Página inicial > Antiguidade > Neoplatonismo (245-529 dC) > Plotino (séc. III) > Bréhier - Plotin > Bréhier-Plotin: malheur

Bréhier-Plotin: malheur

quinta-feira 1º de fevereiro de 2024, por Cardoso de Castro

  

Nous examinerons plus tard comment pâtit le corps organisé ; cherchons maintenant comment pâtit le composé de l’âme et du corps, et, par exemple, comment il souffre. Est-ce parce qu’il y a telle disposition du corps, puis que cette affection s’est transmise aux sens, enfin que la sensation aboutit à l’âme ? — Mais on ne voit pas encore bien comment naît la sensation. Ensuite, il y a des cas où la peine commence par une opinion ou un jugement énonçant qu’un malheur nous arrive à nousmêmes ou à quelqu’un de nos proches ; de là, vient la modification pénible qui s’étend au corps et à l’animal entier. — Mais on ne sait pas si c’est à l’âme ou au composé qu’il faut attribuer cette opinion. De plus, une opinion sur le mal ne renferme point l’émotion de la peine ; cette opinion peut exister, sans que la peine s’y ajoute du tout ; on peut aussi juger qu’on est méprisé, sans ressentir de colère, ou l’on peut penser à un bien, sans être ému de désir. ENNÉADES - Bréhier: I, 1 [53] - Qu’est-ce que l’animal ? Qu’est-ce que l’homme ? 5

Et ses souffrances personnelles ? - Lorsqu’elles sont violentes, il les supportera tant qu’il pourra ; lorsqu’elles dépassent la mesure, elles l’emporteront. Il n’excitera pas la pitié par ses souffrances ; la flamme qui est en lui brille comme la lumière de la lanterne dans les tourbillons violents des vents et dans la tempête. - Et s’il perd conscience ? Et si la douleur se prolonge sans être pourtant assez forte pour l’anéantir ? - Si elle se prolonge, il décidera ce qu’il doit faire ; car son libre arbitre ne lui est pas enlevé. Il faut savoir que le sage n’envisage pas ces impressions de la même manière que les autres ; elles ne pénètrent pas dans l’intimité de lui-même ; et cela est aussi vrai des autres impressions que des douleurs, de ses propres souffrances ou des souffrances d’autrui ; car ce serait faiblesse d’âme. La preuve ? C’est un avantage, pensonsnous, de ne pas voir ces malheurs ; c’est un avantage, s’ils arrivent, qu’ils n’arrivent qu’après notre mort ; et ainsi nous ne songeons pas à l’intérêt de ceux qui restent, mais au nôtre propre, qui est de ne pas souffrir. Voilà notre faiblesse ; il faut l’extirper et ne pas nous laisser effrayer par les événements. - Mais, dit-on, c’est un penchant naturel de souffrir du malheur de ses proches. - Que l’on sache bien que tout le monde n’est pas ainsi, et que le rôle de la vertu est de conduire les instincts communs à tous à une forme meilleure et plus belle que chez le vulgaire ; et il est beau de ne pas céder aux événements que redoute notre instinct. Il ne faut pas ignorer l’art de la lutte ; il faut prendre ses dispositions comme un habile athlète, dans la lutte contre les coups du sort ; il faut savoir qu’ils sont insupportables pour certaines natures, mais qu’ils sont supportables pour la sienne ; ils ne sont pas terribles, et seuls des enfants les redoutent ! - Le sage les veut-il donc ? — Non pas ; mais la présence de la vertu rend son âme inébranlable et impassible, même dans les événements qu’il n’a pas voulus. ENNÉADES - Bréhier: I, 4 [46] - Du bonheur 8

  •  Quoi donc ? Voici trois hommes, l’un heureux du début jusqu’à la fin, l’autre dans la dernière partie de sa vie ; l’autre était d’abord heureux, et son bonheur s’est changé en malheur. Ces trois hommes sont-ils également heureux ? - Ici l’on compare non pas des hommes heureux entre eux, mais des hommes malheureux pendant une certaine période à un homme qui n’a été qu’heureux. Celui-ci a plus que les autres, c’est vrai ; il a ce qu’un homme heureux a de plus que des hommes malheureux ; et il tire sa supériorité de cet état ; mais cet état est toujours un état présent. ENNÉADES - Bréhier: I, 5 [36] - Le bonheur s’accroît-il avec le temps ? 5
  •  Et l’homme malheureux ? Son malheur ne s’accroît-il pas avec le temps ? Tous les états pénibles, en durant plus longtemps, n’augmentent-ils pas notre malheur, par exemple, les longues souffrances, les douleurs et tous les états de ce genre ? Et, si leur durée suffit à augmenter notre mal, pourquoi n’en serait-il pas de même dans l’état contraire, le bonheur ? - Dans le cas des peines et des souffrances, l’on peut dire que leur durée les fait croître ; voici, par exemple, une maladie chronique ; elle devient une manière d’être permanente, et l’état du corps empire avec le temps. Supposons en effet qu’il reste le même et que le dommage n’augmente pas ; la peine qui est toujours un état présent sera aussi la même, dès que l’on ne fait pas entrer en compte l’état passé et que l’on n’y a pas égard. Mais le mal, en devenant un état chronique, s’accroît avec le temps ; il augmente, en devenant permanent ; et c’est à cause de cet accroissement de mal et non à cause de la plus grande durée d’un mal qui resterait égal à lui-même que nous devenons plus malheureux. Car, si le mal reste égal à luimême, comme les instants qui composent le surplus de durée n’existent pas simultanément, il ne faut pas dire que le mal en est plus grand ; ce serait compter ce qui n’est plus avec ce qui est. ENNÉADES - Bréhier: I, 5 [36] - Le bonheur s’accroît-il avec le temps ? 6