C’est parce que l’absolu ne connaît pas encore cette division interne d’avec soi qui constitue la conscience qu’il demeure, chez Schelling, privé de celle-ci. « 11
L’histoire, dit Schelling, est « une manifestation jamais achevée de cet absolu qui se divise dans la conscience, c’est-à-dire seulement pour apparaître. » 11
C’est toujours l’identification du concept de conscience avec la conception moniste de l’essence de la manifestation qui amène Schelling à établir, dans le Système de l’Idéalisme transcendantal, une opposition irréductible entre l’intelligence et l’action, ou, comme il le dit encore, la production, opposition dont l’irréductibilité tient précisément à la compréhension de l’opposition comme essence de la manifestation et de la conscience. 11
L’intelligence, dit Schelling, doit se dégager complètement de la production pour que la conscience puisse naître. » 11
L’intelligence et l’action ne constituent pas, aux yeux de Schelling, deux réalités différentes et originairement séparées, elles ne sont dans l’absolu qu’une seule et même chose, ce n’est pas à l’action, c’est à « son action » que l’intelligence s’oppose, c’est-à-dire à elle-même en tant qu’active ; mais justement, cette séparation d’avec soi est la condition de la phénoménalité, une condition primitive qui fait alors surgir comme deux termes apparemment différents l’intelligence et l’action, et cela pour que la conscience puisse naître. 11
L’interprétation du concept de conscience à partir du dédoublement par lequel l’être s’offre en spectacle à lui- même et peut ainsi s’apercevoir et se connaître, ne se manifeste pas seulement, sous l’influence de Bœhme, dans le Système de l’Idéalisme transcendantal, elle domine en fait toute l’œuvre ultérieure de Schelling et notamment sa dernière philosophie. 11
Cette présupposition apparaît clairement aussi dans les thèses de Schelling qui ont été évoquées et selon lesquelles ce n’est pas le sujet, c’est la dualité, la division comme telle, qui est la condition de la manifestation, de la conscience. 11
Parce que la conscience est l’opposition, elle n’est pas l’un des termes, mais les deux termes à la fois, en tant qu’elle est la loi qui les engendre : « Le moi de la conscience, dit Schelling dans une proposition fondamentale, n’est pas sujet pur, il est en même temps sujet et objet. » 11
L’appartenance de l’élément ontique à la structure interne de l’essence de la phénoménalité, à titre de condition de possibilité du devenir effectif de celle-ci, est visible aussi dans la philosophie de la conscience de Schelling. 14
L’objet est pensé par Schelling comme la condition de la conscience effective en tant que « la conscience est l’acte par lequel le sujet pensant se devient immédiatement objet ». 14
Schelling conçoit cette essence pure comme une activité primitive et infinie. 14
De même que chez Fichte l’existence pure qui définit l’essence n’entre dans la condition phénoménale que sous la condition de la détermination objective sans pouvoir cependant maintenir dans cette forme la pureté de son essence originaire, en sorte que « toujours la forme nous voile l’essence », de même chez Schelling la conscience pure qui se réalise phénoménalement dans l’objet n’est plus, en fait, dans cette réalisation que l’objet lui- même. 14
Qu’en est-il cependant de la manifestation de la conscience dans sa pureté ? Une telle manifestation ne doit-elle pas pouvoir être exhibée si la philosophie de la conscience prétend parler avec quelque droit du concept pur sur lequel elle se fonde ? Schelling ne peut lever le paradoxe d’une conscience qui ne se connaît que lorsqu’elle devient objet ni maintenir la validité du concept pur de la conscience autrement qu’en faisant de celle-ci la condition de l’apparence phénoménale effective de l’objet. 14
Ce paradoxe semble levé par l’opposition instituée par Schelling entre « le point de vue transcendantal » et celui de la conscience commune. 14
A moins de confondre les deux, comme le fait Schelling, il faut reconnaître qu’ici encore le devenir phénoménal de l’essence de la phénoménalité est l’autosuppression de cette essence pure. 14
Le savoir de soi du savoir de l’étant est, comme le comprenaient déjà Fichte et Schelling, le savoir transcendantal. 17
En s’élevant à l’« absolu » à partir du savoir phénoménal, Hegel croit pouvoir s’opposer à Schelling qui ne peut expliquer comment la conscience parvient au savoir absolu, ou, inversement, comment elle s’en sépare. 21
Parlant de la monade moi comprise par lui comme constituant identiquement la conscience, c’est-à-dire l’essence de la présence comme telle, Schelling déclare : « Aucun opposé objectif n’arriverait jamais en elle s’ü n’était posé en même temps par Faction par laquelle elle se pose elle-même. » 36
La possibilité pour l’essence d’accomplir son œuvre à l’égard de tout ce qui est présent et qui trouve ainsi en elle sa médiation, présuppose assurément, en ce qui concerne l’essence, qu’elle ait d’abord accompli son œuvre à l’égard d’elle-même, que l’essence de la présence se soit d’ores et déjà rendue présente à elle-même dans l’acte primitif et fondamental par lequel elle se réalise, dans l’action, dit Schelling, par laquelle elle se pose elle-même. 36
La position de soi de l’essence est, selon Schelling, une position de l’essence devant soi. 36
C’est précisément parce que la position de soi de l’essence est, selon Schelling, une position de l’essence devant soi que l’action par laquelle l’essence se pose elle-même se révèle être identiquement celle par laquelle tout opposé objectif arrive en elle, par laquelle l’étant se manifeste à elle comme un objet. 36
Ainsi voit-on, dans le Système de l’Idealisme transcendantal où se concentrent en un ensemble les thèses fondamentales de la philosophie classique, Schelling identifier la phénoménalité avec l’objectivité comme telle et, dans le même temps, poser, comme la condition de cette dernière, comme l’absolu, le « non-objectif ». 45
Qu’elle existe pourtant, et cela comme l’absolu, que la non-phénoménalité soit le nom de l’essence, Schelling se préoccupe de le montrer ou plutôt, en raison de cette non-phénoménalité du principe de la phénoménalité, de le démontrer. 45
Ainsi s’expliquent, parce que ce qui n’est pas devant, dans la lumière, se trouve, et cela comme la condition de celle-ci, en deçà d’elle, dans la nuit, c’est-à-dire finalement à partir de l’interprétation ontologique de l’essence de la transcendance comme immanence, les thèses fondamentales de Schelling, l’idée que l’intuition en elle-même, « le non-objectif… échappe à la conscience ». 45
Comme celle de son oubli, l’idée d’un Remémorial de l’essence est présente chez Schelling. 45
L’essence de la conscience, à son tour, est interprétée par lui d’une manière qui est directement commandée par la philosophie des grands postkantiens, et notamment par la première philosophie de Schelling. 71
Il n’y a lieu, en aucune façon, de parler ici d’une opposition entre Fichte et Schelling ni, par suite, d’une synthèse que Hegel aurait eu à réaliser entre les deux philosophes. 71
Il n’y a point d’opposition non plus, sur ce point essentiel, entre Schelling et Hegel. 71
Si Schelling soutient une philosophie de l’identité, c’est qu’il a accepté l’idée d’abandonner l’Absolu à l’inconscience. 71
L’intuition en question est, ne l’oublions pas, celle de Schelling, à laquelle pense par exemple Hegel lorsqu’il parle des enfants et des anges qui vivent dans un état où « l’opposition de l’intuitionnant et de l’intuitionné, comme d’un sujet et d’un objet, disparaît dans l’intuition elle-même ». 71
Il est, au contraire, ce qui n’est pas encore parvenu dans la lumière de la réalité, quelque chose d’obscur, la possibilité, l’en-soi qu’il nous faut comprendre comme le Fond sans cause des Recherches sur la Liberté humaine, ou comme la première Puissance (— A) de la dernière philosophie de Schelling. 74