(VallinEI)
C) La constitution objectivante et le dévoilement de l’essence objective
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1° O conceito não é o que constitui o próprio ser da experiência, mas uma projeção mental (cuja origem não temos de procurar aqui, mas que nos limitamos a descrever) que permite desvendar o real segundo a modalidade objectivante que caracteriza a subjetividade lógica. Na estrutura objectivante, recordemos que a subjetividade, longe de se encerrar em si mesma, se transcende para o mundo existente, que ela apreende ou pretende apreender como ser e não como fenômeno ou manifestação de uma coisa inacessível em si mesma. O conceito, enquanto projeção mental da subjetividade, é o que permite revelar a essência objetiva.
2° O conceito visa esta essência não apenas como uma lei de sucessão dos fenômenos (sendo este último termo despojado do seu sentido idealista e conservando apenas o seu sentido “mecanicista”) mas como uma estrutura orgânica objetivamente realizada no existente para a qual a subjetividade transcende. Numa palavra, a finalidade não é objeto de um simples juízo reflexivo; ela pertence efetivamente à estrutura objetiva da realidade a um certo nível da experiência total que se oferece à subjetividade lógica.
Se a subjetividade pode descobrir qualquer tipo de sentido ao nível de uma experiência que lhe é dada, este sentido não lhe deve ser estranho; a subjetividade deve, de uma forma ou de outra, participar no movimento espiritual que constitui o sentido enquanto tal. Assim, no empirismo tomista, por exemplo, há que admitir que o “intelecto agente”, capaz de extrair do sensível, por uma passagem da potência ao ato, o inteligível que este último contém em potência, participa de algum modo na Inteligência criadora de Deus que criou o ser ou o objeto sensível projetando, por assim dizer, a essência inteligível no plano da existência espácio-temporal (passagem da essência à substância). E podemos perguntar-nos se todo o empirismo, seja ele qual for, não estará, em última análise, inconscientemente dependente de uma perspectiva tão ambígua, que admite implicitamente uma participação da inteligência humana no “Verbo” transcendente, mas sem ir tão longe quanto as exigências de tal posição.
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Après avoir mis en évidence le phénomène très général de l’incarnation abstraite qui caractérise la subjectivité objectivante, nous pouvons saisir plus aisément la nature des relations entre l’essence et l’existence aussi bien du point de vue de la subjectivité connaissante que du point de vue de la réalité objectivée qu’elle vise.
La subjectivité logique saisit, du côté du réel qu’elle objective — et qui ne mérite le nom d’objet que dans cette seule perspective — des essences qui ne sont pas « séparées » mais immergées dans l’existence, au moyen de concepts qui ne sont pas « purs » mais unis à la sensibilité et à l’imagination. Nous n’examinerons [58] pas dans le détail les modalités de l’aspect subjectif de cette « impureté » de l’essence, nous contentant de renvoyer à l’analyse kantienne des concepts de l’entendement dans leurs rapports avec l’intuition sensible, qui s’applique bien au mode de connaissance caractérisant la subjectivité objectivante 1. Toutefois cette analyse serait ici à rectifier sur deux points essentiels :
1° Le concept n’est pas ce qui constitue l’être même de l’expérience mais une projection mentale (dont nous n’avons pas à chercher ici l’origine, mais que nous essayons simplement de décrire) qui nous permet de dévoiler le réel selon la modalité objectivante qui caractérise la subjectivité logique. Dans la structure objectivante, rappelons que la subjectivité, loin d’être enfermée en elle-même, se transcende vers le monde existant qu’elle saisit ou prétend saisir comme être et non comme phénomène ou manifestation d’une inaccessible chose en soi. Le concept en tant que projection mentale de la subjectivité est ce qui permet de dévoiler l’essence objective.
2° Le concept vise cette essence non seulement en tant que loi de succession des phénomènes (ce dernier terme étant ici dépouillé de sa signification idéaliste et ne gardant que son sens « mécaniste ») mais en tant que structure organique objectivement réalisée dans l’existant vers lequel se transcende la subjectivité. En un mot la finalité n’est pas l’objet d’un simple jugement réfléchissant, elle appartient effectivement à la structure objective du réel à un certain niveau de l’expérience totale qui s’offre à la subjectivité logique.
Précisons d’abord notre définition du concept comme projection mentale permettant de dévoiler l’essence objective.
Le concept, produit d’une activité de la subjectivité ne doit pas être envisagé comme une projection gratuite de la subjectivité sur l’existant brut que cette projection laisserait intouché en lui-même. Une telle projection correspond d’ailleurs à l’une des structures temporelles que nous aurons à examiner plus tard (celle de la sphère négative) mais non à la structure logique ou objectivante que nous envisageons en ce moment.
Il est à noter toutefois que le concept tel que nous l’avons envisagé jusqu’à présent est le signe d’une activité du sujet que nous avons définie comme volonté de puissance. Le concept ne correspond donc pas à une attitude d’abandon ou de pur détachement devant le réel qui serait à accueillir. Il implique [59] au contraire une sorte de violence faite au réel, un refus de tout ce qui pourrait faire obstacle au désir d’intelligibilité rationalisante et objectivante.
Mais cette activité — du moins au niveau psychologico-empirique qui est celui de la projection et non, il est vrai, sur le plan transcendantal de la constitution, est essentiellement négative. Elle ne consiste pas à informer un réel préalablement dépouillé de forme ou de structure, tel un Démiurge informant le chaos d’une matière donnée, mais à découvrir, par la projection mentale du concept, ou à dévoiler grâce à la projection du concept ce qui dans le réel correspond précisément à son désir d’intelligibilité rationnelle.
Il y a évidemment aussi activité en ce sens que le concept n’est pas engendré passivement dans l’esprit sous l’action de l’expérience, mais ce n’est pas tant la genèse du concept qui nous intéresse ici que son déploiement à l’intérieur de la transcendance de la subjectivité vers le monde. L’activité projetante du concept consiste essentiellement dans le refus de dévoiler dans le réel existant ce qui ne correspond pas à l’impérialisme de son désir d’intelligibilité objectivante.
Mais il est clair que cette activité en tant que projection mentale n’est pas créatrice : c’est parce que le réel ou plus précisément la réalité « objectivée » est déjà implicitement dévoilée devant la subjectivité objectivante que celle-ci peut exercer son activité de projection conceptuelle qui permettra à l’essence de se dévoiler de façon explicite.
C’est dans ce dévoilement implicite de l’essence objective immergée dans le réel existant que consiste à vrai dire le rôle de l’ « expérience » dans la projection du concept. La projection du concept au contact de l’expérience, c’est-à-dire de l’essence engagée dans l’existence spatio-temporelle, est assez semblable au processus d’abstraction métaphysique qu’on rencontre dans la noétique aristotélico-thomiste. Cette projection en tant qu’acte mental subjectif — qui constitue la nature des êtres aussi bien que celle d’une loi régissant la succession des phénomènes — vise l’universalité rationnelle immanente à l’expérience à l’exclusion des déterminations proprement individuelles dans lesquelles cette universalité se réalise. Le concept n’est donc pas tant une création de l’esprit qu’un acte spirituel qui, au contact d’une expérience avec laquelle la subjectivité objectivante se veut en accord, vise précisément dans l’expérience ce qui correspond à ce dernier. Le concept est d’autant plus profondément engagé dans le jeu des puissances sensibles (imagination et sensibilité) [60] que l’essence objective qu’il vise et permet de dévoiler de façon explicite n’existe elle aussi qu’en tant qu’engagée dans l’immanence de l’expérience sensible. La projection des relations universelles, en quoi consiste l’essence même de son activité est toujours centrée sur les données sensibles qui, comme Kant l’a bien montré, confèrent au concept son contenu et sa valeur. Mais il importe de préciser que ces « données sensibles » qui ne sont pas posées ici comme un résidu opaque et par nature rebelle à la projection d’intelligibilité émanant du sujet, mais comme de l’intelligible en puissance et pour ainsi dire exemplifié, concrétisé et individualisé, interviennent ici d’une double manière :
1) Ce sont elles qui « réveillent » pour ainsi dire l’activité de projection intelligible du sujet : elles sont pour le sujet comme une invitation à tisser de façon plus complète et plus cohérente le réseau de relations intelligibles qu’elles lui font seulement entrevoir dans ce que nous avons appelé le dévoilement implicite. L’expérience est dès l’abord intelligible, mais de façon souvent « confuse et mutilée ». Le moment du concept proprement dit ou de la projection conceptuelle en tant que distincte du dévoilement de l’essence objective — et qui trouve évidemment dans l’activité de la science son illustration la plus valable — consiste précisément dans l’effort incessant de tisser maille à maille le réseau des relations coordonnées ou hiérarchisées dans lesquelles viennent s’insérer la totalité des êtres ou des phénomènes du monde existant.
2) Les « données sensibles » interviennent aussi, et c’est alors le moment de ce que nous appelons le dévoilement « explicite » de l’essence objective, dans la confirmation de la projection conceptuelle (cf. par exemple la vérification expérimentale qui fait suite à l’hypothèse dans le travail du savant). La subjectivité perçoit alors l’essence dans l’expérience elle-même, elle ne projette plus un concept à l’occasion de l’expérience. Le processus créateur et discursif fait alors place à une activité apparemment plus passive où l’intelligence saisit intuitivement une essence qui appartient au réel, qui est explicitement posée comme immanente à l’expérience objective. L’intuition cartésienne des natures simples correspond assez exactement à ce moment capital, logiquement distinct de celui de la projection conceptuelle dont la description semble avoir pesé d’un poids un peu trop lourd sur l’analyse kantienne de l’entendement humain, exclusivement axée sur l’aspect discursif et créateur de la subjectivité logique.
Il est à noter toutefois — pour être tout à fait exact — que l’aspect « créateur » ne disparaît pas entièrement dans le moment [61] « intuitif » du dévoilement explicite de l’essence objective, car il importe de ne pas oublier que, si l’essence objective se dévoile devant la subjectivité qui l’accueille intuitivement ou « passivement », pour ainsi dire, ce dévoilement est conditionné par la projection conceptuelle et subjective qui est elle-même déterminée, tout autant que par le contact avec « l’expérience », par la décision préalable de ne découvrir dans cette dernière que ce qui cadrera avec l’impérialisme de sa volonté de puissance.
Mais cette dialectique de la projection du concept et du dévoilement de l’essence exige le recours à une activité différente du sujet, qui se situe sur un autre plan que la projection et le dévoilement, et qui en définitive les rend possibles l’un et l’autre. Cette activité n’est autre chose que ce que nous appellerons, d’un terme emprunté à la phénoménologie husserlienne, l’activité constituante ou la constitution par la subjectivité transcendantale des significations essentielles que la subjectivité empirique dévoilera dans l’expérience sous forme d’essences objectives après les avoir projetées sous forme de concepts.
Si la subjectivité peut découvrir une signification quelconque au niveau d’une expérience qui lui est donnée, il faut que cette signification ne lui soit pas étrangère ; il faut que la subjectivité d’une manière ou d’une autre, participe au mouvement spirituel qui constitue la signification comme telle. Ainsi dans l’empirisme thomiste, par exemple, il faut bien admettre que « l’intellect agent » qui est capable d’extraire du sensible, par un passage de la puissance à l’acte, l’intelligible que ce dernier contient en puissance, participe de quelque manière à l’Intelligence créatrice de Dieu qui a créé l’être ou l’objet sensible en projetant pour ainsi dire l’essence intelligible sur le plan de l’existence spatio-temporelle (passage de l’essence à la substance). Et l’on peut se demander si tout empirisme, quel qu’il soit, n’est pas en définitive inconsciemment tributaire d’une telle perspective ambiguë qui admet implicitement une participation de l’intelligence humaine au « Verbe » transcendant mais sans aller jusqu’au bout des exigences d’une telle position. Si par contre on refuse explicitement à l’être et à l’intellect humain toute relation de participation à la Transcendance 2, comment expliquer que la subjectivité humaine soit capable, sur le plan psychologico-empirique, de dévoiler les significations impliquées dans l’expérience, si l’on n’admet pas que cette même subjectivité « constitue », [62] sur le plan transcendantal les significations qu’elle sera capable de découvrir. Mais il est clair, après la description que nous avons donnée plus haut, de la « transcendance temporelle » de la subjectivité objectivante, que les significations constituées par la subjectivité transcendantale objectivante ne sont pas plus intemporelles que la subjectivité temporaliste elle-même. Ces significations, qui sont ici des essences (et qui seront soumises, nous le verrons, à un autre statut au niveau de la sphère esthétique) sont ontologiquement immanentes à l’existence spatio-temporelle. La subjectivité transcendantale objectivante, qui par essence se transcende, du fait de son incarnation abstraite, vers le monde existant, constitue nécessairement ces significations essentielles en corrélation avec ce mouvement de transcendance vers le monde. Cette activité constituante, qui émane de la subjectivité transcendantale envisagée pour ainsi dire en son centre et son principe spirituel, non en tant qu’incarnée, spatialisée et temporalisée, mais plutôt en tant qu’origine immanente de la temporalité et de la spatialité dans le cadre desquelles se dérouleront les événements objectifs du monde, ne constitue ces significations qu’en tant que relations universelles destinées à s’actualiser dans l’immanence de l’expérience et n’ayant de réalité que dans cette actualisation.
La subjectivité objectivante, envisagée toujours dans sa racine transcendantale et non sur le plan empirique que commande la double activité de projection conceptuelle et de dévoilement de l’essence, constitue l’essence en tant que processus « d’existentialisation », selon un schéma qu’il importe de bien mettre en lumière. Le nœud de relations qui constitue l’essence se situe toujours sur le plan d’une universalité abstraite, bien qu’ « incarnée et existentialisée ». Il est la réplique, sur le plan de la réalité objective intentionnellement visée par la subjectivité objectivante, de l’incarnation abstraite qui constituait la nature essentielle de cette dernière.
La signification « essentielle » constituée par la subjectivité transcendantale objectivante est bien une essence impliquant un nœud de relations coordonnées ou hiérarchisées, mais cette activité quasi spirituelle de relation, ce lien ou ce nœud qui est au cœur même du réel que rencontrera la subjectivité objectivante empirique, ne vise jamais, ou plus profondément — sur le plan quasi créateur et transcendantal de la constitution que nous envisageons ici — ne constitue jamais un être dans toute la densité ontologique dont ce terme est capable, mais une entité abstraite. Bien que cette essence ne puisse être conçue que comme individualisée, [63] comme incarnée sur le plan de l’existence spatio-temporelle, sa notion est différente de la notion d’être individuel.
C’est dans la déficience ontologique inhérente à « l’abstraction » de cet acte constituant qui pose ces « significations essentielles », que nous semble résider l’objectivation qui caractérise la volonté de puissance de la subjectivité objectivante. Et c’est l’universalité abstraite de l’essence incarnée qui constitue l’objectivité — au sens ontologique et non seulement épistémologique de ce mot. Il est à noter que cette abstraction est profondément liée à l’incarnation ou, si l’on préfère, à l’immanence de l’essence dans l’existence spatio-temporelle. L’objectivation n’est donc pas liée à la position de l’essence en général ni à celle de l’universalité en général, mais à la position d’une essence à la fois universelle, abstraite et incarnée : 1) Universelle en ce sens qu’elle s’applique à un nombre indéfini de réalités particulières (nous ne disons pas d’individus) ; 2) Abstraite en ce sens qu’elle ne vise pas la totalité concrète du réel, mais qu’elle se meut en quelque sorte à la surface de l’être (ainsi les lois de la physique mathématique ou les essences ou formes spécifiques de la biologie animale ou végétale en tant qu’elles se distinguent des êtres individuels envisagés dans la totalité de leur concrétion singulière) ; 3) Incarnée en ce sens que l’essence objective — produit de la constitution objectivante — n’a de réalité que dans son acte d’insertion dans le cadre individualisant de l’espace et du temps qu’elle constitue par son déploiement même.
L’universalité, l’abstraction et l’incarnation constituent donc la triple condition du processus d’objectivation qui caractérise la « volonté de puissance » de la subjectivité logique. A l’incarnation abstraite de la subjectivité connaissante, qui est nécessairement individualisée quoique non individuelle, correspond l’incarnation abstraite de l’essence universelle qui, elle aussi, est toujours individualisée dans des réalités singulières, mais non individuelle.
Nous pouvons revenir à présent au dévoilement de l’essence objective qui s’intégre, avec la projection du concept et la constitution de la signification essentielle, à la dialectique épistémologique qui caractérise la subjectivité objectivante. Et cela nous permettra en même temps de compléter notre analyse de la temporalité objectivante, par l’examen de la nature du présent qui jaillit de la transcendance de la subjectivité objectivante vers le monde des essences incarnées.
La subjectivité objectivante dévoile le monde comme un ensemble d’essences immanentes à l’expérience ou « existentialisées », [64] et c’est en cela que consiste la transdescendance objectivante vers le monde existant. Il ne s’agit pas, bien entendu, d’une transcendance vers l’existence concrète, envisagée comme la totalité des « prédicats » qui définissent et caractérisent les êtres individuels dans leur intimité singulière, mais d’une transcendance vers ce qu’il conviendrait plutôt de nommer « l’existence abstraite ». Il est à remarquer que l’abstraction qui est à la racine de l’acte d’objectivation caractérisant la subjectivité comme volonté de puissance porte aussi bien sur l’essence, qui n’est envisagée que sur le plan de l’universalité abstraite, que sur l’existence, qui n’est jamais que le complément ontologiquement déficient de cette dernière. L’existentialisation de l’essence universelle est elle-même marquée du sceau de cette abstraction fondamentale. La singularité des déterminations de l’expérience spatio-temporelle n’est jamais que l’indispensable mais aussi l’abstraite traduction de l’universalité de l’essence (telle couleur apparaît comme un exemplaire de la couleur en général et non comme la couleur qui caractérise tel attribut propre à tel être singulier ; tel homme concret apparaît comme un exemplaire quelconque de l’humanité en général, ou tout au plus comme le représentant de tel groupe ethnique ou social, etc., mais non comme tel être individuel envisagé comme une totalité singulière et concrète). Le dévoilement de l’essence objective consiste précisément dans la saisie quasi intuitive par la subjectivité empirique objectivante de l’essence universelle et abstraite au cœur même de l’existence dans laquelle elle s’incarne. Nous parlons ici de dévoilement précisément parce que l’essence ainsi visée est saisie comme appartenant explicitement au monde existant vers lequel se transcende la subjectivité. C’est l’essence elle-même qui se révèle pour ainsi dire à la subjectivité dans son appartenance intime au monde dans lequel s’enracinent l’essence aussi bien que la subjectivité elle-même.
L’essence n’est « projetée » sur l’existence qu’au niveau du processus transcendantal et quasi « cosmogonique et créateur » de la constitution qu’il nous semble logiquement impossible de refuser si l’on n’admet pas le recours métaphysique au processus transcendant de la « création » ou de la « participation ». Et c’est d’ailleurs cette projection sur le tissu de l’existence brute qui garantit — sur le plan transcendantal de la constitution, distinct, répétons-le, du plan empirique du dévoilement et de la projection — l’authenticité du processus de transdescendance vers le monde existant. L’existence est implicitement visée comme le terme ultime de l’intentionnalité ou de la transcendance de la [65] subjectivité vers le monde, mais comme le terme toujours caché, refoulé et recouvert par l’expansion de l’intelligibilité rationnelle, abstraite et objectivante qui émane de la subjectivité logique. Il s’agit bien de l’existence qui n’est pas l’objet d’un acte constituant de la subjectivité transcendantale, mais d’une existence travestie, abstraite, appauvrie.
Sur le plan empirique par contre, l’essence n’est pas projetée par la subjectivité, mais dévoilée au cœur même de cette existence abstraite. L’objectivation qui caractérise la transcendance de la subjectivité vers le monde existant 3 détermine donc l’objectivité prise dans le sens de l’indépendance de la réalité vers laquelle se transcende la subjectivité. Cette indépendance est liée au fait que la subjectivité empirique rencontre l’objet, c’est-à-dire l’essence objective abstraite et incarnée qui se dévoile à elle, mais cette rencontre par le sujet empirique (c’est-à-dire ici individualisé, mais non proprement individuel) est explicitement postulée comme identique pour n’importe quel sujet empirique, puisque chacun de ces sujets n’est qu’un exemplaire quelconque de la subjectivité transcendantale qui n’existe elle aussi qu’en tant qu’incarnée et individualisée. L’objectivité, qui implique la rencontre d’une essence individualisée par la subjectivité empirique, se fonde donc également sur la constitution universelle d’une essence abstraite par la subjectivité transcendantale. L’immergence dans l’existence abstraite qui caractérise l’essence objective dans son indépendance par rapport à la subjectivité empirique est donc liée profondément, pour la constitution de ce caractère d’objectivité, à l’universalité abstraite qui est impliquée par le double dépassement du sujet empirique vers le sujet transcendantal sur le plan de la subjectivité, et de l’existence dans laquelle s’individualise le réel vers l’essence qui s’y réalise, sur le plan de la réalité intentionnellement visée par le sujet.
Il est à noter encore que l’objectivité, qui est intimement liée à l’apparence de détachement, de quasi-passivité devant le réel qui s’offre à la subjectivité dans l’expérience, ne s’oppose donc qu’en apparence à la volonté de puissance qui nous semble caractériser la subjectivité objectivante dans les diverses modalités, empiriques ou transcendantales, de son activité. L’indépendance apparente de l’essence objective et son accueil par la subjectivité empirique ne doit pas nous masquer le fait que la [66] subjectivité transcendantale qui constitue la signification « essentielle » et « objective » que dévoilera la subjectivité empirique n’est autre chose que l’essence même de cette dernière. Dans le passage de l’une à l’autre, il s’agit de deux plans différents et non séparés d’une même nature, d’une même réalité. L’apparence de détachement de la subjectivité empirique doit être référée à l’activité fondamentale par laquelle la subjectivité transcendantale individualisée projette sur l’existant brut des significations ou des essences objectives. Plus profondément on pourrait dire que dans l’accueil objectif et désintéressé, qui semble caractériser le dévoilement objectivant, se manifeste l’implicite décision de la Volonté qui a infléchi l’Intelligence individualisée dans le sens d’une vision totalitaire quoique limitée et mutilante du réel.
Le « dévoilement » du réel est donc toujours subordonné, ici comme dans chacune des structures temporelles de la subjectivité temporaliste, au Vouloir fondamental et déformant qui pèse sur l’Intelligence en tant qu’elle se refuse à toute relation positive de participation à la Transcendance (sur le double plan ontologique et gnoséologique).
La dimension du présent, que nous pouvons mieux déterminer maintenant, résulte précisément de cette transcendance objectivante vers l’essence actualisée, existentialisée ou individualisée. La projection du concept qui permet le dévoilement de l’essence implique, nous l’avons vu, une ouverture permanente sur un avenir indéfini et inépuisable, qui est d’ailleurs la marque même de l’existence dans son opposition à la plénitude immobile et achevée de l’essence métaphysique ou simplement logique. Les concepts que je braque pour ainsi dire sur le monde existant en tant qu’implicitement dévoilé impliquent donc un inachèvement, mais cet inachèvement caractérise également l’essence que le concept permet de dévoiler. Le présent, c’est le point d’accrochage de la subjectivité au réel existant, c’est-à-dire ici à la plénitude abstraite de l’essence incarnée. Le présent n’est donc pas tant ici le lieu de passage d’un possible qui s’y actualise pour disparaître sans retour dans un passé irrévocable, que ce qui permet à la subjectivité placée en face de l’essence objective de surmonter le risque et le danger d’un tel anéantissement.
Chacune des déterminations que révèle l’essence dans son incessant devenir s’intégre à la présence fondamentale de l’essence dévoilée, car nous savons déjà que le passé n’est autre chose que cette essence dans sa réalité spirituelle la plus profonde qui apparaît comme être et plénitude et non comme néant, tandis [67] que l’avenir, qui n’est ni indéterminé ni imprévisible n’est autre chose que le gage de la permanence de l’essence objective. L’avenir, c’est l’essence objective en tant qu’elle vise l’existence abstraite dans laquelle il lui faut s’actualiser, cette actualisation étant la garantie et le signe même de sa réalité.
La subjectivité objectivante en tant que telle est donc amenée à dévoiler, au niveau du réel objectif, une temporalité aussi abstraite, aussi peu tragique que celle dans laquelle elle se trouve elle-même plongée en tant que subjectivité empirique. C’est la nature de la présence au monde reliant la subjectivité au réel existant qui constitue ici le temps comme un présent continué, en ce sens qu’il se fonde sur un passé qui lui confère sa densité ontologique et sa signification, et se projette vers un avenir qui lui assure sa permanence et sa continuité. Ce primat de la dimension du présent provient ici du fait que la subjectivité, dans son mouvement de transcendance vers le monde existant, ne vise pas l’existence dans sa contingence et son opacité originelles, mais en tant que médiatisée par l’essence à laquelle elle permet de s’actualiser. Et c’est cette visée de l’essence « existentialisée » qui confère au présent cet aspect de permanence opposé à l’aspect fugitif qu’on s’accorde souvent à lui attribuer et que nous aurons l’occasion de méditer au cours de l’analyse des autres structures temporelles.
- Cf. Kant, Critique de la raison pure, ΙΙe Partie : Analytique transcendantale.[↩]
- Comme c’est précisément le cas pour la subjectivité temporaliste dont nous tentons ici d’analyser les diverses structures.[↩]
- Il ne s’agit pas ici de la transcendance en général du sujet vers l’objet, l’objet comme tel n’étant qu’une des modalités du réel (logique ou existant) vers laquelle peut se transcender la subjectivité temporaliste.[↩]
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