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HB: mère

sábado 3 de fevereiro de 2024

  

Que nous le nommions la Personnalité, le Sacerdoce, la Magna Mater, ou de tout autre nom grammaticalement masculin, féminin ou neutre, "Cela" (tad, tad êkam) dont nos facultés sont des mesures (tanmâtrâ), constitue une sizygie de principes conjoints, sans composition ni dualité. Ces principes conjoints ou "soi" multiples qu’on ne peut distinguer ab intra, mais respectivement nécessaires et contingents en eux-mêmes ab extra, ne deviennent des contraires que lorsqu’on envisage l’acte de manifestation du Soi (swaprakâshatwam) que constitue la descente depuis le silence de la Non-Dualité jusqu’au niveau où l’on parle en termes de sujet et d’objet, et où l’on reconnaît la multiplicité des existences individuelles séparées que le Tout (sarvam = to pan) ou Univers (vishwam) présente à nos organes de perception physique. Et, dès lors que l’on peut, logiquement mais non réellement, séparer la totalité finie de sa source infinie, on peut aussi appeler "Cela" une "Multiplicité intégrale (NA: Rig Vêda Samhitâ, III, 34, 8, vishwam êkam.)", une "Lumière Omniforme (NA: VS., V, 35 ; jyotir asi vishwarûpam.)". La création est exemplaire. Les principes conjoints, tels que Ciel et Terre, Soleil et Lune, homme et femme, étaient un à l’origine. Ontologiquement leur conjonction (mithunam, sambhava, êko bhava) est une opération vitale, productrice d’un troisième à l’image du premier et ayant la nature du second. De même que la conjonction du Mental (manas = nous, logos, aletheia) avec la Voix (vâch = logos, phoen, aisthesis, doxa) donne naissance à un concept, de même la conjonction du Ciel et de la Terre éveille le Bambino, le Feu, dont la naissance sépare ses parents et remplit de lumière l’espace intermédiaire (antariksha, Midgard). Il en est de même pour le microcosme : allumé dans la cavité du coeur, il en est la lumière. Il brille dans le sein de sa mère (NA: Rig Vêda Samhitâ, VI, 16, 35, cf. III, 29, 14. Le Bodhisattwa, également, est visible dans le sein de sa mère, (M. III, 121). De même, en Égypte, le Soleil nouveau est vu dans le sein de la Déesse du Ciel (H. Schfæer, Von ?gyptischen Kunst, 1940, AGG., 71) : le parallèle chrétien, où Jean est dit avoir vu Jésus enfant dans le sein de sa mère, est probablement d’origine égyptienne.), en pleine possession de ses pouvoirs (NA: Rig Vêda Samhitâ, III, 3, 10; X, 115, 1.). Il n’est pas plus tôt né qu’il traverse les Sept Mondes (NA: Rig Vêda Samhitâ, X, 8, 4 ; X, 122, 3.), s’élève pour franchir la Porte du Soleil, comme la fumée de l’autel ou du foyer central, soit extérieur soit intérieur à nous, s’élève pour franchir l’?il du Dôme (NA: Pour la Porte du Soleil, l’"ascension à la suite d’Agni" (Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), V, 6-8 ; Aitarêya Brâhmana, IV, 20-22), etc., voir mon "Swayâmâtrinnâ ; Janua C?li" dans Zalmoxis, II, 1939 (1941).). Cet Agni est alors le messager de Dieu, l’hôte de toutes les demeures humaines, soit bâties, soit corporelles, le principe lumineux et pneumatique de vie, et le prêtre qui transmet l’odeur de l’offrande consumée d’ici-bas jusqu’au monde au-delà de la voûte du Ciel, à travers laquelle il n’est d’autre voie que cette "Voie des Dieux" (dêvâyana). Cette Voie doit être suivie, d’après les empreintes de l’Avant-Coureur, comme le mot "Voie (NA: Mârga, "Voie", de mrig = ichneuo. La doctrine des vestigia pedis est commune aux enseignements grec, chrétien, hindou, bouddhiste et islamique, et forme la base de l’iconographie des "empreintes de pas". Cf., par exemple, Platon  , Phèdre  , 253 A, 266 B., et Rùmî, Mathnawî, II, 160-1. "Quel est le viatique du Çoufi ? Ce sont les empreintes. Il poursuit le gibier comme un chasseur : il voit la trace du daim musqué et suit ses empreintes" ; Maître Eckhart   parle de "l’âme en chasse ardente de sa proie, le Christ". Les avant-coureurs peuvent être suivis à la trace par leurs empreintes aussi loin que la Porte du Soleil, Janua C?li, le Bout de la Route ; au-delà, on ne peut les pister. Le symbolisme de la poursuite à la trace, comme celui de l’"erreur" (péché) en tant que "manque à toucher la cible", est l’un de ceux qui nous sont venus des plus anciennes civilisations de chasseurs. Cf. note 5.)" lui-même le suggère, par tout être qui veut atteindre l’"autre rive" du fleuve de vie (NA: Lo gran mar d’essere, Paradiso, I, 113. La "traversée" est la diaporeia d’Epinomis  , 986 E.) immense et lumineux qui sépare cette grève terrestre de la grève céleste. Cette notion de la Voie est sous-jacente à tous les symbolismes particuliers du Pont, du Voyage, du Pèlerinage et de la Porte de l’Action. 28 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Théologie et Autologie

Tel est le désintéressement surhumain de ceux qui ont trouvé leur Soi : "Je suis le même dans tous les êtres et il n’en est aucun que j’aime, aucun que je haïsse (NA: Bhagavad Gîtâ, IX, 29.)". Telle est la liberté de ceux qui ont rempli les conditions exigées par le Christ de ses disciples, à savoir de haïr leur père et leur mère et pareillement leur propre "vie" terrestre (NA: Luc, XIV, 26 ; cf., Maitri Upanishad  , VI, 28 : "Si un homme est attaché à son fils, à sa femme, à sa famille, pour un tel homme, non jamais" ; Sutta Nipâta, 60, puttam cha dâvam pitaram cha mâtaram... hitwâna. Maître Eckhart dit de même : "Aussi longtemps que tu sais qui ont été dans le temps ton père et ta mère, tu n’es pas mort de la mort véritable" (Pfeiffer, p. 462). CI. Note 17, p. 92.). On ne peut dire ce qu’est l’homme libre, mais seulement ce qu’il n’est pas : Trasumanar significar per verba, non si potria... (Dante  . Paradiso, 1, 70). Transfigurer ne se peut exprimer par des mots... Mais l’on peut dire ceci : ceux qui ne se sont pas connus eux-mêmes ne seront délivrés ni maintenant ni jamais, et "grande est la ruine" de (ceux qui sont ainsi) victimes de leurs propres sensations (NA: Brihadâranyaka Upanishad, IV, 4, 14 ; Chândogya Upanishad, VII, 1, 6; VII, 8, 4, etc.). L’autologie brahmanique n’est pas plus pessimiste qu’optimiste ; elle est seulement d’une autorité plus impérieuse que celle de n’importe quelle autre science dont la vérité ne dépend pas de notre bon plaisir. Il n’est pas plus pessimiste de reconnaître que tout ce qui est étranger au Soi est un état de détresse, qu’il n’est optimiste de reconnaître que là où il n’y a pas d’autrui il n’y a littéralement rien à craindre (NA: Brihadâranyaka Upanishad, I, 4, 2.). Que notre Homme Extérieur soit un "autre", cela ressort de l’expression : "Je ne peux pas compter sur moi". Ce que l’on a appelé l’"optimisme naturel" des Upanishads est leur affirmation que la conscience d’être, bien que sans valeur en tant que conscience d’être Un Tel, est valable dans l’absolu, et leur doctrine de la possibilité actuelle de réaliser la Gnose de la Déité Immanente, notre Homme Intérieur : "Tu es Cela". Dans la langue de saint Paul   : "Vivo, autem jam non ego". 38 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Théologie et Autologie

Antérieurement à sa dernière naissance sur la terre, le Bodhisattwa réside dans le ciel de Tusita. Là, pressé par les Dieux de délivrer l’univers de ses peines, il examine et décide du temps et du lieu de sa naissance, de la famille et de la mère dont il naîtra. Un Bouddha doit naître de l’une ou de l’autre des castes sacerdotale ou royale, selon celle qui prédomine à l’époque donnée ; la caste royale prédominant alors, il choisit de naître de la reine Mahâ Mâyâ, épouse du roi Shuddhodana, du clan de Shâkya, dans sa capitale de Kapilavastu, dans le pays du Milieu, c’est-à-dire, quoi que cela puisse signifier par ailleurs, dans le "Pays du Milieu» de la vallée du Gange. L’Annonciation prend la forme d’un "songe de Mahâ Mâyâ", où elle voit un éléphant blanc en gloire descendre des cieux pour entrer dans son sein. Les interprètes des songes du roi expliquent qu’elle a conçu un fils qui sera, soit un Empereur Universel, soit un Bouddha. Ces deux possibilités sont réalisées en fait au sens spirituel. Car, s’il est vrai que le royaume du Bouddha n’est pas de ce monde, c’est pourtant comme Maître spirituel et comme Seigneur de l’Univers qu’il "fait tourner la roue". 110 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: Le Mythe

L’enfant est visible dans le sein de sa mère. Quand le temps est venu, Mahâ Mâyâ s’en va visiter ses parents à Dêvahrada ; en chemin elle s’arrête au Parc de Lumbini, et, sentant que le temps est venu, elle tend sa main pour s’appuyer à une branche d’arbre, laquelle s’incline d’elle-même. Restant ainsi debout, elle donne sans douleur naissance à l’enfant. L’enfant naît de son côté. Il n’est pas dit explicitement, mais l’on peut le supposer, que la naissance fut "virginale" ; en tout cas, il est intéressant de noter que l’histoire était connue de saint Jérôme, qui en fait mention dans un débat sur la Virginité, en relation avec les naissances miraculeuses de Platon et du Christ (NA: Libri adv. Josinianum, I, 42.). L’enfant est reçu par les Déités Gardiennes des Quatre Régions. Il prend pied sur le sol, fait sept pas, et se proclame lui-même le "Premier dans le Monde". L’univers tout entier est transfiguré et se réjouit dans la lumière. Le même jour naissent les "sept conaturels", parmi lesquels la future épouse du Bodhisattwa, son cheval et son disciple Ânanda. Ces choses surviennent, non à titre singulier, mais "normalement", c’est-à-dire que tel est le cours des événements chaque fois que naît un Bodhisattwa. 111 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: Le Mythe

Le sommeil de Mahâ Mâyâ a lieu une semaine après la naissance de l’enfant, et sa s?ur Prajapatî, femme également de Shuddhodana, prend sa place. L’enfant est ramené à Kapilavastu et montré à son père ; il est reconnu et adoré par les devins brâhmanes, qui annoncent qu’il sera Empereur ou Bouddha à l’âge de trente-cinq ans. L’enfant est présenté au temple, où la déité tutélaire des Shâkyas s’incline devant lui. Shuddhodana, désirant que son fils soit Empereur et non Bouddha, et ayant appris qu’il n’abandonnerait le monde qu’après avoir vu un vieillard, un malade, un cadavre et un moine, le fait élever dans une retraite luxueuse, ignorant l’existence même de la souffrance et de la mort. Le premier miracle se produit un jour où le roi, selon la coutume, prend part au Premier Labour de l’année ; l’enfant est couché à l’ombre d’un arbre, et l’ombre reste immobile, bien que celle des autres arbres se déplace naturellement avec le soleil ; autrement dit, le soleil demeure au haut du ciel. A l’école, l’enfant étudie avec une facilité surnaturelle. A l’âge de seize ans, par sa victoire dans un concours à l’arc, au cours duquel sa flèche transperce sept arbres, il obtient pour épouse sa cousine Yashodarâ ; elle devient mère d’un garçon, Rahula. 112 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: Le Mythe

Platon encore nous rappelle sans cesse qu’il y a en nous deux âmes ou deux soi, et que de ces deux l’immortel est notre "Soi réel". Cette distinction d’un Esprit immortel et d’une âme mortelle, que nous avons déjà trouvée dans le Brahmanisme, est en fait la doctrine fondamentale de la Philosophia Perennis, où que nous la rencontrions. L’esprit retourne à Dieu qui le donna quand la poussière retourne à la poussière. Gnwqi seauton ; Si ignoras te, egredere. "Là où je vais, vous ne pouvez encore me suivre... Si quelqu’un me suit, qu’il se nie lui-même (NA: Jean, XIII, 36 ;Marc, VIII, 34. Ceux qui le suivent ont "tout abandonné", et ce tout les comprend naturellement "eux-mêmes".)". Nous ne devons pas nous faire illusion à nous-mêmes en supposant que les mots denegat seipsum doivent être pris dans une acception éthique, ce qui serait prendre le moyen pour la fin. Ils signifient ce qu’entendent saint Bernard quand il dit que l’on doit deficere a se tota, a semetipsa liquescere, et Maître Eckhart quand il dit que "le Royaume de Dieu n’est pour personne si ce n’est pour celui qui est entièrement mort". "La parole de Dieu va jusqu’à séparer l’âme et l’esprit (NA: Héb., IV, 12.)" ; et l’Éveillé aurait pu dire aussi que "personne ne peut être mon disciple s’il ne hait sa propre âme" (Kai ou misei? ten eautou psychen) (NA: Luc, XIV, 26, "qui ne hait son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et ses s?urs", cf. Maitri Upanishad  , VI, 28. "S’il est attaché à sa femme et à sa famille, pour un tel homme, non jamais", et Sutta Nipâta, 60. "Seul je m’en vais, abandonnant femme et enfant, mère et père", cf. 38. Cf. note 68, p. 40.). "L’âme doit se mettre elle-même à mort" - "De peur que le Jugement Dernier ne vienne et ne me trouve non annihilé, et que je sois saisi et mis entre les mains de ma propre individualité (NA: Maître Eckhart et William Blake  . Cf. B?hme, Sex Puncta Theosophica, VII, 10. "Ainsi voit-on comment périt une vie..., à savoir quand elle veut être son propre maître... Si elle ne s’offre elle-même à la mort, elle ne pourra gagner un autre monde", Matth., XV, 25 ; Phédon  , 67, 68. "Nulle créature ne peut atteindre un plus haut degré de nature sans cesser d’exister", (Saint Thomas d’Aquin  , Sum. Theol., I, 63, 3). Cf. Schiller : "Dans l’erreur seulement il y a vie, et la connaissance est nécessairement une mort" ; cf. également ce qui a été dit plus haut du Nirvâna comme d’un achèvement de l’être. Ce qui se trouve au-delà de telles morts ne peut être défini dans les termes propres à notre modalité d’existence.)". 127 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: Le Mythe

L’individualité empirique de tel ou tel étant un simple processus, ce n’est pas "ma" conscience ou mon individualité qui peut franchir la mort et renaître (NA: Majjhima Nikâya, I, 256 (l’hérésie concernant Sati).). Il est impropre de demander : "De qui est-ce la conscience ?»; on pourrait demander seulement : "Comment cette conscience surgit-elle (NA: Samyutta Nikâya, II, 13 ; II, 61, etc.) ?" Et voici l’antique réponse (NA: Aitarêya Aranyaka, II, 1, 3 : "L’homme est le produit d??uvres" (karmakritam ayam purushah), c’est-à-dire de choses qui ont été accomplies jusqu’au moment où nous parlons. Cf. Samyutta Nikâya, I, 38, satto samsâam âpâdi kammam asya parâyanam ; et notes 53, 17 et 31.) : "Ce corps n’est pas le mien, mais le résultat des ?uvres passées (NA: Samyutta Nikâya, II, 64.). Il n’y a pas d’"essence" passant d’un habitacle à un autre ; comme une flamme s’allume d’une autre flamme, ainsi se transmet la vie, mais non une vie, ni ma vie (NA: Milinda Panho, 71-72. Cette parole, selon laquelle rien n’est transmis sinon le "feu" de la vie, est en parfait accord avec la parole védantique : "Le Seigneur seul transmigre", et avec Héraclite  , pour lequel il n’est d’autre flux que celui du feu jaillissant et courant en nous, pyr aionios = Agni, vishwâyus. Elle ne contredit donc pas Platon et al., dont la doctrine ne rejetait certainement pas le "flux", mais présuppose un Être de qui tout devenir procède, un Être qui n’est pas lui-même une "chose", nais de qui toutes "choses" incessamment découlent.). Les êtres sont les héritiers des actes (NA: Majjhima Nikâya, I, 390 ; Samyutta Nikâya, 11, 64 ; Atharva Vêda Samhitâ, 88 : "Ma nature est faite d’actes (kammassako’mhi), j’hérite les actes, je nais des actes, je suis parent des actes, je suis quelqu’un sur qui les actes reviennent ; de tout acte, bon ou mauvais, que je fais, j’hériterai". On ne doit pas, bien entendu, prendre cette dernière parole comme se rapportant à un "Je" incarné, mais seulement comme signifiant qu’un "Je" futur héritera et éprouvera, tout comme "Je" le fais, sa nature propre et déterminée suivant l’ordre des causes.); mais l’on ne saurait dire avec exactitude que "je" recueille la rétribution de ce que "je" fis dans un habitacle précédent. Il y a une continuité causale, mais il n’y a pas une conscience (vijnâna) ou une essence (sattwa) faisant l’expérience actuelle des fruits de ses bonnes ou mauvaises actions passées, et devant en outre revenir et se réincarner (sandhâvati samsarati) sans altérité (ananyam) pour éprouver dans le futur les conséquences de ce qui a lieu maintenant (NA: Majjhima Nikâya, I, 256 f. ; Milinda Panho, 72, n’atthi kochi satto yo imamhâ kâyâ annam kâyam sankamati. "Il va sans dire que le penseur bouddhiste rejette la notion d’un ego passant d’une incarnation à une autre" (13. C. Law, Concepts of Buddhism, 1937, p. 45). "L’idée n’est pas que l’âme vit après la mort du corps et passe dans un autre corps. Samsâra veut dire manifestation d’une nouvelle existence sous l’influence de l’être vivant antérieur" (J. Takakusu, dans Philosophy, East and West, 1944, p. 78-79).). La conscience, en vérité, n’est jamais la même d’un jour à un autre (NA: Samyutta Nikâya, II, 95. Cf. notes 16 et 17.). Comment pourrait-elle survivre et passer d’une vie à une autre ? C’est ainsi que le Vêdânta et le Bouddhisme s’accordent entièrement pour affirmer que, s’il y a bien transmigration, il n’y a pas d’individu qui transmigre. Tout ce que nous voyons est l’opération des causes ; tant pis pour nous si, dans ce n?ud fatalement déterminé, nous voyons notre Soi". On trouve la même chose dans le Christianisme, où la question : "Qui a péché, cet homme ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle?" reçoit cette remarquable réponse : "Ni lui ni ses parents n’ont péché ; mais c’est afin que les ?uvres de Dieu soient manifestées en lui (NA: Jean, IX, 2.)". En d’autres termes, la cécité est survenue du fait de ces causes médiates dont Dieu est la Cause Première, et sans lesquelles le monde eût été privé de la perfection de la causalité (NA: La Fortune n’est rien autre que la série ou l’ordre des causes secondes ; elle réside dans ces causes elles-mêmes et non en Dieu (sauf à titre prosidentiel, c’est-à-dire de la manière même où le Bouddha "connaît tout ce qu’il y a à connaître, ce qui a été et ce qui sera", Sn, 558, etc., cf. Prash. Up  ., IV, 5). Dieu ne gouverne pas directement, mais par l’intermédiaire de ces causes auxquelles il ne se mêle jamais (Saint Thomas d’Aquin, Sum. Theol., I, 22, 3 ; I, 103, 7 ad 2 ; I, 116, 2, 4, etc.). "Rien n’arrive dans le monde par hasard" (Saint Augustin  , QQ., LXXXIII, qu. 24) ; "Comme une mère est grosse de sa progéniture non née, ainsi le monde lui-même des causes des choses non nées (De Trin., III, 9), affirmations auxquelles saint Thomas souscrit. "Pourquoi alors ces hommes misérables se permettraient-ils de tirer gloire de leur libre arbitre avant que d’être libres ?" (Saint Augustin, De spir. et lit., 52). Le Bouddha démontre clairement que nous ne pouvons être ce que nous voulons ni quand nous le voulons, et que nous ne sommes pas libres (Samyutta Nikâya, III, 66, 67), bien "qu’il y ait une voie" pour le devenir (D., I, 156). C’est la prise de conscience de ce fait que nous sommes des mécanismes, soumis au déterminisme causal (comme l’énonce la formule répétée hêtuvâda, aitiatos : "Ceci étant, cela arrive ; ceci n’étant pas, cela n’arrive pas". Samyutta Nikâya, II, 28, etc., comme Aristote  , Met., VI, 3, 1, poteron gar esta todi h ou ; ean ge todi genhtai eidemh, ou), - terrain véritable du "matérialisme scientifique" - c’est cette prise de conscience qui fait apercevoir le Chemin de l’évasion. Tout notre trouble vient de ce que, selon les paroles de Boèce  , "nous avons oublié qui nous sommes", et que, par ignorance, nous voyons notre Soi dans ce qui n’est pas le Soi (anattani attânam), mais un simple processus. "La volonté est libre pour autant qu’elle obéit à la raison, et non quand nous faisons ce qui nous plaît" (Saint Thomas d’Aquin, Sum. Theol., I, 26, 1) - cette Raison (logos) "dont le service est liberté parfaite".). 135 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine

La question peut être abordée sous bien des angles différents. En premier lieu, les noms et les épithètes du Bouddha sont suggestifs ; dans les Vêdas, par exemple, les premiers et les plus grands des Angirases sont Agni et Indra (NA: Rig Vêda Samhitâ, 1, 31, 1 (Agni) ; 1, 130, 3 (Indra).), à qui également la désignation d’Arhat est très souvent appliquée. Agni, comme le Bouddha, "s’éveille à l’aube" (usharbudh) : Indra est pressé de rester "l’esprit en éveil" (bodhin-manas (NA: Rig Vêda Samhitâ, V, 75, 5 (afin qu’il puisse dominer Vritra). Bodhinmanas suggère le bodhi-chitta bouddhique. Milinda Panho, 75, assimile buddhi, Bouddha. Dans Rig Vêda Samhitâ, V, 30, 2, naro bubudhânah, et III, 2, 14, etc., ushar-budh sont des anticipations des termes ultérieurs buddhi, buddhimat, buddha.) ), et, lorsqu’il s’est laissé dominer par l’orgueil de sa propre force, il se "réveille" effectivement en recevant les reproches de son alter ego spirituel (NA: Brihad Dêvatâ, VII, 57 sa (Indra), buddhwâ âtmânam. Les récits de Jâtaka mentionnent nombre de naissances antérieures du Bouddha en tant que Sakka (Indra). Dans les Nikâyas, Sakka se comporte comme le protecteur du Bouddha, comme Indra à l’égard d’Agni ; mais c’est le Bouddha lui-même qui l’emporte sur Mâra. Autrement dit, le Bouddha est comparable à cet Agni qui est "à la fois Agni et Indra, brahma et kshatra". Dans Majjhima Nikâya, I, 386, il semble que l’on parle du Bouddha comme d’Indra (purindado sakko) ; mais ailleurs, par exemple Sn. 1069, et quand ses disciples sont appelés "fils du Sakyan", l’on se réfère au clan de Sakya, dont le nom, comme celui d’Indra, contient l’idée d’ "être capable".). Que le Bouddha soit appelé le "Grand Personnage" et l’ "Homme par excellence" (mahâ purusha, nritama) ne signifie nullement qu’il soit un homme, dès lors que ce sont là des épithètes appliquées aux plus grands Dieux dans les premiers livres brahmaniques. Mâyâ n’est pas un nom de femme, mais celui de la Natura naturans, de "notre Mère Nature (NA: Mâyâ, le "moyen" de toute création, divine ou humaine, ou l’"art" maternel par quoi toute chose est faite, est "magique" seulement dans le sens de B?hme, Sex Puncta Mystica, V., 1, f ("La Mère d’éternité, l’état originel de Nature ; la puissance formative dans l’éternelle Sagesse, la puissance d’imagination, la mère dans les trois mondes ; utile aux enfants pour le Royaume de Dieu, aux Sorciers pour le Royaume du Malin ; car l’intelligence peut faire d’elle ce qu’il lui plaît"). Pour Shankara  , le plus grand interprète du mâyâvâda, Mâyâ est "la Non-Révélée, la Puissance (Shakti) du Seigneur, l’Inconnaissable avidyâ sans conmmencement, que le sage infère de la considération des possibilités d’existence (kârya = factibilia, ce par quoi tout ce monde en mouvement est appelé à naître... et au moyen de quoi la Servitude et la Délivrance sont l’une et l’autre rendues effectives" (Vivêka-chûdâmani, 108, 569). Dans des textes comme ceux-ci le gérondif avidyâ, synonyme de "Puissance", ne peut signifier simplement "Ignorance", mais plutôt "mystère", ou "opinion", en opposition avec vidyâ, "ce qui peut être connu" : avidyâ est la Potentialité qui ne peut être connue que par ces effets, par tout ce qui est mâyâ-maya. En d’autres termes, Mâyâ est le Théotokos, et la mère de tous les vivants ; Metis (mère d’Athéna) ; Sophia ; Kaushalyâ (mère de Râma) ; Maia (mère d’Hermès, Hésiode, Theog., 938) ; Mâyâ (mère du Bouddha). De qui d’autre le Bouddha pouvait-il naître ? Le fait. que les mères des Bodhisattwas meurent jeunes tient effectivement à ce que, comme le dit Héraclite (Fr. X), "la Nature aime à se cacher". Mâyâ "s’évanouit" comme s’évanouissait Urvashî, mère d’Âyus (Agni) par les ?uvres de Purûravas, et comme s’évanouissait Saranyû loin de Vivaswân ; Prajâpati, swamûrti, de Mâyâ, prend sa place comme la savarnâ de Saranyù prend la place de celle-ci. L’Avatâra éternel a, en vérité, toujours "deux mères", l’une éternelle et l’autre temporelle, l’une sacerdotale et l’autre royale. Voir aussi mon "Nirmânakâya", JRAS., 1938. Mâyâ étant l’"art" par quoi toutes choses et chaque chose sont faites (nirmita, "mesuré"), et l’"art" ayant été à l’origine une science mystérieuse et magique, elle acquiert son autre sens, son sens péjoratif (par ex. Maitri Upanishad, IV, 2), de la même façon que des mots comme invention, "métier", finesse et adresse, peuvent ne pas désigner seulement les vertus essentielles de l’artifex, mais aussi comporter le sens d’artifice, "industrie", rouerie, astuce et tricherie ; c’est dans le mauvais sens par exemple qu’il est dit que "la conscience est un mirage" (mâyâ viya vinnânam, Visuddhi Magga, 479 ; Samyutta Nikâya, III, 142), tandis que, d’un autre côté, Wycliffe pouvait rendre "prudents comme des serpents" (Matth., X, 16 ; cf. Rig Vêda Samhitâ, VI, 52 ; I, ahimâyâh) par "sournois comme des serpents".)". Or, si nous considérons la vie miraculeuse du Bouddha, nous constatons que presque tous les détails, depuis le libre choix de l’heure et du lieu de la naissance (NA: Cf. Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 28, 4, yadi brâhmana-kulê yadi râja-kulê, comme J., I, 49, khattiya-Kulêvâ brâhmanakulê.) jusqu’à la naissance par le côté elle-même (NA: Rig Vêda Samhitâ, IV, 18, 2 (Indra) pârshwât nirgarnâni ; Buddhacharita, I, 25 (Bouddha) pârshwât sutah. Ainsi Agni (Rig Vêda Samhitâ, VI, 16, 35, garbhê mâtuh... vididyutânah) et le Bouddha (D., II, 13, kucchi-gatam passati) sont tous les deux visibles dans la matrice. On pourrait faire bien d’autres parallèles.), et aux Sept Pas (NA: 11V., X, 8, 4 (Agni) sapta dadhishê padâni, X, 122, 3 (Agni) sapta dhâmâni pariyan ; J., I, 53 (Bodhisattwa), sattapada-vîtihârêna agamâsi.), depuis la Sortie jusqu’au Grand Éveil sur l’autel jonché, au pied de l’Arbre du Monde, au Nombril de la Terre, depuis la défaite des Dragons jusqu’à l’allumage miraculeux du bois pour le sacrifice (NA: Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), II, 5, 8, 3 ; cf. 1 Rois, 18, 38.), peuvent être mis en parallèle exact - et en disant exact c’est bien là ce que nous entendons - avec le mythe védique d’Agni et d’lndra, le prêtre et le roi in divinis. Par exemple, et cette seule indication doit suffire, si le Dragon védique combat à l’aide du feu et de la fumée (NA: Rig Vêda Samhitâ, I, 32, 13.), et aussi à l’aide de femmes en guise d’armes (NA: Rig Vêda Samhitâ, V, 30, 9 ; X, 27, 10.), ainsi fait Mâra, la Mort, à qui les textes bouddhiques se réfèrent encore sous les noms de "Constricteur" (namuchi), "Mal" (Pâpmâ) et Serpent (Sarpa-râjâ) ; si le Tueur védique du Dragon est abandonné par les Dieux et doit compter sur ses seules ressources, le Bodhisattwa est laissé seul, lui aussi, et ne peut faire appel qu’à ses propres facultés (NA: Rig Vêda Samhitâ, VIII, 96, 7 ; Aitarêya Brâhmana, III, 20, etc. Le Bouddha est mârabhibhû, Sutta Nipâta, 571, etc., comme Indra est le conquérant de Vritra-Namuchi ; voir mes "Some Sources of Buddhist Iconography", B. C. Law, vol. 1, p. 471-478, sur le Mâra-dharsana.). En disant cela nous ne voulons pas nier que la défaite de Mâra par le Bouddha soit un symbole de la conquête du Soi, mais seulement montrer que c’est là une histoire très antique, une histoire qui a été racontée partout et toujours ; que, dans sa forme bouddhique, elle n’est pas nouvelle, mais est issue directement de la tradition védique, où la même histoire est rapportée et où elle a la même signification (NA: Cf. Rig Vêda Samhitâ, III, 51, 3 où Indra est abhimâti-han (ailleurs vritra-han, etc.) ; de même dans IX, 65, 15 et passim. Abhimâti (= abhimâna, Maitri Upanishad, VI, 28, i. e. asmi-mâna), la conscience de l’Ego, est d’ores et déjà l’Ennemi, le Dragon à vaincre.). 148 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine