Vallin (EI:28-30) – Leibniz – teoria da substância

(VallinEI)

La théorie leibnizienne de la substance 1 pourrait sembler de prime abord nous apporter une ontologie plus « viable » de la substance individuelle.

Alors qu’Aristote et saint Thomas sont conduits à fonder la réalité de l’individu sur la réalité de l’espèce, la seule forme capable d’individuer qualitativement un être s’avérant ici la forme « spécifique », Leibniz nous apporte une ontologie qui vise explicitement à fonder la réalité substantielle de l’individu singulier comme tel. Chez Aristote et saint Thomas, la substance individuelle n’était que l’essence spécifique individualisée, c’est-à-dire l’actualisation cosmologique ou l’existentialisation de l’essence spécifique. La seule individuation positive se rapportait chez eux à la forme. Et il y avait équivalence entre la détermination ontologique et l’intelligibilité. Il n’y avait de science que du « général ». Aussi n’y trouvions-nous d’individuation positive ou qualitative que par la forme « spécifique ».

Or la philosophie leibnizienne de l’essence semble nous apporter une optique nouvelle, dans la genèse de laquelle on a pu montrer le rôle du calcul infinitésimal et selon laquelle il n’y a plus incompatibilité entre l’indéfinité des accidents singuliers et la détermination logique indispensable à la science. Il y a une essence de l’individu comme tel, de l’individu singulier qui se distingue désormais qualitativement et non plus solo numéro d’un individu de même espèce. Et l’on sait que cette ontologie nouvelle de l’essence repose, plus que sur le calcul infinitésimal, sur le principe de raison qui, nous amenant à affirmer la possibilité de réduire les propositions vraies à des propositions identiques nous conduit par là même à identifier le nihil fit sine ratione et le fameux praedicatum inest subjecto. Le sujet dernier ou fondement des prédicats ne saurait être ici une notion spécifique ou générique, qui reste trop indéterminée pour fonder la totalité des prédicats qui caractérisent un être concret. Le « sujet dernier » est rigoureusement individuel. La substance individuelle se fonde désormais sur une forme ou une essence également individuelle, qui enveloppe ou intègre l’infinité de ses accidents temporels. La notion d’Alexandre renferme toutes les particularités de ce prince 2 y compris sa victoire sur Darius et Porus. Seule la substance individuelle s’avère un être réel et complet, car seule elle peut rendre raison de toutes les déterminations singulières qui ne sont plus livrées, comme dans l’optique péripatéticienne, à la juridiction du hasard.

Chaque individu possède sa notion, distincte de toutes les autres essences individuelles, et l’on peut donc parler ici d’une individuation positive par l’essence singulière qui remplace l’individuation positive par la forme spécifique dont nous avions signalé la place dans les deux précédentes doctrines.

Si la tentative leibnizienne nous paraît en définitive aboutir au même échec que ces dernières, c’est en raison du dogmatisme cosmologiste qu’elle partage avec elles.

Le progrès qu’elle a réalisé par rapport à « l’essentialisme » péripatéticien nous paraît rester inefficace en raison des fondements antimétaphysiques de sa « logique » ou de son ontologie de l’essence qui repose sur le dogmatisme créationniste. En effet, chez Leibniz comme chez saint Thomas, l’essence contenue dans l’entendement divin n’est qu’un pur « possible », ou plutôt « une potentialité qui a soif d’exister » ou qui « tend d’elle-même à l’existence » 3. L’essence est conçue en style cosmologique et non métaphysique, c’est-à-dire comme une virtualité orientée vers l’ordre de l’existence « séparée ». A cette virtualité comme à l’essence thomiste manque la perfection de l’actualité : son intériorité demeure fragmentaire et corrélative, là aussi, de l’intériorité fragmentaire d’un Dieu qui n’est que personnel dont l’office est de faire passer à l’acte la prétention de cette essence déficiente.

En fait, malgré l’exigence d’intériorisation qualitative qu’exprime la théorie de la substance individuelle, cette intégration radicale de l’indéfini, ou l’immanence ou l’appartenance de tous les prédicats à la « substance individuelle » s’avère effectivement impossible en raison du caractère logique, c’est-à-dire abstrait, et non métaphysique, ou intégral, de l’essence sur laquelle se fonde cette « substance ». La Transcendance abstraite de Dieu conçu selon le dogmatisme créationniste est corrélative de l’intériorité abstraite de l’essence, et partant de l’immanence abstraite, c’est-à-dire purement générale et théorique et non effective de la pure singularité existentielle qui caractérise le plan de l’individuation séparative. L’essence de César telle qu’elle est posée dans l’Entendement du Dieu leibnizien ne saurait en définitive être posée comme distincte de l’essence d’Alexandre. L’absence d’une Transcendance intégrale conduit à l’absence d’une immanence radicale. L’intériorisation de l’essence n’est pas assez radicale pour que l’essence de l’individu singulier soit distincte de l’essence spécifique. L’individuation par la forme singulière se ramène en fait à l’individuation par la forme spécifique. Ce Dieu ne pouvait donc « prévoir » que César franchirait le Rubicon.

Chez Leibniz, comme chez Aristote et saint Thomas, la révolte antimétaphysique n’a pas permis de dégager les implications les plus importantes de l’individuation qualitative. Leur dogmatisme ontothéologique qui n’a pu justifier en fait que l’individuation d’extériorité ou le principe « d’individuation par la matière » les a condamnés à rester en pénitence aux portes du mystère de l’individualité.

  1. Cf. l’intéressant ouvrage de Jalabert qui porte ce titre (P.U.F.).[]
  2. Leibniz, Discours de métaphysique, § 8.[]
  3. Cf. De originatione rerum radicali, Boivin, p. 85.[]
,

Abellio, Raymond (31) Agamben, Giorgio (19) Antiguidade (969) Arendt, Hannah (16) Baader, Franz von (19) Barbuy, Heraldo (46) Berdyaev, N A (29) Bergson, Henri (16) Bioética (118) Brun, Jean (22) Byung-Chul Han (17) Coomaraswamy, Ananda (432) Deleuze, Gilles (38) Descombes, Vincent (16) Escola de Frankfurt (21) Espinosa, Baruch (45) Faivre, Antoine (24) Fernandes, Sergio L de C (80) Ferreira da Silva, Vicente (21) Ferreira dos Santos, Mario (49) Festugière, André-Jean (38) Gaboriau, Florent (16) Gordon, Pierre (23) Guénon, René (196) Henry, Michel (82) Jaspers, Karl (26) Kant, Immanuel (18) Kierkegaard, Søren Aabye (43) Lavelle, Louis (35) Merleau-Ponty, Maurice (23) Nietzsche, Friedrich (64) Ortega y Gasset, José (47) Outros Pensadores (126) Rosenstock-Huessy, Eugen (17) Rosenzweig, Franz (26) Saint-Martin, Louis-Claude de (28) Schelling, Friedrich (34) Schopenhauer, Arthur (98) Schuon, Frithjof (354) Schérer, René (20) Sloterdijk, Peter (17) Sophia Perennis (123) Sousa, Eudoro de (36) Vallin, Georges (31) Wittgenstein, Ludwig (24)