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Fussler : L’origine et la provenance de l’homme selon Paracelse

domingo 1º de setembro de 2024, por Cardoso de Castro

  

L’homme est d’abord, pour Paracelse  , un être naturel. Il a un corps qui le lie à la terre et le rend périssable. Ce corps fait de chair et de sang constitue la part « animale » de son être. Il a été formé par Dieu à partir du « limbe » (« aus dem limbo »). Ce « limbe » est la matière originelle, le ciel et la terre, la terre comme matière « première » de l’homme, qui est à la base de l’existence corporelle, cette dernière pouvant être désignée aussi par ce terme. Il marque donc l’origine matériellement et biologiquement déterminée de l’homme, à laquelle ce dernier ne peut échapper. Paracelse souligne toujours fortement cette détermination. Lorsqu’il écrit, notamment dans la Philosophia sagax, que le limon de la terre (« limus terrae », en référence à Genèse 2, 7) est la matière de l’homme, il veut signifier la même idée . Mais l’expression désigne «simplement la matière, sans la corporéité qui est associée à l’idée de limbe ». L’homme, être vivant, renferme dans ce corps un « esprit vital », force une qui rend possible l’accomplissement de ce que la vie exige. La matière dont il est fait est composée des quatre éléments : terre, eau, air, feu, à la base desquels se trouvent trois principes : le soufre, le sel et le mercure. Chez l’homme, ils ont été transformés en chair et en sang, «l’homme est... reflet des quatre éléments » que la philosophie doit connaître. Il a aussi, outre ce « corps élémentaire », un « corps sidéral » qui vient de l’astrum (ou gestirn) qui est la réalité invisible des astres, réalité spirituelle que Dieu nous a donnée à tous les nivaux : vie végétative, vie consciente. L’homme intérieur en ce sens n’est cependant pas encore l’homme éternel, car ce deuxième corps est mortel comme le premier. L’homme est donc à la fois du ciel et de la terre : « toutes les qualités du monde, l’homme les a en lui ». C’est pourquoi Paracelse aime dire — reprenant une formulation traditionnelle — que l’homme est «microcosme» (kleine Welt, microcos-mus), fils du « macrocosme » dont il est extrait et qu’il contient ou condense en lui . Citons un texte explicitant cette idée :

« l’homme est le petit monde, semblable au grand, non pas dans sa configuration et dans sa substance matérielle, mais dans toutes les forces et dans les vertus qu’il possède. On lui donne aussi le noble nom de microcosme, pour autant qu’il contient tous les phénomènes célestes, la nature terrestre, les propriétés aquatiques et les caractères aériens. Il contient la nature de tous les fruits de la terre, de tous les minerais de l’eau, toutes les constellations et les quatre vents du monde. Il n’y a sur terre rien dont la nature et le pouvoir ne soient aussi en l’homme. Voilà la noblesse, la subtilité, la vivacité du limbe duquel Dieu a crée l’homme à son image ».

L’homme recèle les « merveilles de la nature » mais il est enveloppé par cette dernière, par l’univers qui le dépasse .

C’est dire qu’il peut aussi, par ce lien réel, prendre conscience de sa faiblesse. Celle-ci apparaît nettement à certains moments de la vie où l’homme est dépendant pour la satisfaction de ses besoins : enfance, détresse, vieillesse. Elle est cependant particulièrement sensible pour la conscience dans la maladie, et elle doit l’être ; Dieu l’a voulu ainsi :

«ces maladies humaines et leur guérison sont uniquement là pour que l’homme reconnaisse le limbe d’où il est issu, pour qu’il connaisse les animaux des forêts et des champs et pour qu’il sache qu’il est leur semblable et qu’il ne leur est pas supérieur... Il a hérité d’Adam la faculté de juger de sa propre grandeur afin de ne pas tomber dans l’orgueil du diable qui, ignorant cette science, s’est estimé l’égal de Dieu : l’homme est différent de Dieu dans sa composition et dans son ordonnance. Dieu, dans son dessein, l’a créé à partir des choses mortelles, et il l’en a rendu conscient ».

La souffrance lui fait prendre conscience du caractère précaire de son existence, de sa fragilité. Elle l’invite à penser à lui-même « en réfléchissant sur son origine ». Mais penser, ici, c’est penser à partir du monde et saisir notre finitude au regard de la puissance de Dieu qui nous dépasse. Parce que l’homme « est lui-même nature, nature souffrante », il doit comprendre l’artifice de l’orgueil, passion humaine que peut stimuler une société contre-nature. Ses besoins à satisfaire lui rappellent également son origine :
« Pourquoi l’homme désire-t-il manger, sinon parce qu’il est issu de la terre ? Pourquoi désire-t-il boire, sinon parce qu’il est issu des eaux ? Il respire parce qu’il est né de l’air et il a besoin de chaleur, parce qu’il est une créature du feu ».

C’est pourquoi Paracelse le définit comme être de besoins ; et dans la rencontre entre l’être humain et la nature « éclate la vanité de toute tentative d’ériger l’homme en mesure des choses ». L’homme devient orgueilleux lorsqu’il essaie de se cacher cette finitude essentielle de son existence. La présence de la nature est invitation à refuser le culte trop humain de la volonté absolument libre.

Mais notre auteur souligne aussi que « l’homme est plus qu’un animal ». Il a une âme (Seele) . Elle est ce qui, en lui, dépasse la chair et la nature, la part éternelle de lui-même qui le rend semblable à Dieu . Marque de sa provenance divine, elle assigne à son existence sa fin : l’âme sans Dieu n’est rien . « Ce n’est pas pour le corps que l’homme est créé, mais pour l’âme » . Paracelse écrit que le corps est là « pour être serviteur de l’âme, et l’âme le dépasse », que «le corps doit être soumis à l’âme, et (que) l’âme doit gouverner le corps et non le corps l’âme ». L’âme peut contenir la sagesse qui doit gouverner notre nature animale . Les dix commandements sont donnés à l’homme pour qu’il impose à sa nature la mesure divine car ce qui est éternel doit gouverner l’éphémère . C’est dire qu’il est responsable de ce qu’il fait et ne fait pas pour être fidèle à sa destination :

« et si l’homme disait : « ainsi le veut ma nature en moi », il n’en serait pas pour autant excusé, car il doit être maître de cette nature ».

La nature n’excuse rien. Car si « l’âme de l’homme est la raison », cette dernière est donnée par Dieu afin qu’il soit possible de reconnaître les exigences de la volonté divine. C’est l’Esprit Saint qui doit gouverner l’âme : l’esprit de l’homme comme « âme de l’âme » peut être ce qu’il y a de divin en lui . Pour se tourner vers Dieu, l’homme doit renoncer à la perversion liée à la démesure. Car « Dieu fixe à la nature sa mesure » par les commandements : ainsi, en imposant le mariage, le Christ « a fixé à la nature ses limites (mass) ». La vocation de chacun consiste à mettre en œuvre son « don » pour les autres en travaillant, à ne pas en détourner les fruits, à ne pas accaparer. La provenance de l’âme et des dons fonde la destination de l’homme.

Dieu a certes donné à ce dernier la volonté libre, le libre-arbitre qui est la faculté de choisir : nous pouvons choisir les moyens permettant de satisfaire les besoins , nous pouvons choisir de vivre pour le bien ou pour le mal . La « prédestination » par Dieu — Paracelse l’affirme sans ambiguïté — est postérieure à notre choix personnel : cela signifie que nous sommes toujours engagés et responsables; telle est la signification de la croix du Christ . La raison permet de reconnaître le bien et le mal, la volonté de choisir l’un ou l’autre . Mais il se peut que notre raison soit obscurcie, que nos choix ne soient point éclairés : c’est bien ce qui se passe lorsqu’une mauvaise éducation voue l’individu au mal. S’il en est ainsi, la fonction de la religion est d’appeler à la conversion du méchant qui est malade puisque la religion est présentée par Paracelse, lorsqu’il définit ainsi sa fonction, comme un médicament (Arznei) . Nous devons nous laisser éclairer par Dieu afin de choisir le bien . Ce dernier inclut le respect inconditionnel de la vie donnée par Dieu .

C’est dire que l’homme doit reconnaître son essentielle dépendance par rapport à Dieu dans l’ordre moral. C’est la volonté de Dieu et non l’homme qui constitue le point de référence. L’homme n’est donc pas libre : le libre-arbitre n’est donné que pour être nié. Nous devons en effet choisir le bien et renoncer aux caprices d’une volonté arbitraire . La liberté réside non pas dans l’indépendance, mais dans la reconnaissance de notre soumission nécessaire à la volonté divine . L’antithèse du comportement moralement juste est incarnée par Lucifer qui croyait qu’« il pouvait faire ce qu’il voulait ». Mais l’homme n’est en aucune manière souverain. «Nous sommes enfants de Dieu, et Dieu est notre père » : ne pas lui obéir, n’écouter que soi-même rendrait l’homme orphelin.


Le rapport de l’âme au corps laisse donc ouverte la possibilité de l’action morale par laquelle l’homme est appelé à s’accomplir en accomplissant la volonté de Dieu. Mais la détermination de cette possibilité comme « devoir » révèle ici également à l’homme sa finitude, car elle subordonne son accomplissement à son intégration dans un ordre qui le dépasse et dont l’impératif s’impose à lui comme tâche inconditionnelle. La réalisation de l’ordre voulu par Dieu présuppose une transmutation intérieure par laquelle la provenance de l’homme qui définit son essence se subordonne l’origine. Mais c’est la pensée de cette origine qui nous prépare à récuser notre volonté naturelle comme centre de référence. Ce qui est une autre manière de dire que la lumière naturelle que Dieu allume ne contredit pas celle de l’Esprit-Saint qui nous ouvre le chemin de l’éternité. Mais la seconde nous révèle en dernière instance l’impératif vrai et nous renvoie, par-delà la nature dont nous faisons partie, à la puissance indicible de Dieu. Paracelse n’oppose donc pas le corps et l’âme, il veut penser leur unité et celle-ci, d’un point de vue métaphysique, est constitutive de celle qui réunit le naturel et le divin . L’unité entre la nature et Dieu constitue, pour Paracelse, un processus dont l’homme peut être le lieu privilégié. Précisons : l’homme avec les autres, en société, car c’est là qu’il peut tout à la fois avoir conscience de lui-même comme être de besoins et incarner l’impératif qui doit déterminer ses rapports à autrui. La pensée socio-politique apparaît donc à nouveau structurellement nécessaire dans la vision de notre auteur ; il ne s’agit pas d’un intérêt circonstanciel, la réalité de l’époque a bien plutôt joué le rôle d’une cause occasionnelle. L’homme déploie son essence dans la vie sociale par le respect de sa provenance et la pensée de celle-ci, et l’accomplissement de sa destination. La société est bien un lieu où le divin peut se révéler. Elle est, pour l’homme, l’occasion de se transformer et de s’élever, bref d’être en Dieu par la transmutation alchimique intérieure qui constitue son essentielle possibilité. L’homme devient ce vers quoi il se tourne ; mais il faut ajouter qu’il reste toujours homme. Ainsi la réalisation de l’ordre voulu par Dieu s’inscrit dans un panenthéisme éthique ouvert, Paracelse soulignant à la fois, par la réduction du dualisme, la distance et la proximité du divin.