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Bréhier-Plotin: maux
quinta-feira 1º de fevereiro de 2024, por
— Cette âme immobile est donc affranchie de toute responsabilité dans les fautes que l’homme commet et dans les maux qu’il subit ; car ces maux et ces fautes ne se trouvent, a-t-on dit, que dans l’animal et le composé. Pourtant, puisque l’opinion et la réflexion appartiennent à l’âme, comment dire qu’elle est impeccable ? Car il y a des opinions fausses, qui font bien du mal. — Nos fautes viennent de la victoire que remporte sur nous-mêmes la partie la plus mauvaise de l’être multiple que nous sommes, je veux dire le désir, la colère ou une imagination vicieuse. Quant au prétendu raisonnement faux, c’est en réalité une image qui n’attend pas le jugement de la réflexion. Nous faisons donc le mal en cédant aux pires éléments de notre nature. De même, avant de soumettre les sensations à la critique de la réflexion, il nous arrive, avec le seul sens commun, d’avoir des illusions visuelles : l’intelligence nous avaitelle alors touchés ? Non ; elle reste donc impeccable. Il faut dire aussi que nous sommes impeccables dans la mesure où nous touchons l’objet intelligible qui est dans l’intelligence ou, plutôt, non pas dans l’intelligence, mais en nous ; car on peut bien posséder l’intelligible, sans l’avoir actuellement à sa disposition. ENNÉADES - Bréhier : I, 1 [53] - Qu’est-ce que l’animal ? Qu’est-ce que l’homme ? 8
« Puisque, nécessairement, les maux existent ici-bas et circulent dans cette région du monde, et puisque l’âme veut fuir les maux, il faut nous enfuir d’ici. » En quoi consiste cette fuite ? « A devenir semblable à Dieu, » dit [Platon ] ; et nous y arrivons, si nous atteignons la justice, la piété accompagnée de la prudence, et en général la vertu. Mais si nous devenons semblables à Dieu grâce à la vertu, est-ce à un Dieu qui possède lui-même la vertu ? Oui certes, car à quel Dieu devenons-nous semblables ? N’est-ce pas au Dieu qui possède au plus haut degré ces qualités ? N’est-ce pas à l’âme du monde et à sa partie principale, à laquelle appartient une merveilleuse sagesse ? Car, puisque nous sommes en ce monde, c’est naturellement à lui que la vertu nous assimile. - Et pourtant il est douteux, d’abord, que toutes les vertus lui appartiennent, par exemple la tempérance et le courage ; le courage puisqu’il n’a rien à redouter, rien n’existant en dehors de lui ; la tempérance, puisqu’il ne lui advient aucun plaisir dont la privation provoquerait en lui le désir de le posséder et de le retenir. D’autre part, s’il est vrai que lui aussi tend vers les choses intelligibles où tendent aussi nos âmes, c’est évidemment de ces choses (et non du monde) que nous viennent, à nous comme à lui, l’ordre et les vertus. Maintenant le Dieu intelligible possède-t-il les vertus ? Il n’est pas vraisemblable qu’il possède du moins les vertus dites civiles, la prudence relative au raisonnement, le courage qui est une vertu du coeur, la tempérance qui consiste en un accord et une harmonie du désir avec la raison, la justice qui consiste en ce que chaque partie de l’âme accomplit sa fonction propre, en commandant ou en obéissant. La similitude avec Dieu se trouverait-elle, non pas dans les vertus civiles, mais dans des vertus plus hautes, et de même nom qu’elles ? Mais quoi ? si elle se trouve en ces dernières, ne s’étend-elle absolument pas aux vertus civiles ? N’est-il pas absurde qu’elles ne nous fassent pas du tout ressembler à Dieu ? De fait, ceux qui les possèdent sont réputés divins (et s’il faut les appeler ainsi, n’est-ce pas à cause d’une ressemblance avec les dieux, quelle qu’elle soit ?) N’est-il pas absurde que la ressemblance soit atteinte seulement par les vertus supérieures ? ENNÉADES - Bréhier: I, 2 [19] - Des vertus 1
Mais les souffrances ? Les maladies ? Et tous les autres obstacles qui empêchent d’agir ? Et la perte de conscience qui peut être l’effet des philtres et de certaines maladies5 ? Comment le sage atteint de tous ces maux, pourra-t-il bien vivre et être heureux, sans parler encore de la pauvreté et de l’obscurité ? Voilà bien des objections, dès que l’on envisage ces maux, et, en particulier, les fameuses infortunes de Priam. - Le sage, dit-on, les supporte et les supporte facilement ? - Oui, mais il ne les a pas voulus ; or tout doit être voulu dans la vie heureuse ; il est faux que notre sage soit une âme et que son corps ne compte pas dans son être. - Oui, pourrait-on dire, l’homme est tout disposé à prendre le corps pour une partie de lui-même, mais seulement tant que les impressions du corps montent jusqu’à lui, et, inversement, tant qu’il recherche les objets ou les fuit dans l’intérêt du corps. - Mais si le plaisir est un élément du bonheur, comment un être, qui souffre d’infortunes et de chagrins, pourrait-il être heureux, si sage qu’il soit ? Sans doute, pour les dieux, l’état dont on parle est un bonheur qui se suffit à lui-même ; mais chez l’homme, à la raison s’ajoute une partie inférieure ; et c’est dans tout l’homme que doit résider le bonheur et non pas seulement dans sa partie supérieure ; car, le mal d’une partie arrête nécessairement l’autre dans son activité propre, parce que la première ne fonctionne pas bien. Ou bien alors, il faut rompre tout lien avec le corps et la sensation du corps et chercher ainsi à se suffire à soi-même pour être heureux. ENNÉADES - Bréhier: I, 4 [46] - Du bonheur 5
Mais on demande quels sont les plaisirs d’une telle existence. - On jugera que l’on n’y trouve ni les plaisirs de l’intempérance ni les plaisirs du corps (ces plaisirs ne peuvent être dans cette vie et ils font disparaître tout bonheur), ni même les excès de joie (à quoi bon en effet ?) ; mais on y voit les plaisirs liés à la présence du bien. Ces plaisirs ne sont pas en mouvement ni en devenir ; car les biens sont déjà là tout entiers, puisque le sage est présent à lui-même ; son plaisir est donc stable. Ce plaisir stable, c’est la sérénité. Le sage est toujours serein ; il jouit d’un calme et d’une satisfaction que n’ébranle aucun des prétendus maux, parce qu’il est sage. Et si l’on cherche un autre genre de plaisir dans la vie du sage, c’est qu’il n’est plus question de cette vie. ENNÉADES - Bréhier: I, 4 [46] - Du bonheur 12
Il faut donc vous demander aussi ce qu’est l’œuvre de l’amour pour les choses non sensibles. Que vous font éprouver ces «belles occupations» dont on parle, les beaux caractères, les moeurs tempérantes et, en général, les actes ou dispositions vertueuses et la beauté de l’âme ? Et, en voyant vous-même votre beauté intérieure, qu’éprouvez-vous ? Que sont cette ivresse, cette émotion, ce désir d’être avec vous-même en vous recueillant en vous-même et hors du corps ? Car c’est ce qu’éprouvent les vrais amoureux. Et à propos de quoi l’éprouvent-ils ? Non pas à propos d’une forme, d’une couleur, d’une grandeur, mais à propos de l’âme qui est sans couleur et où brille invisiblement l’écart de la tempérance et des autres vertus ; vous l’éprouvez en voyant en vous-même ou en contemplant en autrui la grandeur d’âme, un caractère juste, la pureté des mœurs, le courage sur un visage ferme, la gravité, ce respect de soi-même qui se répand dans une âme calme, sereine et impassible et, par-dessus tout, l’éclat de l’Intelligence qui est d’essence divine. Donc ayant pour toutes choses inclination et amour, en quel sens les disons-nous belles ? Car elles le sont manifestement et quiconque les voit affirmera qu’elles sont les vraies réalités. Mais que sont ces réalités ? Belles sans doutes ; mais la raison désire encore savoir ce qu’elles sont pour rendre l’âme aimable. Qu’est-ce donc qu brille sur toutes les vertus comme une lumière ? Veut-on, en s’attachant à leurs contraires, aux laideurs de l’âme, les poser par opposition ? Car il serait peut-être utile à l’objet de notre recherche de savoir ce qu’est la laideur et pourquoi elle se manifeste. Soit donc une âme laide, intempérante et injuste ; elle est pleine de nombreux désirs et du plus grand trouble, craintive par lâcheté, envieuse par mesquinerie ; elle pense bien, mais elle ne pense qu’à des objets mortels et bas ; toujours oblique, inclinée aux plaisirs impurs, vivant de la vie des passions corporelles, elle trouve son plaisir dans la laideur. Ne dirons-nous pas que cette laideur elle-même est survenue en elle comme un mal acquis, qui la souille, la rend impure et y mélange de grand maux ? De sorte que sa vie et ses sensations ont perdu leur pureté ; elle mène une vie obscurcie par le mélange du mal, une vie mélangée en partie de mort ; elle ne voit plus ce qu’une âme doit voir ; il ne lui est plus permis de rester en elle-même, parce qu’elle est obscure. Impure, emportée de tous côtés par l’attrait des objets sensibles, contenant beaucoup d’éléments corporels mêlés en elle, ayant en elle beaucoup de mati ère et accueillant une forme différente d’elle, elle se modifie par ce mélange avec l’intérieur ; c’est comme si un homme plongé dans la boue d’un bourbier ne montrait plus la beauté qu’il possédait, et si l’on ne voyant de lui que la boue dont il enduit ; la laideur est survenue en lui par l’addition d’un élément étranger, et s’il doit redevenir beau, c’est un travail pour lui de se laver et de se nettoyer pour être ce qu’il était. Nous aurons donc raison de dire que la laideur de l’âme vient de ce mélange, de cette fusion, et de cette inclination vers le corps et vers la matière. La laideur, pour l’âme, c’est de n’être ni propre ni pure, de même que pour l’or, c’est d’être plein de terre : si on enlève cette terre, l’or reste ; et il est beau quand on l’isole des autres matières et qu’il est seul avec lui-même. De la même manière, l’âme isolée des désirs qui lui viennent du corps, avec qui elle a une union trop étroite, affranchie des autres passions, purifiée de ce qu’elle contient quand elle est matérialisée, et restant toute seule, dépose toute la laideur qui lui vient d’une nature différente d’elle. ENNÉADES - Bréhier: I, 6 [1] - Du Beau 5
Chaque être naît conforme à sa propre espèce, cheval parce qu’il est issu d’un cheval, homme parce qu’il est né d’un homme, avec telle nature parce qu’il est né de tel être. Sans doute le mouvement du ciel est une cause additionnelle qui concourt aux événements ; il fournit beaucoup, mais à la manière d’un corps, qui ne contribue qu’aux qualités corporelles, à la chaleur ou au froid, et aux tempéraments physiques qui en résultent. Mais comment produisent-ils les caractères, les occupations et en particulier celles qui, semble-t-il, ne dépendent pas du tout des tempéraments physiques, comme celles de grammairien, de géomètre, de joueur de dés ou d’inventeur ? Comment les vices du caractère seraient-ils un don des astres, puisque les astres sont des dieux ? Et généralement pourquoi dire : ils nous envoient des maux, parce qu’ils en subissent eux-mêmes, dès qu’ils se couchent et se transportent au-dessous de la terre ? Comme si leur état devenait différent, quand ils se couchent par rapport à nous, et comme s’ils n’étaient pas transportés éternellement sur la sphère céleste, et ne gardaient pas un même rapport de position avec la terre ! Il ne faut pas dire non plus qu’un astre, selon l’astre qu’il regarde et suivant sa position à son égard, devient malfaisant ou bienfaisant, et qu’il nous fait du bien, s’il est en bonne disposition, et du mal, dans le cas contraire. Il faut dire plutôt que le mouvement de translation des astres se rapporte à la conservation de l’univers mais qu’il sert aussi à un autre usage ; en tournant ses regards vers les astres comme vers des lettres, celui qui connaît un pareil alphabet lit l’avenir d’après les figures qu’ils forment, en recherchant méthodiquement leurs significations d’après l’analogie ; comme si l’on disait : un oiseau qui vole haut annonce des actions élevées. ENNÉADES - Bréhier: III, 1 [3] - Du destin 6
Que penser de ces questions ? - C’est que la raison universelle contient tout, les maux comme les biens, et que les maux eux-mêmes sont des parties de cette raison. Non pas que la raison les produise : mais elle les a avec elle. Les raisons sont l’acte d’une âme, qui est l’âme universelle ; les parties de ces raisons sont l’acte des parties de cette âme ; et comme cette âme, toute une qu’elle est, a des parties, les raisons ont aussi des parties, si bien que les ouvrages de ces raisons, qui sont leurs productions dernières, en ont également. Mais comme les âmes sont en harmonie les unes avec les autres, leurs œuvres le sont également ; cette harmonie consiste en ce qu’elles forment une unité, fussent-elles contraires les unes aux autres. Tout part d’une unité, et tout s’y ramène par une nécessité naturelle : aussi des choses différentes et même contraires sont pourtant entraînées à former un ordre unique, si elles dérivent d’une unité. Il en est ainsi en chaque espèce animale ; des chevaux ont beau se battre, se mordre et lutter jusqu’à la fureur, ils forment, comme les autres animaux pris espèce par espèce, une seule espèce. Il en est de même des hommes. Il faut rattacher à leur tour toutes ces espèces à un genre unique, celui des animaux, puis distinguer par espèces les êtres qui ne sont pas des animaux, et remonter à un genre unique, celui de non-animal, puis de ces deux genres pris ensemble remonter à l’être, et enfin à ce qui produit l’être. Après avoir tout lié dans ce principe, on descend par un mouvement inverse de division ; on voit l’un se fragmenter, parce qu’il s’étend à toutes choses et parce qu’il contient tout à la fois en un ordre unique ; l’un, ayant achevé de se diviser, est un animal multiple ; chacune des parties qu’il contient agit selon sa propre nature, bien qu’elle reste dans l’univers ; par exemple le feu brûle, le cheval accomplit ses fonctions de cheval ; les hommes ont leur office propre, chacun selon sa nature, et leurs actes sont aussi différents qu’eux-mêmes. Cette vie conforme à leur nature et à leurs fonctions a pour conséquence le bien ou le mal. ENNÉADES - Bréhier: III, 3 [48] - De la Providence, livre deuxième 1
Ainsi les maux sont des conséquences, mais des conséquences nécessaires ; ils viennent de nous lorsque, sans y être du tout contraints par la providence, nous ajoutons spontanément nos actes aux œuvres de la providence et à celles qui dérivent d’elle ; il y a mal, lorsque nous sommes incapables de lier la suite de nos actes selon la volonté de la providence, et que nous agissons à notre gré ou au gré de quelque autre partie de l’univers, en ne suivant pas la providence ou en subissant en nous l’action de cette partie. Car un objet perçu ne produit pas la même impression chez tous ; le même objet agit diversement sur des personnes différentes ; la beauté d’Hélène n’impressionnait pas de la même manière Pâris et Idoménée. L’homme intempérant qui rencontre son semblable produit sur lui un autre effet que l’honnête homme sur un autre honnête homme ; la beauté d’un homme réservé ne produit pas le même effet sur l’homme semblable à lui que sur un débauché ; et celui-ci reçoit, du débauché, une impression encore différente. L’action faite par l’intempérant n’est pas plus conforme à la providence qu’elle n’est faite par la providence ;1’action de l’homme réservé n’est pas non plus accomplie par la providence, puisqu’elle est faite par lui ; mais elle est conforme à la providence ; car elle s’accorde avec la raison. C’est de la même façon que les pratiques d’hygiène que l’on suit sont conformes aux prescriptions du médecin ; le médecin les donne d’après son art, aussi bien pour l’état de santé que pour la maladie ; mais, si vous faites des actes contraires à l’hygiène, non seulement c’est vous qui en êtes les auteurs, mais vous agissez contre la providence du médecin. ENNÉADES - Bréhier: III, 3 [48] - De la Providence, livre deuxième 5