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Lavastine: L’Âtman

quinta-feira 29 de março de 2018, por Cardoso de Castro

  

Les langues germaniques désignent sous le nom Heiligkeit ou Holiness ce que nous appelons la Sainteté. Or heilig ou holy (healthy) dérivent des mots Heil ou Whole, grec Olon, (d’où cath-oli-cisme) qui désignent la Totalité. Dans les langues sémitiques, le salut s’exprime par les mots : Shalom, Salam, ce qui veut dire : Sois entier! En latin, d’ailleurs, c’est la même chose puisque salvus (saluus) vient du sanskrit sarvam, la Totalité.

Un homme est donc sauf et sauvé quand il est devenu complet, entier. Et l’homme, en Inde comme chez nous, sera donc traditionnellement conçu comme une intégration dans un Soi de ces trois parties qui le constituent : Buddhi (Spiritus), Manas (Anima), Deha (Corpus). Je ne mérite pas le nom d’homme seulement parce que j’ai un corps, si beau soit-il; je ne mérite pas le nom d’homme seulement parce que j’ai une âme, si délicate soit-elle, parce que les animaux aussi ont une âme (anima). Et enfin je ne mérite pas le nom d’homme, seulement parce que j’ai un intellect aigu, car les animaux sont souvent plus intelligents que l’homme (nos ancêtres chasseurs savaient cela). Un homme donc — et c’est la plus ancienne tradition de l’Inde — ne mérite ce nom que si son esprit, son âme et son corps sont informes par un Soi-même (Atman), lequel est naturellement brahman, car ce mot sur lequel on a tant discuté désigne la capacité d’informer (cf. Paul Thieme : Formung). Cet Atman-brahman peut donc bien être conçu comme un «quatrième» terme, mais à la condition expresse de ne pas oublier que c’est par Lui que nous avons des pensées, des sentiments et des sensations, loin de pouvoir Le penser, L’éprouver et Le sentir, comme le dit d’ailleurs la Keno-upanishad  . Il ne s’agit donc pas de voir en Lui une fin que l’on puisse atteindre au terme d’une Voie, car on tomberait dans l’erreur de couper l’homme en deux.

Le Spiritualisme (puisque c’est de cette erreur qu’il s’agit) communément attribué à l’Inde la plus ancienne, n’appartient en fait qu’à une Inde tardive, décadente. Négligeant désormais ce que disait la Voix, pour ne plus avoir à l’accomplir, l’Hindou devenu individualiste ne voulait plus que Connaître, Être, Celui qui parlait. Cependant, le Soi est notre Enveloppe sociale à partir de laquelle les parties qui nous composent se sont développées. Ainsi n’a-t-il pas à être connu ou réalisé autrement que comme l’Amour qui nous porte à Le laisser Se manifester à travers nous : esprits, âmes et corps. Sous son nom de brahman, il ne cesse de nous informer. Il est une matrice. En sanskrit d’ailleurs garbha a la double signification de matrice et d’embryon. Comment donc pourrait-on les séparer ou les réunir?

Cependant les «vedântistes» hindous s’acharnèrent à méditer cette union. Atmanam viddhi, connais Vâtman. Oui, il ne s’agit même que de cela : Connais-toi! Mais ce n’est que pour cette raison qu’il y a plus dans le Total que dans les parties. Cela ne signifie pas que nous puissions être entiers, sauvés, en faisant abstraction des parties.

Or il semble non douteux qu’une certaine Inde, celle-là même qui devait rejeter la doctrine du tri-varga a commis cette erreur contre laquelle a peut-être protesté le Bouddha. S’il est une parole en effet qui soit sortie de sa bouche, c’est bien celle-ci : ANATTA, il n’y a pas l’Atman (atta, en pâli). Ne voulait-il pas dire : Cet Atman que vous concevez comme une substance autonome n’existe pas. Il niait, semble-t-il, l’existence arrondie, satisfaite, d’un quatrième terme qui n’aurait pas été l’englobant ou le formateur (brahman) des trois premiers. Ce qui est sûr, c’est que dans la querelle qui sévit entre Hindouisme et Bouddhisme depuis 2.500 ans, tout indique qu’un retour à des notions védiques expressément rejetées par le Bouddhisme, obscurcies ou négligées par le Vedântisme, pourrait seul apporter la lumière.

Nous avons dit qu’en ajoutant à la série primordiale : Dharma, Artha, Kâma (qui était parfaitement suffisante, puisque la réunion "varga" de ces trois produisait le «Souverain Bien») un quatrième terme spécifique désignant le Salut (Moksha), l’Inde avait franchi un pas fatal. Mais pourquoi? La raison est apparente. Si, avec l’obtention de ce quatrième but de vie, on devait se trouver délivré des trois premiers, comment n’aurait-on pas raisonné ainsi : Pourquoi nous embarrasser de ce Tri-Varga, c’est-à-dire de toute la peine requise pour développer et harmoniser ces trois valeurs naturellement divergentes : Vertu, Richesse, Plaisir, si le but ultime est de nous en délivrer?

La tradition vraie — l’Inde est un pays de longues survivances — ne devait pas périr cependant. A preuve, ces mots de Shankarâchârya (IXe siècle) dans ses Commentaires sur la Bhagavad Gitâ, II, 55 : L’obtention du but véritable de la vie ne signifie rien de plus que le perfectionnement des moyens qui y conduisent. C’est exactement ce que nous avait dit Manou. La différence entre Manou et Shankara   est que le premier enseignait les trois moyens requis par le Pravritti-Mârga, la Voie qui passe par la vie en ce inonde, tandis que le second enseignait les moyens requis par la voie «monastique» (Nivritti-Mârga) qui renonce à toute vie en ce monde.

VOIR AUSSI: TRI - VARGA (Les Trois Valeurs)