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HB: Mort

sábado 3 de fevereiro de 2024

  

Dans chaque cas, le Père-Dragon reste un Plérome, pas plus diminué par ce qu’il exhale qu’accru par ce qu’il inhale. Il est la Mort dont dépend notre vie (NA: Shatapatha Brâhmana, X, 5, 2, 13.); à la question : "La Mort est-elle une ou multiple ?" la réponse est "Un en tant qu’il est là-bas, mais multiple en tant qu’il est ici, dans ses enfants (NA: Shatapatha Brâhmana, X, 5, 2, 16.)". Le Tueur de Dragon est notre ami ; le Dragon doit être pacifié et rendu ami (NA: Sur l’"amitié à susciter" entre le Varunya Agni et le Soma qui, autrement, pourraient détruire le sacrificateur, voir Aitarêya Brâhmana, III, 4 et Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), V, 1, 5, 6 et VI, 1, 11.). 17 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Le Mythe

La passion est à la fois un épuisement et un démembrement. Le Serpent sans fin, qui demeurait invincible tant qu’il était l’Abondance une (NA: Taittirîya Aranyaka, V, 1, 3 ; Maitri Upanishad  , 11, 6 (a).), est disjoint et démembré comme un arbre que l’on abat et que l’on coupe en rondins (NA: Rig Vêda Samhitâ, I, 32.). Car le Dragon, comme nous allons le voir maintenant, est aussi l’Arbre du Monde, et il y a là une allusion au "bois" dont est fait le monde par le Charpentier (NA: Rig Vêda Samhitâ, X, 31, 7 ; X, 81, 4 ; Taittirîya Brâhmana, 11, 8, 9, 6 ; cf. Rig Vêda Samhitâ, X, 89, 7 ; Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), VI, 4, 7, 3.). Le Feu de la Vie et l’Eau de la Vie (Agni et Soma, le Sec et l’Humide), tous les Dieux, tous les êtres, les sciences et les biens, sont dans l’étreinte du Python, qui, en tant que "Constricteur" (namuchi), ne les relâchera pas tant qu’il ne sera pas frappé et réduit à s’entrouvrir et à palpiter (NA: Rig Vêda Samhitâ, 1, 54, 5, chvasanasya... chushnasya ; V, 29, 4, chvasantam dânavam ; Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), II, 5, 2, 4, janjabhyamânâd agnîshomau nirakrâmatâm ; cf. Shatapatha Brâhmana, I, 6, 3, 13-15.). De ce Grand Être, comme d’un feu abattu et fumant, sont exhalés les Écritures, le Sacrifice, les mondes et tous les êtres (NA: Brihadâranyaka Upanishad, IV, 5, 11, mahato bhûtasya... êtânî sarvâni nihshvasitâni ; Maitri Upanishad  , VI, 32, etc. "Car toutes choses sont issues d’un seul être" (B?hme, Sig. Rer., XIV, 74). Également dans Rig Vêda Samhitâ, X, 90.), le laissant épuisé de ce qu’il contenait et semblable à une dépouille vide (NA: Shatapatha Brâhmana, 1, 6, 3, 1.5, 16.). Il en est de même de l’Ancêtre quand il a émané ses enfants, il est vidé de ses possibilités de manifestation, et tombe relaxé (NA: "Il est dépourvu d’attaches, vyasransata, c’est-à-dire non lié, ou disjoint, de telle sorte que, ayant été sans jointures, il est articulé, ayant été un, il est divisé et vaincu, comme Makha (Taittirîya Aranyaka, 1, 3) et Vritra (originellement sans jointures, Rig Vêda Samhitâ, IV, 19, 3, mais désunis, I, 32, 7). Pour la "chute" et la restauration de Prajâpati, voir Shatapatha Brâhmana, I, 6, 3, 35 et passim ; Panchavimsha Brâhmana, IV, 10, 1 et passim ; Taittirîya Brâhmana, 1, 2, 6, 1 ; Aitarêya Aranyaka, III, 2, 6, etc. C’est par référence à sa "division" que, dans Katha Upanishad  , V, 4, la déité (dêhin) immanente est dite "dépourvue d’attaches" (visransamâna) ; car il est un en soi-même, mais multiple en tant qu’il est dans ses enfants (Shatapatha Brâhmana, X, 5, 2, 16), à partir desquels il ne peut pas facilement se réunir (voir note 21).), vaincu par la Mort (NA: Shatapatha Brâhmana, X, 4, 4, 1.), bien qu’il doive survivre à cette épreuve (NA: Panchavimsha Brâhmana, VI, 5, 1 (Prajâpati) ; cf. Shatapatha Brâhmana, IV, 4, 3, 4 (Vritra).). Les positions sont alors renversées , car le Dragon igné ne sera pas détruit et ne peut l’être, mais entrera dans le Héros, à la question duquel : "Quoi donc, me consumerais-tu?" il répond : "Je vais plutôt t’attiser (éveiller, raviver), afin que tu puisses manger (NA: Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), II, 4, 12, 6. La nourriture est, d’une façon tout à fait littérale, consumée par le Feu digestif. Ainsi, quand on annonce un repas rituel, on dit : "Allume le Feu"... ou "Viens au festin", en manière de benedicite. Chose digne de remarque, tandis que l’on désigne habituellement le Soleil ou l’Indra solaire comme le "Personnage dans l??il droit", on peut tout aussi bien dire que c’est Chushna (le Consumeur) qui est frappé et qui, lorsqu’il tombe, entre dans l??il comme dans sa pupille, ou que Vritra devient l??il droit (Shatapatha Brâhmana, III, 1, 3, 11, 18). C’est une des nombreuses modalités par lesquelles "Indra est maintenant ce que Vritra était".)." L’Ancêtre, dont les enfants sont comme des pierres dormantes et inanimées, se dit : "Entrons en eux pour les éveiller" ; mais, tant qu’il est un, il ne peut le faire, c’est pourquoi il se divise en pouvoirs de perception et de «consommation», et il étend ces pouvoirs depuis sa retraite secrète dans la caverne du coeur jusqu’à leurs objets, à travers les portes des sens, en pensant : "Mangeons ces objets". Ainsi "nos" corps sont mis en possession de la conscience, l’Ancêtre étant leur moteur (NA: Maitri Upanishad, II, 6 ; cf. Shatapatha Brâhmana, III, 9, 1, 2 et Jaiminîya Upanishad Brâhmana, I, 46, 1-2. "Celui qui meut", comme dans Paradiso, I, 116. Questi nef   cor mortali è permotore. Cf. Platon  , Lois, 898 C.). Et, du fait que ce sont les Dieux Multiples ou les Mesures Multiples du Feu dans lesquels il s’est ainsi divisé, qui constituent "nos" énergies et "nos" pouvoirs, on peut dire de la même façon que «les Dieux sont entrés dans l’homme, qu’ils ont fait d’un mortel leur demeure (NA: Atharva Vêda Samhitâ, XI, 8, 18 ; cf. Shatapatha Brâhmana, II, 3, 2, 3 ; Jaiminîya Upanishad Brâhmana, I, 14, 2, mayy êtâs sarvâ dêvatâh. Cf. Kaushîtaki Brâhmana, VII, 4 imê purushê dêvatâh; Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), V I, 1, 4, 5, prânâ vai dêvâ... têshu paroksham juhoti ("Les Dieux dans cet homme... Ils sont les Souffles... en eux il sacrifie en mode transcendant").)". Sa nature passible est devenue maintenant la "nôtre", et, à partir de cet état, il ne peut pas aisément se rassembler ou se restituer lui-même, dans sa pleine et entière unité (NA: Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), V, 5, 2, 1. Prajâpatih prajâ srishtwâ prênânu pravishat, tâbhyâm punar sambhavitum nâshaknot ; Shatapatha Brâhmana, I, 6, 3, 36, sa visrastaih parvabhih na shashâka samhâtum.). 18 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Le Mythe

On a déjà pu se rendre compte que théologie et autologie sont une seule et même science, et que la seule réponse possible à la question : "Qui suis-je ?» est : "Tu es Cela (NA: Shankhâyana Aranyaka, XIII ; Chândogya Upanishad, VI, 8, 7.)". Car, de même qu’il en est deux en Lui, l’Amour et la Mort, de même, toutes les traditions l’affirment de façon unanime, il en est deux en nous ; non pas toutefois deux de Lui ou deux en nous ; ni même un de Lui et un de nous, mais seulement un de l’un et de l’autre. Au point où nous sommes, situés entre le premier commencement et la fin dernière, nous sommes divisés contre nous-mêmes. L’essence est séparée de la nature. C’est pourquoi nous Le voyons, Lui aussi, divisé contre Lui-même et séparé de nous. Nous illustrerons cela à l’aide de deux images. Dans la première il y a deux oiseaux associés, l’Oiseau-Soleil et l’Oiseau-Ame, perchés sur l’Arbre de Vie ; l’un voit tout, l’autre mange des fruits de l’Arbre (NA: Rig Vêda Samhitâ, 1, 164, 20.). Pour Celui qui comprend, ces deux oiseaux sont un (NA: Rig Vêda Samhitâ, X, 114, 5.); l’iconographie les représente, soit sous la forme d’un oiseau à deux têtes, soit sous la forme de deux oiseaux aux cous entrelacés. Mais, de notre point de vue, il y a une grande différence entre la vie de celui qui regarde et la vie de ceux qui participent à l’action. Le premier est sans entraves ; le second, écrasé par la nécessité de manger et de nicher, souffre de son manque de seigneurie (anîsha), jusqu’à ce qu’il aperçoive son Seigneur (îsha), et reconnaisse en Lui et dans Sa majesté son propre Soi, dont les ailes n’ont jamais été rognées (NA: Mund. Up.  , III, 1, 1-3.). 33 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Théologie et Autologie

Ce n’est pas seulement notre nature passible qui est engagée, mais aussi la Sienne. Dans cette compatibilité de nature, Il sympathise avec nos misères et nos délices, et Il est soumis aux conséquences des choses autant que "nous". Il ne choisit pas le sein où il va naître ; Il accède à des naissances qui peuvent être élevées ou médiocres (sadasat) (NA: Maitri Upanishad, III, 2 ; Bhagavad Gîtâ, XIII, 21. Paradiso, VIII, 127, non distingue l’un dall’ altro ostello.), où sa nature mortelle goûte le fruit (bhoktri) du bien comme du mal, de la vérité comme de l’erreur (NA: Maitri Upanishad, II, 6, VI, 11, 8.). Dire qu’"Il est seul voyant, oyant, pensant, connaissant et fructifiant (NA: Aitarêya Aranyaka, III, 2, 4 ; Brihadâranyaka Upanishad, III, 8, 11, IV, 5, 15.)" en nous, dire que "quiconque voit, voit par Sa lumière (NA: Jaiminîya Upanishad Brâhmana, I, 28, 8 et semblablement pour les autres facultés de l’âme.)", car Il est dans tous les êtres Celui qui regarde, c’est dire que "le Seigneur est le seul qui transmigre (NA: Shankarâchârya, Sur les Brahma-Sûtras   I, 1, 5, Satyam, nêshwarâd anyah samsârî : cette affirmation très importante est largement appuyée par les textes primitifs e. g. Rig Vêda Samhitâ, VIII, 43, 9, X, 72, 9 ; Atharva Vêda Samhitâ, X, 8, 13; Brihadâranyaka Upanishad, III, 7, 23, III, 8 11, IV, 3, 37, 38 ; Shwêt. Up., II, 16, IV, 11 ; Maitri Upanishad, V, 2. Il n’y a pas d’essence individuelle qui transmigre. Cf. Jean, III, 13. "Personne n’est monté au ciel si ce n’est celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’Homme qui est dans le ciel". Le symbole de la chenille dans Brihadâranyaka Upanishad, IV, 4, 3, n’implique pas le passage d’un corps à un autre, d’une vie individuelle distincte de l’Esprit Universel, mais d’une "part pour ainsi dire" de cet Esprit enveloppée dans les activités qui occasionnent la prolongation du devenir (Shankarâchârya, Br. Sûtra, II, 3, 43; III, 1, 1). En d’autres termes, la vie est renouvelée par l’Esprit vivant dont la semence est le véhicule, alors que la nature de cette vie est déterminée par les propriétés de la semence elle-même (Brihadâranyaka Upanishad, III, 9, 28; Kaush. Up., III, 3, et également saint Thomas d’Aquin  . Sum. Theol., III, 32, 11). Blake dit de même : "L’homme naît comme un jardin tout planté et semé". Le caractère est tout ce que nous héritons de nos ancêtres ; le Soleil est notre Père réel. De même dans Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 14, 10, M. I., 265/6, et Aristote  , Phys., II, 2. anqrwpos gar anqrwpon genna hlios comme l’ont bien compris saint Thomas d’Aquin, Sum. Theol., I, 115, 3 ad 2 et Dante  , De monarchia, IX. Cf. Saint Bonaventure  , De red. artium ad theologiam, 20. (Les remarques de Wicksteed et Cornford dans la Physique de la L?b Library, p. 126, montrent qu’ils n’ont pas saisi la doctrine).)". Il s’ensuit inévitablement que, par l’acte même où Il nous doue de conscience, "Il s’emprisonne Lui-même comme un oiseau dans le filet", et s’assujettit au mal, à la Mort (NA: Shatapatha Brâhmana, X, 4, 4, 1.), ou semble du moins s’emprisonner et s’assujettir ainsi. 35 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Théologie et Autologie

De là aussi la prière : "Ce que Tu es, puissé-je l’être (NA: Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), I, 5, 7, 6.)", et le sens éternel de la question critique : "De qui sera-ce le départ lorsque je partirai d’ici (NA: Prash. Up  ., VI, 3 ; cf. réponses dans Chândogya Upanishad, III, 14, 4 et Kaush. Up., II, 14.) ?" de moi-même ou du «Soi immortel", du "Conducteur (NA: Chândogya Upanishad, VIII, 12, 1 ; Maitri Upanishad, III, 2 ; VI, 7. Pour le hgemwn Aitarêya Aranyaka, II, 6 et Rig Vêda Samhitâ, V, 50, 1.)". Si l’on a réalisé effectivement les véritables réponses, si l’on a trouvé le Soi et fait tout ce qu’il y avait à faire (kritakritya), sans aucun résidu de potentialité (krityâ), la fin dernière de notre vie est actuellement atteinte (NA: Aitarêya Aranyaka, II, 5 ; Shankhâyana Aranyaka, II, 4 ; Maitri Upanishad, VI, 30 ; cf. Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), I, 8, 3, 1. Kritakritya, "tout en acte" correspond au pali katamkaranîyam dans la "formule Arhat" bien connue.). On ne saurait trop insister sur le fait que la liberté et l’immortalité (NA: Amritattwa, littéralement "immortalité" ; dans toute la mesure où il s’agit d’êtres nés, soit dieux, soit hommes, ce mot n’implique pas une durée sans fin, mais la "totalité de la vie" ; on doit entendre : ne mourant pas prématurément (Shatapatha Brâhmana, V, 4 ; I, 1 ; IX, 5, 1, 10; Panchavimsha Brâhmana, XXII, 12, 2, etc.). Ainsi la totalité de la vie de l’homme (âyus = aeon) est de cent ans (Rig Vêda Samhitâ, I, 89, 9 ; II, 27, 10, etc.) ; celle des Dieux est de "mille ans" (XI, 1, 6, 6, 15) ou de la durée que représente ce chiffre rond (Shatapatha Brâhmana, VIII, 7, 4, 9; X, 2, 1-11, etc.). Dès lors, quand les Dieux, qui, à l’origine, étaient "mortels", obtiennent leur "immortalité" (Rig Vêda Samhitâ, V, 3, 4, et X, 63, 4, ; Shatapatha Brâhmana, XI, 2, 3, 6, etc.), cela ne doit être compris que dans un sens relatif et ne signifie pas autre chose que leur vie, comparée à celle des hommes, est plus longue (Shatapatha Brâhmana, VII, 3, 1, 10, Shankara  . Sur les Br. Sûtra, I, 2, 17 et II, 3, 7, etc.). Dieu seul, comme "non-né" ou "né seulement en apparence" est absolument immortel ; Agni, vishwâyus = pyr aionos, seul "immortel parmi les mortels, Dieu parmi les Dieux" (Rig Vêda Samhitâ, IV, 2, 1 ; Shatapatha Brâhmana, II, 2, 2, 8, etc.). Sa nature intemporelle (akâla) est celle du "maintenant" sans durée, dont nous, qui ne pouvons penser qu’en termes de passé et de futur (bhûtam bhavyam) n’avons et ne pouvons avoir l’expérience. De Lui toutes choses procèdent, et en Lui elles s’unifient (êko bhavanti) à la fin (Aitarêya Aranyaka, II, 3, 8, etc.). En d’autres termes, l’"immortalité" est de trois ordres : la longévité humaine, l’æviternité des Dieux, et l’immortalité sans durée de Dieu (sur l’æviternité, voir saint Thomas d’Aquin., Sum. Theol., I, 10, 5). Les textes hindous eux-mêmes ne permettent aucune confusion : toutes les choses sous le Soleil sont au pouvoir de la Mort (Shatapatha Brâhmana, II, 3, 37, X, 5, 1, 4). Pour autant qu’elle descend dans le monde, la Divinité elle-même est un "Dieu qui meurt" ; il n’y a dans la chair aucune possibilité de ne jamais mourir (Shatapatha Brâhmana, II, 2, 2, 14; X, 4, 3, 9 ; Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 38, 10, etc.) ; la naissance et la mort sont indissolublement liées (Bhagavad Gîtâ, II, 27; Angutara Nikâya, IV, 137 ; Sutta Nipâta, 742). On peut observer que le grec athanasia a des significations analogues ; pour l’"immortalité mortelle", cf. Platon, Banquet  , 207, D-208 B, et Hermès, Lib., XI, I, 4a et Ascl., III, 40 b.) peuvent être, non seulement atteintes, mais encore réalisées ici-même et maintenant aussi bien que dans un quelconque au-delà. Celui qui "est délivré en cette vie" (jîvan mukta) ne "meurt plus" (napunar mriyatê) (NA: Shatapatha Brâhmana, II, 3, 3, 9 ; Brihadâranyaka Upanishad, I, 5, 2, etc. Cf. Luc, 20, 36; Jean, II, 26.). "Celui qui a compris le Soi contemplatif sans âge et sans mort, qui n’a en lui aucun manque et qui ne manque de rien, celui-là ne redoute pas la mort (NA: Atharva Vêda Samhitâ, X, 8, 44; cf. Aitarêya Aranyaka, III, 2, 4.).". Étant déjà mort, il est, comme le çoufi, "un mort qui marche (NA: Mathnawî, VI, 723 f. La parole "Mourez avant que vous ne mouriez" est attribuée à Mohammed  . Cf. Angelus Silesius  , "Stirb ehe du stirbst".)". Un tel homme n’aime plus ni lui-même ni les autres : il est le Soi de lui-même et des autres. La mort à soi-même est la mort aux autres ; et, si le "mort" semble ne pas être égoïste, ce n’est pas pour quelque motif altruiste, mais à titre accidentel, et parce qu’il est littéralement sans ego. Délivré de lui-même et de toutes conditions, de tous devoirs et de tous droits, il est devenu Celui qui se meut à son gré (kâmachârî) (NA: Rig Vêda Samhitâ, IX, 113, 9 ; Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 28, 3 ; Shankhâyana Aranyaka, VII, 22; Brihadâranyaka Upanishad, II, 1, 17, 18, Chândogya Upanishad, VIII, 5, 4 ; VIII, I, 6 (cf. D, I, 72) ; Taitt. Up., III, 10, 5 (de même dans Jean, X, 9).) comme l’Esprit (Vâyu, âtmâ dêvânâm) qui "va où il veut" (yathâ vasham charati) (NA: Rig Vêda Samhitâ, IX, 88, 3 ; X, 168, 4 ; cf. Jean, III, 8 ; Gylfiginning, 18.), n’étant plus, comme le dit saint Paul  , "sous la loi". 37 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Théologie et Autologie

Nous ne pouvons faire qu’une très rapide allusion à un autre aspect très significatif du Sacrifice ; la réconciliation que le Sacrifice établit constamment entre les pouvoirs en conflit est aussi leur mariage. Il y a plus d’une manière de "tuer" le Dragon ; la flèche du Tueur de Dragon (vajra) étant en fait un trait de lumière, et "le pouvoir génésique étant lumière", sa signification n’est pas seulement guerrière mais aussi phallique (NA: Cf. Rig Vêda Samhitâ, I, 32, 5 vajrêna = II, 11, 5, vîryena comme dans Manu, vîryam avasrijat, et dans le sens de Rig Vêda Samhitâ, X, 95, 4, snathitâ vaitasêna. Sur le fier baiser, le Désenchantement par un Baiser, voir W. H. Schofield, Studies on the Libeaus Desconus, 1895, 199 ff., et mon "The Hoathly Bride", Speculum, 20, 1945.). C’est la bataille d’amour, qui est gagnée quand le Dragon "expire". En tant que Dragon, le Soma est identifié à la Lune ; en tant qu’Élixir, la Lune devient la nourriture du Soleil, qui l’avale durant les nuits de leur cohabitation (amâvâsya) : "Ce qui est mangé est nommé du nom du mangeur, et non par son propre nom (NA: Shatapatha Brâhmana, X, 6, 2, 1.)" ; en d’autres termes, qui dit ingestion dit assimilation. Selon les paroles de Maître Eckhart   "là l’âme s’unit à Dieu comme l’aliment à l’homme, devenant ?il dans l??il, oreille dans l’oreille ; ainsi en Dieu l’âme devient Dieu" ; car "je suis ce qui m’absorbe, plutôt que moi-même (NA: Maître Eckhart, Evans, I, 287, 380. Ainsi notre bien le plus grand est d’être dévoré par "Noster Deus ignis consumans". Cf. Speculum, XI, 1936, p. 332, 333, et d’autre part Dante, Paradiso, XXVI, 51, Con quanti denti questo amor ti morde ? Son baiser, qui est à la fois Amour et Mort, nous éveille au devenir ici-bas, et sa morsure d’amour nous éveille à l’être là-haut. Cf. mon "Sun-kiss" dans Journal of the American Oriental Society, 60, 1940.)". Comme le Soleil engloutit l’Aube ou dévore la Lune dans le Monde extérieur et visible, chaque jour et chaque mois, en nous se consomme le mariage divin quand les entités solaire et lunaire de l??il droit et de l??il gauche, Eros et Psyché, la Mort et la Dame, entrent dans la caverne du coeur, s’y unissent comme l’homme et la femme sont unis dans le mariage humain ; c’est là leur "suprême béatitude (NA: Shatapatha Brâhmana, X, 5, 2, 11, 12.)". Dans cette synthèse extatique (samâdhi), le Soi a retrouvé sa condition primordiale, "celle d’un homme et d’une femme étroitement embrassés (NA: Brihadâranyaka Upanishad, 1, 4, 3.)", au-delà de toute conscience d’une distinction entre un dedans et un dehors (NA: Brihadâranyaka Upanishad, IV, 3, 21.). "Tu es Cela". 53 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme La Voie des ?uvres

Alors Mâra, la Mort, le Mal, lui offre l’empire du monde s’il s’en retourne. N’ayant pas réussi à le tenter, l’adversaire suit le Bodhisattwa, en quête d’une autre occasion. Ayant gagné la profondeur des forêts, le Bodhisattwa se défait de son turban royal et coupe ses longs cheveux qui ne conviennent pas à un pèlerin ; ils sont enlevés par les Dieux et enchâssés dans le ciel. Les Dieux lui procurent un vêtement de pèlerin. Il renvoie son écuyer à la cité avec son cheval ; celui-ci meurt, le coeur brisé. 114 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: Le Mythe

La question peut être abordée sous bien des angles différents. En premier lieu, les noms et les épithètes du Bouddha sont suggestifs ; dans les Vêdas, par exemple, les premiers et les plus grands des Angirases sont Agni et Indra (NA: Rig Vêda Samhitâ, 1, 31, 1 (Agni) ; 1, 130, 3 (Indra).), à qui également la désignation d’Arhat est très souvent appliquée. Agni, comme le Bouddha, "s’éveille à l’aube" (usharbudh) : Indra est pressé de rester "l’esprit en éveil" (bodhin-manas (NA: Rig Vêda Samhitâ, V, 75, 5 (afin qu’il puisse dominer Vritra). Bodhinmanas suggère le bodhi-chitta bouddhique. Milinda Panho, 75, assimile buddhi, Bouddha. Dans Rig Vêda Samhitâ, V, 30, 2, naro bubudhânah, et III, 2, 14, etc., ushar-budh sont des anticipations des termes ultérieurs buddhi, buddhimat, buddha.) ), et, lorsqu’il s’est laissé dominer par l’orgueil de sa propre force, il se "réveille" effectivement en recevant les reproches de son alter ego spirituel (NA: Brihad Dêvatâ, VII, 57 sa (Indra), buddhwâ âtmânam. Les récits de Jâtaka mentionnent nombre de naissances antérieures du Bouddha en tant que Sakka (Indra). Dans les Nikâyas, Sakka se comporte comme le protecteur du Bouddha, comme Indra à l’égard d’Agni ; mais c’est le Bouddha lui-même qui l’emporte sur Mâra. Autrement dit, le Bouddha est comparable à cet Agni qui est "à la fois Agni et Indra, brahma et kshatra". Dans Majjhima Nikâya, I, 386, il semble que l’on parle du Bouddha comme d’Indra (purindado sakko) ; mais ailleurs, par exemple Sn. 1069, et quand ses disciples sont appelés "fils du Sakyan", l’on se réfère au clan de Sakya, dont le nom, comme celui d’Indra, contient l’idée d’ "être capable".). Que le Bouddha soit appelé le "Grand Personnage" et l’ "Homme par excellence" (mahâ purusha, nritama) ne signifie nullement qu’il soit un homme, dès lors que ce sont là des épithètes appliquées aux plus grands Dieux dans les premiers livres brahmaniques. Mâyâ n’est pas un nom de femme, mais celui de la Natura naturans, de "notre Mère Nature (NA: Mâyâ, le "moyen" de toute création, divine ou humaine, ou l’"art" maternel par quoi toute chose est faite, est "magique" seulement dans le sens de B?hme, Sex Puncta Mystica, V., 1, f ("La Mère d’éternité, l’état originel de Nature ; la puissance formative dans l’éternelle Sagesse, la puissance d’imagination, la mère dans les trois mondes ; utile aux enfants pour le Royaume de Dieu, aux Sorciers pour le Royaume du Malin ; car l’intelligence peut faire d’elle ce qu’il lui plaît"). Pour Shankara, le plus grand interprète du mâyâvâda, Mâyâ est "la Non-Révélée, la Puissance (Shakti) du Seigneur, l’Inconnaissable avidyâ sans conmmencement, que le sage infère de la considération des possibilités d’existence (kârya = factibilia, ce par quoi tout ce monde en mouvement est appelé à naître... et au moyen de quoi la Servitude et la Délivrance sont l’une et l’autre rendues effectives" (Vivêka-chûdâmani, 108, 569). Dans des textes comme ceux-ci le gérondif avidyâ, synonyme de "Puissance", ne peut signifier simplement "Ignorance", mais plutôt "mystère", ou "opinion", en opposition avec vidyâ, "ce qui peut être connu" : avidyâ est la Potentialité qui ne peut être connue que par ces effets, par tout ce qui est mâyâ-maya. En d’autres termes, Mâyâ est le Théotokos, et la mère de tous les vivants ; Metis (mère d’Athéna) ; Sophia ; Kaushalyâ (mère de Râma) ; Maia (mère d’Hermès, Hésiode, Theog., 938) ; Mâyâ (mère du Bouddha). De qui d’autre le Bouddha pouvait-il naître ? Le fait. que les mères des Bodhisattwas meurent jeunes tient effectivement à ce que, comme le dit Héraclite   (Fr. X), "la Nature aime à se cacher". Mâyâ "s’évanouit" comme s’évanouissait Urvashî, mère d’Âyus (Agni) par les ?uvres de Purûravas, et comme s’évanouissait Saranyû loin de Vivaswân ; Prajâpati, swamûrti, de Mâyâ, prend sa place comme la savarnâ de Saranyù prend la place de celle-ci. L’Avatâra éternel a, en vérité, toujours "deux mères", l’une éternelle et l’autre temporelle, l’une sacerdotale et l’autre royale. Voir aussi mon "Nirmânakâya", JRAS., 1938. Mâyâ étant l’"art" par quoi toutes choses et chaque chose sont faites (nirmita, "mesuré"), et l’"art" ayant été à l’origine une science mystérieuse et magique, elle acquiert son autre sens, son sens péjoratif (par ex. Maitri Upanishad, IV, 2), de la même façon que des mots comme invention, "métier", finesse et adresse, peuvent ne pas désigner seulement les vertus essentielles de l’artifex, mais aussi comporter le sens d’artifice, "industrie", rouerie, astuce et tricherie ; c’est dans le mauvais sens par exemple qu’il est dit que "la conscience est un mirage" (mâyâ viya vinnânam, Visuddhi Magga, 479 ; Samyutta Nikâya, III, 142), tandis que, d’un autre côté, Wycliffe pouvait rendre "prudents comme des serpents" (Matth., X, 16 ; cf. Rig Vêda Samhitâ, VI, 52 ; I, ahimâyâh) par "sournois comme des serpents".)". Or, si nous considérons la vie miraculeuse du Bouddha, nous constatons que presque tous les détails, depuis le libre choix de l’heure et du lieu de la naissance (NA: Cf. Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 28, 4, yadi brâhmana-kulê yadi râja-kulê, comme J., I, 49, khattiya-Kulêvâ brâhmanakulê.) jusqu’à la naissance par le côté elle-même (NA: Rig Vêda Samhitâ, IV, 18, 2 (Indra) pârshwât nirgarnâni ; Buddhacharita, I, 25 (Bouddha) pârshwât sutah. Ainsi Agni (Rig Vêda Samhitâ, VI, 16, 35, garbhê mâtuh... vididyutânah) et le Bouddha (D., II, 13, kucchi-gatam passati) sont tous les deux visibles dans la matrice. On pourrait faire bien d’autres parallèles.), et aux Sept Pas (NA: 11V., X, 8, 4 (Agni) sapta dadhishê padâni, X, 122, 3 (Agni) sapta dhâmâni pariyan ; J., I, 53 (Bodhisattwa), sattapada-vîtihârêna agamâsi.), depuis la Sortie jusqu’au Grand Éveil sur l’autel jonché, au pied de l’Arbre du Monde, au Nombril de la Terre, depuis la défaite des Dragons jusqu’à l’allumage miraculeux du bois pour le sacrifice (NA: Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), II, 5, 8, 3 ; cf. 1 Rois, 18, 38.), peuvent être mis en parallèle exact - et en disant exact c’est bien là ce que nous entendons - avec le mythe védique d’Agni et d’lndra, le prêtre et le roi in divinis. Par exemple, et cette seule indication doit suffire, si le Dragon védique combat à l’aide du feu et de la fumée (NA: Rig Vêda Samhitâ, I, 32, 13.), et aussi à l’aide de femmes en guise d’armes (NA: Rig Vêda Samhitâ, V, 30, 9 ; X, 27, 10.), ainsi fait Mâra, la Mort, à qui les textes bouddhiques se réfèrent encore sous les noms de "Constricteur" (namuchi), "Mal" (Pâpmâ) et Serpent (Sarpa-râjâ) ; si le Tueur védique du Dragon est abandonné par les Dieux et doit compter sur ses seules ressources, le Bodhisattwa est laissé seul, lui aussi, et ne peut faire appel qu’à ses propres facultés (NA: Rig Vêda Samhitâ, VIII, 96, 7 ; Aitarêya Brâhmana, III, 20, etc. Le Bouddha est mârabhibhû, Sutta Nipâta, 571, etc., comme Indra est le conquérant de Vritra-Namuchi ; voir mes "Some Sources of Buddhist Iconography", B. C. Law, vol. 1, p. 471-478, sur le Mâra-dharsana.). En disant cela nous ne voulons pas nier que la défaite de Mâra par le Bouddha soit un symbole de la conquête du Soi, mais seulement montrer que c’est là une histoire très antique, une histoire qui a été racontée partout et toujours ; que, dans sa forme bouddhique, elle n’est pas nouvelle, mais est issue directement de la tradition védique, où la même histoire est rapportée et où elle a la même signification (NA: Cf. Rig Vêda Samhitâ, III, 51, 3 où Indra est abhimâti-han (ailleurs vritra-han, etc.) ; de même dans IX, 65, 15 et passim. Abhimâti (= abhimâna, Maitri Upanishad, VI, 28, i. e. asmi-mâna), la conscience de l’Ego, est d’ores et déjà l’Ennemi, le Dragon à vaincre.). 148 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine

Iddhi (Scr. riddhi, de riddh, prospérer emporwachsen) est la vertu, la force (au sens de Marc, V, 30, dunamiV), l’art (par ex. l’adresse du chasseur, Majjhima Nikâya, 1, 152), le talent ou le don. Les iddhis de Iddhi-pâda, "Pas de Puissance", sont supranormales et non anormales. Nous ne pouvons résoudre ici en détail l’apparente difficulté présentée par le fait que les iddhis sont aussi attribuées à l’Adversaire du Bouddha (Mâra, Namuchi, Ahi-Nâga), et nous indiquerons seulement que la Mort est aussi un être spirituel (dans le sens même où Satan reste un "ange"), et que les "pouvoirs" ne sont pas moraux en eux-mêmes, mais représentent bien plutôt des vertus intellectuelles. Les pouvoirs du Bouddha sont plus grands que ceux de l’Adversaire parce que son rang est plus haut ; il connaît le Brahmaloka aussi bien que les mondes jusqu’au Brahmaloka (i. e. sous le Soleil), tandis que le pouvoir de la "Mort" s’étend seulement jusqu’au Brahmaloka, et non au-delà du Soleil.). Quand le disciple s’est rendu maître de toutes ces stations de contemplation au point de pouvoir passer à volonté de l’une à l’autre et de commander de la même manière à cette paix ou synthèse (samâdhi) vers laquelle elles mènent, alors dans cet état d’unification (êko’ vadhibhâva), l’Arhat délivré est rendu aussitôt omniscient et omnipotent ; le Bouddha, décrivant sa propre conquête, peut évoquer ses "précédentes habitations" (pûrva-nivâsa), ou, comme nous serions enclins à dire, ses "naissances passées", dans leur détail. Décrivant ses pouvoirs, il dit : "Frères, je peux manifester (pratyanubhû) des pouvoirs sans nombre ; étant plusieurs je deviens un, comme, de plusieurs que j’étais, je suis devenu un ; visible ou invisible, je peux passer à travers un mur ou une montagne comme s’ils étaient l’air ; je peux plonger dans la terre ou en émerger comme si c’était l’eau ; je peux marcher sur les eaux comme si elles étaient une terre solide (NA: Consulter sur l’histoire primitive de ce pouvoir, W. N. Brown, Walking on the Water, Chicago, 1928. C’est avant tout le pouvoir de l’Esprit (Genèse, 1, 2). C’est typiquement du Vent (Vâyu) invisible de l’Esprit que la motion à volonté est proclamée (Rig Vêda Samhitâ, X, 168, 4, âtmâ dêvânâm yathâ vasham charati... na rûpam tasmai). Dans Atharva Vêda Samhitâ, X, 7, 38, le Yaksha primordial (Brahma) "arpente" le faîte de la mer ; ainsi fait, par conséquent, le brahmachârî, ibid, XI, 5, 26, car "de même que Brahma peut changer de forme et se mouvoir à son gré, de même, parmi tous les êtres, Celui qui comprend peut changer de forme et se mouvoir à son gré" (ShA., VII, 22) ; "Le Seul Dieu (Indra) se tient à son gré sur le courant des eaux" (Atharva Vêda Samhitâ, III, 3, 4 ; Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), V, 6, 1, 3). "Le mouvement spontané désigne l’essence même de l’Ame" (Phèdre  , 241 Cf.). Il y a là, comme dans toutes les autres formes de lévitation, une question de légèreté et de luminosité (selon les deux acceptions du terme anglais light-ness). Ainsi, dans Samyutta Nikâya, I, 1, le Bouddha dit : "Je ne traversais les flots que lorsque je ne me soutenais pas moi-même et ne faisais aucun effort" (appatittham anâyûham ogham atari) ; c’est-à-dire lorsque j’étais sans poids à la surface de l’eau. Cf. saint Augustin  , Conf., XIII, 4, superferebatur super aquas, non ferebatur ab eis, tanquam in eis requiesceret. Milinda Panho, 84, 85, décrit le pouvoir de voyager dans l’air, "même jusqu’au ciel de Brahma", comme celui de quelqu’un qui sauterait (langhayati) en décidant (chittam uppâdêti) : "C’est là que j’atteindrai", et c’est par celte intention que "son corps devient léger" (kâyo mê lahuko hoti) ;c’est, d’une semblable manière, "par le pouvoir de la pensée" (chitta-vasêna) que l’on se meut dans l’air. La légèreté (laghutwa) se développe par la contemplation (Shwêt. Up., II, 13) ; tous les pouvoirs (iddhi) sont des résultats de la contemplation (jn  âna, cf. note 78) et en dépendent, de sorte que l’on peut demander : "Quel est celui qui ne coule pas au fond du golfe, bien qu’il n’ait ni support ni soutien ?", et, répondre : "Celui qui a la prescience, qui est pleinement intégré (susamâhito), celui-là peut traverser les flots dont le passage est si difficile" (ogham tarati dultaram, Samyutta Nikâya, I, 53, où l’application est d’ordre éthique). Le notion de légèreté est impliquée dans le symbolisme universel des "oiseaux" et des "ailes" (Rig Vêda Samhitâ, VI, 9, 5 ; Panchavimsha Brâhmana, V, 3, 5 ; XIV, 1, 13, XXV, 3, 4, etc.). Réciproquement, pour atteindre le monde informel, on doit avoir rejeté "la charge pesante du corps" (rûpagaru-bhâram, Sdhp., 494), cf. Phèdre, 246 B, 248 D, où c’est "le poids de l’oubli et du mal" qui arrête "le vol de l’âme" ; Saint. Augustin, Conf., XIII, 7, quomodo dicam de pondere cupiditatis in abruptam abyssum et de sublevatione caritatis per spriritum tuum qui superferebatur super aquas ; Dante, Paradiso, XXVII, 64, mortal pondo, et X, 74, chi non s’impenna si che lassu voli. Autrement dit, le pouvoir de lévitation est exercé "par le moyen d’un enveloppement du corps dans le manteau de la contemplation" (jhâna-vêthanêna sarîram, vêthêtwâ, J., V, 126), où ce pouvoir est en même temps un pouvoir d’invisibilité.); je peux me mouvoir dans l’air comme un oiseau ; je peux toucher de mes mains le soleil et la lune : j’ai sur mon corps un pouvoir qui s’étend jusqu’au monde de Brahma (NA: Samyutta Nikâya, V, 25 f., Angutara Nikâya, I, 254, Samyutta Nikâya, Il, 212, NI., 1, 34 et passim : explications, Vis. 393 f.)". Les mêmes pouvoirs sont exercés par les autres adeptes selon leur degré de perfection dans ces mêmes disciplines et selon la mesure où ils sont maîtres du samâdhi. C’est seulement quand la contemplation (dhyâna) vient à faire défaut que le pouvoir de la libre motion se perd (NA: L’échec prosient du manque de "foi", ou de toute distraction dans la contemplation, selon J., 125-127.). C’est une vieille formule brahmanique (NA: Rig Vêda Samhitâ, IX, 86, 44 ; Jaiminîya Brâhmana, II, 34 : Shatapatha Brâhmana, IV, 3, 4, 5 ; Aitarêya Brâhmana, II, 39-41 ; VI, 27-31 ; Katha Upanishad, VI, 17, etc.) qu’emploie le Bouddha quand il dit qu’il a appris à ses disciples à extraire de ce corps matériel un autre corps, de substance intellectuelle, comme on tire une flèche de son carquois, une épée de son fourreau, un serpent de sa dépouille ; c’est à l’aide de ce corps intellectuel que l’on goûte l’omniscience et que l’on se meut à son gré jusqu’au Brahmaloka (NA: Comme Shankara l’explique en connection avec Prash. Up., IV, 5, c’est le mano-maya âtman qui goûte l’omniscience et il peut être où et tel qu’il veut. Ce "soi ou corps intellectuel" (ânno attâ dibbo rûpî manomayo, D., I, 34, cf. I, 77 ; Majjhima Nikâya, II, 17), le Bouddha a enseigné à ses disciples comment l’extraire du corps physique, et c’est manifestement dans cet autre corps, dans ce "corps intellectuel et divin", et non dans sa détermination humaine, non à quelque moment ou dans quelque condition, "soit de mouvement ou de repos, soit de sommeil ou de veille" (charato chu mê litthato cha suttassa cha jagarassa cha), mais "quand il lui plaît" (yâvadê akankhâmi, comme dans le texte relatif aux iddhis) que le Bouddha lui-même peut se rappeler (anussarâmi) ses précédentes naissances, qu’il peut, sans limites, avec "l’?il divin, transcendant à la vision humaine", considérer les naissances et les morts des autres êtres dans ce monde-ci et dans les autres, dans lesquels et au-delà desquels il a vérifié dès ici et dès maintenant la double délivrance (Majjhima Nikâya, I, 482). L’expression "de sommeil ou de veille" prêterait en elle-même à une longue exégèse. On notera que l’ordre des mots relie le mouvement au sommeil et l’immobilité à la veille. Cela signifie que, comme dans tant de textes des Upanishads, le sommeil dont il s’agit, sommeil dans lequel on "rentre en soi-même" (swapiti = svam apîta, Chândogya Upanishad, VI, 8, 1, Shatapatha Brâhmana, X, 5, 2, 14), n’est pas le sommeil d’épuisement, mais le "sommeil de contemplation" (dhyâna) ; c’est précisément dans cet état de sommeil, où les sens sont résorbés, que se situe la possibilité de se mouvoir à son gré (supto... prânân grihîtwâ swê sharîrê yathâ-kâmam parivartatê, Brihadâranyaka Upanishad, II, 1, 17) ; c’est dans ce sommeil de contemplation que, "terrassant ce qui est physique, l’Oiseau-Soleil, l’Immortel, va où il veut" (dhyâyatîva... svapno bhütwâ... sharîram abhiprahatya... îyatê’mrito yatra kâmam, Brihadâranyaka Upanishad, IV, 3, 7, 11, 12).). 150 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine