume du Malin ; car l’intelligence peut faire d’elle ce qu’il lui plaît"). Pour Shankara, le plus grand interprète du mâyâvâda, Mâyâ est "la Non-Révélée, la Puissance (Shakti) du Seigneur, l’Inconnaissable avidyâ sans conmmencement, que le sage infère de la considération des possibilités d’existence (kârya = factibilia, ce par quoi tout ce monde en mouvement est appelé à naître... et au moyen de quoi la Servitude et la Délivrance sont l’une et l’autre rendues effectives" (Vivêka-chûdâmani, 108, 569). Dans des textes comme ceux-ci le gérondif avidyâ, synonyme de "Puissance", ne peut signifier simplement "Ignorance", mais plutôt "mystère", ou "opinion", en opposition avec vidyâ, "ce qui peut être connu" : avidyâ est la Potentialité qui ne peut être connue que par ces effets, par tout ce qui est mâyâ-maya. En d’autres termes, Mâyâ est le Théotokos, et la mère de tous les vivants ; Metis (mère d’Athéna) ; Sophia ; Kaushalyâ (mère de Râma) ; Maia (mère d’Hermès, Hésiode, Theog., 938) ; Mâyâ (mère du Bouddha). De qui d’autre le Bouddha pouvait-il naître ? Le fait. que les mères des Bodhisattwas meurent jeunes tient effectivement à ce que, comme le dit Héraclite   (Fr. X), "la Nature aime à se cacher". Mâyâ "s’évanouit" comme s’évanouissait Urvashî, mère d’Âyus (Agni) par les ?uvres de Purûravas, et comme s’évanouissait Saranyû loin de Vivaswân ; Prajâpati, swamûrti, de Mâyâ, prend sa place comme la savarnâ de Saranyù prend la place de celle-ci. L’Avatâra éternel a, en vérité, toujours "deux mères", l’une éternelle et l’autre temporelle, l’une sacerdotale et l’autre royale. Voir aussi mon "Nirmânakâya", JRAS., 1938. Mâyâ étant l’"art" par quoi toutes choses et chaque chose sont faites (nirmita, "mesuré"), et l’"art" ayant été à l’origine une science mystérieuse et magique, elle acquiert son autre sens, son sens péjoratif (par ex. Maitri Upanishad, IV, 2), de la même façon que des mots comme invention, "métier", finesse et adresse, peuvent ne pas désigner seulement les vertus essentielles de l’artifex, mais aussi comporter le sens d’artifice, "industrie", rouerie, astuce et tricherie ; c’est dans le mauvais sens par exemple qu’il est dit que "la conscience est un mirage" (mâyâ viya vinnânam, Visuddhi Magga, 479 ; Samyutta Nikâya, III, 142), tandis que, d’un autre côté, Wycliffe pouvait rendre "prudents comme des serpents" (Matth., X, 16 ; cf. Rig Vêda Samhitâ, VI, 52 ; I, ahimâyâh) par "sournois comme des serpents".)". Or, si nous considérons la vie miraculeuse du Bouddha, nous constatons que presque tous les détails, depuis le libre choix de l’heure et du lieu de la naissance (NA: Cf. Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 28, 4, yadi brâhmana-kulê yadi râja-kulê, comme J., I, 49, khattiya-Kulêvâ brâhmanakulê.) jusqu’à la naissance par le côté elle-même (NA: Rig Vêda Samhitâ, IV, 18, 2 (Indra) pârshwât nirgarnâni ; Buddhacharita, I, 25 (Bouddha) pârshwât sutah. Ainsi Agni (Rig Vêda Samhitâ, VI, 16, 35, garbhê mâtuh... vididyutânah) et le Bouddha (D., II, 13, kucchi-gatam passati) sont tous les deux visibles dans la matrice. On pourrait faire bien d’autres parallèles.), et aux Sept Pas (NA: 11V., X, 8, 4 (Agni) sapta dadhishê padâni, X, 122, 3 (Agni) sapta dhâmâni pariyan ; J., I, 53 (Bodhisattwa), sattapada-vîtihârêna agamâsi.), depuis la Sortie jusqu’au Grand Éveil sur l’autel jonché, au pied de l’Arbre du Monde, au Nombril de la Terre, depuis la défaite des Dragons jusqu’à l’allumage miraculeux du bois pour le sacrifice (NA: Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), II, 5, 8, 3 ; cf. 1 Rois, 18, 38.), peuvent être mis en parallèle exact - et en disant exact c’est bien là ce que nous entendons - avec le mythe védique d’Agni et d’lndra, le prêtre et le roi in divinis. Par exemple, et cette seule indication doit suffire, si le Dragon védique combat à l’aide du feu et de la fumée (NA: Rig Vêda Samhitâ, I, 32, 13.), et aussi à l’aide de femmes en guise d’armes (NA: Rig Vêda Samhitâ, V, 30, 9 ; X, 27, 10.), ainsi fait Mâra, la Mort, à qui les textes bouddhiques se réfèrent encore sous les noms de "Constricteur" (namuchi), "Mal" (Pâpmâ) et Serpent (Sarpa-râjâ) ; si le Tueur védique du Dragon est abandonné par les Dieux et doit compter sur ses seules ressources, le Bodhisattwa est laissé seul, lui aussi, et ne peut faire appel qu’à ses propres facultés (NA: Rig Vêda Samhitâ, VIII, 96, 7 ; Aitarêya Brâhmana, III, 20, etc. Le Bouddha est mârabhibhû, Sutta Nipâta, 571, etc., comme Indra est le conquérant de Vritra-Namuchi ; voir mes "Some Sources of Buddhist Iconography", B. C. Law, vol. 1, p. 471-478, sur le Mâra-dharsana.). En disant cela nous ne voulons pas nier que la défaite de Mâra par le Bouddha soit un symbole de la conquête du Soi, mais seulement montrer que c’est là une histoire très antique, une histoire qui a été racontée partout et toujours ; que, dans sa forme bouddhique, elle n’est pas nouvelle, mais est issue directement de la tradition védique, où la même histoire est rapportée et où elle a la même signification (NA: Cf. Rig Vêda Samhitâ, III, 51, 3 où Indra est abhimâti-han (ailleurs vritra-han, etc.) ; de même dans IX, 65, 15 et passim. Abhimâti (= abhimâna, Maitri Upanishad, VI, 28, i. e. asmi-mâna), la conscience de l’Ego, est d’ores et déjà l’Ennemi, le Dragon à vaincre.). 148 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine

Iddhi (Scr. riddhi, de riddh, prospérer emporwachsen) est la vertu, la force (au sens de Marc, V, 30, dunamiV), l’art (par ex. l’adresse du chasseur, Majjhima Nikâya, 1, 152), le talent ou le don. Les iddhis de Iddhi-pâda, "Pas de Puissance", sont supranormales et non anormales. Nous ne pouvons résoudre ici en détail l’apparente difficulté présentée par le fait que les iddhis sont aussi attribuées à l’Adversaire du Bouddha (Mâra, Namuchi, Ahi-Nâga), et nous indiquerons seulement que la Mort est aussi un être spirituel (dans le sens même où Satan reste un "ange"), et que les "pouvoirs" ne sont pas moraux en eux-mêmes, mais représentent bien plutôt des vertus intellectuelles. Les pouvoirs du Bouddha sont plus grands que ceux de l’Adversaire parce que son rang est plus haut ; il connaît le Brahmaloka aussi bien que les mondes jusqu’au Brahmaloka (i. e. sous le Soleil), tandis que le pouvoir de la "Mort" s’étend seulement jusqu’au Brahmaloka, et non au-delà du Soleil.). Quand le disciple s’est rendu maître de toutes ces stations de contemplation au point de pouvoir passer à volonté de l’une à l’autre et de commander de la même manière à cette paix ou synthèse (samâdhi) vers laquelle elles mènent, alors dans cet état d’unification (êko’ vadhibhâva), l’Arhat délivré est rendu aussitôt omniscient et omnipotent ; le Bouddha, décrivant sa propre conquête, peut évoquer ses "précédentes habitations" (pûrva-nivâsa), ou, comme nous serions enclins à dire, ses "naissances passées", dans leur détail. Décrivant ses pouvoirs, il dit : "Frères, je peux manifester (pratyanubhû) des pouvoirs sans nombre ; étant plusieurs je deviens un, comme, de plusieurs que j’étais, je suis devenu un ; visible ou invisible, je peux passer à travers un mur ou une montagne comme s’ils étaient l’air ; je peux plonger dans la terre ou en émerger comme si c’était l’eau ; je peux marcher sur les eaux comme si elles étaient une terre solide (NA: Consulter sur l’histoire primitive de ce pouvoir, W. N. Brown, Walking on the Water, Chicago, 1928. C’est avant tout le pouvoir de l’Esprit (Genèse, 1, 2). C’est typiquement du Vent (Vâyu) invisible de l’Esprit que la motion à volonté est proclamée (Rig Vêda Samhitâ, X, 168, 4, âtmâ dêvânâm yathâ vasham charati... na rûpam tasmai). Dans Atharva Vêda Samhitâ, X, 7, 38, le Yaksha primordial (Brahma) "arpente" le faîte de la mer ; ainsi fait, par conséquent, le brahmachârî, ibid, XI, 5, 26, car "de même que Brahma peut changer de forme et se mouvoir à son gré, de même, parmi tous les êtres, Celui qui comprend peut changer de forme et se mouvoir à son gré" (ShA., VII, 22) ; "Le Seul Dieu (Indra) se tient à son gré sur le courant des eaux" (Atharva Vêda Samhitâ, III, 3, 4 ; Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), V, 6, 1, 3). "Le mouvement spontané désigne l’essence même de l’Ame" (Phèdre  , 241 Cf.). Il y a là, comme dans toutes les autres formes de lévitation, une question de légèreté et de luminosité (selon les deux acceptions du terme anglais light-ness). Ainsi, dans Samyutta Nikâya, I, 1, le Bouddha dit : "Je ne traversais les flots que lorsque je ne me soutenais pas moi-même et ne faisais aucun effort" (appatittham anâyûham ogham atari) ; c’est-à-dire lorsque j’étais sans poids à la surface de l’eau. Cf. saint Augustin, Conf., XIII, 4, superferebatur super aquas, non ferebatur ab eis, tanquam in eis requiesceret. Milinda Panho, 84, 85, décrit le pouvoir de voyager dans l’air, "même jusqu’au ciel de Brahma", comme celui de quelqu’un qui sauterait (langhayati) en décidant (chittam uppâdêti) : "C’est là que j’atteindrai", et c’est par celte intention que "son corps devient léger" (kâyo mê lahuko hoti) ;c’est, d’une semblable manière, "par le pouvoir de la pensée" (chitta-vasêna) que l’on se meut dans l’air. La légèreté (laghutwa) se développe par la contemplation (Shwêt. Up., II, 13) ; tous les pouvoirs (iddhi) sont des résultats de la contemplation (jnâna, cf. note 78) et en dépendent, de sorte que l’on peut demander : "Quel est celui qui ne coule pas au fond du golfe, bien qu’il n’ait ni support ni soutien ?", et, répondre : "Celui qui a la prescience, qui est pleinement intégré (susamâhito), celui-là peut traverser les flots dont le passage est si difficile" (ogham tarati dultaram, Samyutta Nikâya, I, 53, où l’application est d’ordre éthique). Le notion de légèreté est impliquée dans le symbolisme universel des "oiseaux" et des "ailes" (Rig Vêda Samhitâ, VI, 9, 5 ; Panchavimsha Brâhmana, V, 3, 5 ; XIV, 1, 13, XXV, 3, 4, etc.). Réciproquement, pour atteindre le monde informel, on doit avoir rejeté "la charge pesante du corps" (rûpagaru-bhâram, Sdhp., 494), cf. Phèdre, 246 B, 248 D, où c’est "le poids de l’oubli et du mal" qui arrête "le vol de l’âme" ; Saint. Augustin, Conf., XIII, 7, quomodo dicam de pondere cupiditatis in abruptam abyssum et de sublevatione caritatis per spriritum tuum qui superferebatur super aquas ; Dante, Paradiso, XXVII, 64, mortal pondo, et X, 74, chi non s’impenna si che lassu voli. Autrement dit, le pouvoir de lévitation est exercé "par le moyen d’un enveloppement du corps dans le manteau de la contemplation" (jhâna-vêthanêna sarîram, vêthêtwâ, J., V, 126), où ce pouvoir est en même temps un pouvoir d’invisibilité.); je peux me mouvoir dans l’air comme un oiseau ; je peux toucher de mes mains le soleil et la lune : j’ai sur mon corps un pouvoir qui s’étend jusqu’au monde de Brahma (NA: Samyutta Nikâya, V, 25 f., Angutara Nikâya, I, 254, Samyutta Nikâya, Il, 212, NI., 1, 34 et passim : explications, Vis. 393 f.)". Les mêmes pouvoirs sont exercés par les autres adeptes selon leur degré de perfection dans ces mêmes disciplines et selon la mesure où ils sont maîtres du samâdhi. C’est seulement quand la contemplation (dhyâna) vient à faire défaut que le pouvoir de la libre motion se perd (NA: L’échec prosient du manque de "foi", ou de toute distraction dans la contemplation, selon J., 125-127.). C’est une vieille formule brahmanique (NA: Rig Vêda Samhitâ, IX, 86, 44 ; Jaiminîya Brâhmana, II, 34 : Shatapatha Brâhmana, IV, 3, 4, 5 ; Aitarêya Brâhmana, II, 39-41 ; VI, 27-31 ; Katha Upanishad, VI, 17, etc.) qu’emploie le Bouddha quand il dit qu’il a appris à ses disciples à extraire de ce corps matériel un autre corps, de substance intellectuelle, comme on tire une flèche de son carquois, une épée de son fourreau, un serpent de sa dépouille ; c’est à l’aide de ce corps intellectuel que l’on goûte l’omniscience et que l’on se meut à son gré jusqu’au Brahmaloka (NA: Comme Shankara l’explique en connection avec Prash. Up., IV, 5, c’est le mano-maya âtman qui goûte l’omniscience et il peut être où et tel qu’il veut. Ce "soi ou corps intellectuel" (ânno attâ dibbo rûpî manomayo, D., I, 34, cf. I, 77 ; Majjhima Nikâya, II, 17), le Bouddha a enseigné à ses disciples comment l’extraire du corps physique, et c’est manifestement dans cet autre corps, dans ce "corps intellectuel et divin", et non dans sa détermination humaine, non à quelque moment ou dans quelque condition, "soit de mouvement ou de repos, soit de sommeil ou de veille" (charato chu mê litthato cha suttassa cha jagarassa cha), mais "quand il lui plaît" (yâvadê akankhâmi, comme dans le texte relatif aux iddhis) que le Bouddha lui-même peut se rappeler (anussarâmi) ses précédentes naissances, qu’il peut, sans limites, avec "l’?il divin, transcendant à la vision humaine", considérer les naissances et les morts des autres êtres dans ce monde-ci et dans les autres, dans lesquels et au-delà desquels il a vérifié dès ici et dès maintenant la double délivrance (Majjhima Nikâya, I, 482). L’expression "de sommeil ou de veille" prêterait en elle-même à une longue exégèse. On notera que l’ordre des mots relie le mouvement au sommeil et l’immobilité à la veille. Cela signifie que, comme dans tant de textes des Upanishads, le sommeil dont il s’agit, sommeil dans lequel on "rentre en soi-même" (swapiti = svam apîta, Chândogya Upanishad, VI, 8, 1, Shatapatha Brâhmana, X, 5, 2, 14), n’est pas le sommeil d’épuisement, mais le "sommeil de contemplation" (dhyâna) ; c’est précisément dans cet état de sommeil, où les sens sont résorbés, que se situe la possibilité de se mouvoir à son gré (supto... prânân grihîtwâ swê sharîrê yathâ-kâmam parivartatê, Brihadâranyaka Upanishad, II, 1, 17) ; c’est dans ce sommeil de contemplation que, "terrassant ce qui est physique, l’Oiseau-Soleil, l’Immortel, va où il veut" (dhyâyatîva... svapno bhütwâ... sharîram abhiprahatya... îyatê’mrito yatra kâmam, Brihadâranyaka Upanishad, IV, 3, 7, 11, 12).). 150 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine