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Lavelle : La connaissance est de plain-pied avec l’être.

quarta-feira 24 de dezembro de 2008, por Cardoso de Castro

  

V La connaissance est de plain-pied avec l’être.

Si nous rencontrions le moi dans une expérience initiale, simple et capable de se suffire, on comprendrait sans peine que le moi fût ensuite impuissant à sortir de lui-même. Dès lors aucune forme de l’être ne serait connue que dans son rapport avec le moi, et c’est l’être lui-même qui deviendrait nécessairement un état du moi et par conséquent une apparence.

Mais on suppose alors implicitement que l’existence de tout objet de pensée est une irradiation de l’existence du sujet pensant. Cependant, si on n’oublie pas que poser sa propre existence c’est, pour l’être pensant, se situer lui-même dans l’être sans condition, on comprendra pourquoi les objets de pensée qu’il pose par rapport à lui jouiront pourtant de la même existence plénière qu’il avait dû d’abord s’attribuer à lui-même. On peut dire à la fois qu’il la leur communique, et qu’il leur est redevable réciproquement de son existence propre, puisque sans eux sa pensée ne trouverait pas à s’exercer. En tant qu’apparences du sujet, ils ont place dans l’existence absolue tout comme le sujet lui-même.

C’est qu’en effet dans l’ordre logique, la pensée ne peut apparaître que comme une spécification de l’être qui l’englobe, bien que, dans l’ordre psychologique, l’être ne puisse se révéler à nous que par la pensée qui le limite pour le mettre à notre portée.

Il est évident qu’il ne peut rien y avoir dans la pensée qui ne soit dans l’être, puisque hors de l’être il n’y a rien et par conséquent aucune pensée ni aucun objet de pensée. Mais il est évident aussi que l’être surpasse infiniment notre pensée, et sinon toute pensée, du moins notre pensée actuelle, afin que celle-ci puisse précisément s’enrichir ’sans interruption. Si elle garde toujours un caractère limité, c’est pour avoir accès par une démarche personnelle dans la totalité de l’être, qui par conséquent ne doit jamais cesser de la déborder.

Ainsi la conscience ne se distingue de l’être, dont elle exprime un aspect, que par le caractère fini de cet aspect même qu’elle nous en révèle. La conscience est intérieure à l’être et non pas inversement. Mais si l’être ne peut être atteint que dans son rapport avec une conscience, la nécessité de poser l’existence même de cette conscience, aussitôt que celle-ci se révèle à nous, nous place d’emblée au cœur de l’être même : la théorie de la connaissance a pour objet d’analyser ce fait primitif, d’en montrer la possibilité et les conditions. On peut prévoir déjà que le temps, dans lequel la connaissance se déploie, doit suffire à rendre compte de la manière dont notre pensée est liée avec l’être qui pourtant la dépasse : il nous oblige à distinguer entre notre pensée actuelle, qui est elle-même un être, et notre pensée en puissance, qui n’en diffère que par son exercice, et «ni, si elle était pleinement exercée, coïnciderait avec l’être pur.

Pour résumer ce qui procède dans quelques formules simples, nous dirons que l’être ne peut à aucun degré être considéré comme un mode de la pensée, puisque la pensée elle-même doit être définie d’abord comme un mode de l’être. On imagine trop souvent que la pensée, en se posant elle-même, pose le caractère subjectif de tout ce qui peut être : mais, pour se poser, il faut qu’elle pose d’abord son existence, c’est-à-dire l’objectivité de sa propre subjectivité.

Ainsi la connaissance participe à l’être, bien qu’elle nous en offre une forme imparfaite et inachevée. Il est nécessaire pour l’expliquer, non pas de l’adosser à un être transcendant qui resterait pour elle décisivement mystérieux, mais, en l’inscrivant elle-même à l’intérieur de l’être, de la mettre d’emblée à son niveau. En disant, comme le fait l’idéalisme, que nous ne connaissons rien de plus que notre représentation, on évoque implicitement l’idée d’une réalité d’un autre ordre qui nous serait inaccessible : ce n’est pas là, comme on le croit, relever la représentation, c’est la rappeler sans cesse à l’humilité en lui imposant un caractère radicalement illusoire. On ne peut restituer à celle-ci sa véritable fonction que si on en fait un mode . de l’être : elle est compétente pour le connaître parce qu’elle se distingue de lui par sa limitation et non par ta nature.


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