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HB: Jean

sábado 3 de fevereiro de 2024

  

Dieu est une essence sans dualité (adwaita), ou, comme certains le soutiennent, sans dualité mais non sans relations (vishishtâdwaita). Il ne peut être appréhendé qu’en tant qu’Essence (asti) (NA: Katha Upanishad  , VI, 13; Maitri Upanishad  , IV, 4, etc.), mais cette Essence subsiste dans une nature duelle (dwaitîbhâva) (NA: Shatapatha Brâhmana, X, 1, 4, 1 ; Brihadâranyaka Upanishad, II, 3 ; Maitri Upanishad, VI, 15, VII, 11. On ne trouve aucune trace de Monophysisme ou de Patripassianisme dans le prétendu "monisme" du Vêdânta, la "non-dualité" étant celle de deux natures unies sans composition.), comme être et comme devenir. Ainsi, ce que l’on appelle la Plénitude (kritsnam, pûrnam, bhûman) est à la fois explicite et non explicite (niruktânirukta), sonore et silencieux (shabdâshabda), caractérisé et non caractérisé (saguna, nirguna), temporel et éternel (kâlâkâlâ), divisé et indivisé (sakalâkala), dans une apparence et hors de toute apparence (mûrtâmûrta), manifesté et non manifesté (vyaktâvyakta), mortel et immortel (martyâmartya) et ainsi de suite. Quiconque le connaît sous son aspect prochain (apara), immanent, le connaît aussi sous son aspect ultime (para), transcendant (NA: Maitri Upanishad, VI, 22 ; Prash. Up  ., V, 2.). Le Personnage qui se tient dans notre coeur, mangeant et buvant, est aussi le Personnage dans le Soleil (NA: Brihadâranyaka Upanishad, IV, 4, 22, 24; Taitt. Up., III, 10, 4 ; Maitri Upanishad, VI, 1, 2.). Ce soleil des hommes, cette Lumière des lumières (NA: Rig Vêda Samhitâ, I, 146, 4 ; cf. Jean, I, 4 ; Rig Vêda Samhitâ, 1, 113, I ; Brihadâranyaka Upanishad, IV, 16 ; Mund. Up.  , II, 2, 9 ; Bhagavad Gîtâ, XIII, 16.), que "tous voient mais que peu connaissent en esprit (NA: Atharva Vêda Samhitâ, X, 8, 14 ; cf. Platon  , Lois, 898 D.)", est le Soi Universel (âtman) de toutes les choses mobiles et immobiles (NA: Rig Vêda Samhitâ, I, 115, 1., 8 ; VII, 101, 6 ; Atharva Vêda Samhitâ, X, 8, 44; Aitarêya Aranyaka, III, 2, 4. L’autologie (âtmâ-jhâna) est le thème fondamental de l’Écriture ; mais il faut comprendre que cette connaissance du Soi diffère de toute connaissance empirique de l’objet en ce que notre Soi est toujours le sujet et ne peut jamais devenir l’objet de la connaissance ; en d’autres termes, toute définition du Soi ultime doit se faire par négation. Âtman (racine an, respirer, cf. atmos, autme) est en premier lieu l’Esprit, principe lumineux et pneumatique, et comme tel, souvent assimilé au Vent (vdyu, vâta, racine vâ, souffler) de l’Esprit qui "souffle où il veut" (yathâ vasham charati, Rig Vêda Samhitâ, X,168, 4 et Jean, III, 8). Etant l’essence ultime de toutes choses, âtman acquiert le sens secondaire de "moi", compte non tenu du plan de référence, qui peut être corporel, psychique ou spirituel, de sorte que, en face de notre Soi réel, l’Esprit en nous-mêmes et dans toutes choses vivantes, il y a le "moi", de qui nous parlons quand nous disons "je" ou "tu", signifiant cet homme ou celui-ci, Un Tel. En d’autres termes, il y a les deux en nous, l’Homme Extérieur et l’Homme Intérieur, l’individualité psychique et physique, et la Personne véritable. C’est donc en accord avec le contexte que nous devons traduire. Du fait que le mot âtman, employé en mode réfléchi, ne peut être rendu que par "soi", nous nous en sommes tenu partout à la version "soi" en distinguant le Soi du soi par une majuscule, comme on le fait communément. Mais il doit être clairement entendu que la distinction est en réalité entre "esprit" (pneuma) et "âme" (psyche) au sens paulinien. Il est vrai que ce "Soi" ultime, "ce Soi immortel du soi", est identique à l’"âme de l’âme" (psyche psyches) de Philon  , et à l’ "âme immortelle" de Platon posée comme distincte de l’"âme mortelle", et que maint traducteur rend âtman par "âme" ; mais, bien qu’il y ait des contextes où "âme" est mis pour "esprit" (cf. Guillaume de Saint-Thierry, Epistola ad Fratres de Monte Dei, ch. XV), il devient dangereusement trompeur, par suite de nos notions courantes de "psychologie", de parler du Soi ultime et universel comme d’une "âme". Ce serait, par exemple, une très grande méprise que de supposer que, quand un "philosophe" tel que Jung   parle de "l’homme à la recherche d’une âme", cela puisse avoir quelque rapport avec la recherche hindoue du Soi, ou avec ce dont il s’agit dans l’exhortation Gnothi seauton. Le "soi" de l’empiriste est, pour le métaphysicien, tout comme le reste de ce qui nous entoure, "non mon Soi". Des deux "soi" dont il s’agit, le premier est né de la femme, le second du Sein Divin, du feu sacrificiel ; et quiconque n’est pas ainsi "né de nouveau" ne possède effectivement que ce moi mortel né de la chair et qui doit finir avec elle (Jaiminîya Brâhmana, I, 17 ; cf. Jean, III, 6 ; Gal., VI, 8 ; I Cor., 15, 50, etc.). De là dans les Upanishads et le Bouddhisme les questions fondamentales : "Qui es-tu ?" et "Par quel soi" l’immortalité peut-elle être atteinte ? La réponse étant : uniquement par ce Soi qui est immortel ; les textes hindous ne tombent jamais dans l’erreur de supposer qu’une âme qui a eu un commencement dans le temps puisse être immortelle ; et, à la vérité, nous ne voyons pas que les Évangiles chrétiens aient mis nulle part en avant une doctrine aussi irrecevable.). Il est à la fois dedans et dehors (bahir   antach cha bhûtânâm) mais sans discontinuité (anantarama) ; il est donc une présence totale, indivise dans les choses divisées (NA: Bhagavad Gîtâ, XIII, 15, 16; XVIII, 20.). Il ne vient de nulle part, il ne devient qui que ce soit (NA: Katha Upanishad  , II, 18; cf. Jean, 3, 18.), mais il se prête seulement à toutes les modalités possibles d’existence (NA: Brihadâranyaka Upanishad, IV, 4, 5.). 26 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Théologie et Autologie

Que nous le nommions la Personnalité, le Sacerdoce, la Magna Mater, ou de tout autre nom grammaticalement masculin, féminin ou neutre, "Cela" (tad, tad êkam) dont nos facultés sont des mesures (tanmâtrâ), constitue une sizygie de principes conjoints, sans composition ni dualité. Ces principes conjoints ou "soi" multiples qu’on ne peut distinguer ab intra, mais respectivement nécessaires et contingents en eux-mêmes ab extra, ne deviennent des contraires que lorsqu’on envisage l’acte de manifestation du Soi (swaprakâshatwam) que constitue la descente depuis le silence de la Non-Dualité jusqu’au niveau où l’on parle en termes de sujet et d’objet, et où l’on reconnaît la multiplicité des existences individuelles séparées que le Tout (sarvam = to pan) ou Univers (vishwam) présente à nos organes de perception physique. Et, dès lors que l’on peut, logiquement mais non réellement, séparer la totalité finie de sa source infinie, on peut aussi appeler "Cela" une "Multiplicité intégrale (NA: Rig Vêda Samhitâ, III, 34, 8, vishwam êkam.)", une "Lumière Omniforme (NA: VS., V, 35 ; jyotir asi vishwarûpam.)". La création est exemplaire. Les principes conjoints, tels que Ciel et Terre, Soleil et Lune, homme et femme, étaient un à l’origine. Ontologiquement leur conjonction (mithunam, sambhava, êko bhava) est une opération vitale, productrice d’un troisième à l’image du premier et ayant la nature du second. De même que la conjonction du Mental (manas = nous, logos, aletheia) avec la Voix (vâch = logos, phoen, aisthesis, doxa) donne naissance à un concept, de même la conjonction du Ciel et de la Terre éveille le Bambino, le Feu, dont la naissance sépare ses parents et remplit de lumière l’espace intermédiaire (antariksha, Midgard). Il en est de même pour le microcosme : allumé dans la cavité du coeur, il en est la lumière. Il brille dans le sein de sa mère (NA: Rig Vêda Samhitâ, VI, 16, 35, cf. III, 29, 14. Le Bodhisattwa, également, est visible dans le sein de sa mère, (M. III, 121). De même, en Égypte, le Soleil nouveau est vu dans le sein de la Déesse du Ciel (H. Schfæer, Von ?gyptischen Kunst, 1940, AGG., 71) : le parallèle chrétien, où Jean est dit avoir vu Jésus enfant dans le sein de sa mère, est probablement d’origine égyptienne.), en pleine possession de ses pouvoirs (NA: Rig Vêda Samhitâ, III, 3, 10; X, 115, 1.). Il n’est pas plus tôt né qu’il traverse les Sept Mondes (NA: Rig Vêda Samhitâ, X, 8, 4 ; X, 122, 3.), s’élève pour franchir la Porte du Soleil, comme la fumée de l’autel ou du foyer central, soit extérieur soit intérieur à nous, s’élève pour franchir l’?il du Dôme (NA: Pour la Porte du Soleil, l’"ascension à la suite d’Agni" (Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), V, 6-8 ; Aitarêya Brâhmana, IV, 20-22), etc., voir mon "Swayâmâtrinnâ ; Janua C?li" dans Zalmoxis, II, 1939 (1941).). Cet Agni est alors le messager de Dieu, l’hôte de toutes les demeures humaines, soit bâties, soit corporelles, le principe lumineux et pneumatique de vie, et le prêtre qui transmet l’odeur de l’offrande consumée d’ici-bas jusqu’au monde au-delà de la voûte du Ciel, à travers laquelle il n’est d’autre voie que cette "Voie des Dieux" (dêvâyana). Cette Voie doit être suivie, d’après les empreintes de l’Avant-Coureur, comme le mot "Voie (NA: Mârga, "Voie", de mrig = ichneuo. La doctrine des vestigia pedis est commune aux enseignements grec, chrétien, hindou, bouddhiste et islamique, et forme la base de l’iconographie des "empreintes de pas". Cf., par exemple, Platon, Phèdre  , 253 A, 266 B., et Rùmî, Mathnawî, II, 160-1. "Quel est le viatique du Çoufi ? Ce sont les empreintes. Il poursuit le gibier comme un chasseur : il voit la trace du daim musqué et suit ses empreintes" ; Maître Eckhart   parle de "l’âme en chasse ardente de sa proie, le Christ". Les avant-coureurs peuvent être suivis à la trace par leurs empreintes aussi loin que la Porte du Soleil, Janua C?li, le Bout de la Route ; au-delà, on ne peut les pister. Le symbolisme de la poursuite à la trace, comme celui de l’"erreur" (péché) en tant que "manque à toucher la cible", est l’un de ceux qui nous sont venus des plus anciennes civilisations de chasseurs. Cf. note 5.)" lui-même le suggère, par tout être qui veut atteindre l’"autre rive" du fleuve de vie (NA: Lo gran mar d’essere, Paradiso, I, 113. La "traversée" est la diaporeia d’Epinomis  , 986 E.) immense et lumineux qui sépare cette grève terrestre de la grève céleste. Cette notion de la Voie est sous-jacente à tous les symbolismes particuliers du Pont, du Voyage, du Pèlerinage et de la Porte de l’Action. 28 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Théologie et Autologie

Ce n’est pas seulement notre nature passible qui est engagée, mais aussi la Sienne. Dans cette compatibilité de nature, Il sympathise avec nos misères et nos délices, et Il est soumis aux conséquences des choses autant que "nous". Il ne choisit pas le sein où il va naître ; Il accède à des naissances qui peuvent être élevées ou médiocres (sadasat) (NA: Maitri Upanishad, III, 2 ; Bhagavad Gîtâ, XIII, 21. Paradiso, VIII, 127, non distingue l’un dall’ altro ostello.), où sa nature mortelle goûte le fruit (bhoktri) du bien comme du mal, de la vérité comme de l’erreur (NA: Maitri Upanishad, II, 6, VI, 11, 8.). Dire qu’"Il est seul voyant, oyant, pensant, connaissant et fructifiant (NA: Aitarêya Aranyaka, III, 2, 4 ; Brihadâranyaka Upanishad, III, 8, 11, IV, 5, 15.)" en nous, dire que "quiconque voit, voit par Sa lumière (NA: Jaiminîya Upanishad Brâhmana, I, 28, 8 et semblablement pour les autres facultés de l’âme.)", car Il est dans tous les êtres Celui qui regarde, c’est dire que "le Seigneur est le seul qui transmigre (NA: Shankarâchârya, Sur les Brahma-Sûtras   I, 1, 5, Satyam, nêshwarâd anyah samsârî : cette affirmation très importante est largement appuyée par les textes primitifs e. g. Rig Vêda Samhitâ, VIII, 43, 9, X, 72, 9 ; Atharva Vêda Samhitâ, X, 8, 13; Brihadâranyaka Upanishad, III, 7, 23, III, 8 11, IV, 3, 37, 38 ; Shwêt. Up., II, 16, IV, 11 ; Maitri Upanishad, V, 2. Il n’y a pas d’essence individuelle qui transmigre. Cf. Jean, III, 13. "Personne n’est monté au ciel si ce n’est celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’Homme qui est dans le ciel". Le symbole de la chenille dans Brihadâranyaka Upanishad, IV, 4, 3, n’implique pas le passage d’un corps à un autre, d’une vie individuelle distincte de l’Esprit Universel, mais d’une "part pour ainsi dire" de cet Esprit enveloppée dans les activités qui occasionnent la prolongation du devenir (Shankarâchârya, Br. Sûtra, II, 3, 43; III, 1, 1). En d’autres termes, la vie est renouvelée par l’Esprit vivant dont la semence est le véhicule, alors que la nature de cette vie est déterminée par les propriétés de la semence elle-même (Brihadâranyaka Upanishad, III, 9, 28; Kaush. Up., III, 3, et également saint Thomas d’Aquin  . Sum. Theol., III, 32, 11). Blake dit de même : "L’homme naît comme un jardin tout planté et semé". Le caractère est tout ce que nous héritons de nos ancêtres ; le Soleil est notre Père réel. De même dans Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 14, 10, M. I., 265/6, et Aristote  , Phys., II, 2. anqrwpos gar anqrwpon genna hlios comme l’ont bien compris saint Thomas d’Aquin, Sum. Theol., I, 115, 3 ad 2 et Dante  , De monarchia, IX. Cf. Saint Bonaventure  , De red. artium ad theologiam, 20. (Les remarques de Wicksteed et Cornford dans la Physique de la L?b Library, p. 126, montrent qu’ils n’ont pas saisi la doctrine).)". Il s’ensuit inévitablement que, par l’acte même où Il nous doue de conscience, "Il s’emprisonne Lui-même comme un oiseau dans le filet", et s’assujettit au mal, à la Mort (NA: Shatapatha Brâhmana, X, 4, 4, 1.), ou semble du moins s’emprisonner et s’assujettir ainsi. 35 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Théologie et Autologie

De là aussi la prière : "Ce que Tu es, puissé-je l’être (NA: Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), I, 5, 7, 6.)", et le sens éternel de la question critique : "De qui sera-ce le départ lorsque je partirai d’ici (NA: Prash. Up., VI, 3 ; cf. réponses dans Chândogya Upanishad, III, 14, 4 et Kaush. Up., II, 14.) ?" de moi-même ou du «Soi immortel", du "Conducteur (NA: Chândogya Upanishad, VIII, 12, 1 ; Maitri Upanishad, III, 2 ; VI, 7. Pour le hgemwn Aitarêya Aranyaka, II, 6 et Rig Vêda Samhitâ, V, 50, 1.)". Si l’on a réalisé effectivement les véritables réponses, si l’on a trouvé le Soi et fait tout ce qu’il y avait à faire (kritakritya), sans aucun résidu de potentialité (krityâ), la fin dernière de notre vie est actuellement atteinte (NA: Aitarêya Aranyaka, II, 5 ; Shankhâyana Aranyaka, II, 4 ; Maitri Upanishad, VI, 30 ; cf. Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), I, 8, 3, 1. Kritakritya, "tout en acte" correspond au pali katamkaranîyam dans la "formule Arhat" bien connue.). On ne saurait trop insister sur le fait que la liberté et l’immortalité (NA: Amritattwa, littéralement "immortalité" ; dans toute la mesure où il s’agit d’êtres nés, soit dieux, soit hommes, ce mot n’implique pas une durée sans fin, mais la "totalité de la vie" ; on doit entendre : ne mourant pas prématurément (Shatapatha Brâhmana, V, 4 ; I, 1 ; IX, 5, 1, 10; Panchavimsha Brâhmana, XXII, 12, 2, etc.). Ainsi la totalité de la vie de l’homme (âyus = aeon) est de cent ans (Rig Vêda Samhitâ, I, 89, 9 ; II, 27, 10, etc.) ; celle des Dieux est de "mille ans" (XI, 1, 6, 6, 15) ou de la durée que représente ce chiffre rond (Shatapatha Brâhmana, VIII, 7, 4, 9; X, 2, 1-11, etc.). Dès lors, quand les Dieux, qui, à l’origine, étaient "mortels", obtiennent leur "immortalité" (Rig Vêda Samhitâ, V, 3, 4, et X, 63, 4, ; Shatapatha Brâhmana, XI, 2, 3, 6, etc.), cela ne doit être compris que dans un sens relatif et ne signifie pas autre chose que leur vie, comparée à celle des hommes, est plus longue (Shatapatha Brâhmana, VII, 3, 1, 10, Shankara  . Sur les Br. Sûtra, I, 2, 17 et II, 3, 7, etc.). Dieu seul, comme "non-né" ou "né seulement en apparence" est absolument immortel ; Agni, vishwâyus = pyr aionos, seul "immortel parmi les mortels, Dieu parmi les Dieux" (Rig Vêda Samhitâ, IV, 2, 1 ; Shatapatha Brâhmana, II, 2, 2, 8, etc.). Sa nature intemporelle (akâla) est celle du "maintenant" sans durée, dont nous, qui ne pouvons penser qu’en termes de passé et de futur (bhûtam bhavyam) n’avons et ne pouvons avoir l’expérience. De Lui toutes choses procèdent, et en Lui elles s’unifient (êko bhavanti) à la fin (Aitarêya Aranyaka, II, 3, 8, etc.). En d’autres termes, l’"immortalité" est de trois ordres : la longévité humaine, l’æviternité des Dieux, et l’immortalité sans durée de Dieu (sur l’æviternité, voir saint Thomas d’Aquin., Sum. Theol., I, 10, 5). Les textes hindous eux-mêmes ne permettent aucune confusion : toutes les choses sous le Soleil sont au pouvoir de la Mort (Shatapatha Brâhmana, II, 3, 37, X, 5, 1, 4). Pour autant qu’elle descend dans le monde, la Divinité elle-même est un "Dieu qui meurt" ; il n’y a dans la chair aucune possibilité de ne jamais mourir (Shatapatha Brâhmana, II, 2, 2, 14; X, 4, 3, 9 ; Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 38, 10, etc.) ; la naissance et la mort sont indissolublement liées (Bhagavad Gîtâ, II, 27; Angutara Nikâya, IV, 137 ; Sutta Nipâta, 742). On peut observer que le grec athanasia a des significations analogues ; pour l’"immortalité mortelle", cf. Platon, Banquet  , 207, D-208 B, et Hermès, Lib., XI, I, 4a et Ascl., III, 40 b.) peuvent être, non seulement atteintes, mais encore réalisées ici-même et maintenant aussi bien que dans un quelconque au-delà. Celui qui "est délivré en cette vie" (jîvan mukta) ne "meurt plus" (napunar mriyatê) (NA: Shatapatha Brâhmana, II, 3, 3, 9 ; Brihadâranyaka Upanishad, I, 5, 2, etc. Cf. Luc, 20, 36; Jean, II, 26.). "Celui qui a compris le Soi contemplatif sans âge et sans mort, qui n’a en lui aucun manque et qui ne manque de rien, celui-là ne redoute pas la mort (NA: Atharva Vêda Samhitâ, X, 8, 44; cf. Aitarêya Aranyaka, III, 2, 4.).". Étant déjà mort, il est, comme le çoufi, "un mort qui marche (NA: Mathnawî, VI, 723 f. La parole "Mourez avant que vous ne mouriez" est attribuée à Mohammed  . Cf. Angelus Silesius  , "Stirb ehe du stirbst".)". Un tel homme n’aime plus ni lui-même ni les autres : il est le Soi de lui-même et des autres. La mort à soi-même est la mort aux autres ; et, si le "mort" semble ne pas être égoïste, ce n’est pas pour quelque motif altruiste, mais à titre accidentel, et parce qu’il est littéralement sans ego. Délivré de lui-même et de toutes conditions, de tous devoirs et de tous droits, il est devenu Celui qui se meut à son gré (kâmachârî) (NA: Rig Vêda Samhitâ, IX, 113, 9 ; Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 28, 3 ; Shankhâyana Aranyaka, VII, 22; Brihadâranyaka Upanishad, II, 1, 17, 18, Chândogya Upanishad, VIII, 5, 4 ; VIII, I, 6 (cf. D, I, 72) ; Taitt. Up., III, 10, 5 (de même dans Jean, X, 9).) comme l’Esprit (Vâyu, âtmâ dêvânâm) qui "va où il veut" (yathâ vasham charati) (NA: Rig Vêda Samhitâ, IX, 88, 3 ; X, 168, 4 ; cf. Jean, III, 8 ; Gylfiginning, 18.), n’étant plus, comme le dit saint Paul  , "sous la loi". 37 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Théologie et Autologie

Le Sacrifice reflète le Mythe mais, comme tout reflet, en sens inverse. Ce qui était un processus de génération et de division devient ici un processus de régénération et d’unification. Des deux "soi" qui habitent ensemble dans le corps et qui y ont leur départ, le premier est né de la femme, et le second du Feu sacrificiel, matrice divine où la semence de l’homme doit naître de nouveau, autre qu’il n’était. Jusqu’à ce qu’il soit né de nouveau, l’homme n’a que le premier soi, le soi mortel (NA: Jaiminîya Brâhmana, I, 17 ; Shatapatha Brâhmana, VII, 2, 1, 6 avec VII, 3, 1, 12; Brihadâranyaka Upanishad, II, 1, 11 ; Sutta Nipâta, 160, et d’innombrables textes distinguant les deux soi. La doctrine selon laquelle duo sunt in homine est universelle, et notamment hindoue, islamique, platonicienne, chinoise et chrétienne. Cf. "On being in one’s right mind". Rev. ot Religion, VII, 32 f.). Offrir un sacrifice, c’est naître, et l’on peut dire qu’"en vérité, il est encore non-né celui qui n’offre pas de sacrifice (NA: Shatapatha Brâhmana, I, 6, 4, 21 ; III, 9, 4, 23 ; Kaushîtaki Brâhmana, XV, 3 ; Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 14, 8. Cf. Jean. 3, 3-7.)". Et encore, quand l’Ancêtre notre Père "a émis ses enfants et tendrement (prêma, snêhavachêna) demeure en eux, il ne peut plus, à partir d’eux, se réunir à Lui-même" (punar sambhû) (NA: Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), V, 5, 2, 1 ; cf. Shatapatha Brâhmana, I, 6, 3, 35, 36 ; Shankarâchârya, Br. Sûtra, II, 3, 46.). Aussi s’écrie-t-il : "Ceux-là s’épanouiront qui, d’ici-bas, me réédifieront" (punar chi) : Les Dieux L’ont édifié, et ils se sont épanouis; ainsi celui qui offre le Sacrifice s’épanouit aujourd’hui même dans ce monde-ci et dans l’autre (NA: Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), V, 5, 2, 1. Non seulement les desservants eux-mêmes, mais la création tout entière participent aux bienfaits du Sacrifice (Shatapatha Brâhmana, I, 5, 2, 4 ; Chândogya Upanishad, V, 24, 3).). Celui qui offre le Sacrifice, en édifiant l’(autel du) Feu "de tout son esprit et de tout son moi (NA: Shatapatha Brâhmana, III, 8, 1, 2.)" ("ce Feu sait qu’il est venu pour se donner à moi (NA: Shatapatha Brâhmana, II, 4, 1, 11 ; IX, 5, 1, 53.)"), "réunit» (samdhâ, samskri) du même coup la déité démembrée et sa propre nature séparée. Car il serait dans une grande illusion, il serait simplement une bête, s’il disait : "Il est quelqu’un, et moi un autre (NA: Brihadâranyaka Upanishad, I, 4, 10 ; IV, 5, 7 ; Cf. Maître Eckhart, "Wer got minnet für sinen got unde got an betet für sinen got und im dâ mite lâzet genüegen daz ist nur als, ein angeloubic mensche" (Pfeiffer, p. 469).)". 44 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme La Voie des ?uvres

Ils sont d’ores et déjà délivrés des chaînes de la fatalité, à laquelle reste seul attaché le véhicule psycho-physique, jusqu’à ce que vienne la fin. La mort en samâdhi ne change rien d’essentiel. De leur condition on ne peut désormais dire plus que : ils sont. Sans doute ne sont-ils pas anéantis, non seulement parce que l’annihilation d’une chose réelle est une impossibilité métaphysique, mais parce qu’il est expressément déclaré : "Jamais il n’y eut de temps où je n’ai pas été, et où tu n’as pas été, jamais non plus il n’y aura de temps où nous ne serons pas (NA: Bhagavad Gîtâ, II, 12.). Il est dit que le soi devenu parfait devient un rayon de Soleil, et, qu’il se meut à son gré de haut en bas des mondes, prenant la forme qu’il veut, mangeant ce qu’il veut, de même que l’élu, dans saint Jean, "entrera et sortira, et trouvera des pâturages (NA: Rig Vêda Samhitâ, IX, 113, 9 ; Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 28, 3 ; Shankhâyana Aranyaka, VII, 22 ; Brihadâranyaka Upanishad, II,1,18 ; Chândogya Upanishad, VII, 25, 2, VIII, 1, 5, 6 ; Mund. Up., III, 1, 4 ; Taitt. Up., III, 10, 5 : Pistis Sophia. II, 191 b ; Jean, X, 9.)". Ces expressions sont en rapport avec la doctrine de la "distinction sans séparation" (bhêdâbhêda) qui passe pour être propre au "théisme" hindou mais qui est: présupposée en fait dans la doctrine de l’essence une et de la nature duelle ainsi que par de nombreux textes védantiques, y compris les Brahma-Sûtras, que Shankara lui-même n’a pas réfutés (NA: Br. Sûtra, II, 3, 43 f. Das Gupta, Indian Philosophy, II, 42 f.). La doctrine elle-même correspond exactement à ce qu’entendait Maître Eckhart lorsqu’il disait : "Fondus mais non confondus". 71 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme L’Ordre social

On ne peut mieux concevoir cela que par l’analogie du rayon de lumière dans sa relation avec sa source, ou par celle du rayon d’un cercle dans sa relation avec son centre. Si l’on se représente un tel rayon comme ayant pénétré, à travers le centre, dans l’infini extra-cosmique et sans dimensions, on ne peut rien en dire ; si l’on se le représente comme étant au centre, ce ne peut être qu’en tant qu’identifié à ce centre et ne pouvant s’en distinguer. Et c’est seulement quand il "sort", qu’il acquiert une apparence de position et d’existence propre. Il se produit alors une "descente" (avatarana) (NA: Avatarana = katabasisos, comme dans République  , 519 D et Jean, III, 13, le "retour dans la caverne" de ceux qui ont fait l’"ascension verticale" correspond à la redescente du Sacrificateur, dont les références sont données à une autre note. Avatri varie en significations entre "venir sur" et "surmonter", le dernier sens prédominant dans les plus anciens textes. Le sens de "descente" est souvent exprimé d’une autre manière ou par d’autres verbes tels que avakram ou avasthâ, prati-i, (praty-) avaruh. La plus ancienne référence à la "descente" de Vishnu est peut-être Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), 1, 7, 6, 1, 2... punar imam lokam praytavaroha, cf. Shatapatha Brâhmana, XI, 2, 3, 3 où Brahma imân lokân... pratyavait. En ce qui concerne la reconnaissance ultérieure du Bouddha comme un avatâra, cf. J. I., 50 où le Bouddha descend (oruyha os avaroha) du ciel de Tusita pour naître, l’illustration de cet événement à Bharhut étant notée bhagavo okamti (os avakrâmati  ), et Dhammapada Atthakathâ, III, 226, où il descend (otaritwâ os avatîrtwâ) du ciel à Sankassa. Pour d’autres expressions de l’idée de "descente", voir Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 28, 4 ; Shatapatha Brâhmana, XI, 2, 3, 4 et Bhagavad Gîtâ, IV, 5 f. Cf. Clementine Homilies, III, 20 : "Celui-là seul le possède (l’esprit du Christ) qui a changé de noms et de formes depuis le commencement du monde, et ainsi a reparu maintes fois dans le monde".) de la Lumière des Lumières comme lumière, mais non comme une "autre" lumière. Une descente telle que celle de Râma ou de Krishna présente une différence essentielle avec l’incarnation des natures mortelles qui ont oublié qui elles sont, et avec leur déterminisme fatal. C’est en vérité le besoin de ces dernières qui détermine cette descente, et non quelque imperfection chez celui qui descend. Une semblable descente est celle d’un être che solo esso a sè piace, qui seul se plaît en soi-même (NA: Dante, Purgatorio, XXV III, 91.) et cet être n’est pas "sérieusement" engagé dans la forme qu’il assume, ni lié par quelque nécessité coactive ; il joue seulement le jeu" (krîdâ, lîlâ) (NA: Voir note 31 et "Play and Seriousness" dans Journal of Philosophy, XXXIX, 550-552. Nitya et lîlâ, le constant et le variable, sont l’Être et le Devenir, dans l’Éternité et le Temps.). Notre Soi immortel est "comme la rosée sur la feuille de lotus (NA: Chândogya Upanishad, IV, 14, 3 ; Maitri Upanishad, III, 2 ; Sutta Nipâta, 71, 213, 547 (comme Katha Upanishad, V, 11), 812, 845 ; Angutara Nikâya, II, 39.)", il touche mais il n’adhère pas. "Suprême, inouï, hors d’atteinte, impensable, indompté, invisible, indiscernable et indicible, bien qu’écoutant, pensant, voyant, parlant, scrutant, sachant, telle est cette Personne Intérieure, qui est dans tous les êtres et dont on doit savoir (NA: Aitarêya Aranyaka, III, 2, 4, cf. Atharva Vêda Samhitâ, X, 8, 44 ; Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 14, 3 ; Chândogya Upanishad, IV, 11, 1 ; VI, 8, 7 f ; Kaush. Up., 1 : 2, I, 5, 6.) : "Il est mon Soi", "Tu es Cela" (NA: Shankhâyana Aranyaka, XIII et note précédente. "Tout ce que vous avez été, et vu, et fait, et pensé, Ce n’est pas vous, mais Moi qui le vis, qui le fus, qui le façonnai. Pèlerin, Pèlerinage. et Voie, C’était uniquement Moi vers Moi-même : Et votre Arrivée, c’était Moi-même à ma propre Porte. Venez, Atomes perdus, attirés par votre Centre... Rayons errants dans la vaste Obscurité, Revenez et réintégrez votre Soleil". Mantiqu’t-Tair (d’après la traduction Fitzgerald).). 72 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme L’Ordre social

Platon encore nous rappelle sans cesse qu’il y a en nous deux âmes ou deux soi, et que de ces deux l’immortel est notre "Soi réel". Cette distinction d’un Esprit immortel et d’une âme mortelle, que nous avons déjà trouvée dans le Brahmanisme, est en fait la doctrine fondamentale de la Philosophia Perennis, où que nous la rencontrions. L’esprit retourne à Dieu qui le donna quand la poussière retourne à la poussière. Gnwqi seauton ; Si ignoras te, egredere. "Là où je vais, vous ne pouvez encore me suivre... Si quelqu’un me suit, qu’il se nie lui-même (NA: Jean, XIII, 36 ;Marc, VIII, 34. Ceux qui le suivent ont "tout abandonné", et ce tout les comprend naturellement "eux-mêmes".)". Nous ne devons pas nous faire illusion à nous-mêmes en supposant que les mots denegat seipsum doivent être pris dans une acception éthique, ce qui serait prendre le moyen pour la fin. Ils signifient ce qu’entendent saint Bernard quand il dit que l’on doit deficere a se tota, a semetipsa liquescere, et Maître Eckhart quand il dit que "le Royaume de Dieu n’est pour personne si ce n’est pour celui qui est entièrement mort". "La parole de Dieu va jusqu’à séparer l’âme et l’esprit (NA: Héb., IV, 12.)" ; et l’Éveillé aurait pu dire aussi que "personne ne peut être mon disciple s’il ne hait sa propre âme" (Kai ou misei? ten eautou psychen) (NA: Luc, XIV, 26, "qui ne hait son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et ses s?urs", cf. Maitri Upanishad, VI, 28. "S’il est attaché à sa femme et à sa famille, pour un tel homme, non jamais", et Sutta Nipâta, 60. "Seul je m’en vais, abandonnant femme et enfant, mère et père", cf. 38. Cf. note 68, p. 40.). "L’âme doit se mettre elle-même à mort" - "De peur que le Jugement Dernier ne vienne et ne me trouve non annihilé, et que je sois saisi et mis entre les mains de ma propre individualité (NA: Maître Eckhart et William Blake  . Cf. B?hme, Sex Puncta Theosophica, VII, 10. "Ainsi voit-on comment périt une vie..., à savoir quand elle veut être son propre maître... Si elle ne s’offre elle-même à la mort, elle ne pourra gagner un autre monde", Matth., XV, 25 ; Phédon  , 67, 68. "Nulle créature ne peut atteindre un plus haut degré de nature sans cesser d’exister", (Saint Thomas d’Aquin, Sum. Theol., I, 63, 3). Cf. Schiller : "Dans l’erreur seulement il y a vie, et la connaissance est nécessairement une mort" ; cf. également ce qui a été dit plus haut du Nirvâna comme d’un achèvement de l’être. Ce qui se trouve au-delà de telles morts ne peut être défini dans les termes propres à notre modalité d’existence.)". 127 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: Le Mythe

L’individualité empirique de tel ou tel étant un simple processus, ce n’est pas "ma" conscience ou mon individualité qui peut franchir la mort et renaître (NA: Majjhima Nikâya, I, 256 (l’hérésie concernant Sati).). Il est impropre de demander : "De qui est-ce la conscience ?»; on pourrait demander seulement : "Comment cette conscience surgit-elle (NA: Samyutta Nikâya, II, 13 ; II, 61, etc.) ?" Et voici l’antique réponse (NA: Aitarêya Aranyaka, II, 1, 3 : "L’homme est le produit d??uvres" (karmakritam ayam purushah), c’est-à-dire de choses qui ont été accomplies jusqu’au moment où nous parlons. Cf. Samyutta Nikâya, I, 38, satto samsâam âpâdi kammam asya parâyanam ; et notes 53, 17 et 31.) : "Ce corps n’est pas le mien, mais le résultat des ?uvres passées (NA: Samyutta Nikâya, II, 64.). Il n’y a pas d’"essence" passant d’un habitacle à un autre ; comme une flamme s’allume d’une autre flamme, ainsi se transmet la vie, mais non une vie, ni ma vie (NA: Milinda Panho, 71-72. Cette parole, selon laquelle rien n’est transmis sinon le "feu" de la vie, est en parfait accord avec la parole védantique : "Le Seigneur seul transmigre", et avec Héraclite  , pour lequel il n’est d’autre flux que celui du feu jaillissant et courant en nous, pyr aionios = Agni, vishwâyus. Elle ne contredit donc pas Platon et al., dont la doctrine ne rejetait certainement pas le "flux", mais présuppose un Être de qui tout devenir procède, un Être qui n’est pas lui-même une "chose", nais de qui toutes "choses" incessamment découlent.). Les êtres sont les héritiers des actes (NA: Majjhima Nikâya, I, 390 ; Samyutta Nikâya, 11, 64 ; Atharva Vêda Samhitâ, 88 : "Ma nature est faite d’actes (kammassako’mhi), j’hérite les actes, je nais des actes, je suis parent des actes, je suis quelqu’un sur qui les actes reviennent ; de tout acte, bon ou mauvais, que je fais, j’hériterai". On ne doit pas, bien entendu, prendre cette dernière parole comme se rapportant à un "Je" incarné, mais seulement comme signifiant qu’un "Je" futur héritera et éprouvera, tout comme "Je" le fais, sa nature propre et déterminée suivant l’ordre des causes.); mais l’on ne saurait dire avec exactitude que "je" recueille la rétribution de ce que "je" fis dans un habitacle précédent. Il y a une continuité causale, mais il n’y a pas une conscience (vijnâna) ou une essence (sattwa) faisant l’expérience actuelle des fruits de ses bonnes ou mauvaises actions passées, et devant en outre revenir et se réincarner (sandhâvati samsarati) sans altérité (ananyam) pour éprouver dans le futur les conséquences de ce qui a lieu maintenant (NA: Majjhima Nikâya, I, 256 f. ; Milinda Panho, 72, n’atthi kochi satto yo imamhâ kâyâ annam kâyam sankamati. "Il va sans dire que le penseur bouddhiste rejette la notion d’un ego passant d’une incarnation à une autre" (13. C. Law, Concepts of Buddhism, 1937, p. 45). "L’idée n’est pas que l’âme vit après la mort du corps et passe dans un autre corps. Samsâra veut dire manifestation d’une nouvelle existence sous l’influence de l’être vivant antérieur" (J. Takakusu, dans Philosophy, East and West, 1944, p. 78-79).). La conscience, en vérité, n’est jamais la même d’un jour à un autre (NA: Samyutta Nikâya, II, 95. Cf. notes 16 et 17.). Comment pourrait-elle survivre et passer d’une vie à une autre ? C’est ainsi que le Vêdânta et le Bouddhisme s’accordent entièrement pour affirmer que, s’il y a bien transmigration, il n’y a pas d’individu qui transmigre. Tout ce que nous voyons est l’opération des causes ; tant pis pour nous si, dans ce n?ud fatalement déterminé, nous voyons notre Soi". On trouve la même chose dans le Christianisme, où la question : "Qui a péché, cet homme ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle?" reçoit cette remarquable réponse : "Ni lui ni ses parents n’ont péché ; mais c’est afin que les ?uvres de Dieu soient manifestées en lui (NA: Jean, IX, 2.)". En d’autres termes, la cécité est survenue du fait de ces causes médiates dont Dieu est la Cause Première, et sans lesquelles le monde eût été privé de la perfection de la causalité (NA: La Fortune n’est rien autre que la série ou l’ordre des causes secondes ; elle réside dans ces causes elles-mêmes et non en Dieu (sauf à titre prosidentiel, c’est-à-dire de la manière même où le Bouddha "connaît tout ce qu’il y a à connaître, ce qui a été et ce qui sera", Sn, 558, etc., cf. Prash. Up., IV, 5). Dieu ne gouverne pas directement, mais par l’intermédiaire de ces causes auxquelles il ne se mêle jamais (Saint Thomas d’Aquin, Sum. Theol., I, 22, 3 ; I, 103, 7 ad 2 ; I, 116, 2, 4, etc.). "Rien n’arrive dans le monde par hasard" (Saint Augustin  , QQ., LXXXIII, qu. 24) ; "Comme une mère est grosse de sa progéniture non née, ainsi le monde lui-même des causes des choses non nées (De Trin., III, 9), affirmations auxquelles saint Thomas souscrit. "Pourquoi alors ces hommes misérables se permettraient-ils de tirer gloire de leur libre arbitre avant que d’être libres ?" (Saint Augustin, De spir. et lit., 52). Le Bouddha démontre clairement que nous ne pouvons être ce que nous voulons ni quand nous le voulons, et que nous ne sommes pas libres (Samyutta Nikâya, III, 66, 67), bien "qu’il y ait une voie" pour le devenir (D., I, 156). C’est la prise de conscience de ce fait que nous sommes des mécanismes, soumis au déterminisme causal (comme l’énonce la formule répétée hêtuvâda, aitiatos : "Ceci étant, cela arrive ; ceci n’étant pas, cela n’arrive pas". Samyutta Nikâya, II, 28, etc., comme Aristote, Met., VI, 3, 1, poteron gar esta todi h ou ; ean ge todi genhtai eidemh, ou), - terrain véritable du "matérialisme scientifique" - c’est cette prise de conscience qui fait apercevoir le Chemin de l’évasion. Tout notre trouble vient de ce que, selon les paroles de Boèce  , "nous avons oublié qui nous sommes", et que, par ignorance, nous voyons notre Soi dans ce qui n’est pas le Soi (anattani attânam), mais un simple processus. "La volonté est libre pour autant qu’elle obéit à la raison, et non quand nous faisons ce qui nous plaît" (Saint Thomas d’Aquin, Sum. Theol., I, 26, 1) - cette Raison (logos) "dont le service est liberté parfaite".). 135 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine

Le fait que les parfaits possèdent les pouvoirs de motion et de manifestation à volonté est familier à l’enseignement chrétien, où il est dit qu’"ils entreront et sortiront et trouveront des pâturages (NA: Jean, X, 9, 14 ; Purgatorio, XXVII, 131. Cf. ShA., VII, 22 ; Taitt. Up., III, 10, 5.)" ; et de tels pouvoirs appartiennent naturellement à ceux qui, "unis au Seigneur, sont un seul esprit (NA: I Cor., 6, 17.)". La même chose est dite à maintes reprises dans les Écritures brahmaniques, et souvent dans des termes presque semblables. Dans un texte qui revient fréquemment, le Bouddha décrit les quatre degrés de contemplation (dhyâna) comme des chemins de puissance (iddhipâda) qui sont les équivalents du "Sentier Aryen", et qui sont des moyens d’atteindre l’Omniscience, l’Éveil Total et le Nirvâna (NA: Samyutta Nikâya, II, 212 f. ; V. 254 f., Angutara Nikâya, I, 170 ; I, 254 f. 149 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine

Il est tout à fait contraire au Bouddhisme, aussi bien qu’au Vêdânta, de penser à "nous-mêmes" comme à des êtres errant au hasard dans le tourbillon fatal du flot du monde (samsâra). Notre Soi immortel est tout, sauf une "individualité qui survit". Ce n’est pas cet homme, un tel ou un tel qui réintègre sa demeure et disparaît à la vue (NA: Sutta Nipâta, 1074-1076, nâmakâya vimutto, attham palêti, na upêti sankham... attham gatassa na pamânam atthi. Mund. Up., III, 2, 8, 9, nâmarûpâd vimuktah... ahrito bhavati ; Bhagavad Gîtâ, XV, 5, dwandwair vimuktâh.), mais le Soi prodigue qui se souvient de lui-même. Celui qui fut multiple est de nouveau un et indiscernable, Deus absconditus. "Nul homme n’est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel", c’est pourquoi "si quelqu’un veut me suivre, qu’il se nie lui-même (NA: Jean, XIII, 36 ; Marc, XIII, 34. Qui veut le suivre doit pouvoir dire avec saint Paul : "Je vis, toutefois non pas moi, mais Christ en moi" (Cal., II, 20). Il ne peut y avoir de retour en Dieu que comme du Même au Même, et cette identité, selon les paroles de Nicolas de Cuse, demande une abtatio omnis alteritatis et diversitatis, suppression de toute altérité et de toute diversité.)". "Le royaume de Dieu n’est à personne, si ce n’est au mort parfait (NA: Maître Eckhart.)". La réalisation du Nirvâna est le "Vol du Solitaire vers le Solitaire (NA: Ennéades, VI, 9, 11.)". 157 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine