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Bréhier-Plotin: plantes
quinta-feira 1º de fevereiro de 2024, por
Posons que bien vivre est la même chose qu’être heureux. Accorderons-nous alors le bonheur à des animaux autres que l’homme ? Oui, semble-t-il, car s’il leur est possible de poursuivre leur vie conformément à leur nature et sans obstacle, qui empêche de dire qu’ils vivent bien ? Si donc on met le bien vivre au rang du bonheur, il appartient aux autres animaux. Il leur appartient aussi, si on en fait l’accomplissement de la fonction propre. Ils peuvent en effet être heureux quand ils agissent conformément à leur nature ; par exemple, les oiseaux chanteurs qui, heureux d’ailleurs, sont aussi heureux d’exercer en chantant leur fonction naturelle et atteignent ainsi la vie désirable pour eux. Si, en troisième lieu, nous posons que le bonheur est une l’in, c’est-àdire le terme dernier d’une tendance naturelle, nous leur accordons par là même le bonheur s’ils atteignent le terme de leur tendance ; quand ils sont arrivés là, la nature s’arrête ; elle a développé jusqu’au bout toutes leurs capacités de revivre ; elle a satisfait à tout du commencement à la fin. - Mais on n’est pas satisfait de faire descendre le bonheur jusqu’aux autres animaux. Ne faut-il pas alors, dit-on, l’accorder aux animaux les plus vils, l’accorder même aux plantes qui vivent, elles aussi, et dont la vie se déroule vers une fin ? ENNÉADES - Bréhier: I, 4 [46] - Du bonheur 1
Mais si on ne l’accorde pas aux plantes, sous prétexte qu’elles ne sentent pas, on risque de la refuser aussi à tous les êtres vivants. Définit-on en effet la sensation par la conscience d’une impression ? Il faut alors, si la sensation est un bien, que l’impression soit bonne en elle-même et avant d’être consciente ; il faut qu’elle soit conforme à la nature, même si elle est inconsciente ; il faut qu’elle corresponde à nos fonctions propres, même si nous l’ignorons ; et puisque cette impression est bonne et puisqu’elle existe, l’être qui la possède possède déjà le bien. Pourquoi donc ajouter qu’elle doit encore être sentie ? C’est sans doute parce que l’on place le bien non pas dans l’impression et l’état qui en résulte, mais dans la connaissance et la sensation. Mais alors il faudra dire que le bien est la sensation prise en elle même, qu’il est l’acte de l’âme sensitive, et cela, quel que soit l’objet de la sensation. - Dira-t-on que le bien est composé des deux choses, de la sensation et de l’état senti ? - D’abord, si chacune des deux est indifférente, comment peut-on dire que le bien est la combinaison des deux ? Et si l’on répond que l’impression, avec l’état de bien-être qui l’accompagne, n’est un bien que parce que nous connaissons la présence de ce bien en nous, nous demanderons si le bonheur suit immédiatement la connaissance de cette présence, ou s’il faut encore, après en avoir ressenti le plaisir, connaître que le plaisir est un bien. Mais cette dernière connaissance est l’oruvre non plus de la sensation, mais d’une faculté supérieure à la sensation : dans ce cas donc, le bonheur appartient non pas à l’être qui sent le plaisir, mais à celui qui est capable de connaître que le plaisir est un bien ; et la cause du bonheur sera non pas le plaisir, mais la faculté de juger que le plaisir est un bien ; or ce jugement vaut mieux que l’impression ; il est raison et intelligence ; et jamais ce qui est sans raison ne vaut mieux que la raison. Comment donc la raison s’abandonnerait-elle au point de juger qu’une chose d’espèce contraire à la sienne lui est supérieure ? Il s’ensuit que ceux qui refusent le bonheur à la plante et ne l’accordent qu’à l’être sentant recherchent à leur insu un bien supérieur à la sensation, et le placent dans une vie plus claire. ENNÉADES - Bréhier: I, 4 [46] - Du bonheur 2
Pourtant je suis maître de choisir tel ou tel parti. - Mais ton choix se trouve dans l’ordre universel, tu n’es pas un hors-d’oeuvre introduit après coup dans l’univers ; tel que tu es, tu y fais nombre. - Mais d’où vient que je suis tel ? - Il y a, sur ce point, deux questions à résoudre : faut-il rapporter la cause du caractère particulier de chacun de nous à l’être qui nous a produits, s’il y en a un, ou à nous-mêmes qui sommes produits ? Ou plutôt d’une manière générale il ne faut accuser personne, pas plus qu’on n’accuse personne de n’avoir pas donné la sensation aux plantes, ni la raison humaine aux bêtes ; autant vaut demander pourquoi les hommes ne sont pas des dieux. Pourquoi, dans ces derniers cas, n’est-il pas raisonnable d’accuser les êtres eux-mêmes ou leur auteur, et pourquoi serait-il raisonnable, dès qu’il s’agit de l’homme, de se plaindre qu’il n’est pas mieux qu’il n’est ? Est-ce parce qu’il aurait pu être mieux ? Mais, ou ce bien additionnel dépendait de lui, et alors il est responsable de ne pas se l’être donné, ou il ne dépendait pas de lui, mais de son auteur qui aurait dû le lui adjoindre ; mais il est aussi absurde d’exiger pour l’homme plus qu’il ne lui a été donné que d’avoir pareille exigence pour les bêtes ou pour les plantes. Il ne faut pas demander si un être est inférieur à un autre, mais si, tel qu’il est, il est complet par lui-même; il ne faut pas que tous les êtres soient égaux. Cette inégalité résulte-t-elle de la volonté de celui qui a proportionné toutes choses ?-Nullement ; il est conforme à la nature que les choses soient ainsi. La raison de l’univers suit de l’âme universelle, et cette âme suit de l’intelligence ; or l’intelligence n’est pas un seul être ; elle est tous les êtres, et par conséquent plusieurs êtres ; s’il y a plusieurs êtres, ils ne sont pas les mêmes, et il doit y avoir des êtres de premier rang, de second rang et ainsi de suite selon leur dignité. De plus les êtres vivants engendrés ne sont pas simplement des âmes, mais des diminutifs des âmes, dont les traits s’effacent en quelque sorte, à mesure qu’elles procèdent. La raison spermatique de l’être vivant, en effet, bien qu’elle soit douée d’une âme, est une âme différente de celle dont elle procède ; l’ensemble de ces raisons s’amoindrit, à mesure qu’elles tendent vers la mati ère, et leur produit est de moins en moins parfait. Considérez à quelle distance ce produit est de son principe ; et pourtant, c’est une merveille ! Donc, si le produit est imparfait, il ne s’ensuit pas que son auteur est aussi imparfait ; il est bien supérieur à tout ce qu’il produit ; ne l’accusons donc pas, et admirons plutôt les dons qu’il a faits aux êtres qui viennent après lui, et les traces de luimême qu’il y a laissées. Et s’il leur a donné plus qu’ils ne peuvent posséder, soyons encore plus satisfaits. Ainsi la responsabilité semble bien retomber sur les créatures ; ce qui leur vient de la providence est trop bon pour elles. ENNÉADES - Bréhier: III, 3 [48] - De la Providence, livre deuxième 3
Ajoutons qu’il existe des choses pires parce qu’il existe des choses meilleures. Comment, dans une œuvre aussi multiforme, le pire pourrait-il exister sans le meilleur ou le meilleur sans le pire ? Il ne faut donc pas accuser le pire d’être dans le meilleur ; il faut plutôt être satisfait de ce que le meilleur a donné de lui-même au pire. Vouloir détruire le pire dans l’univers, c’est détruire la providence elle-même. A quoi en effet pourvoirait-elle ? Ce n’est point à elle-même ni au meilleur. De plus, en disant que la providence est en haut, nous la concevons par son rapport avec le bas. Le principe, c’est tout en un ; tout y est à la fois, chaque partie y est l’ensemble ; mais de ce principe, qui reste immobile en lui-même, procèdent les êtres particuliers, comme d’une racine, qui reste fixée en ellemême, provient la plante : c’est une floraison multiple où la division des êtres est chose faite, mais où chacun porte l’image du principe. Mais déjà, en cette plante, certaines parties contiennent les autres ; c’est que les unes sont près de la racine ; les autres s’en éloignent progressivement et se subdivisent jusqu’aux ramilles du bout, aux fruits et aux feuilles ; certaines parties sont persistantes ; d’autres renaissent à chaque saison et deviennent les fruits et les feuilles. Ces parties, sans cesse renaissantes, ont en elles les germes des parties supérieures, comme si elles voulaient être à leur tour de petites plantes ; et, avant de se flétrir, elles donnent naissance seulement aux parties immédiatement voisines. Puis, au renouveau, les parties creuses des rameaux se remplissent de la nourriture qui vient de la racine ; et, comme ils ont eux-mêmes achevé leur croissance, c’est leur extrémité qui se modifie. En apparence cette modification vient seulement de la partie voisine ; en réalité c’est grâce au principe de la plante, qu’une partie subit une modification et que l’autre la produit. (Ce principe lui-même dépend d’ailleurs à son tour d’un autre.) Car si les parties en réaction mutuelle sont différentes et bien éloignées de leur principe, elles n’en viennent pas moins d’un seul et même principe : tels agiraient les uns envers les autres des frères qui se ressemblent grâce à leur communauté d’origine. ENNÉADES - Bréhier: III, 3 [48] - De la Providence, livre deuxième 7
Les principes les plus élevés restent immobiles, en engendrant des hypostases ; mais l’âme, elle, nous l’avons dit, se meut pour engendrer la sensation qui est une hypostase, et la puissance végétative ; elle descend jusqu’aux plantes. L’âme qui est en nous possède aussi la puissance végétative ; mais cette puissance ne domine pas parce qu’elle n’est qu’une partie de l’âme ; venue dans une plante, elle y domine parce qu’elle est seule. - La puissance végétative n’engendre donc rien ? - Elle engendre, mais c’est une chose totalement différente d’elle ; car, après elle, il n’y a plus de vie : ce qu’elle engendre est sans vie. - Comment donc ? - Toutes les choses engendrées avant ce dernier terme étaient, il est vrai, privées de toute forme au moment de leur génération ; mais elles se retournaient vers leur générateur et en recevaient la forme et comme la nourriture : ici, au contraire, la chose engendrée ne doit plus être une espèce d’âme, puisqu’elle ne vit plus, et elle reste dans une complète indétermination. Et sans doute, l’indétermination se trouve aussi dans les termes antérieurs, mais elle est dans des êtres qui ont une forme ; elle n’est pas complète, mais relative à la forme achevée : ici elle est complète. ENNÉADES - Bréhier: III, 4 [15] - Du démon qui nous a reçus en partage 1
L’âme, en sortant du corps, devient celle de ces fonctions qui avait en elle le plus de développement. C’est pourquoi il faut nous enfuir là-haut, afin de ne pas nous transformer en une puissance purement sensitive, par l’assujettissement aux images sensitives ou en une puissance végétative par l’assujettissement aux désirs sexuels et à la gloutonnerie, mais en un être intelligent, en une intelligence, en un dieu. « Ceux qui ont conservé intacte en eux l’humanité redeviennent des hommes ; ceux qui n’ont vécu que par les sens deviennent des bêtes et des bêtes féroces, si cette vie des sens s’accompagne d’un caractère emporté ; aux proportions différentes de ces facultés correspond la différence des bêtes où ils se réincarnent. Si la vie des sens s’accompagnait de désirs et de plaisirs, ils deviennent des animaux lascifs et gloutons. Si, avec les mêmes penchants, ils n’ont eu qu’une sensibilité émoussée et inerte, ils deviennent des plantes ; car, lorsque ces penchants sont isolés ou prépondérants, c’est la puissance végétative qui agit, et l’homme s’est préparé à devenir un arbre. Les amis de la musique, dont l’âme est restée pure, se transforment en oiseaux chanteurs ; les rois, qui n’ont pas été guidés par la raison, en aigles, s’ils n’ont pas eu d’autres vices ; les astronomes qui observent sans s’aider de l’intelligence, les regards toujours levés vers le ciel, sont changés en oiseaux qui volent dans les hautes régions. Celui qui a pratiqué les vertus civiles reste un homme ; et s’il les a moins observées, il devient un animal sociable, tel que l’abeille. » ENNÉADES - Bréhier: III, 4 [15] - Du démon qui nous a reçus en partage 2
Pour les âmes sorties du monde sensible, elles sont au dessus des démons ; elles ont surmonté la fatalité des naissances et l’ordre des choses visibles, tant qu’elles sont là-bas. Elles y ramènent avec elles l’essence qui, en elles, désirait la génération. Il est exact de dire que cette essence est « l’essence qui devient divisible dans les corps’" » en se multipliant et en se divisant, mais non pas en parties séparées dans l’espace ; car elle est la même en tous les points du corps, et elle y est tout entière, et elle est unique. Si un seul animal en engendre plusieurs, c’est qu’elle se divise comme nous le disons ; de même aussi, d’une seule plante en naissent plusieurs ; car cette essence est « divisible dans les corps ». Tantôt l’âme unique produit ces vies multiples en restant dans le même corps ; c’est le cas des plantes ; tantôt elle les produit après s’être retirée ; c’est que, alors, elle les avait produites avant son départ ; c’est ce qui arrive dans les boutures des plantes ou dans les cadavres d’animaux où, à la suite de la putréfaction, des vies multiples naissent d’une seule ; à cette naissance collabore aussi une puissance du même genre qui vient de l’univers, et qui est la même ici et partout ailleurs. ENNÉADES - Bréhier: III, 4 [15] - Du démon qui nous a reçus en partage 6
Mais l’Ame, elle, ne reste pas immobile en produisant ; elle se meut pour engendrer une image d’elle-même ; en se tournant vers l’être d’où elle vient, elle est fécondée ; et, en avançant d’un mouvement différent et de sens inverse, elle engendre cette image d’elle-même qui est la sensation, et dans les plantes, la nature. Pourtant rien n’est séparé par une coupure de ce qui le précède ; c’est ainsi que l’âme semble s’avancer jusqu’aux plantes ; elle s’y avance en un sens, puisque le principe végétatif appartient à l’âme ; mais elle ne s’y avance pas tout entière ; elle vient dans les plantes, parce qu’en descendant jusque là dans la région inférieure, elle produit une autre existence dans cette procession même, et par bienveillance envers les êtres inférieurs ; mais pour cette partie supérieure d’elle-même qui se rattache à l’Intelligence et constitue sa propre intelligence, elle la laisse demeurer immobile en elle-même. ENNÉADES - Bréhier: V, 2 [11] - De la génération et de l’ordre des choses qui viennent après le Premier 1
Il y a donc dans la nature une raison, qui est le modèle de la beauté qui est dans les corps ; mais il y a dans l’âme une raison plus belle encore, d’où vient celle (lui est dans la nature. Elle se montre le plus distinctement dans l’âme sage où elle progresse en beauté ; elle orne l’âme, elle l’illumine, venue elle-même d’une lumière supérieure, qui est la beauté première ; étant dans l’âme, elle lui fait comprendre cc qu’est la raison qui est avant elle-même, celle (lui ne vient plus dans les choses, celle qui n’est pas en autre chose mais en elle-même. Ce n’est pas, ir vrai dire, une raison, c’est le créateur de la raison première, de la beauté qui est dans l’âme comme en une matière ; c’est l’Intelligence, l’lntelli,gcnce éternelle, non point l’intelligence qui ne pense (lue quelquefois : c’est qu’elle n’a pas à acquérir la pensée. Quelle image pourrait-on s’en faire, puisque toute image semble tirée d’une chose inférieure ? Mais il faut que son image soit tirée d’elle-mèmc , et qu’on ne la saisisse point par image : ainsi l’on prend un morceau comme échantillon de l’or en général, et si celui que l’on a pris a des impuretés, on le nettoie, montrant ainsi par le fait ou disant formellement que l’or, ce n’est pas tout ce morceau, et que ce morceau, c’est seulement un corps qui a du volume. De même ici partons de l’intelligence qui est en nous, après l’avoir purifiée, ou, si l’on veut, partons des dieux et de l’intelligence telle qu’elle est en eux. Augustes et beaux sont tous les dieux, et leur beauté est immense : mais qui fait donc qu’ils sont ainsi ? C’est l’intelligence, et c’est, en eux, cette intelligence plus active que la nôtre qui se rend visible : ce n’est pas la beauté de leur corps (car, lorsqu’ils ont des corps, ce n’est pas par eux qu’ils ont la divinité), c’est par l’intelligence qu’ils sont des dieux. Certes, les dieux sont beaux; c’est qu’ils ne sont pas tantôt sages tantôt privés de sagesse ; toujours ils sont sages, dans l’impassibilité, le repos, la pureté de leur intelligence ; ils savent tout ; ils connaissent non pas les choses humaines, mais « tout ce qui les concerne n, et tout ce que contemple une intelligence. Les dieux qui sont au ciel, tout à loisir, contemplent éternellement et comme de loin les choses qui sont dans le ciel intelligible, parce qu’ils dépassent, de la tête, la voûte célesi.e : mais ceux qui sont dans la région intelligible, ceux qui ont en elle leur résidence, habitent en un ciel intelligible qui est tout; car, là-bas, tout est ciel ; la terre est ciel, ainsi que la mer, les animaux, les plantes et les hommes ; tout est céleste dans le ciel de là-bas. Les dieux qui sont en lui ne méprisent pas plus les hommes qu’aucune des choses qui sont là-bas; c’estqu’elles sont là-bas; et c’est la contrée et la région intelligible tout entière qu’ils parcourent, dans un repos éternel. ENNÉADES - Bréhier: V, 8 [31] - De la beauté intelligible 3