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Bréhier-Plotin: vivant

quinta-feira 1º de fevereiro de 2024, por Cardoso de Castro

  

Recherchons encore le mode d’union de l’âme et du corps. Peut-être n’est-elle pas plus possible que, par exemple, celle d’une ligne et de la couleur blanche, c’est-à-dire de deux natures différentes. Est-ce un entrelacement ? L’entrelacement ne fait pas la sympathie ; des choses entrelacées peuvent ne rien éprouver les unes des autres ; l’âme, tout en étant répandue à travers le corps, pourrait n’en pas éprouver les passions et être comme la lumière, surtout si on peut la considérer comme entrelacée au milieu qu’elle traverse. L’âme n’éprouvera pas les passions du corps, du fait qu’elle y est entrelacée ; elle sera dans le corps comme la forme est dans la mati  ère. Mais puisqu’elle est une substance, l’âme sera une forme séparée du corps, et il sera préférable de la considérer comme se servant du corps. Est-elle comme la forme que l’on donne au fer pour fabriquer une hache ? c’est alors la hache, couple du fer et de la forme, qui agit, c’est le fer doué d’une certaine forme ; et il agit selon cette forme. C’est alors plutôt au corps qu’il faudrait attribuer les passions qu’il partage avec l’âme, mais au corps vivant, j’entends le « corps naturel, organisé et possédant la vie en puissance ». [Aristote  ] dit bien en effet que s’il est absurde de prétendre que c’est l’âme qui tisse, il est aussi absurde de prétendre que c’est elle qui désire et qui souffre ; c’est bien plutôt l’animal. ENNÉADES - Bréhier  : I, 1 [53] - Qu’est-ce que l’animal ? Qu’est-ce que l’homme ? 4

Mais qu’est-ce que l’animal ? Le corps vivant, l’ensemble de l’âme et du corps, ou une troisième chose issue des deux premières ? Quoi qu’il en soit, ou bien l’âme doit, en restant impassible, être, pour le corps, la cause des passions, ou bien elle doit pâtir avec lui ; et si elle pâtit avec lui, elle éprouve ou bien la même passion que lui, ou bien une passion semblable (par exemple, à un désir de l’animal correspond un acte ou une passion dans la faculté de désirer). ENNÉADES - Bréhier: I, 1 [53] - Qu’est-ce que l’animal ? Qu’est-ce que l’homme ? 5

C’est que, pour que ce composé existe, l’âme, par le seul fait de sa présence, ne se donne pas ellemême et telle qu’elle est au composé ou à l’un de ses termes ; mais, du corps vivant et d’une sorte d’illumination qu’elle lui donne, elle produit un terme nouveau, qui est la nature de l’animal ; et c’est à cette nature qu’appartiennent les sensations et les autres affections qu’on attribue à l’animal. ENNÉADES - Bréhier: I, 1 [53] - Qu’est-ce que l’animal ? Qu’est-ce que l’homme ? 7

  •  Mais d’abord, n’est-il pas absurde de croire que les autres animaux ne peuvent pas bien vivre, simplement parce qu’ils nous paraissent être de peu de valeur ? Et puis, l’on n’est pas forcé d’accorder le bonheur aux plantes si on l’accorde à tous les animaux, puisqu’elles ne possèdent pas le sentiment. Peut-être voudra-t-on l’accorder aux plantes, parce qu’on leur accorde la vie ; car tout être vivant peut vivre bien ou vivre mal ; les plantes elles-mêmes peuvent être dans des dispositions bonnes ou mauvaises, produire des fruits ou n’en pas produire. ENNÉADES - Bréhier: I, 4 [46] - Du bonheur 1

    Mais le mot vie se prend en plusieurs sens : la vie se distingue en vie de premier rang, de second rang, et ainsi de suite ; vie est un terme homonyme, qui a des sens différents, appliqué à la plante ou à l’être sans raison ; la différence est dans sa clarté ou son obscurité. Il y a évidemment les mêmes degrés dans le bonheur. Si une vie est l’image d’une autre, le bonheur correspondant à la première est évidemment l’image du bonheur correspondant à la seconde. Donc si l’on considère l’être vivant à son degré supérieur, l’être dont la vie est sans déficience, c’est à lui seul qu’appartient le bonheur réel ; car il a la perfection, puisque dans les êtres la perfection consiste essentiellement à vivre et qu’elle est la vie achevée ; ainsi le bien n’est pas pour lui adventice ; il n’y a pas à distinguer un sujet et une qualité venue d’ailleurs qui ferait entrer ce sujet dans le bien. Si la vie est complète, que lui ajouterait-on pour la rendre parfaite ? On dira peut-être : la nature du bien ; et c’est bien là aussi ma propre théorie, mais il s’agit maintenant du bien non pas comme cause, mais comme attribut de la vie. ENNÉADES - Bréhier: I, 4 [46] - Du bonheur 3

    Si donc l’homme est capable de posséder la vie complète, il est également capable d’être heureux. Sinon, l’on réserverait le bonheur aux dieux, puisqu’ils posséderaient seuls une vie de ce genre. Mais puisque nous affirmons que le bonheur existe aussi chez les hommes, il faut rechercher de quelle manière il existe. De la manière suivante : l’homme a la vie complète, quand il possède non seulement la vie des sens, mais la faculté de raisonner et l’intelligence véritable ; il en est d’autres preuves. Mais est-ce qu’il possède cette vie comme on possède une chose différente de soi-même ? Non pas, puisqu’il n’est pas d’homme qui ne la possède ou bien en puissance ou bien en acte (s’il la possède en acte, nous le disons heureux). - Dirons-nous que cette forme de vie, cette vie complète, est en lui comme une partie de lui-même ? - Distinguons : les autres hommes la possèdent bien comme une partie d’eux-mêmes, parce qu’ils la possèdent seulement en puissance ; mais l’homme heureux est celui qui, désormais, est en acte cette vie elle-même, celui qui est passé en elle jusqu’à s’identifier avec elle ; désormais les autres choses ne font que l’environner, sans qu’on puisse dire que ce sont des parties de lui-même, puisqu’il cesse de les vouloir et qu’elles ne sauraient adhérer à lui que par l’effet de sa volonté. -Qu’est-ce que le bien pour cet homme ? - Il est son bien à lui-même, grâce à la vie parfaite qu’il possède. (Mais la cause du bien qui est en lui, c’est le Bien qui est au-delà de l’Intelligence ; et il est, en un sens, tout autre que le bien qui est en lui.) La preuve qu’il en est ainsi, c’est que, dans cet état, il ne cherche plus rien. Que pourrait-il chercher ? Des choses inférieures ? Non pas ; il a en lui la perfection ; celui qui possède ce principe vivifiant mène une vie qui se suffit à elle-même ; l’homme sage n’a besoin que de lui-même pour être heureux et acquérir le bien ; il n’est de bien qu’il ne possède. Il cherche d’autres choses, c’est vrai ; mais il les cherche parce qu’elles sont indispensables non pas à lui mais aux choses qui lui appartiennent ; un corps lui est uni, et il les cherche pour ce corps ; ce corps, lui aussi, est un être vivant, mais vivant d’une vie qui a ses biens propres, qui ne sont pas ceux de l’homme véritable. L’homme connaît ces biens du corps et il les lui donne sans rien entamer de sa propre vie à lui. ENNÉADES - Bréhier: I, 4 [46] - Du bonheur 4

    Mais, dit-on, un tel être ne vit pas. - Si, il vit ; mais son bonheur, comme sa vie, échappe à nos adversaires. Ils ne nous croient pas ? Nous estimons qu’ils ont à poser un être vivant et sage avant de se demander s’il est heureux ; ce n’est pas après lui avoir accordé une vie diminuée qu’il faut se demander s’il lui appartient de bien vivre ; ce n’est pas en anéantissant l’homme qu’on traite la question du bonheur de l’homme ; et, après avoir admis que le sage a toute son activité dirigée en lui-même, il ne faut pas le chercher dans les manifestations extérieures de son activité, ni chercher un objet à sa volonté dans les choses extérieures ; et ils nient l’existence substantielle du bonheur dès qu’ils disent que les choses extérieures sont des objets de la volonté et que le sage les veut ; le sage voudrait bien que tous les hommes fussent heureux et qu’il ne leur arrivât aucun mal ; mais, si cela n’arrive pas, il est tout de même heureux. - Mais, dira-t-on, il fait une absurdité, s’il veut pareille chose, puisqu’il est impossible que le mal n’existe pas. - Cela montre au moins qu’on nous concède qu’il tourne sa volonté vers l’intérieur. ENNÉADES - Bréhier: I, 4 [46] - Du bonheur 11

    Il faut donc vous demander aussi ce qu’est l’œuvre de l’amour pour les choses non sensibles. Que vous font éprouver ces «belles occupations» dont on parle, les beaux caractères, les moeurs tempérantes et, en général, les actes ou dispositions vertueuses et la beauté de l’âme ? Et, en voyant vous-même votre beauté intérieure, qu’éprouvez-vous ? Que sont cette ivresse, cette émotion, ce désir d’être avec vous-même en vous recueillant en vous-même et hors du corps ? Car c’est ce qu’éprouvent les vrais amoureux. Et à propos de quoi l’éprouvent-ils ? Non pas à propos d’une forme, d’une couleur, d’une grandeur, mais à propos de l’âme qui est sans couleur et où brille invisiblement l’écart de la tempérance et des autres vertus ; vous l’éprouvez en voyant en vous-même ou en contemplant en autrui la grandeur d’âme, un caractère juste, la pureté des mœurs, le courage sur un visage ferme, la gravité, ce respect de soi-même qui se répand dans une âme calme, sereine et impassible et, par-dessus tout, l’éclat de l’Intelligence qui est d’essence divine. Donc ayant pour toutes choses inclination et amour, en quel sens les disons-nous belles ? Car elles le sont manifestement et quiconque les voit affirmera qu’elles sont les vraies réalités. Mais que sont ces réalités ? Belles sans doutes ; mais la raison désire encore savoir ce qu’elles sont pour rendre l’âme aimable. Qu’est-ce donc qu brille sur toutes les vertus comme une lumière ? Veut-on, en s’attachant à leurs contraires, aux laideurs de l’âme, les poser par opposition ? Car il serait peut-être utile à l’objet de notre recherche de savoir ce qu’est la laideur et pourquoi elle se manifeste. Soit donc une âme laide, intempérante et injuste ; elle est pleine de nombreux désirs et du plus grand trouble, craintive par lâcheté, envieuse par mesquinerie ; elle pense bien, mais elle ne pense qu’à des objets mortels et bas ; toujours oblique, inclinée aux plaisirs impurs, vivant de la vie des passions corporelles, elle trouve son plaisir dans la laideur. Ne dirons-nous pas que cette laideur elle-même est survenue en elle comme un mal acquis, qui la souille, la rend impure et y mélange de grand maux ? De sorte que sa vie et ses sensations ont perdu leur pureté ; elle mène une vie obscurcie par le mélange du mal, une vie mélangée en partie de mort ; elle ne voit plus ce qu’une âme doit voir ; il ne lui est plus permis de rester en elle-même, parce qu’elle est obscure. Impure, emportée de tous côtés par l’attrait des objets sensibles, contenant beaucoup d’éléments corporels mêlés en elle, ayant en elle beaucoup de matière et accueillant une forme différente d’elle, elle se modifie par ce mélange avec l’intérieur ; c’est comme si un homme plongé dans la boue d’un bourbier ne montrait plus la beauté qu’il possédait, et si l’on ne voyant de lui que la boue dont il enduit ; la laideur est survenue en lui par l’addition d’un élément étranger, et s’il doit redevenir beau, c’est un travail pour lui de se laver et de se nettoyer pour être ce qu’il était. Nous aurons donc raison de dire que la laideur de l’âme vient de ce mélange, de cette fusion, et de cette inclination vers le corps et vers la matière. La laideur, pour l’âme, c’est de n’être ni propre ni pure, de même que pour l’or, c’est d’être plein de terre : si on enlève cette terre, l’or reste ; et il est beau quand on l’isole des autres matières et qu’il est seul avec lui-même. De la même manière, l’âme isolée des désirs qui lui viennent du corps, avec qui elle a une union trop étroite, affranchie des autres passions, purifiée de ce qu’elle contient quand elle est matérialisée, et restant toute seule, dépose toute la laideur qui lui vient d’une nature différente d’elle. ENNÉADES - Bréhier: I, 6 [1] - Du Beau 5

  •  Si la vie c’est le bien, le bien appartient à tout être vivant ? - Non ; chez le méchant, la vie est toute boiteuse ; de même l’oeil, qui ne voit pas distinctement, n’accomplit pas sa fonction. - Si la vie, même la nôtre dans laquelle le mal se trouve mélangé, est un bien, comment la mort n’est-elle pas un mal ? - Un mal pour qui ? Car le mal doit arriver à un être ; mais le mort n’est plus ou, s’il existe, il est privé de vie et souffre moins de mal qu’une pierre [NT: Idée d’origine épicurienne, qu’on retrouve aussi dans le mysticisme hermétique.]. - Mais la vie et l’âme existent après la mort. - La mort est donc un bien pour l’âme, d’autant que, sans le corps, elle exerce davantage son activité propre. Et si elle fait partie de l’âme universelle, quel mal y a-t-il pour elle quand elle existe en cette âme ? ENNÉADES - Bréhier: I, 7 [54] - Du premier bien et des autres biens 3

    Mais, dans le cas où la vie est vertueuse, comment la mort n’est-elle pas un mal ? - Dans ce cas, la vie est un bien ; mais elle est un bien, non pas en tant qu’elle est l’union de l’âme et du corps, mais parce qu’elle se défend contre le mal grâce à la vertu ; et la mort est plutôt un bien. Ou bien il faut dire que la vie dans le corps est en elle-même un mal ; l’âme se trouve dans le bien par la vertu, non pas en vivant comme un être composé, mais en se séparant du corps. ENNÉADES - Bréhier: I, 7 [54] - Du premier bien et des autres biens 3

    Pourquoi le ciel se meut-il d’un mouvement circulaire ? - Parce qu’il imite l’intelligence. - À quel sujet appartient ce mouvement ? Est-ce à l’âme du ciel ou à son corps ? - Et pourquoi ? Est-ce parce que l’âme est en elle-même, et parce qu’elle fait toujours effort pour aller vers elle-même ? Est-ce parce qu’elle est en elle-même, sans y être continuellement ? D’ailleurs, estce en se mouvant d’un mouvement local qu’elle meut le corps avec elle ? S’il en était ainsi, il faudrait qu’elle cessât de le transporter, et que ce transport arrivât à sa fin ; elle devrait rendre les sphères immobiles, et non pas les faire éternellement tourner. L’âme est immobile, ou du moins, si elle se meut, ce n’est pas d’un mouvement local. - Comment alors produit-elle le mouvement local, puisqu’elle est mue d’une autre espèce de mouvement ? - Mais peut-être le mouvement circulaire n’est-il pas un mouvement local. - S’il n’est un mouvement local que par accident, qu’est-il donc ? - C’est un mouvement qui revient sur lui-même, mouvement de la conscience, de la réflexion et de la vie ; jamais il ne sort de son cercle, et il n’y fait rien entrer d’ailleurs, pour cette raison aussi qu’il doit embrasser toutes choses ; la partie principale de l’animal universel [le ciel] embrasse toutes les choses et les unifie. Mais s’il restait immobile, il n’embrasserait pas toutes les choses à la manière d’un être vivant ; s’il a un corps, il ne maintiendrait pas ce qui est en ce corps ; car la vie d’un corps, c’est le mouvement. Si donc ce mouvement est aussi un mouvement local, le ciel aura le mouvement qu’il peut avoir, et il sera mû non seulement comme se meut une âme, mais comme se meuvent un corps animé et un être vivant. Le mouvement circulaire est donc composé du mouvement du corps et du mouvement de l’âme : le corps se meut par nature en ligne droite, et l’âme retient le corps ; des deux ensemble, du corps mobile et de l’âme immobile, vient le mouvement circulaire. Dit-on en effet que le mouvement circulaire ne vient que du corps ? Comment est-ce possible, puisque tous les corps, et même le feu, se meuvent en ligne droite ? Il se meut en ligne droite jusqu’au lieu propre qui lui est assigné ; mais, arrivé à sa place, il semble qu’il est naturel qu’il s’arrête et qu’il se meuve seulement jusqu’au lieu où il est au rang qui lui convient. Pourquoi donc le feu, arrivé là, ne reste-t-il pas immobile ? Est-ce parce que la nature du feu est d’être toujours en mouvement ? Par conséquent, s’il n’était pas animé d’un mouvement circulaire, il se dissiperait par un mouvement rectiligne. Il doit donc être animé d’un mouvement circulaire. Mais c’est alors le résultat de la providence ; ce mouvement vient en lui de la providence ; le feu, arrivé au ciel, doit se mouvoir de luimême d’un mouvement circulaire, à moins qu’on ne dise que le feu, tendant toujours à se mouvoir en ligne droite, mais n’ayant plus de place où monter, glisse le long de la sphère, et se recourbe sur lui-même à l’endroit où il peut ; car il n’y a plus de région supérieure après lui ; la région du ciel est la dernière. Il circule dans la région qu’il occupe ; il est à lui-même son propre lieu, non pas pour y rester immobile, une fois arrivé, mais pour s’y mouvoir. ENNÉADES - Bréhier: II, 2 [14] - Du mouvement du ciel ou mouvement circulaire 1

    Dans un cercle, le centre est naturellement immobile ; mais si la circonférence l’était aussi, elle ne serait qu’un centre immense. Il est mieux qu’elle tourne autour de son centre, si le corps est un corps vivant et organisé par la nature. De cette manière, elle tendra vers le centre, non pas en s’infléchissant vers lui, ce qui détruirait le cercle, mais, puisque cela est impossible, en tournant autour de lui. De cette manière seulement, elle satisfera son désir ; l’âme qui la fait tourner ne se fatiguera pas ; car cette âme ne l’entraîne pas, et il n’y a là rien de contraire à la nature, la nature n’étant que l’ordonnance de l’âme universelle. En outre l’âme est tout entière partout, sans division locale ; l’âme de l’univers permet aussi au ciel d’être partout, autant qu’il le peut, et partie par partie ; il le peut, en parcourant et en traversant successivement toutes les parties du lieu. Si l’âme était immobile en un lieu, le feu resterait immobile, arrivé là-bas ; mais, comme le tout d’ellemême est partout, il désire aller partout. - Quoi donc ? Il ne l’atteindra jamais ? - Au contraire, il l’atteint toujours, ou plutôt l’âme le mène éternellement vers elle, et, en l’y amenant, elle le meut éternellement ; en le menant toujours vers elle, elle le maintient au même endroit ; en le menant non pas en ligne droite mais circulairement, elle lui permet de la posséder partout où il passe. Si l’âme était immobile, si elle était seulement dans cette région des intelligibles où tout est immobile, le ciel s’arrêterait. Si donc elle n’est pas seulement dans cette région ni dans un lieu défini, le ciel se meut à travers tout l’espace mais non pas en dehors de son cercle ; il se meut donc en cercle. ENNÉADES - Bréhier: II, 2 [14] - Du mouvement du ciel ou mouvement circulaire 1

    Pourtant je suis maître de choisir tel ou tel parti. - Mais ton choix se trouve dans l’ordre universel, tu n’es pas un hors-d’oeuvre introduit après coup dans l’univers ; tel que tu es, tu y fais nombre. - Mais d’où vient que je suis tel ? - Il y a, sur ce point, deux questions à résoudre : faut-il rapporter la cause du caractère particulier de chacun de nous à l’être qui nous a produits, s’il y en a un, ou à nous-mêmes qui sommes produits ? Ou plutôt d’une manière générale il ne faut accuser personne, pas plus qu’on n’accuse personne de n’avoir pas donné la sensation aux plantes, ni la raison humaine aux bêtes ; autant vaut demander pourquoi les hommes ne sont pas des dieux. Pourquoi, dans ces derniers cas, n’est-il pas raisonnable d’accuser les êtres eux-mêmes ou leur auteur, et pourquoi serait-il raisonnable, dès qu’il s’agit de l’homme, de se plaindre qu’il n’est pas mieux qu’il n’est ? Est-ce parce qu’il aurait pu être mieux ? Mais, ou ce bien additionnel dépendait de lui, et alors il est responsable de ne pas se l’être donné, ou il ne dépendait pas de lui, mais de son auteur qui aurait dû le lui adjoindre ; mais il est aussi absurde d’exiger pour l’homme plus qu’il ne lui a été donné que d’avoir pareille exigence pour les bêtes ou pour les plantes. Il ne faut pas demander si un être est inférieur à un autre, mais si, tel qu’il est, il est complet par lui-même; il ne faut pas que tous les êtres soient égaux. Cette inégalité résulte-t-elle de la volonté de celui qui a proportionné toutes choses ?-Nullement ; il est conforme à la nature que les choses soient ainsi. La raison de l’univers suit de l’âme universelle, et cette âme suit de l’intelligence ; or l’intelligence n’est pas un seul être ; elle est tous les êtres, et par conséquent plusieurs êtres ; s’il y a plusieurs êtres, ils ne sont pas les mêmes, et il doit y avoir des êtres de premier rang, de second rang et ainsi de suite selon leur dignité. De plus les êtres vivants engendrés ne sont pas simplement des âmes, mais des diminutifs des âmes, dont les traits s’effacent en quelque sorte, à mesure qu’elles procèdent. La raison spermatique de l’être vivant, en effet, bien qu’elle soit douée d’une âme, est une âme différente de celle dont elle procède ; l’ensemble de ces raisons s’amoindrit, à mesure qu’elles tendent vers la matière, et leur produit est de moins en moins parfait. Considérez à quelle distance ce produit est de son principe ; et pourtant, c’est une merveille ! Donc, si le produit est imparfait, il ne s’ensuit pas que son auteur est aussi imparfait ; il est bien supérieur à tout ce qu’il produit ; ne l’accusons donc pas, et admirons plutôt les dons qu’il a faits aux êtres qui viennent après lui, et les traces de luimême qu’il y a laissées. Et s’il leur a donné plus qu’ils ne peuvent posséder, soyons encore plus satisfaits. Ainsi la responsabilité semble bien retomber sur les créatures ; ce qui leur vient de la providence est trop bon pour elles. ENNÉADES - Bréhier: III, 3 [48] - De la Providence, livre deuxième 3

    Ainsi, du début à la fin de la période, la providence nous vient d’en haut ; elle est égale, non parce qu’elle fait à tous des dons numériquement égaux, mais parce qu’elle les proportionne aux diverses régions de l’univers. De même, dans un animal, tout est lié du commencement à la fin ; mais chaque partie a sa fonction propre ; la plus noble fait l’acte le meilleur ; la plus basse a une fonction inférieure ; et l’animal lui même agit et pâtit de la manière qui lui est propre selon ce qu’il est et selon sa place dans le reste des êtres. Frappez-le, il pousse un cri ; mais le reste du corps pâtit en silence, et il exécute les mouvements qui sont la conséquence de cette passion ; tous les sons réunis font un chant ; ainsi de toutes les passions et de tous les actes de l’animal, se compose le chant de l’être vivant, qui est sa vie et sa conduite. Les différents organes ont une fonction différente ; les pieds et les yeux, la réflexion et l’intelligence agissent chacun à leur façon. ENNÉADES - Bréhier: III, 3 [48] - De la Providence, livre deuxième 5

  •  D’où vient alors que la divination prédise les malheurs et les prédise par l’examen du mouvement du ciel en outre des autres pratiques divinatoires ? - C’est, évidemment, parce que tout est lié, même les contraires ; par exemple la forme est liée à la matière ; dans un être vivant, qui est composé de forme et de matière, en considérant la raison séminale qui informe, on voit par là même le sujet qui reçoit cette forme ; car l’animal composé n’apparaît pas du tout comme équivalent à l’animal intelligible ; on ne peut observer la raison séminale qu’opérant dans le composé et donnant une forme à une matière inférieure. Mais comme l’univers est un animal composé, en observant les choses qui naissent en lui, on voit à la fois la matière dont il est fait et la providence qui est en lui ; car elle s’étend à tout ce qui se produit, c’est-à-dire aux êtres animés, à leurs actions, à leurs dispositions où la raison se mélange à la nécessité ; on voit les mélanges faits ou en train de se faire sans cesse ; mais il est bien impossible de distinguer et d’isoler dans ce mélange, d’une part, la providence avec ce qui lui est conforme, d’autre part le sujet matériel avec ce qu’il donne de lui-même aux choses. Un homme, si sage et si divin qu’il soit, ne pourrait faire ce départ. Mais ce pourrait être, dit-on, un privilège de Dieu. En effet, un devin n’a pas à dire le pourquoi, mais seulement le fait ; son art consiste à lire les caractères tracés par la naturel qui dévoilent l’ordre sans jamais se laisser aller au désordre, ou plutôt à tenir compte des témoignages des révolutions célestes qui nous découvrent les qualités de chaque être et le nombre de ces qualités, avant qu’on les ait vues chez cet être lui-même. C’est que phénomènes célestes et phénomènes terrestres collaborent à la fois à l’organisation et à l’éternité du monde : et pour l’observateur, les uns sont, par analogie, les signes des autres ; les autres espèces de divination emploient d’ailleurs aussi l’analogie. Car les choses doivent non pas dépendre les unes des autres, mais se ressembler toutes sous quelque rapport. Et c’est peut-être le sens de ce mot connu : « L’analogie maintient tout.» Selon l’analogie, le pire est au pire comme le meilleur est au meilleur; par exemple : un pied est à l’autre pied comme un oeil est à l’autre oeil, ou : le vice est à l’injustice comme la vertu est à la justice. Si donc il y a de l’analogie dans l’univers, il est possible de prédire ; et si les choses du ciel agissent sur celles de la terre, elles agissent, comme les parties dans l’animal agissent les unes sur les autres ; l’une n’engendre pas l’autre, puisqu’elles sont engendrées à la fois ; mais chacune, selon sa nature, subit l’effet qu’il lui appartient de subir ; parce que l’une est telle, l’autre aussi est telle. En ce sens encore la raison est une. ENNÉADES - Bréhier: III, 3 [48] - De la Providence, livre deuxième 6

    Pendant la vie, donc, notre démon veut nous conduire ; il domine ; et il vit lui-même sous la conduite d’un autre démon. Si nous venons à déchoir sous l’influence de nos mauvaises moeurs, nous en sommes châtiés ; ainsi est puni le méchant ; son vice le fait tomber à un rang inférieur, et il mène la vie qui ressemble aux seules facultés alors agissantes en lui, la vie d’une bête. Si, au contraire, nous pouvons suivre le démon qui est au-dessus de nous, nous nous élevons nous-mêmes en vivant de sa vie ; ce démon, vers qui nous sommes conduits, devient la partie la meilleure de nous-mêmes, et celle à qui nous donnons la puissance ; après lui, nous prenons pour guide un autre démon encore supérieur, et ainsi, jusqu’au plus élevé. Car l’âme est plusieurs choses ; elle est toutes choses, les choses supérieures et les choses inférieures, et elle s’étend dans tout le domaine de la vie. Chacun de nous est un monde intelligible ; liés aux choses inférieures par ce que l’on voit de nous, nous touchons aux choses supérieures par ce que nous avons d’intelligible ; par notre partie pleinement intelligible, nous demeurons en haut ; mais, par la partie qui tient le dernier rang, nous sommes enchaînés aux choses d’en bas, répandant sur elles une émanation ou plutôt une activité émanée de la partie pleinement intelligible, qui n’en est d’ailleurs nullement amoindrie. ENNÉADES - Bréhier: III, 4 [15] - Du démon qui nous a reçus en partage 3