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HB: Atharva Vêda Samhitâ

sábado 3 de fevereiro de 2024

  

La passion est à la fois un épuisement et un démembrement. Le Serpent sans fin, qui demeurait invincible tant qu’il était l’Abondance une (NA: Taittirîya Aranyaka, V, 1, 3 ; Maitri Upanishad  , 11, 6 (a).), est disjoint et démembré comme un arbre que l’on abat et que l’on coupe en rondins (NA: Rig Vêda Samhitâ, I, 32.). Car le Dragon, comme nous allons le voir maintenant, est aussi l’Arbre du Monde, et il y a là une allusion au "bois" dont est fait le monde par le Charpentier (NA: Rig Vêda Samhitâ, X, 31, 7 ; X, 81, 4 ; Taittirîya Brâhmana, 11, 8, 9, 6 ; cf. Rig Vêda Samhitâ, X, 89, 7 ; Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), VI, 4, 7, 3.). Le Feu de la Vie et l’Eau de la Vie (Agni et Soma, le Sec et l’Humide), tous les Dieux, tous les êtres, les sciences et les biens, sont dans l’étreinte du Python, qui, en tant que "Constricteur" (namuchi), ne les relâchera pas tant qu’il ne sera pas frappé et réduit à s’entrouvrir et à palpiter (NA: Rig Vêda Samhitâ, 1, 54, 5, chvasanasya... chushnasya ; V, 29, 4, chvasantam dânavam ; Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), II, 5, 2, 4, janjabhyamânâd agnîshomau nirakrâmatâm ; cf. Shatapatha Brâhmana, I, 6, 3, 13-15.). De ce Grand Être, comme d’un feu abattu et fumant, sont exhalés les Écritures, le Sacrifice, les mondes et tous les êtres (NA: Brihadâranyaka Upanishad, IV, 5, 11, mahato bhûtasya... êtânî sarvâni nihshvasitâni ; Maitri Upanishad  , VI, 32, etc. "Car toutes choses sont issues d’un seul être" (B?hme, Sig. Rer., XIV, 74). Également dans Rig Vêda Samhitâ, X, 90.), le laissant épuisé de ce qu’il contenait et semblable à une dépouille vide (NA: Shatapatha Brâhmana, 1, 6, 3, 1.5, 16.). Il en est de même de l’Ancêtre quand il a émané ses enfants, il est vidé de ses possibilités de manifestation, et tombe relaxé (NA: "Il est dépourvu d’attaches, vyasransata, c’est-à-dire non lié, ou disjoint, de telle sorte que, ayant été sans jointures, il est articulé, ayant été un, il est divisé et vaincu, comme Makha (Taittirîya Aranyaka, 1, 3) et Vritra (originellement sans jointures, Rig Vêda Samhitâ, IV, 19, 3, mais désunis, I, 32, 7). Pour la "chute" et la restauration de Prajâpati, voir Shatapatha Brâhmana, I, 6, 3, 35 et passim ; Panchavimsha Brâhmana, IV, 10, 1 et passim ; Taittirîya Brâhmana, 1, 2, 6, 1 ; Aitarêya Aranyaka, III, 2, 6, etc. C’est par référence à sa "division" que, dans Katha Upanishad  , V, 4, la déité (dêhin) immanente est dite "dépourvue d’attaches" (visransamâna) ; car il est un en soi-même, mais multiple en tant qu’il est dans ses enfants (Shatapatha Brâhmana, X, 5, 2, 16), à partir desquels il ne peut pas facilement se réunir (voir note 21).), vaincu par la Mort (NA: Shatapatha Brâhmana, X, 4, 4, 1.), bien qu’il doive survivre à cette épreuve (NA: Panchavimsha Brâhmana, VI, 5, 1 (Prajâpati) ; cf. Shatapatha Brâhmana, IV, 4, 3, 4 (Vritra).). Les positions sont alors renversées , car le Dragon igné ne sera pas détruit et ne peut l’être, mais entrera dans le Héros, à la question duquel : "Quoi donc, me consumerais-tu?" il répond : "Je vais plutôt t’attiser (éveiller, raviver), afin que tu puisses manger (NA: Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), II, 4, 12, 6. La nourriture est, d’une façon tout à fait littérale, consumée par le Feu digestif. Ainsi, quand on annonce un repas rituel, on dit : "Allume le Feu"... ou "Viens au festin", en manière de benedicite. Chose digne de remarque, tandis que l’on désigne habituellement le Soleil ou l’Indra solaire comme le "Personnage dans l??il droit", on peut tout aussi bien dire que c’est Chushna (le Consumeur) qui est frappé et qui, lorsqu’il tombe, entre dans l??il comme dans sa pupille, ou que Vritra devient l??il droit (Shatapatha Brâhmana, III, 1, 3, 11, 18). C’est une des nombreuses modalités par lesquelles "Indra est maintenant ce que Vritra était".)." L’Ancêtre, dont les enfants sont comme des pierres dormantes et inanimées, se dit : "Entrons en eux pour les éveiller" ; mais, tant qu’il est un, il ne peut le faire, c’est pourquoi il se divise en pouvoirs de perception et de «consommation», et il étend ces pouvoirs depuis sa retraite secrète dans la caverne du coeur jusqu’à leurs objets, à travers les portes des sens, en pensant : "Mangeons ces objets". Ainsi "nos" corps sont mis en possession de la conscience, l’Ancêtre étant leur moteur (NA: Maitri Upanishad, II, 6 ; cf. Shatapatha Brâhmana, III, 9, 1, 2 et Jaiminîya Upanishad Brâhmana, I, 46, 1-2. "Celui qui meut", comme dans Paradiso, I, 116. Questi nef   cor mortali è permotore. Cf. Platon  , Lois, 898 C.). Et, du fait que ce sont les Dieux Multiples ou les Mesures Multiples du Feu dans lesquels il s’est ainsi divisé, qui constituent "nos" énergies et "nos" pouvoirs, on peut dire de la même façon que «les Dieux sont entrés dans l’homme, qu’ils ont fait d’un mortel leur demeure (NA: Atharva Vêda Samhitâ, XI, 8, 18 ; cf. Shatapatha Brâhmana, II, 3, 2, 3 ; Jaiminîya Upanishad Brâhmana, I, 14, 2, mayy êtâs sarvâ dêvatâh. Cf. Kaushîtaki Brâhmana, VII, 4 imê purushê dêvatâh; Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), V I, 1, 4, 5, prânâ vai dêvâ... têshu paroksham juhoti ("Les Dieux dans cet homme... Ils sont les Souffles... en eux il sacrifie en mode transcendant").)". Sa nature passible est devenue maintenant la "nôtre", et, à partir de cet état, il ne peut pas aisément se rassembler ou se restituer lui-même, dans sa pleine et entière unité (NA: Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), V, 5, 2, 1. Prajâpatih prajâ srishtwâ prênânu pravishat, tâbhyâm punar sambhavitum nâshaknot ; Shatapatha Brâhmana, I, 6, 3, 36, sa visrastaih parvabhih na shashâka samhâtum.). 18 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Le Mythe

On a compris que la déité est implicitement ou explicitement une victime volontaire. Ceci est reflété dans le Rite humain, où le consentement de la victime, qui a dû être humaine à l’origine, est toujours assuré suivant les formes. Dans l’un ou l’autre cas, la mort de la victime est aussi sa naissance, en accord avec la règle infaillible qui veut que toute naissance ait été précédée d’une mort. Dans le premier cas il y a naissance multiple de la déité dans les êtres vivants, dans le second ils renaissent en elle. Mais, même ainsi, il est reconnu que le sacrifice et le démembrement de la victime sont des actes de cruauté, voire de perfidie (NA: Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), II, 5, 1, 2 ; II, 5, 3, 6 ; cf., VI, 4, 8, 1 ; Shatapatha Brâhmana, I, 2, 3, 3 ; III, 9, 4, 17 ; XII, 6, 1, 39, 40 ; Panchavimsha Brâhmana, XII, 6, 8, 9 ; Kaus. Up., III, 1, etc. ; cf. Bloomfield dans Journal of the American Oriental Society, XV, 161.). C’est là le péché originel (kilbisha) des Dieux, auquel tous les hommes participent du fait même de leur existence distincte et de leur façon de connaître en termes de sujet et d’objet, de bien et de mal, et auquel l’Homme Extérieur doit d’être exclu d’une participation directe (NA: Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), II, 4, 12, 1, Aitarêya Brâhmana, VII, 28.) à "ce que les Brâhmanes entendent par Soma". Les formes de notre "connaissance", ou plutôt de notre "opinion" (avidyâ) ou de notre "art" (mâyâ), le démembrent chaque jour. Une expiation pour cette ignorantia divisiva est fournie dans le Sacrifice, où, par le renoncement à lui-même de celui qui l’offre, et par la restitution de la déité démembrée dans son intégrité et sa plénitude premières, la multitude des "soi" est réduite à son Principe unique. Il y a ainsi multiplication incessante de l’Un inépuisable et unification incessante de l’indéfinie Multiplicité. Tels sont les commencements et les fins des mondes et des individus, produits d’un point sans lieu ni dimensions, d’un présent sans date ni durée, accomplissant leur destinée, et, après leur temps achevé, retournant "chez eux", dans la Mer ou le Vent où leur vie prit origine, affranchis par là de toutes les limitations inhérentes à leur individualité temporelle (NA: Pour le retour des "Fleuves" vers la "Mer" où leur individualité se perd, de sorte que l’on parle seulement de la mer : Chândogya Upanishad, VI, 10, 1 ; Prashna UP., VI, 5, Mund. Up.  , IlI, 2, 8 ; Angutara Nikâya, IV, 198 ; Udâna, 55, et de même Lao Tseu, Tao Te King  , XXXII ; Rûmî  , Mathnawî, VI, 4052, Maître Eckhart   (dans Pfeiffer, p. 314), tout à l’effet que "Wenn du das Tröpflein wist im grossen Meere nennen, Den wirst du meine Seel’im grossen Gott erkennen" (Angeles Silesius  , Cherubinische Wandersmann, II, 15) ; "e la sua volontate è nostra pace ; ella è quel mare, al quai tutto se mose" (Dante  , Paradiso III, 85, 86). Pour le "retour" (en Agni), Rig Vêda Samhitâ, I, 66, 5, V, 2, 6) ; (en Brahma), Maitri Upanishad, VI, 22: (dans la "Mer"), Prashna Up., VI, 5 ; (dans le Vent), Rig Vêda Samhitâ, X, 16, 3 ; Atharva Vêda Samhitâ, X, 8, 16 (ainsi que Katha Up., IV, 9 ; BU  , I, 5, 23) ; Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 1, 1, 2, 3, 12 ; Chândogya Upanishad, IV, 3, 1-3 ; (vers le summum bonum, fin dernière de l’homme), Samyutta Nikâya, IV, 158 ; Sutta Nipâta, 1074-6 ; Mil. 73 ; (vers notre Père), Luc, 15, 11 f.). 20 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Le Mythe

Dieu est une essence sans dualité (adwaita), ou, comme certains le soutiennent, sans dualité mais non sans relations (vishishtâdwaita). Il ne peut être appréhendé qu’en tant qu’Essence (asti) (NA: Katha Upanishad, VI, 13; Maitri Upanishad, IV, 4, etc.), mais cette Essence subsiste dans une nature duelle (dwaitîbhâva) (NA: Shatapatha Brâhmana, X, 1, 4, 1 ; Brihadâranyaka Upanishad, II, 3 ; Maitri Upanishad, VI, 15, VII, 11. On ne trouve aucune trace de Monophysisme ou de Patripassianisme dans le prétendu "monisme" du Vêdânta, la "non-dualité" étant celle de deux natures unies sans composition.), comme être et comme devenir. Ainsi, ce que l’on appelle la Plénitude (kritsnam, pûrnam, bhûman) est à la fois explicite et non explicite (niruktânirukta), sonore et silencieux (shabdâshabda), caractérisé et non caractérisé (saguna, nirguna), temporel et éternel (kâlâkâlâ), divisé et indivisé (sakalâkala), dans une apparence et hors de toute apparence (mûrtâmûrta), manifesté et non manifesté (vyaktâvyakta), mortel et immortel (martyâmartya) et ainsi de suite. Quiconque le connaît sous son aspect prochain (apara), immanent, le connaît aussi sous son aspect ultime (para), transcendant (NA: Maitri Upanishad, VI, 22 ; Prash. Up  ., V, 2.). Le Personnage qui se tient dans notre coeur, mangeant et buvant, est aussi le Personnage dans le Soleil (NA: Brihadâranyaka Upanishad, IV, 4, 22, 24; Taitt. Up., III, 10, 4 ; Maitri Upanishad, VI, 1, 2.). Ce soleil des hommes, cette Lumière des lumières (NA: Rig Vêda Samhitâ, I, 146, 4 ; cf. Jean, I, 4 ; Rig Vêda Samhitâ, 1, 113, I ; Brihadâranyaka Upanishad, IV, 16 ; Mund. Up., II, 2, 9 ; Bhagavad Gîtâ, XIII, 16.), que "tous voient mais que peu connaissent en esprit (NA: Atharva Vêda Samhitâ, X, 8, 14 ; cf. Platon, Lois, 898 D.)", est le Soi Universel (âtman) de toutes les choses mobiles et immobiles (NA: Rig Vêda Samhitâ, I, 115, 1., 8 ; VII, 101, 6 ; Atharva Vêda Samhitâ, X, 8, 44; Aitarêya Aranyaka, III, 2, 4. L’autologie (âtmâ-jhâna) est le thème fondamental de l’Écriture ; mais il faut comprendre que cette connaissance du Soi diffère de toute connaissance empirique de l’objet en ce que notre Soi est toujours le sujet et ne peut jamais devenir l’objet de la connaissance ; en d’autres termes, toute définition du Soi ultime doit se faire par négation. Âtman (racine an, respirer, cf. atmos, autme) est en premier lieu l’Esprit, principe lumineux et pneumatique, et comme tel, souvent assimilé au Vent (vdyu, vâta, racine vâ, souffler) de l’Esprit qui "souffle où il veut" (yathâ vasham charati, Rig Vêda Samhitâ, X,168, 4 et Jean, III, 8). Etant l’essence ultime de toutes choses, âtman acquiert le sens secondaire de "moi", compte non tenu du plan de référence, qui peut être corporel, psychique ou spirituel, de sorte que, en face de notre Soi réel, l’Esprit en nous-mêmes et dans toutes choses vivantes, il y a le "moi", de qui nous parlons quand nous disons "je" ou "tu", signifiant cet homme ou celui-ci, Un Tel. En d’autres termes, il y a les deux en nous, l’Homme Extérieur et l’Homme Intérieur, l’individualité psychique et physique, et la Personne véritable. C’est donc en accord avec le contexte que nous devons traduire. Du fait que le mot âtman, employé en mode réfléchi, ne peut être rendu que par "soi", nous nous en sommes tenu partout à la version "soi" en distinguant le Soi du soi par une majuscule, comme on le fait communément. Mais il doit être clairement entendu que la distinction est en réalité entre "esprit" (pneuma) et "âme" (psyche) au sens paulinien. Il est vrai que ce "Soi" ultime, "ce Soi immortel du soi", est identique à l’"âme de l’âme" (psyche psyches) de Philon  , et à l’ "âme immortelle" de Platon posée comme distincte de l’"âme mortelle", et que maint traducteur rend âtman par "âme" ; mais, bien qu’il y ait des contextes où "âme" est mis pour "esprit" (cf. Guillaume de Saint-Thierry, Epistola ad Fratres de Monte Dei, ch. XV), il devient dangereusement trompeur, par suite de nos notions courantes de "psychologie", de parler du Soi ultime et universel comme d’une "âme". Ce serait, par exemple, une très grande méprise que de supposer que, quand un "philosophe" tel que Jung   parle de "l’homme à la recherche d’une âme", cela puisse avoir quelque rapport avec la recherche hindoue du Soi, ou avec ce dont il s’agit dans l’exhortation Gnothi seauton. Le "soi" de l’empiriste est, pour le métaphysicien, tout comme le reste de ce qui nous entoure, "non mon Soi". Des deux "soi" dont il s’agit, le premier est né de la femme, le second du Sein Divin, du feu sacrificiel ; et quiconque n’est pas ainsi "né de nouveau" ne possède effectivement que ce moi mortel né de la chair et qui doit finir avec elle (Jaiminîya Brâhmana, I, 17 ; cf. Jean, III, 6 ; Gal., VI, 8 ; I Cor., 15, 50, etc.). De là dans les Upanishads et le Bouddhisme les questions fondamentales : "Qui es-tu ?" et "Par quel soi" l’immortalité peut-elle être atteinte ? La réponse étant : uniquement par ce Soi qui est immortel ; les textes hindous ne tombent jamais dans l’erreur de supposer qu’une âme qui a eu un commencement dans le temps puisse être immortelle ; et, à la vérité, nous ne voyons pas que les Évangiles chrétiens aient mis nulle part en avant une doctrine aussi irrecevable.). Il est à la fois dedans et dehors (bahir   antach cha bhûtânâm) mais sans discontinuité (anantarama) ; il est donc une présence totale, indivise dans les choses divisées (NA: Bhagavad Gîtâ, XIII, 15, 16; XVIII, 20.). Il ne vient de nulle part, il ne devient qui que ce soit (NA: Katha Upanishad, II, 18; cf. Jean, 3, 18.), mais il se prête seulement à toutes les modalités possibles d’existence (NA: Brihadâranyaka Upanishad, IV, 4, 5.). 26 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Théologie et Autologie

Par la séparation du Ciel et de la Terre, on distingue les "Trois Mondes" ; le Monde Intermédiaire (antariksha) produit l’espace, dans lequel les possibilités latentes de manifestation formelle pourront naître selon la multiplicité de leurs natures. De la première substance, l’éther (âkâsha), dérivent successivement l’air, le feu, l’eau et la terre ; et de ces cinq éléments (bhûtâni), combinés en proportions variées, sont formés les corps inanimés des créatures (NA: Chândogya Upanishad, 1, 9, 1 ; VII, 12, 1 ; Taittirîya Upanishad, II, 1, 1. L’Éther est l’origine et la fin du "nom et de la forme", i. e. de l’existence ; les quatre autres éléments sont issus de lui et retournent à lui comme à leur principe. Quand il est tenu compte de quatre éléments seulement, comme cela arrive fréquemment dans le Bouddhisme, on a en vue les bases concrètes des choses matérielles ; cf. Saint Bonaventure  , De red. artium ad theol., 3, Quinque sunt corpora mundi simplicia, scilicet quatuor elementa et quinta essentia. Tout comme, dans l’ancienne philosophie grecque, les "quatre racines" ou "éléments" (feu, air, terre et eau d’Empédocle  , etc.) ne comprennent pas l’éther spatial, tandis que Platon mentionne les cinq (Epinomis  , 981 C) et qu’Hermès fait remarquer que "l’existence de toutes les choses qui sont eût été impossible si l’espace n’avait existé comme une condition préalable de leur être". (Ascl. II, 15). Il serait absurde de supposer que ceux qui parlaient seulement de quatre éléments n’avaient pas à l’esprit cette notion passablement évidente.), dans lesquels la Divinité entre pour les éveiller, se divisant elle-même pour remplir ces mondes et devenir la "Multitude des Dieux" (vishwê dêvâh), Ses enfants (NA: Maitri Upanishad, II, 6 ; VI, 26 ; c’est-à-dire apparemment (iva) divisé dans les choses divisées, mais en réalité non divisé (Bhagavad Gîtâ, XIII, 16 ; XVIII, 20), cf. Hermès Lib., X, 7, où "les âmes prosiennent pour ainsi dire (wsper) du morcellement et du partage de la seule Ame Totale".). Ces Intelligences (jn  ânâni, ou spirations, prânâh) (NA: Jnânâni, prajnâ-mâtrâ etc. Katha Upanishad, VI, 10 ; Maitri Upanishad, VI, 30 ; Kaush. UP., III, 8.), sont les hôtes des "êtres" (bhûtagana) ; elles opèrent en nous, unanimement, à titre d’"âme élémentaire" (bhûtâtman), ou de soi conscient (NA: Maitri Upanishad, III, 2 f.). C’est là en effet notre "soi", mais un soi pour le moment mortel, sans essence spirituelle (anâtmya, anâtmâna), ignorant du Soi immortel (âtmânam ananuvidya, anâtmajna) (NA: Shatapatha Brâhmana, II, 2, 2, 3, 6. Cf. Notes 199, 204.), et qu’il ne faut pas confondre avec les Déités immortelles qui sont déjà devenues ce qu’elles sont par leur "valeur" (arhana), et que l’on désigne sous le nom d’"Arhats" (Dignités) (NA: Rig Vêda Samhitâ, V., 86, 5 ; X, 63, 4.). Par le moyen des déités perfectibles et terrestres, tout comme un Roi reçoit le tribut (balim âhri) de ses sujets (NA: Atharva Vêda Samhitâ, X, 7, 39, XI, 4, 19 ; Jaiminîya Upanishad Brâhmana, 23, 7 ; Brihadâranyaka Upanishad, IV, 3, 37, 38.), le Personnage dans le coeur, l’Homme Intérieur, qui est aussi le Personnage dans le Soleil, obtient la nourriture (anna, ahara), tant physique que mentale, qui lui est nécessaire pour subsister durant sa procession de l’être vers le devenir. En raison de la simultanéité de sa présence dynamique dans tous les devenirs passés et futurs (NA: Rig Vêda Samhitâ, X, 90, 2 ; Atharva Vêda Samhitâ, X, VIII, 1 ; Katha Upanishad, IV, 13 ; Shwêt. Up., III, 15.), on peut regarder les pouvoirs créés, à l??uvre dans notre conscience, comme le support temporel de la prosidence (prajnâna) et de l’omniscience (sarvajnâna) éternelles de l’Esprit solaire. Non que le monde sensible, avec ses événements successifs, déterminés par des causes médiates (karma, adrishta apûrva), soit pour lui source de connaissance ; mais bien plutôt parce que ce monde est lui-même la conséquence de la science qu’a l’Esprit de "cette image diverse peinte par lui-même sur le vaste canevas de lui-même (NA: Shankarâchârya, Swâtmanirûpana, 95. L’"image du monde" (jagacchitra = kosmos noetos) peut être appelée la forme de l’omniscience divine, et elle est le paradigme hors du temps de toute existence, la «création" étant exemplaire, cf. mon "Vedic Exemplarism" dans Harvard Journal of Asiatic Studies, I, 1936. "Un précurseur de l’Indo-Iranien arta et même de l’Idée platonicienne se trouve dans le sumérien gish-ghar, le contour, plan ou modèle des choses-qui-doivent-être, établi par les Dieux à la création du monde et fixé dans le ciel en vue de déterminer l’immutabilité de leur création" (Albright, dans JAOS, 54, 1934, p. 130, cf. p. 121, note 48). L’"image du monde" est la paradeigma aiona de Platon (Timée  , 29 A, 37 C), to archetypou eidas d’Hermès, et l’éternel miroir qui conduit les esprits qui regardent en lui vers la connaissance de toutes les créatures, et "mieux qu’en regardant ailleurs" de saint Augustin   (voir Bissen, L’exemplarisme divin selon saint Bonaventure, 1929, p. 39, note 5) ; cf. saint Thomas d’Aquin  , Sum. Theol., I, 12, 9 et 10, Sed omnia sic videntur in Deo sicut in quodam speculo intelligibili... non successive, sed simul. "Quand l’habitant du corps, contrôlant les facultés de l’âme qui saisissent ce qui leur appartient dans les sons, etc., s’illumine, il voit l’Esprit (âtman) dans le monde, et le monde dans l’Esprit" (Mahâbhârata, III, 210) ; "Je vois le monde comme une image, l’Esprit" (Siddhântamuktâvalî, p. 181).)". Ce n’est pas par le moyen de la Totalité qu’il se connaît lui-même : c’est par sa connaissance de lui-même qu’il devient la Totalité (NA: Brihadâranyaka Upanishad, I, 4, 10 ; Prashna Upanishad, IV, 10. L’omniscience présuppose l’omniprésence et inversement. Cf. ma "Recollection, Indian and Platonic", Journal of the American Oriental Society, Supplement, 3, 1945.). C’est le propre de notre façon inductive de connaître, que de le connaître par la Totalité. 32 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Théologie et Autologie

Ce n’est pas seulement notre nature passible qui est engagée, mais aussi la Sienne. Dans cette compatibilité de nature, Il sympathise avec nos misères et nos délices, et Il est soumis aux conséquences des choses autant que "nous". Il ne choisit pas le sein où il va naître ; Il accède à des naissances qui peuvent être élevées ou médiocres (sadasat) (NA: Maitri Upanishad, III, 2 ; Bhagavad Gîtâ, XIII, 21. Paradiso, VIII, 127, non distingue l’un dall’ altro ostello.), où sa nature mortelle goûte le fruit (bhoktri) du bien comme du mal, de la vérité comme de l’erreur (NA: Maitri Upanishad, II, 6, VI, 11, 8.). Dire qu’"Il est seul voyant, oyant, pensant, connaissant et fructifiant (NA: Aitarêya Aranyaka, III, 2, 4 ; Brihadâranyaka Upanishad, III, 8, 11, IV, 5, 15.)" en nous, dire que "quiconque voit, voit par Sa lumière (NA: Jaiminîya Upanishad Brâhmana, I, 28, 8 et semblablement pour les autres facultés de l’âme.)", car Il est dans tous les êtres Celui qui regarde, c’est dire que "le Seigneur est le seul qui transmigre (NA: Shankarâchârya, Sur les Brahma-Sûtras   I, 1, 5, Satyam, nêshwarâd anyah samsârî : cette affirmation très importante est largement appuyée par les textes primitifs e. g. Rig Vêda Samhitâ, VIII, 43, 9, X, 72, 9 ; Atharva Vêda Samhitâ, X, 8, 13; Brihadâranyaka Upanishad, III, 7, 23, III, 8 11, IV, 3, 37, 38 ; Shwêt. Up., II, 16, IV, 11 ; Maitri Upanishad, V, 2. Il n’y a pas d’essence individuelle qui transmigre. Cf. Jean, III, 13. "Personne n’est monté au ciel si ce n’est celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’Homme qui est dans le ciel". Le symbole de la chenille dans Brihadâranyaka Upanishad, IV, 4, 3, n’implique pas le passage d’un corps à un autre, d’une vie individuelle distincte de l’Esprit Universel, mais d’une "part pour ainsi dire" de cet Esprit enveloppée dans les activités qui occasionnent la prolongation du devenir (Shankarâchârya, Br. Sûtra, II, 3, 43; III, 1, 1). En d’autres termes, la vie est renouvelée par l’Esprit vivant dont la semence est le véhicule, alors que la nature de cette vie est déterminée par les propriétés de la semence elle-même (Brihadâranyaka Upanishad, III, 9, 28; Kaush. Up., III, 3, et également saint Thomas d’Aquin. Sum. Theol., III, 32, 11). Blake dit de même : "L’homme naît comme un jardin tout planté et semé". Le caractère est tout ce que nous héritons de nos ancêtres ; le Soleil est notre Père réel. De même dans Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 14, 10, M. I., 265/6, et Aristote  , Phys., II, 2. anqrwpos gar anqrwpon genna hlios comme l’ont bien compris saint Thomas d’Aquin, Sum. Theol., I, 115, 3 ad 2 et Dante, De monarchia, IX. Cf. Saint Bonaventure, De red. artium ad theologiam, 20. (Les remarques de Wicksteed et Cornford dans la Physique de la L?b Library, p. 126, montrent qu’ils n’ont pas saisi la doctrine).)". Il s’ensuit inévitablement que, par l’acte même où Il nous doue de conscience, "Il s’emprisonne Lui-même comme un oiseau dans le filet", et s’assujettit au mal, à la Mort (NA: Shatapatha Brâhmana, X, 4, 4, 1.), ou semble du moins s’emprisonner et s’assujettir ainsi. 35 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Théologie et Autologie

De là aussi la prière : "Ce que Tu es, puissé-je l’être (NA: Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), I, 5, 7, 6.)", et le sens éternel de la question critique : "De qui sera-ce le départ lorsque je partirai d’ici (NA: Prash. Up., VI, 3 ; cf. réponses dans Chândogya Upanishad, III, 14, 4 et Kaush. Up., II, 14.) ?" de moi-même ou du «Soi immortel", du "Conducteur (NA: Chândogya Upanishad, VIII, 12, 1 ; Maitri Upanishad, III, 2 ; VI, 7. Pour le hgemwn Aitarêya Aranyaka, II, 6 et Rig Vêda Samhitâ, V, 50, 1.)". Si l’on a réalisé effectivement les véritables réponses, si l’on a trouvé le Soi et fait tout ce qu’il y avait à faire (kritakritya), sans aucun résidu de potentialité (krityâ), la fin dernière de notre vie est actuellement atteinte (NA: Aitarêya Aranyaka, II, 5 ; Shankhâyana Aranyaka, II, 4 ; Maitri Upanishad, VI, 30 ; cf. Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), I, 8, 3, 1. Kritakritya, "tout en acte" correspond au pali katamkaranîyam dans la "formule Arhat" bien connue.). On ne saurait trop insister sur le fait que la liberté et l’immortalité (NA: Amritattwa, littéralement "immortalité" ; dans toute la mesure où il s’agit d’êtres nés, soit dieux, soit hommes, ce mot n’implique pas une durée sans fin, mais la "totalité de la vie" ; on doit entendre : ne mourant pas prématurément (Shatapatha Brâhmana, V, 4 ; I, 1 ; IX, 5, 1, 10; Panchavimsha Brâhmana, XXII, 12, 2, etc.). Ainsi la totalité de la vie de l’homme (âyus = aeon) est de cent ans (Rig Vêda Samhitâ, I, 89, 9 ; II, 27, 10, etc.) ; celle des Dieux est de "mille ans" (XI, 1, 6, 6, 15) ou de la durée que représente ce chiffre rond (Shatapatha Brâhmana, VIII, 7, 4, 9; X, 2, 1-11, etc.). Dès lors, quand les Dieux, qui, à l’origine, étaient "mortels", obtiennent leur "immortalité" (Rig Vêda Samhitâ, V, 3, 4, et X, 63, 4, ; Shatapatha Brâhmana, XI, 2, 3, 6, etc.), cela ne doit être compris que dans un sens relatif et ne signifie pas autre chose que leur vie, comparée à celle des hommes, est plus longue (Shatapatha Brâhmana, VII, 3, 1, 10, Shankara  . Sur les Br. Sûtra, I, 2, 17 et II, 3, 7, etc.). Dieu seul, comme "non-né" ou "né seulement en apparence" est absolument immortel ; Agni, vishwâyus = pyr aionos, seul "immortel parmi les mortels, Dieu parmi les Dieux" (Rig Vêda Samhitâ, IV, 2, 1 ; Shatapatha Brâhmana, II, 2, 2, 8, etc.). Sa nature intemporelle (akâla) est celle du "maintenant" sans durée, dont nous, qui ne pouvons penser qu’en termes de passé et de futur (bhûtam bhavyam) n’avons et ne pouvons avoir l’expérience. De Lui toutes choses procèdent, et en Lui elles s’unifient (êko bhavanti) à la fin (Aitarêya Aranyaka, II, 3, 8, etc.). En d’autres termes, l’"immortalité" est de trois ordres : la longévité humaine, l’æviternité des Dieux, et l’immortalité sans durée de Dieu (sur l’æviternité, voir saint Thomas d’Aquin., Sum. Theol., I, 10, 5). Les textes hindous eux-mêmes ne permettent aucune confusion : toutes les choses sous le Soleil sont au pouvoir de la Mort (Shatapatha Brâhmana, II, 3, 37, X, 5, 1, 4). Pour autant qu’elle descend dans le monde, la Divinité elle-même est un "Dieu qui meurt" ; il n’y a dans la chair aucune possibilité de ne jamais mourir (Shatapatha Brâhmana, II, 2, 2, 14; X, 4, 3, 9 ; Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 38, 10, etc.) ; la naissance et la mort sont indissolublement liées (Bhagavad Gîtâ, II, 27; Angutara Nikâya, IV, 137 ; Sutta Nipâta, 742). On peut observer que le grec athanasia a des significations analogues ; pour l’"immortalité mortelle", cf. Platon, Banquet  , 207, D-208 B, et Hermès, Lib., XI, I, 4a et Ascl., III, 40 b.) peuvent être, non seulement atteintes, mais encore réalisées ici-même et maintenant aussi bien que dans un quelconque au-delà. Celui qui "est délivré en cette vie" (jîvan mukta) ne "meurt plus" (napunar mriyatê) (NA: Shatapatha Brâhmana, II, 3, 3, 9 ; Brihadâranyaka Upanishad, I, 5, 2, etc. Cf. Luc, 20, 36; Jean, II, 26.). "Celui qui a compris le Soi contemplatif sans âge et sans mort, qui n’a en lui aucun manque et qui ne manque de rien, celui-là ne redoute pas la mort (NA: Atharva Vêda Samhitâ, X, 8, 44; cf. Aitarêya Aranyaka, III, 2, 4.).". Étant déjà mort, il est, comme le çoufi, "un mort qui marche (NA: Mathnawî, VI, 723 f. La parole "Mourez avant que vous ne mouriez" est attribuée à Mohammed  . Cf. Angelus Silesius, "Stirb ehe du stirbst".)". Un tel homme n’aime plus ni lui-même ni les autres : il est le Soi de lui-même et des autres. La mort à soi-même est la mort aux autres ; et, si le "mort" semble ne pas être égoïste, ce n’est pas pour quelque motif altruiste, mais à titre accidentel, et parce qu’il est littéralement sans ego. Délivré de lui-même et de toutes conditions, de tous devoirs et de tous droits, il est devenu Celui qui se meut à son gré (kâmachârî) (NA: Rig Vêda Samhitâ, IX, 113, 9 ; Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 28, 3 ; Shankhâyana Aranyaka, VII, 22; Brihadâranyaka Upanishad, II, 1, 17, 18, Chândogya Upanishad, VIII, 5, 4 ; VIII, I, 6 (cf. D, I, 72) ; Taitt. Up., III, 10, 5 (de même dans Jean, X, 9).) comme l’Esprit (Vâyu, âtmâ dêvânâm) qui "va où il veut" (yathâ vasham charati) (NA: Rig Vêda Samhitâ, IX, 88, 3 ; X, 168, 4 ; cf. Jean, III, 8 ; Gylfiginning, 18.), n’étant plus, comme le dit saint Paul  , "sous la loi". 37 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Théologie et Autologie

On a souvent fait remarquer que le Sacrifice était conçu comme un commerce entre les Dieux et les hommes (NA: Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), I, 8, 4, 1 ; Atharva Vêda Samhitâ, III, 15, 5, 6. Cf. Rûmî, Mathnawî, VI, 885; et Math., 5, 12, merces vestra copiosa est in c?lis.). Mais on s’est rarement rendu compte qu’en introduisant dans la conception traditionnelle du commerce des notions empruntées à nos féroces transactions commerciales, nous avons faussé notre compréhension du sens originel de ce commerce, qui était alors du type potlatsh, c’est-à-dire bien plus une compétition pour donner qu’une compétition pour prendre, comme fait le nôtre. Celui qui offre le Sacrifice sait, quelle que soit la raison pour laquelle il l’offre, qu’il recevra en retour pleine mesure, ou plutôt mesure supérieure, car si son trésor à lui est limité, celui de l’autre partie est inépuisable. "Il est l’Impérissable (syllabe, Om), parce qu’il dispense à tous les êtres, et que nul ne peut dispenser par-delà Lui (NA: Aitarêya Aranyaka, II, 2, 2. "Lui", le Souffle (prâna) immanent, pneuma. Le point à noter est que la Syllabe transcendante (akshara = Om) est la source de tous les sons proférés (cf. Chândogya Upanishad, II, 23, 24), demeurant elle-même inépuisable (akshara), répandant mais jamais répandue.)". Dieu donne autant que nous pouvons prendre de Lui, et la mesure dépend de celle dans laquelle nous nous sommes abandonnés "nous-mêmes". Ces paroles des hymnes sous-entendent une fidélité de féaux plutôt que des obligations d’affairistes : «Tu es nôtre et nous sommes à Toi", "Que nous soyons tes bien-aimés, ô Varuna", "Puissions-nous être à Toi pour que Tu nous donnes un trésor (NA: Rig Vêda Samhitâ, VIII, 92, 32 (cf. Platon, Phédon  , 62 B, D), V, 85, 8 (également VII, 19, 7, Indra) et II, 11, 1, cf. II, 5, 7 ; X, 12, 1, 10.)". Ce sont là les rapports de baron à comte et de vassal à suzerain, et non pas ceux de changeurs de monnaie. Le langage du commerce survit encore dans des hymnes aussi tardifs et aussi dévotionnels que celui de Mira Bai : C’est Kahn que j’ai acheté. Le prix qu’il demandait, je l’ai donné. Certains s’écrient : "C’est beaucoup". D’autres raillent : "C’est peu". J’ai tout donné, pesé jusqu’au dernier grain, Mon amour, ma vie, mon âme, mon tout. 47 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme La Voie des ?uvres

On ne peut mieux concevoir cela que par l’analogie du rayon de lumière dans sa relation avec sa source, ou par celle du rayon d’un cercle dans sa relation avec son centre. Si l’on se représente un tel rayon comme ayant pénétré, à travers le centre, dans l’infini extra-cosmique et sans dimensions, on ne peut rien en dire ; si l’on se le représente comme étant au centre, ce ne peut être qu’en tant qu’identifié à ce centre et ne pouvant s’en distinguer. Et c’est seulement quand il "sort", qu’il acquiert une apparence de position et d’existence propre. Il se produit alors une "descente" (avatarana) (NA: Avatarana = katabasisos, comme dans République  , 519 D et Jean, III, 13, le "retour dans la caverne" de ceux qui ont fait l’"ascension verticale" correspond à la redescente du Sacrificateur, dont les références sont données à une autre note. Avatri varie en significations entre "venir sur" et "surmonter", le dernier sens prédominant dans les plus anciens textes. Le sens de "descente" est souvent exprimé d’une autre manière ou par d’autres verbes tels que avakram ou avasthâ, prati-i, (praty-) avaruh. La plus ancienne référence à la "descente" de Vishnu est peut-être Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), 1, 7, 6, 1, 2... punar imam lokam praytavaroha, cf. Shatapatha Brâhmana, XI, 2, 3, 3 où Brahma imân lokân... pratyavait. En ce qui concerne la reconnaissance ultérieure du Bouddha comme un avatâra, cf. J. I., 50 où le Bouddha descend (oruyha os avaroha) du ciel de Tusita pour naître, l’illustration de cet événement à Bharhut étant notée bhagavo okamti (os avakrâmati  ), et Dhammapada Atthakathâ, III, 226, où il descend (otaritwâ os avatîrtwâ) du ciel à Sankassa. Pour d’autres expressions de l’idée de "descente", voir Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 28, 4 ; Shatapatha Brâhmana, XI, 2, 3, 4 et Bhagavad Gîtâ, IV, 5 f. Cf. Clementine Homilies, III, 20 : "Celui-là seul le possède (l’esprit du Christ) qui a changé de noms et de formes depuis le commencement du monde, et ainsi a reparu maintes fois dans le monde".) de la Lumière des Lumières comme lumière, mais non comme une "autre" lumière. Une descente telle que celle de Râma ou de Krishna présente une différence essentielle avec l’incarnation des natures mortelles qui ont oublié qui elles sont, et avec leur déterminisme fatal. C’est en vérité le besoin de ces dernières qui détermine cette descente, et non quelque imperfection chez celui qui descend. Une semblable descente est celle d’un être che solo esso a sè piace, qui seul se plaît en soi-même (NA: Dante, Purgatorio, XXV III, 91.) et cet être n’est pas "sérieusement" engagé dans la forme qu’il assume, ni lié par quelque nécessité coactive ; il joue seulement le jeu" (krîdâ, lîlâ) (NA: Voir note 31 et "Play and Seriousness" dans Journal of Philosophy, XXXIX, 550-552. Nitya et lîlâ, le constant et le variable, sont l’Être et le Devenir, dans l’Éternité et le Temps.). Notre Soi immortel est "comme la rosée sur la feuille de lotus (NA: Chândogya Upanishad, IV, 14, 3 ; Maitri Upanishad, III, 2 ; Sutta Nipâta, 71, 213, 547 (comme Katha Upanishad, V, 11), 812, 845 ; Angutara Nikâya, II, 39.)", il touche mais il n’adhère pas. "Suprême, inouï, hors d’atteinte, impensable, indompté, invisible, indiscernable et indicible, bien qu’écoutant, pensant, voyant, parlant, scrutant, sachant, telle est cette Personne Intérieure, qui est dans tous les êtres et dont on doit savoir (NA: Aitarêya Aranyaka, III, 2, 4, cf. Atharva Vêda Samhitâ, X, 8, 44 ; Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 14, 3 ; Chândogya Upanishad, IV, 11, 1 ; VI, 8, 7 f ; Kaush. Up., 1 : 2, I, 5, 6.) : "Il est mon Soi", "Tu es Cela" (NA: Shankhâyana Aranyaka, XIII et note précédente. "Tout ce que vous avez été, et vu, et fait, et pensé, Ce n’est pas vous, mais Moi qui le vis, qui le fus, qui le façonnai. Pèlerin, Pèlerinage. et Voie, C’était uniquement Moi vers Moi-même : Et votre Arrivée, c’était Moi-même à ma propre Porte. Venez, Atomes perdus, attirés par votre Centre... Rayons errants dans la vaste Obscurité, Revenez et réintégrez votre Soleil". Mantiqu’t-Tair (d’après la traduction Fitzgerald).). 72 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme L’Ordre social

Cette remarque concerne également le Bouddha, car il s’identifie lui-même avec le Dhamma.) et vérifié lui-même toutes choses dans le ciel et sur la terre (NA: D., I, 150, sayam abhinnâ sacchikatwâ ; D., III, 135, sabbam... abhisambuddham ; Majjhima Nikâya, I, 171 ; Dhammapada, 353, sabbavidû’ham asmi ; Sutta Nipâta, 558, abhinnêyam abhinnalam... tasmâbuddho’smi ; D., III, 28, etc.). Il dénonce comme une vile hérésie l’idée qu’il enseignerait "une sagesse qui serait sienne", élaborée par lui (NA: Majjhima Nikâya, I, 68 f., le Bouddha "rugit du rugissement du lion" ; ayant décrit ses pouvoirs surnaturels, il ajoute . "Maintenant, si quelqu’un dit de moi, le Pèlerin Gautama, connaissant et voyant ainsi que je l’ai dit, que ma haute science aryenne et ma vision intérieure ne sont pas de nature supra-humaine, que j’enseigne une Loi tirée du raisonnement (takkapariyâhatam) et de l’expérience, et dont l’expression me serait personnelle (sayam-patibhânam), si celui-là ne se rétracte pas, s’il ne se repent pas (chittam pajahati os metanoein) et s’il n’abandonne pas cette pensée, il tombera en enfer". "Ces vérités profondes (yê dhammâ gambhîrâ) que le Bouddha enseigne sont inaccessibles au raisonnement (atakkâvacharâ) ; il les a vérifiées par la connaissance supérieure qu’il possède" (D., I, 22) ; cf. Katha Upanishad, II, 9 "ce n’est pas par la raison que cette idée peut être saisie" (naishâ tarkêna matir âpanêyâ). Milinda Panho, 217 f., explique que c’est "une ancienne Voie, que l’on avait perdue, que le Bouddha ouvre à nouveau". Cela se réfère au brahmachariya, à la "marche avec Dieu" (= theo synopadein, Phèdre  , 248 C) de Rig Vêda Samhitâ, X, 109, 5 ; Atharva Vêda Samhitâ, des Brâhmanas, des Upanishads et des textes palis. 95 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: Introduction

L’individualité empirique de tel ou tel étant un simple processus, ce n’est pas "ma" conscience ou mon individualité qui peut franchir la mort et renaître (NA: Majjhima Nikâya, I, 256 (l’hérésie concernant Sati).). Il est impropre de demander : "De qui est-ce la conscience ?»; on pourrait demander seulement : "Comment cette conscience surgit-elle (NA: Samyutta Nikâya, II, 13 ; II, 61, etc.) ?" Et voici l’antique réponse (NA: Aitarêya Aranyaka, II, 1, 3 : "L’homme est le produit d??uvres" (karmakritam ayam purushah), c’est-à-dire de choses qui ont été accomplies jusqu’au moment où nous parlons. Cf. Samyutta Nikâya, I, 38, satto samsâam âpâdi kammam asya parâyanam ; et notes 53, 17 et 31.) : "Ce corps n’est pas le mien, mais le résultat des ?uvres passées (NA: Samyutta Nikâya, II, 64.). Il n’y a pas d’"essence" passant d’un habitacle à un autre ; comme une flamme s’allume d’une autre flamme, ainsi se transmet la vie, mais non une vie, ni ma vie (NA: Milinda Panho, 71-72. Cette parole, selon laquelle rien n’est transmis sinon le "feu" de la vie, est en parfait accord avec la parole védantique : "Le Seigneur seul transmigre", et avec Héraclite  , pour lequel il n’est d’autre flux que celui du feu jaillissant et courant en nous, pyr aionios = Agni, vishwâyus. Elle ne contredit donc pas Platon et al., dont la doctrine ne rejetait certainement pas le "flux", mais présuppose un Être de qui tout devenir procède, un Être qui n’est pas lui-même une "chose", nais de qui toutes "choses" incessamment découlent.). Les êtres sont les héritiers des actes (NA: Majjhima Nikâya, I, 390 ; Samyutta Nikâya, 11, 64 ; Atharva Vêda Samhitâ, 88 : "Ma nature est faite d’actes (kammassako’mhi), j’hérite les actes, je nais des actes, je suis parent des actes, je suis quelqu’un sur qui les actes reviennent ; de tout acte, bon ou mauvais, que je fais, j’hériterai". On ne doit pas, bien entendu, prendre cette dernière parole comme se rapportant à un "Je" incarné, mais seulement comme signifiant qu’un "Je" futur héritera et éprouvera, tout comme "Je" le fais, sa nature propre et déterminée suivant l’ordre des causes.); mais l’on ne saurait dire avec exactitude que "je" recueille la rétribution de ce que "je" fis dans un habitacle précédent. Il y a une continuité causale, mais il n’y a pas une conscience (vijnâna) ou une essence (sattwa) faisant l’expérience actuelle des fruits de ses bonnes ou mauvaises actions passées, et devant en outre revenir et se réincarner (sandhâvati samsarati) sans altérité (ananyam) pour éprouver dans le futur les conséquences de ce qui a lieu maintenant (NA: Majjhima Nikâya, I, 256 f. ; Milinda Panho, 72, n’atthi kochi satto yo imamhâ kâyâ annam kâyam sankamati. "Il va sans dire que le penseur bouddhiste rejette la notion d’un ego passant d’une incarnation à une autre" (13. C. Law, Concepts of Buddhism, 1937, p. 45). "L’idée n’est pas que l’âme vit après la mort du corps et passe dans un autre corps. Samsâra veut dire manifestation d’une nouvelle existence sous l’influence de l’être vivant antérieur" (J. Takakusu, dans Philosophy, East and West, 1944, p. 78-79).). La conscience, en vérité, n’est jamais la même d’un jour à un autre (NA: Samyutta Nikâya, II, 95. Cf. notes 16 et 17.). Comment pourrait-elle survivre et passer d’une vie à une autre ? C’est ainsi que le Vêdânta et le Bouddhisme s’accordent entièrement pour affirmer que, s’il y a bien transmigration, il n’y a pas d’individu qui transmigre. Tout ce que nous voyons est l’opération des causes ; tant pis pour nous si, dans ce n?ud fatalement déterminé, nous voyons notre Soi". On trouve la même chose dans le Christianisme, où la question : "Qui a péché, cet homme ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle?" reçoit cette remarquable réponse : "Ni lui ni ses parents n’ont péché ; mais c’est afin que les ?uvres de Dieu soient manifestées en lui (NA: Jean, IX, 2.)". En d’autres termes, la cécité est survenue du fait de ces causes médiates dont Dieu est la Cause Première, et sans lesquelles le monde eût été privé de la perfection de la causalité (NA: La Fortune n’est rien autre que la série ou l’ordre des causes secondes ; elle réside dans ces causes elles-mêmes et non en Dieu (sauf à titre prosidentiel, c’est-à-dire de la manière même où le Bouddha "connaît tout ce qu’il y a à connaître, ce qui a été et ce qui sera", Sn, 558, etc., cf. Prash. Up., IV, 5). Dieu ne gouverne pas directement, mais par l’intermédiaire de ces causes auxquelles il ne se mêle jamais (Saint Thomas d’Aquin, Sum. Theol., I, 22, 3 ; I, 103, 7 ad 2 ; I, 116, 2, 4, etc.). "Rien n’arrive dans le monde par hasard" (Saint Augustin, QQ., LXXXIII, qu. 24) ; "Comme une mère est grosse de sa progéniture non née, ainsi le monde lui-même des causes des choses non nées (De Trin., III, 9), affirmations auxquelles saint Thomas souscrit. "Pourquoi alors ces hommes misérables se permettraient-ils de tirer gloire de leur libre arbitre avant que d’être libres ?" (Saint Augustin, De spir. et lit., 52). Le Bouddha démontre clairement que nous ne pouvons être ce que nous voulons ni quand nous le voulons, et que nous ne sommes pas libres (Samyutta Nikâya, III, 66, 67), bien "qu’il y ait une voie" pour le devenir (D., I, 156). C’est la prise de conscience de ce fait que nous sommes des mécanismes, soumis au déterminisme causal (comme l’énonce la formule répétée hêtuvâda, aitiatos : "Ceci étant, cela arrive ; ceci n’étant pas, cela n’arrive pas". Samyutta Nikâya, II, 28, etc., comme Aristote, Met., VI, 3, 1, poteron gar esta todi h ou ; ean ge todi genhtai eidemh, ou), - terrain véritable du "matérialisme scientifique" - c’est cette prise de conscience qui fait apercevoir le Chemin de l’évasion. Tout notre trouble vient de ce que, selon les paroles de Boèce  , "nous avons oublié qui nous sommes", et que, par ignorance, nous voyons notre Soi dans ce qui n’est pas le Soi (anattani attânam), mais un simple processus. "La volonté est libre pour autant qu’elle obéit à la raison, et non quand nous faisons ce qui nous plaît" (Saint Thomas d’Aquin, Sum. Theol., I, 26, 1) - cette Raison (logos) "dont le service est liberté parfaite".). 135 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine

En d’autres termes, la Voie comprend d’une part une discipline pratique, et d’autre part une discipline contemplative. Le contemplatif est comparable à l’athlète, qui ne dispute pas le prix sans s’être auparavant "entraîné". Quand les Hindous parlent de Celui qui a compris (êvamvit) une doctrine donnée, ils n’entendent pas simplement celui qui a saisi la signification logique de ce qu’elle expose, mais celui qui l’a "vérifiée" en lui-même, qui est ce qu’il connaît ; aussi longtemps que nous avons seulement connaissance de notre Soi immortel, nous sommes encore dans le domaine de l’ignorance ; nous ne le connaissons réellement que lorsque nous le devenons ; nous ne pouvons réellement le connaître sans l’être... Il y a des modes de vie qui disposent à une telle réalisation, et il y en a d’autres qui en détournent. Arrêtons-nous donc pour considérer la nature de la morale pure, ou, comme l’on dit aujourd’hui, de l’"Éthique", en dehors de laquelle il n’y aurait pas de vie contemplative possible. Ce que nous appellerions la "sainteté en acte" est appelé, aussi bien dans les anciens textes hindous que dans les livres bouddhiques, une "Marche avec Dieu" (brahmachariya) (NA: Sutta Nipâta, 567, brahmachariyam samditthikam akâlikam. Cf. Atharva Vêda Samhitâ, XI, 5 ; Chândogya Upanishad, VIII, 5.) actuelle et éternelle. Mais il y a aussi une nette distinction à faire entre la doctrine (dharma) et sa signification pratique (artha), et c’est de celle-ci que nous nous occupons. 144 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine

Iddhi (Scr. riddhi, de riddh, prospérer emporwachsen) est la vertu, la force (au sens de Marc, V, 30, dunamiV), l’art (par ex. l’adresse du chasseur, Majjhima Nikâya, 1, 152), le talent ou le don. Les iddhis de Iddhi-pâda, "Pas de Puissance", sont supranormales et non anormales. Nous ne pouvons résoudre ici en détail l’apparente difficulté présentée par le fait que les iddhis sont aussi attribuées à l’Adversaire du Bouddha (Mâra, Namuchi, Ahi-Nâga), et nous indiquerons seulement que la Mort est aussi un être spirituel (dans le sens même où Satan reste un "ange"), et que les "pouvoirs" ne sont pas moraux en eux-mêmes, mais représentent bien plutôt des vertus intellectuelles. Les pouvoirs du Bouddha sont plus grands que ceux de l’Adversaire parce que son rang est plus haut ; il connaît le Brahmaloka aussi bien que les mondes jusqu’au Brahmaloka (i. e. sous le Soleil), tandis que le pouvoir de la "Mort" s’étend seulement jusqu’au Brahmaloka, et non au-delà du Soleil.). Quand le disciple s’est rendu maître de toutes ces stations de contemplation au point de pouvoir passer à volonté de l’une à l’autre et de commander de la même manière à cette paix ou synthèse (samâdhi) vers laquelle elles mènent, alors dans cet état d’unification (êko’ vadhibhâva), l’Arhat délivré est rendu aussitôt omniscient et omnipotent ; le Bouddha, décrivant sa propre conquête, peut évoquer ses "précédentes habitations" (pûrva-nivâsa), ou, comme nous serions enclins à dire, ses "naissances passées", dans leur détail. Décrivant ses pouvoirs, il dit : "Frères, je peux manifester (pratyanubhû) des pouvoirs sans nombre ; étant plusieurs je deviens un, comme, de plusieurs que j’étais, je suis devenu un ; visible ou invisible, je peux passer à travers un mur ou une montagne comme s’ils étaient l’air ; je peux plonger dans la terre ou en émerger comme si c’était l’eau ; je peux marcher sur les eaux comme si elles étaient une terre solide (NA: Consulter sur l’histoire primitive de ce pouvoir, W. N. Brown, Walking on the Water, Chicago, 1928. C’est avant tout le pouvoir de l’Esprit (Genèse, 1, 2). C’est typiquement du Vent (Vâyu) invisible de l’Esprit que la motion à volonté est proclamée (Rig Vêda Samhitâ, X, 168, 4, âtmâ dêvânâm yathâ vasham charati... na rûpam tasmai). Dans Atharva Vêda Samhitâ, X, 7, 38, le Yaksha primordial (Brahma) "arpente" le faîte de la mer ; ainsi fait, par conséquent, le brahmachârî, ibid, XI, 5, 26, car "de même que Brahma peut changer de forme et se mouvoir à son gré, de même, parmi tous les êtres, Celui qui comprend peut changer de forme et se mouvoir à son gré" (ShA., VII, 22) ; "Le Seul Dieu (Indra) se tient à son gré sur le courant des eaux" (Atharva Vêda Samhitâ, III, 3, 4 ; Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), V, 6, 1, 3). "Le mouvement spontané désigne l’essence même de l’Ame" (Phèdre, 241 Cf.). Il y a là, comme dans toutes les autres formes de lévitation, une question de légèreté et de luminosité (selon les deux acceptions du terme anglais light-ness). Ainsi, dans Samyutta Nikâya, I, 1, le Bouddha dit : "Je ne traversais les flots que lorsque je ne me soutenais pas moi-même et ne faisais aucun effort" (appatittham anâyûham ogham atari) ; c’est-à-dire lorsque j’étais sans poids à la surface de l’eau. Cf. saint Augustin, Conf., XIII, 4, superferebatur super aquas, non ferebatur ab eis, tanquam in eis requiesceret. Milinda Panho, 84, 85, décrit le pouvoir de voyager dans l’air, "même jusqu’au ciel de Brahma", comme celui de quelqu’un qui sauterait (langhayati) en décidant (chittam uppâdêti) : "C’est là que j’atteindrai", et c’est par celte intention que "son corps devient léger" (kâyo mê lahuko hoti) ;c’est, d’une semblable manière, "par le pouvoir de la pensée" (chitta-vasêna) que l’on se meut dans l’air. La légèreté (laghutwa) se développe par la contemplation (Shwêt. Up., II, 13) ; tous les pouvoirs (iddhi) sont des résultats de la contemplation (jnâna, cf. note 78) et en dépendent, de sorte que l’on peut demander : "Quel est celui qui ne coule pas au fond du golfe, bien qu’il n’ait ni support ni soutien ?", et, répondre : "Celui qui a la prescience, qui est pleinement intégré (susamâhito), celui-là peut traverser les flots dont le passage est si difficile" (ogham tarati dultaram, Samyutta Nikâya, I, 53, où l’application est d’ordre éthique). Le notion de légèreté est impliquée dans le symbolisme universel des "oiseaux" et des "ailes" (Rig Vêda Samhitâ, VI, 9, 5 ; Panchavimsha Brâhmana, V, 3, 5 ; XIV, 1, 13, XXV, 3, 4, etc.). Réciproquement, pour atteindre le monde informel, on doit avoir rejeté "la charge pesante du corps" (rûpagaru-bhâram, Sdhp., 494), cf. Phèdre, 246 B, 248 D, où c’est "le poids de l’oubli et du mal" qui arrête "le vol de l’âme" ; Saint. Augustin, Conf., XIII, 7, quomodo dicam de pondere cupiditatis in abruptam abyssum et de sublevatione caritatis per spriritum tuum qui superferebatur super aquas ; Dante, Paradiso, XXVII, 64, mortal pondo, et X, 74, chi non s’impenna si che lassu voli. Autrement dit, le pouvoir de lévitation est exercé "par le moyen d’un enveloppement du corps dans le manteau de la contemplation" (jhâna-vêthanêna sarîram, vêthêtwâ, J., V, 126), où ce pouvoir est en même temps un pouvoir d’invisibilité.); je peux me mouvoir dans l’air comme un oiseau ; je peux toucher de mes mains le soleil et la lune : j’ai sur mon corps un pouvoir qui s’étend jusqu’au monde de Brahma (NA: Samyutta Nikâya, V, 25 f., Angutara Nikâya, I, 254, Samyutta Nikâya, Il, 212, NI., 1, 34 et passim : explications, Vis. 393 f.)". Les mêmes pouvoirs sont exercés par les autres adeptes selon leur degré de perfection dans ces mêmes disciplines et selon la mesure où ils sont maîtres du samâdhi. C’est seulement quand la contemplation (dhyâna) vient à faire défaut que le pouvoir de la libre motion se perd (NA: L’échec prosient du manque de "foi", ou de toute distraction dans la contemplation, selon J., 125-127.). C’est une vieille formule brahmanique (NA: Rig Vêda Samhitâ, IX, 86, 44 ; Jaiminîya Brâhmana, II, 34 : Shatapatha Brâhmana, IV, 3, 4, 5 ; Aitarêya Brâhmana, II, 39-41 ; VI, 27-31 ; Katha Upanishad, VI, 17, etc.) qu’emploie le Bouddha quand il dit qu’il a appris à ses disciples à extraire de ce corps matériel un autre corps, de substance intellectuelle, comme on tire une flèche de son carquois, une épée de son fourreau, un serpent de sa dépouille ; c’est à l’aide de ce corps intellectuel que l’on goûte l’omniscience et que l’on se meut à son gré jusqu’au Brahmaloka (NA: Comme Shankara l’explique en connection avec Prash. Up., IV, 5, c’est le mano-maya âtman qui goûte l’omniscience et il peut être où et tel qu’il veut. Ce "soi ou corps intellectuel" (ânno attâ dibbo rûpî manomayo, D., I, 34, cf. I, 77 ; Majjhima Nikâya, II, 17), le Bouddha a enseigné à ses disciples comment l’extraire du corps physique, et c’est manifestement dans cet autre corps, dans ce "corps intellectuel et divin", et non dans sa détermination humaine, non à quelque moment ou dans quelque condition, "soit de mouvement ou de repos, soit de sommeil ou de veille" (charato chu mê litthato cha suttassa cha jagarassa cha), mais "quand il lui plaît" (yâvadê akankhâmi, comme dans le texte relatif aux iddhis) que le Bouddha lui-même peut se rappeler (anussarâmi) ses précédentes naissances, qu’il peut, sans limites, avec "l’?il divin, transcendant à la vision humaine", considérer les naissances et les morts des autres êtres dans ce monde-ci et dans les autres, dans lesquels et au-delà desquels il a vérifié dès ici et dès maintenant la double délivrance (Majjhima Nikâya, I, 482). L’expression "de sommeil ou de veille" prêterait en elle-même à une longue exégèse. On notera que l’ordre des mots relie le mouvement au sommeil et l’immobilité à la veille. Cela signifie que, comme dans tant de textes des Upanishads, le sommeil dont il s’agit, sommeil dans lequel on "rentre en soi-même" (swapiti = svam apîta, Chândogya Upanishad, VI, 8, 1, Shatapatha Brâhmana, X, 5, 2, 14), n’est pas le sommeil d’épuisement, mais le "sommeil de contemplation" (dhyâna) ; c’est précisément dans cet état de sommeil, où les sens sont résorbés, que se situe la possibilité de se mouvoir à son gré (supto... prânân grihîtwâ swê sharîrê yathâ-kâmam parivartatê, Brihadâranyaka Upanishad, II, 1, 17) ; c’est dans ce sommeil de contemplation que, "terrassant ce qui est physique, l’Oiseau-Soleil, l’Immortel, va où il veut" (dhyâyatîva... svapno bhütwâ... sharîram abhiprahatya... îyatê’mrito yatra kâmam, Brihadâranyaka Upanishad, IV, 3, 7, 11, 12).). 150 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine

En premier lieu, nous observons que, dans les textes brahmaniques parallèles, l’omniscience, et particulièrement celle des naissances, est considérée comme un attribut d’Agni (jâtavêdas), l’"?il dans le Monde", et du Soleil "qui voit tout", l’"?il des Dieux" ; cela pour l’excellente raison que ces principes consubstantiels sont les pouvoirs catalyseurs sans lesquels il ne pourrait y avoir de naissance. Nous observons en outre que le pouvoir de libre motion, ou, ce qui est la même chose, de motion sans locomotion, est attribué, dans les livres brahmaniques, à l’Esprit ou Soi Universel (âtman) d’une part, et aux délivrés, aux connaissants du Soi et assimilés au Soi, d’autre part. Dès lors que l’on a compris que l’Esprit, le Soi solaire universel, la Personnalité, est une omniprésence intemporelle, on reconnaîtra que l’Esprit, par hypothèse, est naturellement doué de tous les pouvoirs qui ont été décrits ; l’Esprit est "connaisseur de toutes les naissances" in s?cula s?culorum, précisément parce qu’il est "en tout temps et en tout lieu de leur manifestation", et qu’il est indivisiblement présent aussi bien dans les devenirs passés que dans les devenirs futurs (NA: Atharva Vêda Samhitâ, X, 8, 1, 12 ; Katha Upanishad, IV, 13 ; Prash. Up., IV, 5, etc.). Dans les mêmes textes on le trouve désigné sous le nom de "Prosidence" (prajnâ) ou de "Compendieuse Prosidence" (prajnânaghana) pour l’excellente raison que sa connaissance des événements ne procède pas des événements eux-mêmes, les événements procédant au contraire de sa connaissance de soi. Dans tous les livres brahmaniques les pouvoirs décrits sont ceux du Seigneur : si Celui qui comprend peut changer de forme et se mouvoir à son gré, c’est "comme Brahma change de forme et se meut à son gré (NA: ShA., VII, 22.); c’est l’Esprit, le Soi, Soleil ultime (âtman) qui, bien qu’immuable en soi-même, promeut pourtant les autres (NA: Brihadâranyaka Upanishad, IV, 3, 12 ; Ishâ. Up., 4 ; Maitri Upanishad, II, 2.)". Toutes ces choses sont des pouvoirs de l’Esprit et de ceux qui sont "dans l’Esprit". Et si, de tous ces miracles, de loin le plus grand est celui de l’enseignement, c’est simplement parce que, comme le dit saint Ambroise, "toute parole vraie, quel qu’en soit l’auteur, est dite par le Saint-Esprit (NA: Saint Ambroise, glose sur I Cor., 12, 3.)". Si les "signes et prodiges" sont rejetés avec légèreté, ce n’est pas parce qu’ils sont irréels ; c’est parce que c’est une génération méchante et adultère qui demande un signe. 152 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine