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HB: divin

sábado 3 de fevereiro de 2024

  

Nous sommes dès lors la pierre d’où peut être tirée l’étincelle, la montagne sous laquelle Dieu gît enseveli, la peau de serpent écailleuse qui le cache, et l’huile pour sa flamme. Que sa retraite soit devenue une caverne ou une maison présuppose la montagne ou les murs qui l’enclosent, verborgen (nihito guhâyâm) et verbaut. "Tu" et "Je" sont la prison psycho-physique, le Constricteur où le Premier Principe a été absorbé afin que "nous" puissions pleinement être. Car, comme cela nous est constamment enseigné, le Tueur de Dragon dévore sa victime, l’avale et la boit jusqu’à la dernière goutte. Grâce à ce repas eucharistique il prend possession des trésors et des pouvoirs du Dragon premier-né, et il devient ce qu’il était. On peut citer, de fait, un texte remarquable où notre âme composite est appelée la "montagne de Dieu", et où il est dit que celui qui comprendra cette doctrine absorbera de la même façon son propre mal, son adversaire haïssable (NA: Aitarêya Aranyaka, II, 1, 8. Cf. Platon  , Phèdre  , 250 C ; Plotin  , Ennéades, IV, 8, 3 ; Maître Eckhart   ("hat gewonet in uns verborgenliche", Pfeiffer, p. 593) ; Henry Constable ("Enseveli en moi, jusqu’à ce qu’apparaisse mon âme"). Saint Bonaventure   assimilait de même mons et mens (De dec, preceptiis, II, ascendere in montem, id est, in eminentiam mentis) ; cette image traditionnelle, que l’on doit, comme beaucoup d’autres, faire remonter au temps où "caverne" et "habitation" étaient une seule et même chose, est sous-entendue dans les symboles familiers de la mine et de la recherche du trésor enfoui (Maitri Upanishad  , VI, 29, etc.). Les pouvoirs de l’âme (bhutâni, terme qui signifie également "gnômes") au travail dans la montagne-esprit, sont les prototypes des nains mineurs qui protègent la "Blanche-Neige"-Psyché quand elle a mordu dans le fruit du bien et du mal et tombe dans son sommeil de mort, où elle demeure jusqu’à ce que l’Éros divin la réveille, et que le fruit tombe de ses lèvres. Qui a jamais compris le Mythe scripturaire en reconnaîtra les paraphrases dans tous les contes de fées du monde, qui n’ont pas été créés par le "peuple", mais hérités et fidèlement transmis par lui à ceux à qui ils étaient originellement destinés. L’une des erreurs majeures de l’analyse historique et rationnelle est de supposer que la "vérité" et la "forme originale" d’une légende peuvent être séparés de ses éléments miraculeux. C’est dans le merveilleux même que réside la vérité : to thaumazein, ou gar alle arche philosophias he auto, Platon, Théétète  , 155D. Même pensée chez Aristote  , qui ajoute, dio kai philomethos philosophos pos estin o gar mythos sugkeitai ek thaumasion "Ainsi l’amoureux des mythes, qui sont des concentrés de prodiges, est du même coup un amoureux de sagesse". (Métaphysique, 982 B). Le Mythe incarne la plus haute approximation de la vérité absolue qui puisse se traduire en paroles.). Cet "adversaire" n’est, bien entendu, rien d’autre que notre moi. On saisira la pleine signification du texte lorsque nous aurons dit que le mot giri, "montagne", dérive du mot gir, engloutir. Ainsi Celui en qui nous étions prisonniers est devenu notre prisonnier ; il est l’Homme Intérieur submergé et caché par notre Homme Extérieur. C’est à Lui maintenant de devenir le Tueur de Dragon. Dans cette guerre de la Divinité et du Titan, livrée désormais en nous, où nous sommes "en guerre avec nous-mêmes (NA: Bhagavad Gîtâ, VI, 6 ; cf. Samyutta Nikâya, 1, 57 = Dhammapada, 66 ; Angutara Nikâya, 1, 149; Rûmî  , Mathnawî, 1, 267, f.)", sa victoire et sa résurrection seront également les nôtres, si nous savons Qui nous sommes. C’est à Lui maintenant de nous boire jusqu’à la dernière goutte, et à nous d’être son vin. 19 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Le Mythe

Par la séparation du Ciel et de la Terre, on distingue les "Trois Mondes" ; le Monde Intermédiaire (antariksha) produit l’espace, dans lequel les possibilités latentes de manifestation formelle pourront naître selon la multiplicité de leurs natures. De la première substance, l’éther (âkâsha), dérivent successivement l’air, le feu, l’eau et la terre ; et de ces cinq éléments (bhûtâni), combinés en proportions variées, sont formés les corps inanimés des créatures (NA: Chândogya Upanishad, 1, 9, 1 ; VII, 12, 1 ; Taittirîya Upanishad, II, 1, 1. L’Éther est l’origine et la fin du "nom et de la forme", i. e. de l’existence ; les quatre autres éléments sont issus de lui et retournent à lui comme à leur principe. Quand il est tenu compte de quatre éléments seulement, comme cela arrive fréquemment dans le Bouddhisme, on a en vue les bases concrètes des choses matérielles ; cf. Saint Bonaventure, De red. artium ad theol., 3, Quinque sunt corpora mundi simplicia, scilicet quatuor elementa et quinta essentia. Tout comme, dans l’ancienne philosophie grecque, les "quatre racines" ou "éléments" (feu, air, terre et eau d’Empédocle  , etc.) ne comprennent pas l’éther spatial, tandis que Platon mentionne les cinq (Epinomis  , 981 C) et qu’Hermès fait remarquer que "l’existence de toutes les choses qui sont eût été impossible si l’espace n’avait existé comme une condition préalable de leur être". (Ascl. II, 15). Il serait absurde de supposer que ceux qui parlaient seulement de quatre éléments n’avaient pas à l’esprit cette notion passablement évidente.), dans lesquels la Divinité entre pour les éveiller, se divisant elle-même pour remplir ces mondes et devenir la "Multitude des Dieux" (vishwê dêvâh), Ses enfants (NA: Maitri Upanishad  , II, 6 ; VI, 26 ; c’est-à-dire apparemment (iva) divisé dans les choses divisées, mais en réalité non divisé (Bhagavad Gîtâ, XIII, 16 ; XVIII, 20), cf. Hermès Lib., X, 7, où "les âmes prosiennent pour ainsi dire (wsper) du morcellement et du partage de la seule Ame Totale".). Ces Intelligences (jn  ânâni, ou spirations, prânâh) (NA: Jnânâni, prajnâ-mâtrâ etc. Katha Upanishad  , VI, 10 ; Maitri Upanishad, VI, 30 ; Kaush. UP., III, 8.), sont les hôtes des "êtres" (bhûtagana) ; elles opèrent en nous, unanimement, à titre d’"âme élémentaire" (bhûtâtman), ou de soi conscient (NA: Maitri Upanishad, III, 2 f.). C’est là en effet notre "soi", mais un soi pour le moment mortel, sans essence spirituelle (anâtmya, anâtmâna), ignorant du Soi immortel (âtmânam ananuvidya, anâtmajna) (NA: Shatapatha Brâhmana, II, 2, 2, 3, 6. Cf. Notes 199, 204.), et qu’il ne faut pas confondre avec les Déités immortelles qui sont déjà devenues ce qu’elles sont par leur "valeur" (arhana), et que l’on désigne sous le nom d’"Arhats" (Dignités) (NA: Rig Vêda Samhitâ, V., 86, 5 ; X, 63, 4.). Par le moyen des déités perfectibles et terrestres, tout comme un Roi reçoit le tribut (balim âhri) de ses sujets (NA: Atharva Vêda Samhitâ, X, 7, 39, XI, 4, 19 ; Jaiminîya Upanishad Brâhmana, 23, 7 ; Brihadâranyaka Upanishad, IV, 3, 37, 38.), le Personnage dans le coeur, l’Homme Intérieur, qui est aussi le Personnage dans le Soleil, obtient la nourriture (anna, ahara), tant physique que mentale, qui lui est nécessaire pour subsister durant sa procession de l’être vers le devenir. En raison de la simultanéité de sa présence dynamique dans tous les devenirs passés et futurs (NA: Rig Vêda Samhitâ, X, 90, 2 ; Atharva Vêda Samhitâ, X, VIII, 1 ; Katha Upanishad, IV, 13 ; Shwêt. Up., III, 15.), on peut regarder les pouvoirs créés, à l??uvre dans notre conscience, comme le support temporel de la prosidence (prajnâna) et de l’omniscience (sarvajnâna) éternelles de l’Esprit solaire. Non que le monde sensible, avec ses événements successifs, déterminés par des causes médiates (karma, adrishta apûrva), soit pour lui source de connaissance ; mais bien plutôt parce que ce monde est lui-même la conséquence de la science qu’a l’Esprit de "cette image diverse peinte par lui-même sur le vaste canevas de lui-même (NA: Shankarâchârya, Swâtmanirûpana, 95. L’"image du monde" (jagacchitra = kosmos noetos) peut être appelée la forme de l’omniscience divine, et elle est le paradigme hors du temps de toute existence, la «création" étant exemplaire, cf. mon "Vedic Exemplarism" dans Harvard Journal of Asiatic Studies, I, 1936. "Un précurseur de l’Indo-Iranien arta et même de l’Idée platonicienne se trouve dans le sumérien gish-ghar, le contour, plan ou modèle des choses-qui-doivent-être, établi par les Dieux à la création du monde et fixé dans le ciel en vue de déterminer l’immutabilité de leur création" (Albright, dans JAOS, 54, 1934, p. 130, cf. p. 121, note 48). L’"image du monde" est la paradeigma aiona de Platon (Timée  , 29 A, 37 C), to archetypou eidas d’Hermès, et l’éternel miroir qui conduit les esprits qui regardent en lui vers la connaissance de toutes les créatures, et "mieux qu’en regardant ailleurs" de saint Augustin   (voir Bissen, L’exemplarisme divin selon saint Bonaventure, 1929, p. 39, note 5) ; cf. saint Thomas d’Aquin  , Sum. Theol., I, 12, 9 et 10, Sed omnia sic videntur in Deo sicut in quodam speculo intelligibili... non successive, sed simul. "Quand l’habitant du corps, contrôlant les facultés de l’âme qui saisissent ce qui leur appartient dans les sons, etc., s’illumine, il voit l’Esprit (âtman) dans le monde, et le monde dans l’Esprit" (Mahâbhârata, III, 210) ; "Je vois le monde comme une image, l’Esprit" (Siddhântamuktâvalî, p. 181).)". Ce n’est pas par le moyen de la Totalité qu’il se connaît lui-même : c’est par sa connaissance de lui-même qu’il devient la Totalité (NA: Brihadâranyaka Upanishad, I, 4, 10 ; Prashna Upanishad  , IV, 10. L’omniscience présuppose l’omniprésence et inversement. Cf. ma "Recollection, Indian and Platonic", Journal of the American Oriental Society, Supplement, 3, 1945.). C’est le propre de notre façon inductive de connaître, que de le connaître par la Totalité. 32 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Théologie et Autologie

L’une des plus étranges controserses qu’offre l’histoire de l’orientalisme a tourné autour de l’origine de la bhakti, comme si la dévotion était apparue à un moment donné à la façon d’une innosation, donc d’une mode. Bhaj, la racine de bhakti, etc., et notamment de bhikshu (mendiant religieux qui demande aux autres sa nourriture), est à la fois synonyme de sêv, upachar, qerapeuw, et exprime l’idée de servir, de donner ses soins à un objet digne de respect, humain ou divin. Dans les textes anciens, c’est habituellement la Déité qui distribue aux autres des bienfaits tels que la vie ou la lumière, et que l’on appelle pour cela Bhaga ou Bhagavat, Dispensateur, son don étant une "participation" ou une "dispensation" (bhâgam). Mais déjà dans le Rig-Vêda (VIII. 100. I), Indra est manifestement le bhakta d’Agni, et c’est là la relation normale du Règne au Sacerdoce ; et dans le Rig-Vêda (X. 51. 8.) ceux qu’Agni appelle en disant "Donnez-moi ma part" (datta bhâgam) seront ses bhaktas. Tout sacrifice comporte le don de la part (bhâgam) due à celui qui le reçoit ; il est dans ce sens un acte de dévotion, et, en dernière analyse, l’acte de dévotion du sacrificateur lui-même, qui est le dévot. La dévotion implique l’amour, car l’amour est la raison de tout don ; mais il demeure que la traduction littérale de bhakti sera, dans certains textes, "participation", et dans d’autres "dévotion", plutôt qu’"amour", pour lequel le terme est prêma. 46 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme La Voie des ?uvres

Nous ne pouvons faire qu’une très rapide allusion à un autre aspect très significatif du Sacrifice ; la réconciliation que le Sacrifice établit constamment entre les pouvoirs en conflit est aussi leur mariage. Il y a plus d’une manière de "tuer" le Dragon ; la flèche du Tueur de Dragon (vajra) étant en fait un trait de lumière, et "le pouvoir génésique étant lumière", sa signification n’est pas seulement guerrière mais aussi phallique (NA: Cf. Rig Vêda Samhitâ, I, 32, 5 vajrêna = II, 11, 5, vîryena comme dans Manu, vîryam avasrijat, et dans le sens de Rig Vêda Samhitâ, X, 95, 4, snathitâ vaitasêna. Sur le fier baiser, le Désenchantement par un Baiser, voir W. H. Schofield, Studies on the Libeaus Desconus, 1895, 199 ff., et mon "The Hoathly Bride", Speculum, 20, 1945.). C’est la bataille d’amour, qui est gagnée quand le Dragon "expire". En tant que Dragon, le Soma est identifié à la Lune ; en tant qu’Élixir, la Lune devient la nourriture du Soleil, qui l’avale durant les nuits de leur cohabitation (amâvâsya) : "Ce qui est mangé est nommé du nom du mangeur, et non par son propre nom (NA: Shatapatha Brâhmana, X, 6, 2, 1.)" ; en d’autres termes, qui dit ingestion dit assimilation. Selon les paroles de Maître Eckhart "là l’âme s’unit à Dieu comme l’aliment à l’homme, devenant ?il dans l??il, oreille dans l’oreille ; ainsi en Dieu l’âme devient Dieu" ; car "je suis ce qui m’absorbe, plutôt que moi-même (NA: Maître Eckhart, Evans, I, 287, 380. Ainsi notre bien le plus grand est d’être dévoré par "Noster Deus ignis consumans". Cf. Speculum, XI, 1936, p. 332, 333, et d’autre part Dante  , Paradiso, XXVI, 51, Con quanti denti questo amor ti morde ? Son baiser, qui est à la fois Amour et Mort, nous éveille au devenir ici-bas, et sa morsure d’amour nous éveille à l’être là-haut. Cf. mon "Sun-kiss" dans Journal of the American Oriental Society, 60, 1940.)". Comme le Soleil engloutit l’Aube ou dévore la Lune dans le Monde extérieur et visible, chaque jour et chaque mois, en nous se consomme le mariage divin quand les entités solaire et lunaire de l??il droit et de l??il gauche, Eros et Psyché, la Mort et la Dame, entrent dans la caverne du coeur, s’y unissent comme l’homme et la femme sont unis dans le mariage humain ; c’est là leur "suprême béatitude (NA: Shatapatha Brâhmana, X, 5, 2, 11, 12.)". Dans cette synthèse extatique (samâdhi), le Soi a retrouvé sa condition primordiale, "celle d’un homme et d’une femme étroitement embrassés (NA: Brihadâranyaka Upanishad, 1, 4, 3.)", au-delà de toute conscience d’une distinction entre un dedans et un dehors (NA: Brihadâranyaka Upanishad, IV, 3, 21.). "Tu es Cela". 53 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme La Voie des ?uvres

La notion du caractère héréditaire des capacités individuelles et des vocations correspondantes découle nécessairement de la doctrine de la filiation ancestrale : le fils d’un homme donné est qualifié et prédestiné de naissance pour assumer la "marque distinctive" de son père, et pour prendre sa place dans le monde. C’est la raison pour laquelle il est initié dans la profession paternelle et confirmé définitivement en elle par les rites de transmission accomplis au lit de mort, à la suite desquels, quand bien même le père survivrait, le fils devient le chef de famille. En remplaçant son père, le fils délivre celui-ci de la responsabilité de la fonction dont il était chargé dans cette vie, en même temps qu’il pourvoit à la continuation du service sacrificiel (NA: Aitarêya Aranyaka, II, 4, 5 (Ait. Up. IV, 4) : "Pour la perpétuation de ces mondes. Car, de cette façon, les mondes sont perpétués. C’est là sa seconde naissance. Ce soi, le sien, est mis à sa place pour l’accomplissement des ?uvres saintes. Son autre Soi, ayant fait ce qu’il y avait à faire, entre dans le Vent et prend son départ. C’est sa troisième naissance", cf. Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 9, 6 ; Maitri Upanishad, VI, 30. La transmission héréditaire des vocations pourvoit à la continuité du service divin. Le même point de vue est dans Platon, Lois 773 E f. : "En ce qui concerne le mariage... il est décrété que nous nous conformerons à la nature sans cesse productrice en fournissant à Dieu des serviteurs à notre place, cela en laissant toujours après nous des enfants de nos enfants". De même Shatapatha Brâhmana, 1, 8, 1, 31, tasmât prajottarâ dêvayajyâ ; Aitarêya Brâhmana, VII, 13 ; Brihadâranyaka Upanishad, I, 5, 17 ; Rig Vêda Samhitâ, IX, 97, 30, pitur na putrah ritubhir (i. e. karmabhir) yatânah.). Pour la même raison, une lignée familiale trouve sa fin, non pas quand les descendants font défaut (l’adoption peut y suppléer), mais quand la vocation et la tradition de la famille sont abandonnées. C’est également pour cela qu’une totale confusion des castes marque la mort d’une société, qui n’est plus alors qu’une foule informe, où l’homme peut changer de profession à volonté, comme si celle-ci était quelque chose d’indépendant de sa propre nature. En fait, c’est ainsi que les sociétés traditionnelles sont tuées et leur culture détruite, au contact des civilisations industrielles et prolétariennes. Le jugement de l’Orient traditionnel sur la civilisation occidentale est parfaitement traduit dans ces paroles de Macaulay : L’Orient s’est incliné devant l’Occident - Avec un patient et profond dédain. 64 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme L’Ordre social

Cf. Brihadâranyaka Upanishad, IV, 5, 1 (la peur de Maitrêyî) ; Katha Upanishad, 1, 20, 22 (les Dieux mêmes doutaient : "Est-il, ou n’est-il pas ?" après avoir trépassé) ; Chândogya Upanishad, VIII, 5, 3 ; VIII, 9, 1 ; Aitarêya Aranyaka, III, 2, 4, anâdishtah = Philon  , Migr. adeiktos. "Encore serait-il impropre de dire même d’un Bouddha après sa mort qu’il ne connaît pas, qu’il ne voit pas" (D., II, 68). Sa nature ne peut être exprimée par aucune antithèse ou combinaison des mots "est" et "n’est pas". Il "est", mais en nul "lieu" (Milinda Panho, 73).), nous ne devons pas oublier que ce qu’il nous est demandé de substituer à notre conscience des choses agréables ou désagréables - ou plutôt à notre assujettissement aux sentiments de plaisir ou de peine - ce n’est pas une inconscience, mais bien une superconscience, laquelle n’est pas moins réelle et béatifique du fait qu’elle ne peut être analysée dans les termes de la conscience mentale. D’autre part, il nous faut peut-être indiquer que cette superconscience, ou ce que la théologie chrétienne appelle "le mode divin de connaissance, sans intermédiaire d’objets extérieurs au connaissant", ne saurait en aucune façon être assimilée à la subconscience de la psychologie moderne, dont on a dit très justement : "Alors que le matérialisme du XIXe siècle a fermé l’esprit de l’homme à ce qui est au-dessus de lui, la psychologie du XXe l’a ouvert à ce qui est au-dessous (NA: René Guénon, "L’erreur du psychologisme". Études Traditionnelles  , 43, 1938. - "La pire sorte d’homme est celui qui présente à l’état de veille les caractères qu’on lui trouve à l’état de rêve" (Platon, République  , 567 B).)". 137 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine

Iddhi (Scr. riddhi, de riddh, prospérer emporwachsen) est la vertu, la force (au sens de Marc, V, 30, dunamiV), l’art (par ex. l’adresse du chasseur, Majjhima Nikâya, 1, 152), le talent ou le don. Les iddhis de Iddhi-pâda, "Pas de Puissance", sont supranormales et non anormales. Nous ne pouvons résoudre ici en détail l’apparente difficulté présentée par le fait que les iddhis sont aussi attribuées à l’Adversaire du Bouddha (Mâra, Namuchi, Ahi-Nâga), et nous indiquerons seulement que la Mort est aussi un être spirituel (dans le sens même où Satan reste un "ange"), et que les "pouvoirs" ne sont pas moraux en eux-mêmes, mais représentent bien plutôt des vertus intellectuelles. Les pouvoirs du Bouddha sont plus grands que ceux de l’Adversaire parce que son rang est plus haut ; il connaît le Brahmaloka aussi bien que les mondes jusqu’au Brahmaloka (i. e. sous le Soleil), tandis que le pouvoir de la "Mort" s’étend seulement jusqu’au Brahmaloka, et non au-delà du Soleil.). Quand le disciple s’est rendu maître de toutes ces stations de contemplation au point de pouvoir passer à volonté de l’une à l’autre et de commander de la même manière à cette paix ou synthèse (samâdhi) vers laquelle elles mènent, alors dans cet état d’unification (êko’ vadhibhâva), l’Arhat délivré est rendu aussitôt omniscient et omnipotent ; le Bouddha, décrivant sa propre conquête, peut évoquer ses "précédentes habitations" (pûrva-nivâsa), ou, comme nous serions enclins à dire, ses "naissances passées", dans leur détail. Décrivant ses pouvoirs, il dit : "Frères, je peux manifester (pratyanubhû) des pouvoirs sans nombre ; étant plusieurs je deviens un, comme, de plusieurs que j’étais, je suis devenu un ; visible ou invisible, je peux passer à travers un mur ou une montagne comme s’ils étaient l’air ; je peux plonger dans la terre ou en émerger comme si c’était l’eau ; je peux marcher sur les eaux comme si elles étaient une terre solide (NA: Consulter sur l’histoire primitive de ce pouvoir, W. N. Brown, Walking on the Water, Chicago, 1928. C’est avant tout le pouvoir de l’Esprit (Genèse, 1, 2). C’est typiquement du Vent (Vâyu) invisible de l’Esprit que la motion à volonté est proclamée (Rig Vêda Samhitâ, X, 168, 4, âtmâ dêvânâm yathâ vasham charati... na rûpam tasmai). Dans Atharva Vêda Samhitâ, X, 7, 38, le Yaksha primordial (Brahma) "arpente" le faîte de la mer ; ainsi fait, par conséquent, le brahmachârî, ibid, XI, 5, 26, car "de même que Brahma peut changer de forme et se mouvoir à son gré, de même, parmi tous les êtres, Celui qui comprend peut changer de forme et se mouvoir à son gré" (ShA., VII, 22) ; "Le Seul Dieu (Indra) se tient à son gré sur le courant des eaux" (Atharva Vêda Samhitâ, III, 3, 4 ; Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), V, 6, 1, 3). "Le mouvement spontané désigne l’essence même de l’Ame" (Phèdre, 241 Cf.). Il y a là, comme dans toutes les autres formes de lévitation, une question de légèreté et de luminosité (selon les deux acceptions du terme anglais light-ness). Ainsi, dans Samyutta Nikâya, I, 1, le Bouddha dit : "Je ne traversais les flots que lorsque je ne me soutenais pas moi-même et ne faisais aucun effort" (appatittham anâyûham ogham atari) ; c’est-à-dire lorsque j’étais sans poids à la surface de l’eau. Cf. saint Augustin, Conf., XIII, 4, superferebatur super aquas, non ferebatur ab eis, tanquam in eis requiesceret. Milinda Panho, 84, 85, décrit le pouvoir de voyager dans l’air, "même jusqu’au ciel de Brahma", comme celui de quelqu’un qui sauterait (langhayati) en décidant (chittam uppâdêti) : "C’est là que j’atteindrai", et c’est par celte intention que "son corps devient léger" (kâyo mê lahuko hoti) ;c’est, d’une semblable manière, "par le pouvoir de la pensée" (chitta-vasêna) que l’on se meut dans l’air. La légèreté (laghutwa) se développe par la contemplation (Shwêt. Up., II, 13) ; tous les pouvoirs (iddhi) sont des résultats de la contemplation (jnâna, cf. note 78) et en dépendent, de sorte que l’on peut demander : "Quel est celui qui ne coule pas au fond du golfe, bien qu’il n’ait ni support ni soutien ?", et, répondre : "Celui qui a la prescience, qui est pleinement intégré (susamâhito), celui-là peut traverser les flots dont le passage est si difficile" (ogham tarati dultaram, Samyutta Nikâya, I, 53, où l’application est d’ordre éthique). Le notion de légèreté est impliquée dans le symbolisme universel des "oiseaux" et des "ailes" (Rig Vêda Samhitâ, VI, 9, 5 ; Panchavimsha Brâhmana, V, 3, 5 ; XIV, 1, 13, XXV, 3, 4, etc.). Réciproquement, pour atteindre le monde informel, on doit avoir rejeté "la charge pesante du corps" (rûpagaru-bhâram, Sdhp., 494), cf. Phèdre, 246 B, 248 D, où c’est "le poids de l’oubli et du mal" qui arrête "le vol de l’âme" ; Saint. Augustin, Conf., XIII, 7, quomodo dicam de pondere cupiditatis in abruptam abyssum et de sublevatione caritatis per spriritum tuum qui superferebatur super aquas ; Dante, Paradiso, XXVII, 64, mortal pondo, et X, 74, chi non s’impenna si che lassu voli. Autrement dit, le pouvoir de lévitation est exercé "par le moyen d’un enveloppement du corps dans le manteau de la contemplation" (jhâna-vêthanêna sarîram, vêthêtwâ, J., V, 126), où ce pouvoir est en même temps un pouvoir d’invisibilité.); je peux me mouvoir dans l’air comme un oiseau ; je peux toucher de mes mains le soleil et la lune : j’ai sur mon corps un pouvoir qui s’étend jusqu’au monde de Brahma (NA: Samyutta Nikâya, V, 25 f., Angutara Nikâya, I, 254, Samyutta Nikâya, Il, 212, NI., 1, 34 et passim : explications, Vis. 393 f.)". Les mêmes pouvoirs sont exercés par les autres adeptes selon leur degré de perfection dans ces mêmes disciplines et selon la mesure où ils sont maîtres du samâdhi. C’est seulement quand la contemplation (dhyâna) vient à faire défaut que le pouvoir de la libre motion se perd (NA: L’échec prosient du manque de "foi", ou de toute distraction dans la contemplation, selon J., 125-127.). C’est une vieille formule brahmanique (NA: Rig Vêda Samhitâ, IX, 86, 44 ; Jaiminîya Brâhmana, II, 34 : Shatapatha Brâhmana, IV, 3, 4, 5 ; Aitarêya Brâhmana, II, 39-41 ; VI, 27-31 ; Katha Upanishad, VI, 17, etc.) qu’emploie le Bouddha quand il dit qu’il a appris à ses disciples à extraire de ce corps matériel un autre corps, de substance intellectuelle, comme on tire une flèche de son carquois, une épée de son fourreau, un serpent de sa dépouille ; c’est à l’aide de ce corps intellectuel que l’on goûte l’omniscience et que l’on se meut à son gré jusqu’au Brahmaloka (NA: Comme Shankara   l’explique en connection avec Prash. Up., IV, 5, c’est le mano-maya âtman qui goûte l’omniscience et il peut être où et tel qu’il veut. Ce "soi ou corps intellectuel" (ânno attâ dibbo rûpî manomayo, D., I, 34, cf. I, 77 ; Majjhima Nikâya, II, 17), le Bouddha a enseigné à ses disciples comment l’extraire du corps physique, et c’est manifestement dans cet autre corps, dans ce "corps intellectuel et divin", et non dans sa détermination humaine, non à quelque moment ou dans quelque condition, "soit de mouvement ou de repos, soit de sommeil ou de veille" (charato chu mê litthato cha suttassa cha jagarassa cha), mais "quand il lui plaît" (yâvadê akankhâmi, comme dans le texte relatif aux iddhis) que le Bouddha lui-même peut se rappeler (anussarâmi) ses précédentes naissances, qu’il peut, sans limites, avec "l’?il divin, transcendant à la vision humaine", considérer les naissances et les morts des autres êtres dans ce monde-ci et dans les autres, dans lesquels et au-delà desquels il a vérifié dès ici et dès maintenant la double délivrance (Majjhima Nikâya, I, 482). L’expression "de sommeil ou de veille" prêterait en elle-même à une longue exégèse. On notera que l’ordre des mots relie le mouvement au sommeil et l’immobilité à la veille. Cela signifie que, comme dans tant de textes des Upanishads, le sommeil dont il s’agit, sommeil dans lequel on "rentre en soi-même" (swapiti = svam apîta, Chândogya Upanishad, VI, 8, 1, Shatapatha Brâhmana, X, 5, 2, 14), n’est pas le sommeil d’épuisement, mais le "sommeil de contemplation" (dhyâna) ; c’est précisément dans cet état de sommeil, où les sens sont résorbés, que se situe la possibilité de se mouvoir à son gré (supto... prânân grihîtwâ swê sharîrê yathâ-kâmam parivartatê, Brihadâranyaka Upanishad, II, 1, 17) ; c’est dans ce sommeil de contemplation que, "terrassant ce qui est physique, l’Oiseau-Soleil, l’Immortel, va où il veut" (dhyâyatîva... svapno bhütwâ... sharîram abhiprahatya... îyatê’mrito yatra kâmam, Brihadâranyaka Upanishad, IV, 3, 7, 11, 12).). 150 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine