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HB: Personnalité

sábado 3 de fevereiro de 2024

  

Dans cet éternel commencement, il n’y a que l’Identité Suprême de "Cet Un" (tad êkam) (NA: Rig Vêda Samhitâ, X, 129,1-3; Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), VI, 4, 8, 3 ; Jaiminîya Brâhmana, III, 359; Shatapatha Brâhmana, X, 5, 3, 1, 2.), sans distinction d’être et de non-être, de lumière et de ténèbres, ou encore sans séparation du ciel et de la terre. Le Tout est alors contenu dans le Principe, que l’on peut désigner par les noms de Personnalité, Ancêtre, Montagne, Dragon, Serpent sans fin. Relié à ce principe comme fils ou comme frère puîné - comme alter ego plutôt que comme principe distinct - apparaît le Tueur de Dragon, né pour supplanter le Père et prendre possession du Royaume, et qui en distribuera les trésors à ses séides (NA: Rig Vêda Samhitâ, X, 124, 4.). Car, s’il doit y avoir un monde, il faut que la prison soit détruite et ses potentialités libérées. Cela peut se faire, soit avec la volonté du Père, soit contre sa volonté. Le Père peut "choisir la mort en faveur de ses enfant (NA: Rig Vêda Samhitâ, X, 13, 4. "Ils ont fait de Brihaspati le Sacrifice, Yama a réparti son propre corps aimé".)", ou bien les Dieux peuvent lui imposer la passion et faire de lui leur victime sacrificielle (NA: Rig Vêda Samhitâ, X, 90, 6-8. "Ils ont fait du Premier-Né leur victime sacrificielle".). Ce ne sont pas là des doctrines contradictoires, mais des façons différentes d’exposer une seule et même histoire. En réalité, le Tueur et le Dragon, le sacrificateur et la victime sont Un en esprit derrière la scène, où il n’y a pas de contraires irréductibles, tandis qu’ils sont ennemis mortels sur le théâtre où se déploie la guerre perpétuelle des Dieux et des Titans (NA: Le mot dêva, comme ses analogues theos, deus, peut être employé au singulier pour "Dieu" ou au pluriel pour "dieux", souvent pour "Anges" ou "Demi-dieux", de même que nous disons "Esprit" en entendant le Saint-Esprit, alors que nous parlons également d’"esprits" et notamment d’"esprits malins". Les "Dieux" de Proclus   sont les "Anges" de Denys. Ceux qu’on peut appeler les "grands Dieux" sont les Personnes de la Trinité, Agni, Indra-Vâyu, Âditya, ou Brahmâ, Shiva, Vishnu, que l’on ne doit distinguer, et encore pas toujours nettement, que par rapport à leurs fonctions et leurs sphères d’opération. Les mixtæ personæ des entités duelles Mitrâvarunau et Agnêndrau sont la forme du Sacerdoce et de la Royauté in divinis ; leurs sujets, les "dieux multiples", sont les Maruts ou les Vents. Leurs équivalents en nous sont respectivement le Souffle immanent et central, désigné souvent comme Vâmadéva, souvent comme l’Homme Intérieur ou le Soi immortel, et les Souffles, ses dérivés et "sujets", autrement dit les facultés de voir, d’entendre, de penser, etc., dont notre "âme" élémentaire est un composé homogène, de même que notre corps est composé de parties fonctionnellement distinctes, mais agissant à l’unisson. Les Maruts et les Souffles peuvent agir par obéissance au principe qui les gouverne, ou se rebeller contre lui. Tout ceci est bien entendu un énoncé très simplifié. Cf. n. 35, p. 50.). 16 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Le Mythe

Que nous le nommions la Personnalité, le Sacerdoce, la Magna Mater, ou de tout autre nom grammaticalement masculin, féminin ou neutre, "Cela" (tad, tad êkam) dont nos facultés sont des mesures (tanmâtrâ), constitue une sizygie de principes conjoints, sans composition ni dualité. Ces principes conjoints ou "soi" multiples qu’on ne peut distinguer ab intra, mais respectivement nécessaires et contingents en eux-mêmes ab extra, ne deviennent des contraires que lorsqu’on envisage l’acte de manifestation du Soi (swaprakâshatwam) que constitue la descente depuis le silence de la Non-Dualité jusqu’au niveau où l’on parle en termes de sujet et d’objet, et où l’on reconnaît la multiplicité des existences individuelles séparées que le Tout (sarvam = to pan) ou Univers (vishwam) présente à nos organes de perception physique. Et, dès lors que l’on peut, logiquement mais non réellement, séparer la totalité finie de sa source infinie, on peut aussi appeler "Cela" une "Multiplicité intégrale (NA: Rig Vêda Samhitâ, III, 34, 8, vishwam êkam.)", une "Lumière Omniforme (NA: VS., V, 35 ; jyotir asi vishwarûpam.)". La création est exemplaire. Les principes conjoints, tels que Ciel et Terre, Soleil et Lune, homme et femme, étaient un à l’origine. Ontologiquement leur conjonction (mithunam, sambhava, êko bhava) est une opération vitale, productrice d’un troisième à l’image du premier et ayant la nature du second. De même que la conjonction du Mental (manas = nous, logos, aletheia) avec la Voix (vâch = logos, phoen, aisthesis, doxa) donne naissance à un concept, de même la conjonction du Ciel et de la Terre éveille le Bambino, le Feu, dont la naissance sépare ses parents et remplit de lumière l’espace intermédiaire (antariksha, Midgard). Il en est de même pour le microcosme : allumé dans la cavité du coeur, il en est la lumière. Il brille dans le sein de sa mère (NA: Rig Vêda Samhitâ, VI, 16, 35, cf. III, 29, 14. Le Bodhisattwa, également, est visible dans le sein de sa mère, (M. III, 121). De même, en Égypte, le Soleil nouveau est vu dans le sein de la Déesse du Ciel (H. Schfæer, Von ?gyptischen Kunst, 1940, AGG., 71) : le parallèle chrétien, où Jean est dit avoir vu Jésus enfant dans le sein de sa mère, est probablement d’origine égyptienne.), en pleine possession de ses pouvoirs (NA: Rig Vêda Samhitâ, III, 3, 10; X, 115, 1.). Il n’est pas plus tôt né qu’il traverse les Sept Mondes (NA: Rig Vêda Samhitâ, X, 8, 4 ; X, 122, 3.), s’élève pour franchir la Porte du Soleil, comme la fumée de l’autel ou du foyer central, soit extérieur soit intérieur à nous, s’élève pour franchir l’?il du Dôme (NA: Pour la Porte du Soleil, l’"ascension à la suite d’Agni" (Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), V, 6-8 ; Aitarêya Brâhmana, IV, 20-22), etc., voir mon "Swayâmâtrinnâ ; Janua C?li" dans Zalmoxis, II, 1939 (1941).). Cet Agni est alors le messager de Dieu, l’hôte de toutes les demeures humaines, soit bâties, soit corporelles, le principe lumineux et pneumatique de vie, et le prêtre qui transmet l’odeur de l’offrande consumée d’ici-bas jusqu’au monde au-delà de la voûte du Ciel, à travers laquelle il n’est d’autre voie que cette "Voie des Dieux" (dêvâyana). Cette Voie doit être suivie, d’après les empreintes de l’Avant-Coureur, comme le mot "Voie (NA: Mârga, "Voie", de mrig = ichneuo. La doctrine des vestigia pedis est commune aux enseignements grec, chrétien, hindou, bouddhiste et islamique, et forme la base de l’iconographie des "empreintes de pas". Cf., par exemple, Platon  , Phèdre  , 253 A, 266 B., et Rùmî, Mathnawî, II, 160-1. "Quel est le viatique du Çoufi ? Ce sont les empreintes. Il poursuit le gibier comme un chasseur : il voit la trace du daim musqué et suit ses empreintes" ; Maître Eckhart   parle de "l’âme en chasse ardente de sa proie, le Christ". Les avant-coureurs peuvent être suivis à la trace par leurs empreintes aussi loin que la Porte du Soleil, Janua C?li, le Bout de la Route ; au-delà, on ne peut les pister. Le symbolisme de la poursuite à la trace, comme celui de l’"erreur" (péché) en tant que "manque à toucher la cible", est l’un de ceux qui nous sont venus des plus anciennes civilisations de chasseurs. Cf. note 5.)" lui-même le suggère, par tout être qui veut atteindre l’"autre rive" du fleuve de vie (NA: Lo gran mar d’essere, Paradiso, I, 113. La "traversée" est la diaporeia d’Epinomis  , 986 E.) immense et lumineux qui sépare cette grève terrestre de la grève céleste. Cette notion de la Voie est sous-jacente à tous les symbolismes particuliers du Pont, du Voyage, du Pèlerinage et de la Porte de l’Action. 28 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Théologie et Autologie

Dans la doctrine brahmanique, notre Soi ou notre Personnalité intérieure, immortelle, imperturbable et bienheureuse, la seule et la même pour tous les êtres, est Brahma immanent, Dieu en nous (NA: Rig Vêda Samhitâ, I, 115, 1, âtmâ jagatas tasthushash cha ; SHB., X, 4, 2, 27, sarvêshâm bhûtânâm âtmâ ; Brihadâranyaka Upanishad  , II, 5, 15, sarvêshâm... adhipatih ; III, 5, brahma ya âtmâ sarvântarah ; Maitri Upanishad  , V, 1, vishwâtmâ ; Bhagavad Gîtâ, V I, 29, sarvabhûtastham âtmânam, VII, 9, jîvênam sarvabhûtêshu ; Manu I, 54, sarvabhûtâtmâ, etc. Cette doctrine d’une seule «Ame" ou «Soi" par delà ce qui se présente comme nos diverses âmes ou egos, se retrouve chez Platon (notamment Ménon  , 81, où est décrite la naissance universelle et l’omniscience consécutive de l’"Ame Immortelle", cf. note 12) ; chez Plotin   (notamment Ennéades, IV, 9 passim, au sujet de "la réduction de toutes les âmes en une seule") ; chez Hermès (notamment Lib., V, 10 A : "sans corps et ayant des corps en grand nombre, ou plutôt présent dans tous les corps"), cf. Katha Upanishad  , II, 22 (asharîram sharîrêshu ; et X, 2 "l’essence de tous les êtres" ; chez Denys, "L’Être qui pénètre immédiatement toutes choses, bien que non affecté par elles" (De div. nom., II, 10).). Il ne vient de nulle part et ne devient personne (NA: Katha Upanishad, II, 18, nâyam kutachchin na babhûva kachchit ; II, 25, ka itthâ vêda sah ? VI, 13, asti. Cf. Milinda Panho, 73, bhagavâ atthi... na sakkâ... nidassêtum idha vâ idha ; et Shankara   (sur Brihadâranyaka Upanishad, III, 3), muktasya cha na gatih kwachit.). "Cela" est ; mais rien d’autre ne peut en être dit qui soit véridique : "Tu ne peux pas connaître Celui qui fait connaître ce qui est connu, et qui est ton Soi en toutes choses (NA: Brihadâranyaka Upanishad, III, 4, 2 ; cf. II, 4, 14 ; IV., 5, 15 ; Aitarêya Aranyaka, III, 2, 4.)". Tout comme Dieu Lui-même ne connaît pas ce qu’Il est, parce qu’Il n’est aucun "ce" (NA: Érigène.). La doctrine bouddhique procède de même par élimination. Notre propre constitution et celle du monde sont analysées à mainte reprise ; et la description de chacune des cinq facultés physiques ou mentales de l’individualité transitoire, à laquelle l’«inculte multitude" s’identifie "elle-même", est suivie de la déclaration : "Ceci n’est pas mon Soi" (na mê so âtmâ). On observera que, parmi les mentalités infantiles qui s’identifient avec leurs accidents, le Bouddha aurait compté Descartes   avec son Cogito, ergo sum. 133 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine

En premier lieu, nous observons que, dans les textes brahmaniques parallèles, l’omniscience, et particulièrement celle des naissances, est considérée comme un attribut d’Agni (jâtavêdas), l’"?il dans le Monde", et du Soleil "qui voit tout", l’"?il des Dieux" ; cela pour l’excellente raison que ces principes consubstantiels sont les pouvoirs catalyseurs sans lesquels il ne pourrait y avoir de naissance. Nous observons en outre que le pouvoir de libre motion, ou, ce qui est la même chose, de motion sans locomotion, est attribué, dans les livres brahmaniques, à l’Esprit ou Soi Universel (âtman) d’une part, et aux délivrés, aux connaissants du Soi et assimilés au Soi, d’autre part. Dès lors que l’on a compris que l’Esprit, le Soi solaire universel, la Personnalité, est une omniprésence intemporelle, on reconnaîtra que l’Esprit, par hypothèse, est naturellement doué de tous les pouvoirs qui ont été décrits ; l’Esprit est "connaisseur de toutes les naissances" in s?cula s?culorum, précisément parce qu’il est "en tout temps et en tout lieu de leur manifestation", et qu’il est indivisiblement présent aussi bien dans les devenirs passés que dans les devenirs futurs (NA: Atharva Vêda Samhitâ, X, 8, 1, 12 ; Katha Upanishad, IV, 13 ; Prash. Up  ., IV, 5, etc.). Dans les mêmes textes on le trouve désigné sous le nom de "Prosidence" (prajnâ) ou de "Compendieuse Prosidence" (prajnânaghana) pour l’excellente raison que sa connaissance des événements ne procède pas des événements eux-mêmes, les événements procédant au contraire de sa connaissance de soi. Dans tous les livres brahmaniques les pouvoirs décrits sont ceux du Seigneur : si Celui qui comprend peut changer de forme et se mouvoir à son gré, c’est "comme Brahma change de forme et se meut à son gré (NA: ShA., VII, 22.); c’est l’Esprit, le Soi, Soleil ultime (âtman) qui, bien qu’immuable en soi-même, promeut pourtant les autres (NA: Brihadâranyaka Upanishad, IV, 3, 12 ; Ishâ. Up., 4 ; Maitri Upanishad, II, 2.)". Toutes ces choses sont des pouvoirs de l’Esprit et de ceux qui sont "dans l’Esprit". Et si, de tous ces miracles, de loin le plus grand est celui de l’enseignement, c’est simplement parce que, comme le dit saint Ambroise, "toute parole vraie, quel qu’en soit l’auteur, est dite par le Saint-Esprit (NA: Saint Ambroise, glose sur I Cor., 12, 3.)". Si les "signes et prodiges" sont rejetés avec légèreté, ce n’est pas parce qu’ils sont irréels ; c’est parce que c’est une génération méchante et adultère qui demande un signe. 152 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine

Le Bouddha se dit lui-même inconnaissable (ananuvêdya) ici même et maintenant ; ni les Dieux ni les hommes ne peuvent le voir (NA: Majjhima Nikâya, I, 140, 141. Le Bouddha est ananuvêjjo, "hors d’atteinte" ; les autres Arahats sont pareillement sans traces (vattam têshâm n’atthi pannâpanâya). Samyutta Nikâya, I, 23 ; Vajracchêdika Sûtra ; cf. Samyutta Nikâya, III, III f, et Hermès, Lib., XIII, 3.). Ceux qui le voient sous quelque forme ou pensent à lui avec des mots ne le voient pas du tout. "Je ne suis ni prêtre, ni prince, ni laboureur, ni quoi que ce soit à aucun degré ; je parcours le monde comme celui qui sait et qui n’est Personne, et que les qualités humaines ne contaminent pas (alipymâna... mânavêbhyah) ; il est vain de demander mon nom de famille (gotra) (NA: Sutta Nipâta, 455, 456, 648. Cf. Shankara, Vivêkachûdâmani 297 tyajâbhimânam kula-gotra-nâmarûpashra-mêshwârdrasavashritêshu, "Rejette les idées de famille et de clan, de nom et de forme, d’étape de vie, qui appartiennent au cadavre vivant", à ce que saint Paul   appelle "ce corps de mort".)". Il ne laisse aucune empreinte qui permette de le suivre à la trace (NA: Dhammapada, 179 (tam buddham anantagocharam apadam, kêna padêna nêssatha); comme Brahma, Brihadâranyaka Upanishad, III, 8, 8 ; Mund. Up.  , I, 1, 6 ; Devas, Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 35, 7 (na... padam asti, padêna ha vai punar mrityur anvêti); Gâyatrî, Brihadâranyaka Upanishad, V, 14, 7 (apad asi, na hi padyasê, Sâyana nêti-nêti-âtmatwât). Tout cela se rapporte à la nature originellement et finalement dépourvue de pieds (ophidienne) de la Divinité, dont les vestigia pedis ne marquent la Voie que jusqu’à la Janua Coeli, la Porte du Soleil. Cf. note 87.). Ici même et maintenant le Bouddha manifesté ne peut être saisi, et l’on ne peut dire de cette Personnalité transcendante (paramapurusha), après la dissolution de son complexe corporel et psychique, qu’elle devient ou ne devient pas ; ni l’une ni l’autre de ces deux possibilités ne peut être affirmée ou niée en ce qui le concerne. Tout ce que l’on peut dire est qu’«il est" ; demander qui il est, où il est, est une question frivole (NA: Samyutta Nikâya, III, 118, tathâgato anupalabbhiyamâno.). "Celui qui voit la Loi (dharma) me voit", dit-il (NA: Samyutta Nikâya, III, 120, yo kho dhammam passati mam passati.); c’est pourquoi l’iconographie primitive ne le représente pas sous la forme humaine, mais par des symboles comme celui de la "Roue de la Loi" dont il est le moteur immanent. Et cela est en tout point semblable à ce que disent les livres brahmaniques. Dans ceux-ci, c’est Brahma qui n’a pas de nom propre ou de nom de famille (NA: Brihadâranyaka Upanishad, III, 8, 8 ; Mund. Up., I, 1, 6 ; Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 14, 1 ; Rûmî  , Mathnawî I, 3055-65.) et qui ne peut être suivi à la trace, c’est l’Esprit (âtman) qui ne devient jamais qui que ce soit - Qui sait où il se trouve (NA: Katha Upanishad, II, 18, 25 ; cf. Milinda Panho, 73, le Bouddha "est", mais il n’est "ni ici, ni là" ; dans le corps du Dhamma seulement il est susceptible de désignation.) ? - c’est le Soi intérieur pur de toute contamination (NA: Brihadâranyaka Upanishad, IV, 4, 23 ; Katha Upanishad, V, 11 ; Maitri Upanishad, III, 2, etc.), le Soi suprême dont on ne peut rien dire de vrai (nêti, nêti), et qu’aucune pensée ne peut saisir sinon celle-ci : "Il est". C’est assurément au sujet de ce Principe ineffable que le Bouddha dit : "Il y a un non-né, un non-devenu, un non-créé, un non-composé, et, si ce n’était pour ce non-né, non-devenu, non-créé, non-composé, il ne pourrait être montré aucun chemin d’évasion hors de la naissance, du devenir, de la création, et de la composition (NA: Udâna 80 ; Chândogya Upanishad, VIII, 13.)" ; et nous ne voyons pas ce que ce "non-né" pourrait être, sinon "Cela", cet Esprit (âtman) non animé (anâtmya) sans l’être invisible (sat) duquel il ne saurait y avoir nulle part d’existence (NA: Taitt. Up., II, 7, cf. note 3.). Le Bouddha nie de façon péremptoire qu’il ait jamais enseigné la cessation ou l’annihilation d’une essence. Tout ce qu’il enseigne, c’est comment mettre un terme à la souffrance (NA: Majjhima Nikâya, I, 137-140 ; cf. D., II, 68 et passim.). 153 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine

Dans un passage fameux des Questions de Milinda, Nâgasêna emploie l’antique symbole du char pour détruire la croyance du Roi en la réalité de sa propre individualité (NA: Milinda Panho, 26-28 ; Samyutta Nikâya, I, 135; Visuddhi Magga, 593, 594.). Il est à peine besoin de dire que, dans tous les écrits brahmaniques et bouddhiques (comme aussi chez Platon et Philon  ) (NA: Par exemple Lois, 898 D f., Phèdre, 246 E-256 D, cf. note 101.), le char représente le véhicule physique et psychique selon lequel ou dans lequel nous avons vie et mouvement, selon notre connaissance de "qui nous sommes (NA: "Selon lequel", si nous nous identifions avec notre individualité, "dans lequel", si nous reconnaissons notre Soi comme la Personnalité Intérieure.)". Les coursiers sont les sens, les rênes leurs organes de contrôle, le mental est le cocher, et l’Esprit ou le Soi réel (âtman) est le maître du char (rathî) (NA: Le maître du char est, soit Agni (Rig Vêda Samhitâ, X, 51, 6), soit le Souffle (prâna = Brahma, Atman, Soleil), le Souffle auquel "aucun nom ne peut être donné" (Aitarêya Aranyaka, II, 3, 8), soit le Soi Spirituel (Atman, Katha Upanishad, II, 3 ; J., V, 252), soit le Dhamma (Samyutta Nikâya, I, 33). Le maître de char adroit (susârathi) mène ses chevaux où il veut (Rig Vêda Samhitâ, VI, 75, 6). Ainsi Boèce  , De consol., IV, 1: Hic regnum sceptrum dominus tenet - Orbisque habenas temperat - Et volucrem currum stabilis regit - Rerum coruscus arbiter. Voir le contraste entre les bons chevaux et les chevaux vicieux (les sens) dans Katha Upanishad, III, 6, Dhammapada, 94 et Shwêt. Up., II, 9 ; cf. Rig Vêda Samhitâ, X, 44, 7 à rapprocher de Phèdre, 248 E.), c’est-à-dire son passager et son propriétaire, qui seul connaît la destination du véhicule. Si les chevaux ont licence de partir au hasard avec le mental, l’équipage s’égarera ; mais s’ils sont contenus et guidés par le mental en accord avec sa connaissance du Soi, ce dernier atteindra sa demeure. Le texte bouddhique appuie avec force sur le fait que tout ce qui compose le char et l’attelage, autrement dit le corps et l’âme, est dépourvu de réalité essentielle ; "char" et "soi" sont des noms conventionnels donnés à des assemblages cohérents, et n’impliquent pas pour ceux-ci une existence indépendante ou distincte des éléments qui les composent ; tout comme l’usage veut que tel objet fabriqué soit appelé "char", de même l’individualité humaine sera appelée un "soi" uniquement par convenance. De même qu’on a traduit si souvent à faux l’expression répétée "Ce n’est pas mon Soi" par "Il n’y a pas de Soi", on a regardé l’analyse destructive de l’individualité-véhicule comme voulant signifier qu’il n’y a pas de Personnalité. C’est ici le lieu de se plaindre de ce que "le Maître du char a été oublié (NA: Mrs. Rhys Davids, Milinda Questions, 1930, p. 33. (On doit savoir que Mrs. Rhys Davids était spiritualiste. En réponse à ce qu’elle écrit sur la page de titre de Sâkya, on pourrait citer Visuddhi Magga, 594 : "Il y a des Dieux et des hommes qui se complaisent dans le devenir. Quand la Loi de la cessation du devenir leur est enseignée, leur esprit demeure sans réponse").)". 154 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine