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HB: flamme

sábado 3 de fevereiro de 2024

  

Nous sommes dès lors la pierre d’où peut être tirée l’étincelle, la montagne sous laquelle Dieu gît enseveli, la peau de serpent écailleuse qui le cache, et l’huile pour sa flamme. Que sa retraite soit devenue une caverne ou une maison présuppose la montagne ou les murs qui l’enclosent, verborgen (nihito guhâyâm) et verbaut. "Tu" et "Je" sont la prison psycho-physique, le Constricteur où le Premier Principe a été absorbé afin que "nous" puissions pleinement être. Car, comme cela nous est constamment enseigné, le Tueur de Dragon dévore sa victime, l’avale et la boit jusqu’à la dernière goutte. Grâce à ce repas eucharistique il prend possession des trésors et des pouvoirs du Dragon premier-né, et il devient ce qu’il était. On peut citer, de fait, un texte remarquable où notre âme composite est appelée la "montagne de Dieu", et où il est dit que celui qui comprendra cette doctrine absorbera de la même façon son propre mal, son adversaire haïssable (NA: Aitarêya Aranyaka, II, 1, 8. Cf. Platon  , Phèdre  , 250 C ; Plotin  , Ennéades, IV, 8, 3 ; Maître Eckhart   ("hat gewonet in uns verborgenliche", Pfeiffer, p. 593) ; Henry Constable ("Enseveli en moi, jusqu’à ce qu’apparaisse mon âme"). Saint Bonaventure   assimilait de même mons et mens (De dec, preceptiis, II, ascendere in montem, id est, in eminentiam mentis) ; cette image traditionnelle, que l’on doit, comme beaucoup d’autres, faire remonter au temps où "caverne" et "habitation" étaient une seule et même chose, est sous-entendue dans les symboles familiers de la mine et de la recherche du trésor enfoui (Maitri Upanishad  , VI, 29, etc.). Les pouvoirs de l’âme (bhutâni, terme qui signifie également "gnômes") au travail dans la montagne-esprit, sont les prototypes des nains mineurs qui protègent la "Blanche-Neige"-Psyché quand elle a mordu dans le fruit du bien et du mal et tombe dans son sommeil de mort, où elle demeure jusqu’à ce que l’Éros divin la réveille, et que le fruit tombe de ses lèvres. Qui a jamais compris le Mythe scripturaire en reconnaîtra les paraphrases dans tous les contes de fées du monde, qui n’ont pas été créés par le "peuple", mais hérités et fidèlement transmis par lui à ceux à qui ils étaient originellement destinés. L’une des erreurs majeures de l’analyse historique et rationnelle est de supposer que la "vérité" et la "forme originale" d’une légende peuvent être séparés de ses éléments miraculeux. C’est dans le merveilleux même que réside la vérité : to thaumazein, ou gar alle arche philosophias he auto, Platon, Théétète  , 155D. Même pensée chez Aristote  , qui ajoute, dio kai philomethos philosophos pos estin o gar mythos sugkeitai ek thaumasion "Ainsi l’amoureux des mythes, qui sont des concentrés de prodiges, est du même coup un amoureux de sagesse". (Métaphysique, 982 B). Le Mythe incarne la plus haute approximation de la vérité absolue qui puisse se traduire en paroles.). Cet "adversaire" n’est, bien entendu, rien d’autre que notre moi. On saisira la pleine signification du texte lorsque nous aurons dit que le mot giri, "montagne", dérive du mot gir, engloutir. Ainsi Celui en qui nous étions prisonniers est devenu notre prisonnier ; il est l’Homme Intérieur submergé et caché par notre Homme Extérieur. C’est à Lui maintenant de devenir le Tueur de Dragon. Dans cette guerre de la Divinité et du Titan, livrée désormais en nous, où nous sommes "en guerre avec nous-mêmes (NA: Bhagavad Gîtâ, VI, 6 ; cf. Samyutta Nikâya, 1, 57 = Dhammapada, 66 ; Angutara Nikâya, 1, 149; Rûmî  , Mathnawî, 1, 267, f.)", sa victoire et sa résurrection seront également les nôtres, si nous savons Qui nous sommes. C’est à Lui maintenant de nous boire jusqu’à la dernière goutte, et à nous d’être son vin. 19 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Le Mythe

J’attise une flamme en moi... 121 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: Le Mythe

Mon coeur est l’âtre, la flamme est le soi dompté (NA: Samyutta Nikâya, I, 169. Voir aussi mon "Atmayajna ; Selfsacrifice" dans Harvard Journal of Asiatic Studies, VI, 1942.). 122 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: Le Mythe

L’individualité empirique de tel ou tel étant un simple processus, ce n’est pas "ma" conscience ou mon individualité qui peut franchir la mort et renaître (NA: Majjhima Nikâya, I, 256 (l’hérésie concernant Sati).). Il est impropre de demander : "De qui est-ce la conscience ?»; on pourrait demander seulement : "Comment cette conscience surgit-elle (NA: Samyutta Nikâya, II, 13 ; II, 61, etc.) ?" Et voici l’antique réponse (NA: Aitarêya Aranyaka, II, 1, 3 : "L’homme est le produit d??uvres" (karmakritam ayam purushah), c’est-à-dire de choses qui ont été accomplies jusqu’au moment où nous parlons. Cf. Samyutta Nikâya, I, 38, satto samsâam âpâdi kammam asya parâyanam ; et notes 53, 17 et 31.) : "Ce corps n’est pas le mien, mais le résultat des ?uvres passées (NA: Samyutta Nikâya, II, 64.). Il n’y a pas d’"essence" passant d’un habitacle à un autre ; comme une flamme s’allume d’une autre flamme, ainsi se transmet la vie, mais non une vie, ni ma vie (NA: Milinda Panho, 71-72. Cette parole, selon laquelle rien n’est transmis sinon le "feu" de la vie, est en parfait accord avec la parole védantique : "Le Seigneur seul transmigre", et avec Héraclite  , pour lequel il n’est d’autre flux que celui du feu jaillissant et courant en nous, pyr aionios = Agni, vishwâyus. Elle ne contredit donc pas Platon et al., dont la doctrine ne rejetait certainement pas le "flux", mais présuppose un Être de qui tout devenir procède, un Être qui n’est pas lui-même une "chose", nais de qui toutes "choses" incessamment découlent.). Les êtres sont les héritiers des actes (NA: Majjhima Nikâya, I, 390 ; Samyutta Nikâya, 11, 64 ; Atharva Vêda Samhitâ, 88 : "Ma nature est faite d’actes (kammassako’mhi), j’hérite les actes, je nais des actes, je suis parent des actes, je suis quelqu’un sur qui les actes reviennent ; de tout acte, bon ou mauvais, que je fais, j’hériterai". On ne doit pas, bien entendu, prendre cette dernière parole comme se rapportant à un "Je" incarné, mais seulement comme signifiant qu’un "Je" futur héritera et éprouvera, tout comme "Je" le fais, sa nature propre et déterminée suivant l’ordre des causes.); mais l’on ne saurait dire avec exactitude que "je" recueille la rétribution de ce que "je" fis dans un habitacle précédent. Il y a une continuité causale, mais il n’y a pas une conscience (vijnâna) ou une essence (sattwa) faisant l’expérience actuelle des fruits de ses bonnes ou mauvaises actions passées, et devant en outre revenir et se réincarner (sandhâvati samsarati) sans altérité (ananyam) pour éprouver dans le futur les conséquences de ce qui a lieu maintenant (NA: Majjhima Nikâya, I, 256 f. ; Milinda Panho, 72, n’atthi kochi satto yo imamhâ kâyâ annam kâyam sankamati. "Il va sans dire que le penseur bouddhiste rejette la notion d’un ego passant d’une incarnation à une autre" (13. C. Law, Concepts of Buddhism, 1937, p. 45). "L’idée n’est pas que l’âme vit après la mort du corps et passe dans un autre corps. Samsâra veut dire manifestation d’une nouvelle existence sous l’influence de l’être vivant antérieur" (J. Takakusu, dans Philosophy, East and West, 1944, p. 78-79).). La conscience, en vérité, n’est jamais la même d’un jour à un autre (NA: Samyutta Nikâya, II, 95. Cf. notes 16 et 17.). Comment pourrait-elle survivre et passer d’une vie à une autre ? C’est ainsi que le Vêdânta et le Bouddhisme s’accordent entièrement pour affirmer que, s’il y a bien transmigration, il n’y a pas d’individu qui transmigre. Tout ce que nous voyons est l’opération des causes ; tant pis pour nous si, dans ce n?ud fatalement déterminé, nous voyons notre Soi". On trouve la même chose dans le Christianisme, où la question : "Qui a péché, cet homme ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle?" reçoit cette remarquable réponse : "Ni lui ni ses parents n’ont péché ; mais c’est afin que les ?uvres de Dieu soient manifestées en lui (NA: Jean, IX, 2.)". En d’autres termes, la cécité est survenue du fait de ces causes médiates dont Dieu est la Cause Première, et sans lesquelles le monde eût été privé de la perfection de la causalité (NA: La Fortune n’est rien autre que la série ou l’ordre des causes secondes ; elle réside dans ces causes elles-mêmes et non en Dieu (sauf à titre prosidentiel, c’est-à-dire de la manière même où le Bouddha "connaît tout ce qu’il y a à connaître, ce qui a été et ce qui sera", Sn, 558, etc., cf. Prash. Up  ., IV, 5). Dieu ne gouverne pas directement, mais par l’intermédiaire de ces causes auxquelles il ne se mêle jamais (Saint Thomas d’Aquin  , Sum. Theol., I, 22, 3 ; I, 103, 7 ad 2 ; I, 116, 2, 4, etc.). "Rien n’arrive dans le monde par hasard" (Saint Augustin  , QQ., LXXXIII, qu. 24) ; "Comme une mère est grosse de sa progéniture non née, ainsi le monde lui-même des causes des choses non nées (De Trin., III, 9), affirmations auxquelles saint Thomas souscrit. "Pourquoi alors ces hommes misérables se permettraient-ils de tirer gloire de leur libre arbitre avant que d’être libres ?" (Saint Augustin, De spir. et lit., 52). Le Bouddha démontre clairement que nous ne pouvons être ce que nous voulons ni quand nous le voulons, et que nous ne sommes pas libres (Samyutta Nikâya, III, 66, 67), bien "qu’il y ait une voie" pour le devenir (D., I, 156). C’est la prise de conscience de ce fait que nous sommes des mécanismes, soumis au déterminisme causal (comme l’énonce la formule répétée hêtuvâda, aitiatos : "Ceci étant, cela arrive ; ceci n’étant pas, cela n’arrive pas". Samyutta Nikâya, II, 28, etc., comme Aristote, Met., VI, 3, 1, poteron gar esta todi h ou ; ean ge todi genhtai eidemh, ou), - terrain véritable du "matérialisme scientifique" - c’est cette prise de conscience qui fait apercevoir le Chemin de l’évasion. Tout notre trouble vient de ce que, selon les paroles de Boèce  , "nous avons oublié qui nous sommes", et que, par ignorance, nous voyons notre Soi dans ce qui n’est pas le Soi (anattani attânam), mais un simple processus. "La volonté est libre pour autant qu’elle obéit à la raison, et non quand nous faisons ce qui nous plaît" (Saint Thomas d’Aquin, Sum. Theol., I, 26, 1) - cette Raison (logos) "dont le service est liberté parfaite".). 135 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine

Il est souvent dit d’eux qu’ils sont "éteints» (nirvâta). Le mot Nirvâna, "extinction", qui joue un si grand rôle dans notre conception du Bouddhisme, où il est l’un des plus importants parmi les nombreux termes qui se réfèrent à la fin suprême de l’homme, appelle quelques explications supplémentaires. Le verbe nirvâ signifie littéralement "s’éteindre", comme un feu cesse de tirer (to draw), c’est-à-dire de respirer (NA: Dans Aitarêya Brâhmana, III, 4, Agni, quand il "tire et brûle" (pravân dahati) est identifié à Vâyu. Dans Kaushîtaki Brâhmana, VII, 9, les Souffles vont (blow, vânti) dans des directions variées, mais ils ne "s’éteignent pas" (blow out, nirvânti). Dans Jaiminîya Upanishad Brâhmana, 12, IV, 6 . "Agni, devenant le Souffle, brille" (prâno bhûtwâ agnir dîpyatê). Dans Rig Vêda Samhitâ, X, 129, 2, avâtam, "ne soufflant pas", est très proche par son sens de nirvâtam (ânîd avâtam correspond au "gegeistet und engeistet" de Maître Eckhart, "également spirant et despiré"). Cf. Brihadâranyaka Upanishad, III, 8, 8 avâyu... aprâna. Le mot nirvâna ne se rencontre pas dans la littérature brahmanique avant la Bhagavad-Gîtâ  .) (to draw breath). Des textes plus anciens emploient le verbe à peu près synonyme udwâ, "s’éteindre" ou "s’en aller (NA: Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), II, 2, 4, 7, udwâyêt, "si le feu s’éteint" ; Kaushîtaki Brâhmana, VII, 2, udwâtê’ nagnau "dans ce qui n’est pas du feu, mais est éteint".)" ; quand le Feu s’éteint (udwâyati), c’est dans le Vent qu’il expire (NA: Chândogya Upanishad, IV, 3, 1, yadâ agnir udwâyati vâyum apyêti. Étant ainsi "parti au vent" le feu est "retourné dans sa demeure" (Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 1, 1-7), cf. note 112.)" ; dépourvu d’aliment, le feu de la vie est "pacifié", c’est-à-dire éteint (NA: Prash. Up., III, 9 ; Maitri Upanishad  , VI, 34.). Quand le mental a été réprimé, on atteint la "paix du Nirvâna", l’"extinction en Dieu (NA: Bhagavad Gîtâ, VI, 15 ; Bhagavad Gîtâ, 11, 72, brahma-nirvânam ricchati.)". Le Bouddhisme souligne pareillement l’extinction du feu ou de la lumière de la vie par manque d’aliment (NA: Majjhima Nikâya, I, 487, etc., et comme dans Maitri Upanishad, VI, 34, 1, cf. Rûmî, Mathnawî, I, 3705.); c’est en cessant de nourrir notre feu que l’on atteint à cette paix dont il est dit dans une autre tradition qu’elle "passe l’entendement" ; notre vie présente est une suite continue d’arrivées et de départs, d’existences et d’immédiates renaissances, semblable à une flamme qui brûle et qui n’est plus celle qu’elle était et n’est pas encore une autre. Il en est de même pour la renaissance après la mort : elle est comme une flamme qui s’allume à une autre flamme ; rien de concret ne franchit le passage : il y a continuité, mais non identité (NA: Milinda Panho, 40, 47, 71, 72.). Mais "les contemplatifs s’éteignent comme cette lampe" qui, une fois éteinte, "ne peut plus transmettre sa flamme (NA: Sutta Nipâta, 135, nibbanti dhîrâ yathâyam padîpo ; Sutta Nipâta, 19, vivatâ kuti, nibbuto gini. "L’homme, comme une lumière dans la nuit, est allumé et éteint" (Héraclite, fr. LXXVII).)". Le Nirvâna est une sorte de mort, mais, comme toute mort, une renaissance à quelque chose d’autre que ce qui était. Pari, dans parinirvâna, ajoute simplement la valeur suprême à la notion d’extinction. 142 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine