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Borella : ANIMA

sábado 2 de agosto de 2014, por Cardoso de Castro

  

Cependant, si totale que soit l’inversion, elle ne saurait aller jusqu’à la négation complète des rapports normaux entre ces trois sphères. La dimension spirituelle de l’homme qui l’enveloppait comme un nimbe de gloire, c’est-à-dire qui irradiait la déiformité de sa nature, cette dimension n’a pas disparu ; elle est réduite à une trace ponctuelle, donc à un germe, ou encore à l’état virtuel : l’homme n’en possède plus l’actualité (il faudra la venue du Christ pour ouvrir la porte de notre ciel intérieur). L’homme est alors, par nature, âme vivante, et c’est cette nature actuelle qu’il transmet à ses descendants, tout ce qui dépasse cette nature psychique appartenant à la surnature. En outre, bien que le corps enveloppe l’âme, il n’a pas cessé, et pour cause, de n’en être qu’une modalité. Plutôt que de corps, il faudrait parler d’un corps psychique, ou encore d’une âme-corps.

La langue latine nous offre à cet égard une possibilité intéressante. Le mot âme possède deux équivalents latins : anima et animus. Il nous semble que le mot anima recouvre assez bien l’ensemble des fonctions psychiques se rapportent par elles-mêmes, directement ou indirectement, au corps, et dont le corps, à vrai dire, n’est absolument pas séparable. Il s’agit au fond de ce que l’on appelle, dans la tradition occidentale, l’âme végétative (symbolisée dans la Bible   par la ceinture en feuilles de figuier) et l’âme animale ou sensitive (symbolisée par les tuniques de peau). Nous parlerons donc à ce sujet du couple anima-corpus.

Toutefois, encore que l’anima soit lié plus ou moins directement au corps, elle comprend des fonctions qui, en elles-mêmes, sont purement psychiques ; ce sont les fonctions affectives : sentiments, passions, émotions. Elles relèvent de l’âme sensitive (ou animale) — il existe d’ailleurs une affectivité chez les mammifères supérieurs — et sont liées au corps, ou plutôt le corps participe à leur manifestation en les réalisant symboliquement sur son propre plan, mais elles ne sont pas corporelles. Plus encore, elles constituent chez l’homme ce qu’il y a de plus proprement psychique ; elles présentent à la conscience le psychisme dans son activité essentielle. Dans sa nature première en effet, le psychisme est tension, tendance vers, mouvement, pulsion, vie. Cette nature dynamique du psychisme n’est pas cependant activité pure. Au contraire cette activité est une réactivité, cette action est une réaction. La substance animique est ainsi définie par des tensions orientées selon la bipolarité action-passion ; son activité même présuppose une passivité première ; l’âme n’agit que parce qu’elle a d’abord été touchée, atteinte. Certes, elle réagit conformément à la nature des forces qui sont en elle ; mais ces forces ne sont mues ou libérées que parce que l’âme s’éprouve d’abord elle-même comme éminemment « touchable », menacée, exposée, émouvable, soumise, autrement dit comme pouvant être « affectée » [1]. L’âme étant donc essentiellement affectivité, il s’ensuit que le repos, la paix, la sérénité ne sauraient se trouver à son niveau [2].


[1Les psychologues pensent que la peur est l’émotion fondamentale. Il y a du vrai dans cette thèse, en ce sens que l’âme, chez l’homme, prend conscience d’elle-même, comme de ce qui est « affectable ». La réponse à cette prise de conscience, c’est la colère qui est la forme primitive de la dynamique psychique. La vertu correspondante, c’est-à-dire la réponse réussie, l’âme maîtrisée dans son élan premier par un effort spécifiquement humain, c’est le courage. Il y a homme, en effet, chaque fois qu’il y a effort pour maîtriser un mouvement naturel. Nous avons donc la triade : peur, colère, courage, qui définit l’homme à son niveau le plus naturel. Il est alors remarquable de constater que ce que nous nommons affectivité, Platon l’appelle = âme irascible, et que courage se dit en grec : andreia. Or, l’andreia, c’est par excellence, la vertu de l’homme, (andros en grec) un peu comme si nous disions : l’« humanie » ; cf. le latin vir (l’homme vraiment homme) et le français : virilité.

[2Quand nous disons que l’âme est tension, cela doit s’entendre de l’âme déchue. La chute étant une inversion, à bien des égards, il s’ensuit que la substance animique de l’homme principiei est, non la tension, mais la paix, symbolisée par la surface d’une eau tranquille, c’est-à-dire la résorption des tensions dans un équilibre indifférencié.