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Hani: Le sacrifice
sexta-feira 11 de julho de 2014, por
Les sacrifices rentrent dans la catégorie plus générale des rites sacrés. Parmi ceux-ci, il faut distinguer les rites fondamentaux et les rites auxiliaires. Les premiers sont ceux qui introduisent l’homme dans le domaine du sacré : tous les rites d’agrégation à une communauté traditionnelle, par exemple le baptême chrétien, les différentes initiations et les rites funéraires. Les seconds sont les prières et, précisément, les rites d’offrande et les rites sacrificiels : on les appelle « auxiliaires », mais cela ne doit pas dissimuler leur importance, mieux : leur nécessité. Car les rites d’agrégation, par exemple, n’introduisent l’homme dans le sacré que d’une façon virtuelle : l’homme ne peut s’assimiler effectivement le sacré que par ces pratiques, accompagnant tout le cours de son existence, que sont les prières et les sacrifices.
La notion de sacrifice est plus étendue que ne pourrait le laisser entendre son acception habituelle, dans laquelle le mot est purement et simplement synonyme d’immolation. Comme l’indique son étymologie, il fait référence de la façon la plus large au sacré ; l’expression latine, pour dire « sacrifier », est rem divinam facere, « accomplir l’acte divin » ; et le mot sacrificium, composé à partir de sacer et de facere, a le même sens : « action sacrée » [1]. Le verbe sacrificare, signifie, non seulement « sacrifier », mais encore « consacrer ». Le terme de sacrifice renvoie donc très exactement à son objet, tel que nous l’énoncions il y a un instant, qui est d’introduire l’être dans le domaine du sacré. La notion d’immolation, qui lui est conjointe, ne vient qu’ensuite.
On peut définir le sacrifice comme l’acte visant au double but de faire un don à Dieu et de sanctifier l’homme qui donne.
Pourquoi un don à Dieu ? C’est un don en retour. En effet, la vie est un don du Créateur, de même que tout ce qui, tels les aliments, sert à entretenir cette vie ; et les êtres conscients et responsables, pour réaliser spirituellement le sens de ce don en se référant à sa qualité symbolique, et, pour en même temps, rendre ce don plus prospère et plus durable, doivent offrir en retour au Créateur une partie de ce qu’il donne. Ainsi s’expliquent certaines formes secondaires de sacrifice, comme les libations à table pratiquées en Grèce ancienne ou dans l’Inde, ou encore la dîme. Dans le premier cas, on ne mange et on ne boit qu’après avoir offert la « part Dieu », selon l’expression médiévale ; dans le second, on abandonne le dixième de ce qu’on possède pour attester par ce geste que, tout ce qu’on a, on le tient de Dieu, et, en même temps, pour garantir la durée de ces biens en empêchant le cercle de la prospérité de se fermer.
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Dans l’état d’innocence, dans le monde de l’Eden, il n’était pas besoin de sacrifier au sens où nous l’entendons. N’étant point soumis à la matière, l’homme pratiquait tout naturellement ce don à Dieu qui est la réponse obligée de la créature au Créateur, un don absolument pur, entièrement spirituel : le don du cour. Dans un élan d’amour parfait, il faisait remise à Dieu de tout le créé et de lui-même. Après la chute, il n’en alla plus de même. L’homme fut précipité du plan supérieur, spirituel, dans le plan physique, matériel, sa faute, sa chute, ayant consisté justement dans la décision de s’approprier égoïstement le créé au lieu d’en faire à Dieu une remise sans réserve.
Les conséquences de cette chute eussent été sans remède, si la Miséricorde divine n’était intervenue pour les pallier. C’est alors que les Envoyés du Ciel - quels qu’ils aient été, ce n’est pas le lieu d’en discuter ici - donnèrent à l’homme le sacrifice voulu par Dieu, réglé par Dieu, comme moyen de réparer, en partie, les suites de la catastrophe spirituelle.
Le but du sacrifice est de remettre l’homme au niveau d’où il est tombé, de le replacer sur le plan spirituel. Pour y atteindre, il est nécessaire d’opérer un transfert. Expliquons-nous. D’une certaine manière, la seule façon de réparer la faute et ses conséquences était, pour l’homme, la mort, parce que la mort l’arrache, précisément, au monde physique et matériel, et nous lisons bien, d’ailleurs, dans la Genèse que Dieu décida que l’homme, devenu pêcheur, mourrait. Il ne devait pas mourir, pourtant, tout de suite, l’humanité ne devait pas être anéantie, anéantissant du même coup le plan de la création. L’homme devait vivre un certain temps, hors de l’état paradisiaque, dans l’état déchu et métérialisé. Le sacrifice fut le moyen d’opérer symboliquement et rituellement une « mort » au monde matériel et un transfert dans le monde spirituel primitif. D’une certaine façon, tout sacrifice est, fondamentalement, un sacrifice humain, comme le montre le rite de la semikha déjà évoqué et dont nous allons reparler bientôt. Le sacrifice humain réalisé physiquement est une déviation aberrante et monstrueuse, bien sûr, chez des peuples dégénérés d’une façon ou d’une autre : mais c’est la déviation d’une idée, mieux : d’une nécessité profonde, mais comprise de façon grossière. Dans le sacrifice normalement conçu, le transfert de l’homme dans le monde spirituel, s’est fait par un intermédiaire et une substitution. L’homme est transféré par un autre être physique ou un objet physique qui lui est substitué, et qui est lui-même transféré par le rite dans le plan spirituel. Le mécanisme est le suivant : l’être ou l’objet est offert à la divinité et, ainsi, il devient sacré par le rite qui l’intègre au domaine du sacré ; et, du même coup, étant identifié, par la substitution, à l’homme qui l’offre, il intègre cet homme dans ce domaine. L’être ou l’objet sacrifié devient le médiateur entre l’ici-bas et l’En-Haut.
Nous avons parlé d’objet offert. En effet, ce n’est pas seulement un être vivant qui peut être substitué à l’homme : ce peut être un végétal, des fleurs, par exemple, un aliment, le pain, le vin, ou même un objet fabriqué. Ainsi, par exemple, dans l’ancienne Egypte, le rituel quotidien comportait une double offrande : celle de l’Oeil d’Horus, un symbole solaire, et celle de Maât. Maât est l’entité qui représente Justice et Vérité et, d’une façon plus générale, l’énergie divine [2]. Le prêtre présentait dans le sanctuaire une statuette de Maât : par l’offrande de cette statuette, l’âme de l’homme rejoignait la divinité dans l’univers spirituel.
Mais la plupart du temps, c’est l’animal qui fut substitué à l’homme dans le sacrifice, parce que l’animal est un être proche de l’homme, du moins l’animal supérieur, et c’est lui qu’on a le plus souvent choisi pour le sacrifice. Le sacrifice sanglant a été le sacrifice par excellence. Nous comprenons mal, aujourd’hui que ces immolations ont cessé à peu près partout, la raison pour laquelle le sacrifice sanglant fut nécessaire, en particulier pour l’expiation du péché. C’est là, pourtant, une question importante, car le sacrifice sanglant expiatoire le plus spectaculaire, si nous osons dire, fut celui du Christ, et qu’il s’agit d’en comprendre le pourquoi.
Le sacrifice sanglant est comme une mort volontaire : par l’intermédiaire de l’animal immolé, l’homme « meurt » volontairement au monde phénoménal et matérialisé et, par cet acte, est, au moins virtuellement, restitué à l’univers spirituel, d’après le processus décrit plus haut. L’animal, sacralisé par le rite de l’offrande, servait en quelque sorte à greffer l’homme sur la divinité. C’est pourquoi, dans certains cas, l’offrant revêtait la dépouille de l’animal sacrifié : en l’endossant, l’homme renaissait sous forme d’un être surnaturalisé [3]. C’est à la lumière de cette coutume que prend tout son sens et toute sa force, la formule de saint Paul parlant de « revêtir le Seigneur Jésus-Christ » (Rom. 13, 14).
On voit, dès lors, la nécessité de l’immolation. Cela, pour réfuter les assertions de certains auteurs qui ont prétendu que la mort de l’animal, quoique nécessaire, n’était pas chose essentielle. D’autres, toujours dans le même sens, ont prétendu qu’il n’y avait pas toujours immolation dans le sacrifice, et ils citent le cas des offrandes d’aliments, de fleurs, des libations de vin, etc. Ce qui renforcerait, selon eux, la thèse précédente. Mais, en réalité, ce n’est pas exact, car c’est oublier que le pain est déjà le résultat de l’immolation, par l’homme, du blé, battu, moulu et « brûlé » par la cuisson ; quant au vin, il n’existerait pas sans la « passion », comme on a dit, de la grappe, foulée, triturée et transformée par la fermentation ; le tout, d’ailleurs, devant finalement « mourir » une deuxième fois en étant mangé après l’offrande, par la divinité, c’est-à-dire le prêtre, ou par l’offrant. Il n’en va pas autrement pour l’oblation de l’encens, qui est brûlé, ou de la fleur. La fleur splendide est coupée et meurt pour être offerte ; elle témoigne par là, tout à la fois, de sa beauté, reflet de la Beauté divine, et de son néant vis-à-vis du Beau absolu ; sa mort dans l’offrande atteste la suprématie de l’Essence.
Pour en revenir au sacrifice sanglant, il faut encore considérer une chose qui a une grande importance pour expliquer ce type d’oblation. C’est que, pour toutes les traditions ou à peu près, le sang est comme le véhicule du principe vital, de l’âme vivante ; c’est ce qu’affirme particulièrement la Bible (Deuter 12, 23 ; Lev. 17, 10-11) ; il est le milieu où les éléments psychiques se lient à la modalité corporelle. Lorsqu’on mangeait la viande de la victime ou qu’on en buvait le sang, on absorbait et assimilait par là même sa force vitale, mais, ce qui est essentiel, une force vitale qui était consacrée et qui, par conséquent, véhiculait l’énergie du dieu. La même considération explique encore les rites de purification et les rites d’alliance. Nous avons signalé plus haut des exemples des premiers. Quant aux seconds, ils tiennent une place capitale dans l’Ancien Testament. L’« alliance » entre Dieu et son peuple est scellée par un « pacte de sang » (Ex. 24, 8 ; Zach. 9, 11). La victime offerte, immolée et acceptée par Dieu, scelle l’alliance d’après le processus suivant : l’animal représente le peuple, son sang, la vie de ce peuple ; l’animal est offert, consacré et par là « passe » dans le monde divin ; son sang se charge de l’énergie divine ; Dieu, alors, renvoie au peuple l’offrande porteuse de sa bénédiction, c’est-à-dire de l’adoption du peuple avec toutes les conséquences bénéfiques de cet acte. On mesurera toute l’importance de ce schéma sacrificiel de l’alliance lorsque nous verrons qu’il constitue, à un niveau supérieur, le mécanisme du sacrifice christique lui-même, celui de la Nouvelle Alliance.
Nous avons fait allusion plus haut au rite de la manducation de l’offrande, ce qui nous amène à insister un peu sur les repas rituels, les repas de communion, qui accompagnent bon nombre de types de sacrifice. Le repas, le banquet sacré, a pris tellement d’importance dans les différents cultes, que la plupart des savants modernes ont voulu y voir l’origine de tous les sacrifices ; c’est certainement une erreur, mais qui ne doit pas nous cacher, néanmoins, le rôle capital du banquet sacré.
Son usage s’est particulièrement développé dans la Grèce ancienne. Le cas le plus caractéristique peut-être, est celui des prytanes à Athènes. Les prytanes, représentants des tribus, formaient un corps chargé d’organiser les délibérations du Sénat et qui jouissait d’un grand prestige. Logés au Prytanée ou à la Tholos, ils prenaient là leur repas près de l’autel d’Hestia qui était le foyer de l’Etat grec ; ce repas revêtait, du fait même, un caractère sacré. Les prytanes portaient la couronne, symbole sacré que ceignaient aussi les prêtres pour les sacrifices, et leurs personnes étaient considérées elles-mêmes comme sacrées, au moins momentanément, pendant ce repas. Les prytanes, en effet, mangeaient là au nom de la cité, et ce repas établissait un contact entre le groupe humain et l’univers surnaturel, concentré dans le foyer d’Hestia, lequel pourvoyait de mana la communauté.
On connaît, par ailleurs, à Athènes, quantité d’autres repas rituels, par exemple ceux qu’organisaient les tribus à l’occasion des grandes fêtes, comme les Dionysies et les Panathénées, et celui des femmes qui suivait le sacrifice le troisième jour de la fête des Thesmophories. Mais les plus intéressants sont les repas sacrés qui se tenaient dans les thiases, les confréries religieuses réunissant les dévots d’une divinité, parce que ce type de communauté religieuse n’est pas sans analogie avec les communautés chrétiennes primitives qui, en Grèce et à Rome, s’organisèrent un peu sur le même modèle et pratiquaient également un rite analogue sous le nom d’agape. Dans les thiases, le culte comportait, outre les grandes fêtes réparties sur l’année, un sacrifice mensuel suivi d’un repas communautaire, qui prit de plus en plus d’importance au fur et à mesure qu’on approchait de la fin de l’Antiquité.
Ce rite se rencontre dans le culte d’Attis et Firmicus Maternus, qui le pratiqua, après s’être converti au christianisme nous en a parlé et a établi un parallèle entre le repas d’Attis et le repas chrétien [4]. Même chose dans le culte de Mithra, où l’on buvait un mélange de pain, d’eau et de sève de la plante appelée haoma ; et dans le culte d’Isis et Sarapis : dans l’Iseum de Pompei on voit une salle spéciale réservée aux repas des initiés et on a même trouvé là de curieuses invitations à cette sorte de banquets [5].
A vrai dire, le caractère rituel du repas apparaît, au sein des sociétés traditionnelles, même dans les repas ordinaires, car le repas ordinaire incite déjà l’homme à faire remonter ses pensées vers la Divinité. Ici, plus qu’ailleurs peut-être, l’homme apparaît comme celui qui reçoit : il doit recevoir la nourriture pour survivre, et il comprend que cette nourriture lui vient d’un Autre, vers qui monte alors la prière d’action de grâces. « C’est sur Toi, dit le psalmiste, que sont fixés les yeux de tous, Tu leur donnes la nourriture en temps opportun. Tu ouvres la main et rassasies à volonté chaque vivant » (Ps. 144). C’est pourquoi, dans les sociétés normales, tout repas est en quelque façon un rite religieux, dont l’action la plus importante était les libations aux dieux, déjà évoquées tout à l’heure. Le repas grec commençait par une libation à Zeus Sotirios (Sauveur) accompagnée d’une prière et du souhait rituel agathou daimonos, « bonne chance ! ». Dans le repas rituel consécutif à un sacrifice, le processus de sanctification du fidèle est toujours le même, celui que nous avons décrit plus haut : les aliments et les breuvages sont offerts à la divinité et, aussi, incorporés au monde divin ; en retour, la part que l’homme en prend, l’unit au monde divin. L’aliment est donné à Dieu et Dieu fait participer l’homme à ce don, qui le vivifie et, à la limite, le divinise par la participation, d’où l’expression « manger le dieu ». Ce dernier stade est particulièrement connu dans le culte dionysiaque où l’animal, généralement un faon, hypostase de Dionysos, était immolé et, consommé par les bacchants, déclenchait chez eux l’extase produite par l’incorporation du dieu. Il en allait de même du vin, autre hypostase de Dionysos [6].
Le repas communiel était connu des Hébreux, et c’est lui, nous l’avons déjà dit, qui a fourni au Christ les bases de son sacrement : nous aurons à étudier cela en détail et ce sera alors l’occasion de voir ce qu’était le repas de communion dans l’Ancien Testament.
Mais, auparavant, nous devons, pour en finir avec cet exposé général sur le sacrifice, dire un mot de la signification de l’holocauste. Dans ce type de sacrifice, la victime immolée est entièrement consumée par le feu. A l’origine, il s’agit du feu transcendant, le feu du ciel qui tombait sur l’autel à la prière de l’officiant, quand celui-ci avait le pouvoir de le faire descendre, ainsi que nous le voyons dans la Bible, qu’il s’agisse de Noé ou du prophète Elie, par exemple. Par la suite, le feu rituel remplaça le feu céleste : mais, il en était le symbole, et il s’agissait d’un feu qui avait quand même reçu la « bénédiction ».
La signification de l’holocauste est évidente. C’est le sacrifice total, absolu. La victime n’est pas partagée entre la divinité et l’homme : elle est entièrement donnée à la divinité. Le feu divin, qui tombe sur elle, en prend possession et la fumée qui s’en dégage monte vers le ciel où elle emporte, en direction du « tabernacle céleste », l’essence subtile de la victime. L’holocauste symbolise et réalise le don total de l’offrant. Mais il a aussi un sens plus vaste. Il symbolise et préfigure le sacrifice cosmique. C’est, en effet, tout le cosmos qui doit être offert et transféré dans le plan divin.
Cette dimension cosmique appartient aussi, et suréminemment, au sacrifice du Christ et à son mémorial, la Messe. Nous voici, donc, ramenés, une fois encore, à rappeler, l’opération par laquelle Jésus a intégré, récapitulé et porté à leur plénitude, dans son unique sacrifice, tous les types de sacrifice. Mais, cette fois, nous pouvons préciser le sens de cette opération. Nous avons vu comment, dans l’Epître aux Hébreux, saint Paul identifiait le Christ au grand prêtre hébreu, entrant à la Fête de l’Expiation, dans le saint des saints, en y apportant son propre sang pour la rémission des péchés. Un autre fait permettrait de pousser plus loin le parallèle et de montrer combien c’est jusque dans certains détails que l’action du Christ s’inscrit dans les coutumes sacrificielles des Juifs. Lorsque Jésus, après avoir déclaré qu’il était roi, fut livré par Pilate aux soldats romains, ceux-ci lui mirent sur la tête une couronne d’épines et, sur les épaules, un manteau rouge, un manteau de pourpre, pour en faire un roi dérisoire ; car, chez les Romains, comme dans la plupart des peuples de l’antiquité, la pourpre était la couleur des rois. Mais, par une coïncidence qui n’était pas du hasard, ce manteau rouge montrait que Jésus était devenu P« homme de péché », comme dit l’Ecriture. En effet, le rouge, on l’a vu, était le symbole du mal et de la transgression et l’on a dit plus haut que c’était la raison pour laquelle le grand prêtre attachait une longue bande écarlate au bouc émissaire. Qui ne voit, dès lors, l’extraordinaire intersigne que constitue cet épisode chez Pilate : revêtu de cette dérisoire pourpre royale, le Christ apparaît aux yeux des Juifs, non comme un roi, dérisoire, mais comme Hazazel, le Bouc émissaire ; et cette circonstance donne peut-être une résonance particulière à leur cri : « Que son sang retombe sur nous ! »
Du tribunal de Pilate, Jésus marche au Golgotha où le sacrifice se consomme. C’est alors l’holocauste des holocaustes, l’holocauste absolu et transcendant. Le Christ, immole ici son corps mortel, et cette immolation traduit le don intégral de soi à l’Etre suprême, et révèle l’existence du « royaume de Dieu » comme seule vraie réalité. Le Christ est ici, à la fois, la victime sacrifiée et le sacrificateur : la victime, l’offrande, est, suréminemment, transférée, du monde terrestre, physique, au monde surnaturel, elle englobe toutes les victimes et toutes les offrandes matérielles, devenues désormais inutiles. Grand prêtre de son propre sacrifice, le Christ « officie » sur la croix, symbole cosmique, dressée en haut du Golgotha, la montagne cosmique, comme nous le verrons plus en détail à propos de la célébration liturgique : c’est-à-dire que le sacrifice du Calvaire transfère dans le monde divin la totalité du cosmos humain spatio-temporel. Ainsi, la Chute est effacée, pour ainsi dire, le péché et la mort, détruits, la nature entière rachetée, bien que cette transfiguration du monde ne soit pas encore visible pour la plupart des hommes dans leur condition corporelle.
Mais, pour comprendre, dans son ultime profondeur, le sens de ce sacrifice, à la fois expiatoire et transfigurateur, et, d’une façon générale, le sens même et la fonction du sacrifice, il faut en connaître le fondement métaphysique.
Ce fondement, c’est, aussi étonnante que puisse paraître la formule, le sacrifice éternel de Dieu. Le sacrifice de Dieu, c’est la création. La création est, d’une certaine façon, l’humiliation de Dieu par rapport à Son Absolu. Dieu, qui dans Son Absolu, ne Se rapporte à rien hormis à Soi-même, devient un absolu-relatif : posant l’être de créature, Il entre en relation avec lui. Ce fait de Se mettre en relation est le sacrifice de l’Absolu et le sacrifice de l’Amour pour cet « autre » qu’il pose Lui-même comme créé du néant. Par ailleurs, en Dieu, le Fils, qui est dans un de ses aspects, le principe et le tout de la Création, « premier-né de la création », selon l’expression paulinienne, le Fils, en tant que tel, est éminemment le sacrifice de Dieu. Aussi l’Incarnation était-elle inscrite dans la « logique », si l’on peut ainsi parler, du Fils de Dieu, avec pour dessein d’accomplir ce qui doit l’être de toute nécessité : à savoir la réintégration de la Création dans le Créateur. Car le sens même du sacrifice, en tant que rite de la terre montant vers le ciel, c’est de répondre au sacrifice divin dont le mouvement va du ciel à la terre, et de ramener ainsi toutes choses à leur Principe divin. Le Christ a opéré ce retour parce que, Dieu-Homme, Homme archétype, Homme universel [7] : « C’est en Lui que toutes choses ont été créées, au ciel et sur la terre, les choses visibles et les choses invisibles... et toutes choses subsistent en Lui » (Col. 1, 18-19) ; Il rassemble en Lui-même tout le créé dont II peut faire retour au Père-Origine. « Je suis sorti du Père et Je retourne au Père. » Et, par voie de conséquence, cela devient vrai aussi de l’homme individuel, lui aussi miroir et synthèse de la création, microcosme et, par là, seul de toutes les créatures, capable d’offrir également le sacrifice ; et d’en recueillir les fruits : « J’ai prié pour que, là où Je suis, vous soyez vous aussi. » Ces deux paroles du Christ définissent ce qu’on peu appeler le trajet théanthropique, dans le Christ d’abord, et dans l’homme ensuite.
Le Saint Sacrifice de la Messe n’a d’autre but que de nous faire parcourir ce trajet, comme le dit l’oraison suivante : « Que ces saints mystères, dont la puissante vertu nous purifie, nous mènent plus purs, Seigneur, à celui qui en est le principe. » (Secrète du premier dimanche de l’Avent.)
[1] Le mot grec, thysia, évoque seulement, à l’origine, bien sûr, la « fumée » du sacrifice.
[2] A. Moret, Rituel du culte journalier, p. 148, ss., qui signale que le nom de Maât, participe passif neutre de maâ, signifie à la fois, « ce qui est réel, vrai, juste » et « ce qui est offert ».
[3] Par exemple, dans le dionysisme ou dans le rite égyptien appelé tikenou cf. A Moret, Mysteres égyptiens, Paris, 1923, p. 41 ss.
[4] F. Maternus, De errore prof, relig., 18, 1.
[5] En voici une : « Chaerèmon te prie à manger à la table du Seigneur Sarapis, dans le Sarapieion, demain, le 15, à 9 h. » Cf. Harv. Theolog. Rev. 41, (1948) 9, 29.
[6] Cf. Euripide, Bacchantes, 284.
[7] Cf. N. Cabasilas : « C’est en vue de l’homme nouveau que Dieu, dès l’origine, créa la nature humaine (...). Le Christ a été l’archétype de notre création (...). Le Sauveur a réalisé, seul et le premier, l’Homme véritable et parfait (De vita in Christo, 680). »