(MHEM)
Comment, d’autre part, l’existant singulier, fût-il le sujet humain, pourrait-il être assimilé avec l’essence qui déploie l’horizon et qui ouvre le milieu de l’être ? C’est bien plutôt à l’intérieur d’un tel milieu que nous, et toutes les choses, pouvons nous manifester, à titre de « phénomènes », dans la lumière du monde. 4
Il nous est seulement permis, quant à nous, de bénéficier de l’œuvre de l’être et, en nous appuyant sur l’opération interne de la transcendance, d’accéder aux choses dont elle a fait pour nous des « phénomènes ». 4
Toute philosophie qui poursuit cet idéal chimérique et contradictoire se trouve tôt ou tard placée devant le dilemme suivant : ou bien délaisser la question de l’être, et se perdre alors dans la considération de déterminations ontiques, en faisant abstraction de ce qui doit jouer à leur égard le rôle d’une condition de possibilité, c’est-à-dire en renonçant finalement au problème philosophique du fondement ; ou bien, tout en restant soumise à la préoccupation ontologique qui vise un tel fondement susceptible d’ouvrir l’horizon à l’intérieur duquel des existants peuvent se manifester pour nous, à titre de phénomènes, soustraire du moins un existant indûment privilégié à cette condition préalable et ultime. 4
L’expérience transcendantale, c’est-à-dire l’expérience de la vie transcendantale, est sans doute ce qui permet d’accéder à celle-ci et à ses composantes comme à des « phénomènes ». 5
Mais il est clair aussi qu’une telle expérience implique l’ouverture préalable d’un champ de présence à l’intérieur duquel cette vie et ses contenus puissent précisément surgir devant nous à titre de « phénomènes ». 5
Mais l’ego lui-même et le cogitatum qui lui est immanent à titre de monde ou de détermination intramondaine, ne peuvent eux-mêmes revêtir la condition de phénomènes et surgir dans l’être que sur le fond de celui-ci en eux. 5
Le problème de la philosophie est le problème de la vérité. Celle-ci n’est rien d’autre que ce qui, en général, rend possible quelque chose comme des phénomènes. 7
C’est sur une base nouvelle que s’élèvera la philosophie lorsqu’elle sera capable de circonscrire un « phénomène » absolument original en ceci que le mode même conformément auquel il se révèle est irréductible au « comment » de la manifestation des phénomènes transcendants. 7
Elle est la condition ontologique de possibilité de tous les phénomènes transcendants qu’elle fonde en tant qu’elle est l’origine de la transcendance. 7
La lumière universelle n’est pas le séjour de tous les phénomènes. 7
La phénoménologie est la science des phénomènes. 8
Celle-ci doit être centrée sur l’idée de phénomène, puisque, comme science des phénomènes, la phénoménologie prétend s’en tenir exclusivement à ce qui se manifeste, tel précisément qu’il se manifeste. 8
Qu’est-ce donc, en effets qui rend possibles des phénomènes au sens du positivisme, qu’est-ce qui fonde la présence pour nous de ce qui apparaît, sinon l’acte même d’apparaître, l’essence du phénomène et de la présence en tant que telle ? Et tandis que la conscience naturelle se lamente devant le destin temporel de l’être qui lui advient, la pensée qui se soucie de l’essence comprend la nécessité de remonter à la loi qui commande ce destin. 8
La phénoménologie est la science des phénomènes dans leur réalité. 8
Son objet n’est pas l’ensemble des phénomènes, avec leurs structures et, par suite, leurs domaines spécifiques, mais l’essence du phénomène comme tel. 8
L’insuffisance du positivisme tient à ce qu’il ne rend pas compte de la positivité qu’il présuppose constamment en décrivant des phénomènes sans s’être au préalable interrogé sur l’être- phénoménal comme tel. 8
Cette spatialité originaire est le phénomène du monde, le phénomène de tous les phénomènes, leur visibilité comme telle. 9
Considérée comme le pouvoir ontologique qui nous donne accès aux « phénomènes » et fonde ainsi la « connaissance » dans sa possibilité, la distance phénoménologique ne saurait être dite plus ou moins grande et il n’y a aucun sens à parler de « distance minima ». 9
Les grands phénomènes humains (par exemple la naissance et le développement de la mythologie) ou divins (par exemple la création) y sont en fait interprétés en fonction de la nécessité d’un avènement de la conscience, avènement qui est toujours pensé, à partir du phénomène ontologique central de l’aliénation, comme une division et une séparation. « 11
Le sujet apparaît comme la condition de la phénoménalité des phénomènes. 11
Pensant le sujet comme le fondement de la phénoménalité des phénomènes, la philosophie de la conscience interprète finalement l’être de ce sujet comme le Rapport. 11
Ainsi le monde qui se constitue dans un tel dépassement n’est-il transcendant aux « phénomènes » que pour autant qu’il se trouve, en fait, rapporté à eux. 13
La tâche que se donne l’ontologie de penser l’essence dans sa pureté ne peut signifier la rupture du lien qui relie la transcendance comme telle aux phénomènes auxquels elle se rapporte. 13
Le caractère de la tâche que se donne l’ontologie dans le projet par lequel elle se définit, n’éclaire-t-il pas, dès lors, suffisamment la manière dont celle-ci doit s’y prendre pour se réaliser ? Si, conformément à son caractère le plus propre, la tâche de penser l’essence ne peut s’accomplir en dehors de la relation fondamentale par laquelle la transcendance, dans le retour indissociable de son essor, se trouve rapportée aux phénomènes, la nécessité pour l’ontologie de se donner un fondement ontique ne commence-t-elle pas, dès lors, à s’éclaircir et à se comprendre ? C’est parce que l’être est l’être de l’étant, parce que le néant est toujours le néant de ce qu’il néantise, que l’interrogation sur l’être que promeut l’ontologie est toujours nécessairement et d’abord une interrogation sur l’étant qui se trouve questionné dans son être. 13
Ainsi la finitude qui affecte dans son accomplissement la démarche par laquelle l’ontologie se construit, est-elle une en réalité avec celle de l’être même, c’est-à-dire avec la finitude de la transcendance en tant que celle-ci se trouve rapportée aux phénomènes dans l’acte même par lequel elle les transgresse. 13
Sa contradiction reste ce qu’elle était chez Kant lorsqu’il était dit que « nous ne connaissons que des phénomènes ». 14
On peut spéculer tant qu’on voudra sur cette contradiction, affirmer par exemple le déterminisme des phénomènes et la liberté transcendantale, celle-ci n’est que la liberté de l’objet transcendantal = x. 14
Si le temps se donne en effet comme « la condition universelle de tous les phénomènes en général », c’est qu’il constitue l’essence même de la phénoménalité. 24
C’est parce que le temps est compris par Heidegger, à la suite de Kant, comme auto-affection qu’il est présenté comme « la possibilité intrinsèque de l’acte d’objectivation », ou, ainsi que le disait Kant, comme la condition universelle de tous les phénomènes. 24
La réalisation de l’essence de la vérité hors de l’être essentiel du fondement où elle réside, dans l’abstraction de l’être-séparé de l’horizon, n’est pas sans rapport avec le renversement dialectique par lequel, en situant décidément dans le milieu absolu de l’extériorité le principe effectif de l’intelligibilité des phénomènes, la philosophie de l’être s’interdit consciemment de le chercher désormais dans l’intériorité d’une subjectivité humaine. 26
Toute unité est par principe phénoménologique, l’unité des phénomènes leur appartient en tant que tels. 35
Ainsi y a-t-il, à côté de la révélation originaire de l’essence telle qu’elle s’accomplit « sans image », une phénoménalité propre de celle-ci et telle qu’en elle des « images » justement soient possibles, et en général des phénomènes au sens de phénomènes du monde. 40
Voilà pourquoi celle-ci enferme en elle, dans sa réalité phénoménologique qui est celle de l’essence, tous les phénomènes, pourquoi « Dieu a toutes choses cachées en lui, non pas de telle sorte que ceci ou cela soit distinct, mais toutes choses ne font qu’un, conformément à son Unité ». 40
L’unité de tous les phénomènes dans le milieu ontologique où se révèle originairement leur manifestation est un thème constant de la pensée d’Eckhart : là-haut, dit-il, on connaît vraiment les choses « telles qu’elles sont, toutes indivises et proches les unes des autres ; les choses qui sont ici-bas éloignées les unes des autres sont rapprochées là-haut, parce que toutes n’y sont que dans le présent ». 40
Le milieu ontologique où s’accomplit l’unité de tous les phénomènes n’est pas cependant l’objet d’une affirmation métaphysique et ne constitue comme tel aucun arrière-monde, c’est le milieu, coextensif à leur manifestation, où celle-ci se révèle et parvient originairement dans l’effectivité. 40
L’essence de la conscience est d’oublier ses propres phénomènes. » 45
Parce que, selon la philosophie de l’existence, la conscience oublie ses propres phénomènes, « elle peut se les rappeler ». 45
Est-ce par hasard si c’est précisément chez Malebranche où l’extériorité est posée sans équivoque comme la condition de l’intelligibilité des phénomènes, c’est-à-dire comme constitutive de leur phénoménalité pure, que, brutalement, le concept de celle-ci se divise et laisse paraître un mode foncièrement autre de sa réalisation ? La connaissance transcendantalement comprise à partir de l’étendue, c’est-à-dire précisément de la spatialité originelle de l’extériorité pure comme telle, se trouve immédiatement atteinte dans sa prétention à l’universalité. 48
Encore la nature de cette manifestation doit-elle être comprise, car c’est d’elle qu’il s’agit ici, non d’une pluralité de phénomènes déterminés. 48
La manifestation effective qui sert de substrat à la critique du rationalisme est constituée par les « phénomènes de l’âme » considérés, non dans leur particularité ou dans leur multiplicité, mais précisément dans leur manifestation pure identique à l’âme elle-même. 48
Ainsi se fait jour la thèse selon laquelle l’affectivité ne consiste pas en un ensemble de modifications ou de qualités subjectives, par elles-mêmes opaques, irrationnelles, inexprimables, incapables de se dépasser vers une signification ni de l’atteindre, privées de « sens » par conséquent, et dont le lien avec nos représentations ne saurait être dès lors qu’un lien externe, contingent, susceptible de donner lieu à des phénomènes d’association, de transfert, de sublimation, etc., 54
L’essentiel, l’essence psychologique, est constituée par l’intentionnalité ou, pour parler le langage plus rigoureux de l’ontologie, la transcendance est le fondement de tous les phénomènes psychiques et les détermine tous également, y compris les phénomènes affectifs. 54
C’est le contraire qui est vrai : l’affectivité est le fondement universel de tous les phénomènes et les détermine tous originairement et essentiellement comme affectifs. 54
L’affectivité des phénomènes réside dans l’auto-affection de la transcendance qui déploie l’horizon. 54
Le fait même cependant que cette différence entre les éléments fondamentaux de l’affectivité et la sensation proprement dite constitue un problème, que pour y répondre la psychologie positive soit contrainte de recourir à des critères extérieurs à la région d’être à laquelle ces phénomènes appartiennent pour considérer la disposition des organes auxquels ils sont référés, chercher par exemple s’il existe des terminaisons nerveuses algiques spécifiques, s’il en est de même dans le cas du plaisir, sur quelle organisation physiologique reposent les sensations internes, si le partage dans la sensibilité normale entre l’agréable et le désagréable tient à cette organisation elle-même ou seulement à ses modalités fonctionnelles, atteste l’homogénéité première de toutes ces impressions, leur indissociabilité sur le plan phénoménologique de ce qui fait chaque fois leur être-affectif. 56
La philosophie est l’intuition éidétique de la structure ontologique de la réalité, comme telle elle prescrit à tous les phénomènes, et par exemple à la sensation, les caractères essentiels qui leur appartiennent de toute nécessité pour autant qu’ils doivent et peuvent être des phénomènes réels. 56
Que l’affectivité constitue, non un contenu de l’expérience, mais sa forme, la forme de toute expérience possible en général, la phénoménalité elle-même comme condition de tous les phénomènes, cela signifie précisément : l’affectivité n’est pas un phénomène, quelque chose qui se manifeste, elle est la manifestation elle-même et son essence. 59
L’affectivité est le fondement en tant que, comme fondement de l’affection, elle rend possible et fonde tout ce qui nous affecte et se manifeste, tous les phénomènes. 59
La possibilité ontologique des phénomènes doit cependant être pensée pour elle-même, le fondement est fondement en lui-même en tant qu’il se révèle lui-même tel qu’il est. 59
Parce que celle-ci, l’unité de toutes nos tonalités, doit être cherchée dans ce qui fait leur réalité et la fonde chaque fois dans sa spécificité, elle ne leur est pas extérieure, n’est pas l’unité problématique d’une substance étrangère aux phénomènes qu’elle fonde et dont elle est chargée précisément de réaliser l’unité. 62
L’unité de tous nos sentiments réside dans leur phénoménalité même, non pas toutefois dans la transcendance d’un milieu qui les dépasse et dans lequel ils se manifesteraient comme dans un monde, comme des phénomènes extérieurs. 62
En ceci précisément l’unité de nos sentiments diffère de celle de tous les autres phénomènes : fondée sur ce qui fonde chaque fois leur réalité, à savoir leur autorévélation à eux-mêmes, consubstantielle à cette révélation intérieure qui les constitue, l’unité de tous nos sentiments habite en eux et leur est intérieure comme cette révélation même. 62
Que la vie émotionnelle et affective ait ses fondements propres, cela veut dire qu’elle n’est pas une simple accumulation de phénomènes naturels, contingents et aveugles, et ne peut y être réduite, mais constitue au contraire un mode d’expérience authentique et déterminé, lequel consiste précisément dans cet ensemble d’actes et de fonctions éidétiquement définies et nous mettant en rapport avec des objets spécifiques, liés à ces actes par des corrélations rigoureuses, obéissant elles-mêmes à des structures définies. 64
Sur le plan de la vie déjà, le sentiment vital nous révèle des valeurs afférentes aux processus vitaux qui s’accomplissent en nous ou hors de nous, des valeurs vitales telles que l’avantageux, le nuisible, le dangereux, avant même que soient donnés les phénomènes qu’elles concernent, « de telle sorte qu’il nous est possible de provoquer ou d’empêcher leur apparition ». 64
Scheler ne pressent la détermination ontologique structurelle de l’essence de l’affectivité comme constituée par l’exclusion hors d’elle de toute transcendance que pour laisser déchoir cette essence et tous les phénomènes qu’elle fonde sur le plan des déterminations ontiques. 64
Parce que les sentiments sont des états, parce qu’ils sont étrangers à l’élément pur de la phénoménalité et ne portent pas en eux-mêmes, dans leur affectivité, comme identique à celle-ci, comme identique à leur être, le pouvoir de révéler, leur propre révélation, la promotion de nos sentiments dans la condition de phénomènes n’est pas leur fait et ne s’accomplit pas en eux, ne trouve en eux ni son fondement ni son effectivité, est le fait d’un pouvoir étranger et s’accomplit en lui, est le fait du pouvoir qui est compris comme celui d’accomplir la révélation, du pouvoir de la perception et de la transcendance elle-même. 64
La distinction instituée par Scheler entre les états affectifs et les perceptions affectives est précisément une distinction entre l’affectivité par elle-même incapable d’accomplir la révélation et réduite ainsi au rang d’état, de simple contenu empirique ou ontique, et, d’autre part, l’élément ontologique de la manifestation pure identifié à la structure intentionnelle de la perception : « les états-affectifs et les perceptions affectives sont donc des réalités fondamentalement distinctes ; les uns appartiennent au domaine des contenus et des phénomènes, les autres aux fonctions chargées de saisir ces contenus et phénomènes ». 64
De cette lacune, à vrai dire essentielle, de la philosophie de l’affectivité présentée dans Sein und Zeit, Heidegger a eu le pressentiment : « l’interprétation temporelle de la Befindlichkeit ne peut vouloir déduire les Stimmungen de la temporalité ni les dissoudre en purs phénomènes de temporalisation. 65
Sur quoi se fonde cependant la correspondance du comprendre et de la Stimmung dans l’Erschlossenheit ? Pourquoi la transcendance se réalise-t-elle nécessairement sous une forme affective ? L’impossibilité de laisser le caractère affectif de la transcendance subsister simplement à côté d’elle, comme une détermination non fondée et comme une présupposition gratuite, explique pourquoi, très vite, un effort se fait jour, en dépit de l’affirmation de l’irréductibilité des Stimmungen à de purs phénomènes de temporalisation, pour fonder au contraire celles-ci, non pas seulement à vrai dire leur signification existentielle, mais précisément leur affectivité, sur l’être même du comprendre qu’elles déterminent chaque fois, sur la structure ekstatique de la temporalité. 65
De telles explications ne demeurent pas seulement transcendantes à l’ordre des phénomènes qu’elles prétendent réduire, elles sont encore illusoires en ceci que jamais la référence à la sensibilité ou à l’activité, prises d’ailleurs comme des facultés mal définies, inexplicitées dans leur possibilité et dans leur fondement, ne rendra compte de la tonalité spécifique des déterminations « positives » ou « négatives » : loin de pouvoir fonder la dichotomie de l’affectivité, la genèse la présuppose simplement. 70
La souffrance, dès lors, ne se transforme plus intérieurement, dialectiquement, dans la joie, elle lui est contemporaine, de telle manière que cette contemporanéité n’exprime aucune relation positive véritable, nécessaire, n’est qu’une relation contingente de simultanéité, exprimant le fait que deux phénomènes se déroulant sur des plans d’existence différents, étrangers l’un à l’autre, peuvent précisément être simultanés. 70
Ainsi s’explique, notamment, le rôle décisif dévolu par l’hégélianisme aux grands phénomènes de l’action, du langage. 74
Dans la succession objective des phénomènes qu’il nous présente, quelque chose n’a pas trouvé place qui touche pourtant à l’essence. 75