Página inicial > Modernidade > Louis Lavelle > Lavelle : L’intimité a l’être ne diffère pas de l’intimité a soi-même

Lavelle : L’intimité a l’être ne diffère pas de l’intimité a soi-même

quarta-feira 24 de dezembro de 2008, por Cardoso de Castro

  

VII L’intimité a l’être ne diffère pas de l’intimité a soi-même

La présence du moi à lui-même, ou l’intimité, ne se distingue pas de sa présence à l’être. De fait, le moi n’a point de contenu propre qui ne soit le contenu de l’être, ou plutôt ce contenu est précisément une perspective sur l’être total, de telle sorte que les deux opérations par lesquelles le moi s’oppose à l’être et s’inclut en lui s’identifient.

C’est donc une erreur de penser que je donne à l’être un caractère illusoire en le faisant pénétrer dans ma propre intimité. Car l’acquisition de l’intimité, ou la découverte du moi, consiste précisément dans sa pénétration à l’intérieur de l’être même. C’est que l’être ne peut pas se distinguer de l’intimité universelle. S’il ne peut rien y avoir d’extérieur à lui, il n’y a rien qui soit pour lui un simple spectacle. Aussi faut-il le confondre avec l’exercice d’une activité pure : et le moi n’a de chances de le rencontrer que lorsque, au lieu de se laisser dissiper par le jeu des apparences, il concentre sa réflexion sur te principe secret et invisible qui lui donne à lui-même à la fois l’ébranlement et le repos."

Bien que l’intériorité du moi soit une expression adéquate de son intériorité à l’être, et, par voie de conséquence, une participation à l’intériorité totale de l’être, il est évident qu’elle ne peut pas épuiser celle-ci. Car notre conscience n’exprime qu’une des possibilités de développement qui sont contenues dans l’être total : or, elles donnent toutes naissance à une. conscience. Cependant dans chaque conscience, l’expérience de l’être est de nature exclusivement spirituelle : et il suffit que cette conscience soit obligée de s’attribuer l’être à elle-même pour que, déployant son action sur le terrain même de l’être, elle découvre et démontre en même temps sa compétence pour le connaître. De là ces conséquences en apparence contradictoires et qui traduisent pourtant la même idée : à savoir qu’aucune conscience ne peut franchir son horizon individuel, bien qu’elle puisse le reculer indéfiniment, et que toutes les consciences peuvent pourtant entrer en relation les unes avec les autres en empruntant quelques signes à leur expérience commune et en approfondissant, par une conversion intérieure, le sentiment de leur commune origine.

Mais l’intimité universelle de l’être donne à cette présence par laquelle l’être se révèle d’abord à nous sa véritable signification, et permet de résoudre une difficulté qu’elle fait naître. Car on pourrait alléguer qu’il n’y a rien de plus dans la présence de l’être que la présence du sujet à lui-même, ou encore la présence au sujet de ses propres états. Mais dès lors, pourquoi le sujet s’attribue-t-il à lui-même des limites ? Pourquoi, en d’autres termes, ne peut-il pas d’emblée actualiser et rendre consciente sa propre présence à tout ce qui est ? Pourquoi d’autre part ne peut-il concevoir ce qui le dépasse autrement que sous la forme d’une présence pour un autre, c’est-à-dire d’une présence homogène à celle qu’il se donne, mais qui lui est pourtant refusée ? L’expérience même de l’échelonnement de la perception dans le temps, sans lequel il nous serait impossible de nous représenter notre moi comme distinct de l’être total, nous suggère déjà une présence possible infiniment plus vaste que la portion du réel à laquelle notre conscience est actuellement présente. Cette présence possible et échelonnée .deviendrait une présence réelle et simultanée pour une pensée beaucoup plus puissante que la nôtre. Et l’on pourrait alors concevoir la présence de l’être total comme indiscernable de la pensée infinie.

En se reconnaissant la possibilité idéale de se donner à lui-même toute présence dont il est actuellement privé, le moi revendique un droit d’incursion sur tout le domaine de l’être. Dès lors, on ne gagne rien à prétendre que la présence absolue n’est qu’une extension de la présence subjective, car cela revient à considérer celle-ci comme une limitation de la présence universelle. C’est soutenir que la présence ne change pas de nature lorsque son contenu s’agrandit. Ainsi, au bleu de se borner à dire avec le subjectivisme que nous ne pouvons pas sortir de nous-même, il est légitime d’affirmer que nous pouvons pénétrer partout, précisément parce que, étant intérieur à l’être, nous avons en quelque sorte accès dans toutes les parties de son immensité.


Ver online : Louis Lavelle