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Bréhier-Plotin: masse

quinta-feira 1º de fevereiro de 2024, por Cardoso de Castro

  

Mais la faculté de l’âme qui correspond à cette beauté la reconnaît ; car rien n’est plus propre que cette faculté à juger de ce qui leur appartient, même si le reste de l’âme contribue à ce jugement. Peut-être se prononce-t-elle, elle aussi, parce qu’elle s’ajuste à l’idée qui est en elle et qu’elle s’en sert pour juger, comme on se sert d’une règle pour juger ce qui est droit. Mais comment la beauté corporelle s’accorde-t-elle avec la beauté antérieure au corps ? C’est demander comment l’architecte, ayant ajusté la maison réelle à l’idée intérieure de la maison, prononce que sa maison est belle. C’est parce que l’être extérieur de la maison, si l’on fait abstraction des pierres, n’est que l’idée intérieure, divisée selon la masse extérieure de la mati  ère et manifestant dans la multiplicité son être indivisible. Donc, lorsque l’on perçoit dans les corps une idée qui relie et domine la nature informe et contraire à l’idée, une forme qui se distingue en se subordonnant d’autres formes, on en saisit d’un seul coup la multiplicité éparse ; on la rapporte, on la ramène à l’unité intérieure et indivisible ; on lui confère l’accord, l’ajustement et la liaison intérieure avec cette unité intérieure. De même un homme de bien voit paraître la douceur chez un jeune homme, comme une trace de vertu en accord avec la vertu véritable et intérieure. La beauté d’une couleur simple lui vient d’une forme qui domine l’obscurité de la matière et de la présence d’une lumière incorporelle qui est raison et idée. D’où résulte que, entre tous les corps, le feu est beau en lui-même ; parmi les autres éléments, il est au rang de l’idée ; il est le plus élevé par sa position, et le plus léger de tous les corps, parce qu’il est voisin de l’incorporel ; il est seule et n’accueille pas en lui les autres éléments, tandis que les autres l’accueillent en eux ; car ils peuvent s’échauffer, tandis que lui ne peut se refroidir. C’est lui qui primitivement possède les couleurs et, de lui, les autres choses reçoivent la forme et la couleur. Il éclaire et il brille, parce qu’il est une idée. Les choses inférieures à lui, effacées par l’éblouissement de sa lumière, cessent d’être belles, parce qu’elles ne participent pas à l’idée totale de la couleur. Ce sont des harmonies musicales imperceptibles aux sens qui font les les harmonies sensibles ; par celles-là l’âme devient capable d’en saisir la beauté, grâce à l’identité qu’elles introduisent en un sujet différent d’elle-même. Il s’ensuit que les harmonies sensibles sont mesurées par des nombres qui ne sont point en un rapport quelconque, mais dans un rapport subordonné à l’action souveraine de la forme. J’en ai assez dit sur les beautés sensibles, images et ombres, qui, s’échappant en quelque sorte, viennent dans la matière, l’ordonnent, et dont l’aspect nous frappe d’effroi. ENNÉADES - Bréhier: I, 6 [1] - Du Beau 3

Les partisans du mélange total pourraient répondre que les corps se divisent bien, mais sans se dissoudre en fragments, même dans le cas du mélange total ; la sueur, diront-ils, coule sans qu’il y ait des fentes ou des trous sur le corps. Dira-t-on que la nature a fait le corps de telle manière que la sueur puisse le traverser ? Mais on fabrique des lames minces et continues que l’on voit un liquide imprégner complètement et traverser d’une face à l’autre. Comment est-ce possible, dira-t-on, si ces lames sont des corps ? Il n’est certes pas facile de comprendre comment un corps en traverse un autre sans le diviser ; mais, s’ils se divisaient, il est clair qu’ils se détruiraient complètement l’un l’autre. De plus, lorsque leurs adversaires parlent des cas où il n’y a pas augmentation de volume dans le mélange, ils en donnent comme raison la sortie de l’air renfermé dans l’un des corps : mais, dans le cas où le volume augmente, qui empêche, malgré la difficulté de cette explication, de dire que cette augmentation est due à ce que chacun des deux corps apporte au mixte sa grandeur propre avec ses autres qualités ? Car la grandeur ne s’évanouit pas plus que les autres qualités ; et de même que le mixte a une qualité nouvelle formée du mélange des qualités des deux corps, il aurait une grandeur nouvelle produite par le mélange des grandeurs des deux corps. Mais alors, pourraient répondre les partisans de la première thèse, puisque la matière d’un corps se juxtapose à la matière de l’autre, et sa masse, à laquelle est liée la grandeur, à la masse de l’autre, c’est notre thèse même que vous soutenez ; mais, si la matière de l’un, avec la grandeur qui est primitivement en elle, pénétrait entièrement celle de l’autre, le phénomène ne serait pas comparable à la juxtaposition de deux lignes placées bout à bout et se touchant par leurs points extrêmes (cas où il y aurait accroissement de grandeur), mais à la coïncidence de deux lignes ; et alors il n’y aurait pas accroissement. ENNÉADES - Bréhier: II, 7 [37] - Du mélange total 1

Restent les cas où le plus petit des corps, si petit qu’il soit, pénètre le plus grand, si grand qu’il soit, et où le mélange est apparent. Quand le mélange n’est pas apparent, l’on peut répondre que le petit corps ne s’étend pas de toutes parts dans le grand corps ; mais quand le mélange est apparent, c’est impossible ; on peut leur dire alors : vous parlez d’une extension de la masse du petit corps ; mais il est tout à fait invraisemblable qu’une masse si petite s’étende à tel point ; ce serait admettre que, sans changer de nature, les dimensions de cette masse augmentent autant que lorsque, d’eau, elle devient air. ENNÉADES - Bréhier: II, 7 [37] - Du mélange total 1

[Mais voilà une question qu’il faut traiter pour elle-même ; qu’arrive-t-il lorsque la masse d’eau est devenue de l’air ? Comment s’agrandit-elle ?] Restons-en maintenant aux arguments indiqués, parmi bien d’autres, en faveur de chacune des deux thèses ; et examinons par nous-mêmes ce qu’il faut dire à ce sujet, quelle est l’opinion conforme aux arguments indiqués, et s’il ne s’en présentera pas une autre, différente des deux premières. ENNÉADES - Bréhier: II, 7 [37] - Du mélange total 2

Lorsque de l’eau coule à travers de la laine, ou filtre goutte à goutte à travers un papier, pourquoi le corps liquide tout entier ne traverse-t-il pas la feuille ? Et lorsque l’eau ne coule plus, comment admettre que la matière de l’eau ne fasse que toucher à celle du papier et la masse de l’une à celle de l’autre, et que leurs qualités seules se mélangent ? Car la matière de l’eau n’est pas seulement juxtaposée de l’extérieur à celle du papier, et elle n’est pas davantage dans les intervalles du papier ; car la feuille est tout entière humide, et, en aucun point, sa matière n’est exempte de cette qualité ; et, puisque cette qualité est partout accompagnée de sa matière, il n’y a pas de point du papier où il n’y ait de l’eau. - Non pas de l’eau, dit-on, mais la qualité de l’eau. - Mais alors où est l’eau, et pour quoi la masse du papier n’est-elle pas restée la même ? - C’est l’eau qui, en s’ajoutant, a augmenté le papier ; il s’est accru des dimensions de l’eau qui s’y est introduite. S’il s’est accru, c’est qu’un volume d’eau s’est ajouté au sien ; s’il s’y est ajouté, c’est qu’il n’y a pas été absorbé. La matière de l’eau et celle du papier sont donc en des endroits différents. - Mais de même qu’un corps donne une qualité à un autre ou reçoit une qualité d’un autre, qui empêche que ce corps donne ou reçoive une grandeur ? [ - Le cas est différent ; car] si une qualité se joint à une autre, elle n’est plus ce qu’elle était ; jointe à l’autre, elle perd sa pureté, elle n’est plus elle-même, et elle s’affaiblit ; mais une grandeur, jointe à une autre grandeur, ne disparaît pas. ENNÉADES - Bréhier: II, 7 [37] - Du mélange total 2

Mais laissons là les arts. Considérons des choses, dont, nous dit-on, leurs acuvres sont les images, les choses qui naissent naturellement et que l’on appelle des beautés naturelles, animaux raisonnables ou sans raison, tous en général et surtout ceux d’entre eux qui sont bien réussis, parce que celui qui les a façonnés et créés a dominé la matière et y a produit la forme qu’il voulait. Qu’est-ce donc que leur beauté ? Ce n’est certes pas leur sang ni leurs menstrues ; mais ce n’est pas non plus leur couleur, qui est différente pour chacun, ni leur forme extérieure ; ou bien cette beauté n’est rien, ou bien elle est une chose sans figure. Elle est une chose simple, qui enveloppe en quelque sorte l’objet comme sa matière. D’où vient l’éclat de la beauté de cette Hélène si disputée, ou de ces femmes comparables à Aphrodité ? D’où vient la beauté d’Aphrodité elle-même, ou bien de tous ceux qui sont parfaitement beaux dans la race humaine, ou bien des dieux qui se montrent à nos regards, ou qui, sans être venus jusqu’à nous, possèdent une beauté visible ? N’est-ce pas dans tous les cas une forme, venue du générateur à l’engendré, comme dans les arts, disions-nous, elle vient des arts à leurs produits ? Quoi ! les produits et la raison inhérente à la matière seraient beaux, mais la raison qui n’est plus dans la matière mais dans le producteur ne serait pas belle, elle qui est première, qui est immatérielle, qui se réduit à une unité indivisible I Pourtant, si c’était la masse matérielle qui était belle en tant que masse, il faudrait que la raison productrice ne fût pas belle, puisqu’elle n’est pas une masse. Mais si une même forme nous touche autant, qu’elle soit en un être de petite masse ou de grande taille, si elle a la force de créer des dispositions dans l’âme du spectateur, ce n’est pas à l’étendue de la masse qu’il faut attribuer la beauté. La preuve, c’est que nous ne percevons pas la beauté tant qu’elle nous reste extérieure; mais elle nous émeut, dès qu’elle nous devient intérieure ; or, à travers les yeux, seule passe la forme ; comment la masse passerait-elle par un si petit espace ? Mais la forme entraîne avec elle la grandeur, non pas la grandeur qui s’étend dans la masse, mais celle qui vient, en l’objet, de la forme. De plus le producteur de la beauté doit être ou laid, ou indifférent, ou beau. Laid, il n’aurait pu produire son contraire ; indifférent, pourquoi aurait-il produit le beau plutôt que le laid ? D’ailleurs la nature qui produit des choses si belles est belle bien avant elles; mais nous, qui ne sommes pas habitués à voir l’intérieur des choses, qui ne le connaissons pas, nous recherchons l’extérieur, et nous ignorons que c’est l’intérieur qui nous émeut; comme un homme qui, les yeux tournés vers sa propre image, chercherait à l’atteindre sans savoir d’où elle venait. Une autre preuve que c’est bien autre chose qu’on recherche. et que la beauté n’est pas dans la grandeur, c’est « la beauté qui est dans les sciences, celle qui est dans les occupations », en général, celle qui est dans les âmes ; oui, il n’y a pas de beauté plus réelle que la sagesse que l’on voit en quelqu’un, on l’aime sans égard à son visage, qui peut être laid ; on laisse là toute son apparence extérieure, et l’on recherche sa beauté intérieure. Si elle ne vous fait pas dire qu’il est beau, vous serez incapable, en regardant en vous, de vous apercevoir vous-niênre comme beau; et dans ces conditions, il serait vain de chercher cette beauté ; car c’est dans la laideur et dans l’impureté que vous la chercheriez. Aussi nos discours sur ce sujet ni, s’adressent pas à tous les hommes : si vous vous êtes aperçu vous-même comme beau, rappelez-vous. ENNÉADES - Bréhier: V, 8 [31] - De la beauté intelligible 2

Imaginez le monde sensible, avec chacune de ses parties restant ce qu’elle est sans aucune confusion, et cependant toutes ensemble en une unité, autant que possible, si bien que l’apparition de l’une quelconque d’entre elles, par exemple de la sphère extérieure du ciel, soit immédiatement liée à l’imaae du soleil et, à la fois, des autres astres, et que l’on voie la terre, la mer, et tous les animaux, comme en une sphère transparente, en laquelle l’on pourrait réellement tout voir. Ayez dans l’esprit l’image lumineuse d’une sphère, image qui contienne tout en elle, les êtres qui sont en mouvement ou en repos, ceux qui ne sont qu’en mouvement, et ceux qui ne sont qu’en repos. Gardez bien cette image en vous, et supprimez-en la masse; supprimez-en encore l’étendue et la matière que vous avez dans l’imagination : n’essayez pas d’imaginer une autre sphère de masse plus petite ; mais invoquez le dieu qui a produit la sphère dont vous avez l’image, et priez-le, pour qu’il vienne jusqu’à vous. Le voici qui vient apportant son propre monde avec tous les dieux qui sont eti lui: il est unique et il est tous; chacun est tous ; tous sont en un ; tous sont différents par leurs puissances ; mais tous font un par l’unité de leur multiple puissance ; ou plutôt un est tous ; car il ne perd rien, quand naissent tous ceux-là ; tous sont ensemble ; chacun à part est en repos en un pointt indivisible, puisqu’il n’a pas de forme sensible ; sinon l’un seraift ici, l’autre ailleurs, et chacun ne serait pas, en soi, le total ; il ne contient pas de parties qui seraient différentes l’une de l’autre pour les autres ou pour lui-même, et sa totalité n’est pas celle d’une puissance qui se fragmente autant de fois qu’il y a de parties tombant sous la mesure. Cette totalité est puissance totale qui va à l’infini, qui s’exerce à l’infini ; et il est si grand que ses parties mêmes sont infinies. Où peut-on dire qu’il n’atteint pas ? Grand certes est notre monde avec toutes les puissances qu’il renferme à la fois : il serait plus grand encore, d’une grandeur telle qu’on ne pourrait le dire, s’il ne s’y unissait point une puissance corporelle, qui est petite ; on dira pourtant que grandes sont les puissances du feu et des autres corps : dès à présent, dans l’ignorance de ce qu’est la véritable puissance, on les imagine brûlant, anéantissant, écrasant, servant à la naissance des êtres vivants. Mais si elles font périr, c’est qu’elles-mêmes périssent ; si elles engendrent, c’est qu’elles-mêmes sont engendrées : là-bas, la puissance possède seulement l’être, seulement la beauté ; car où serait le beau privé de l’être? où serait l’être privé de la beauté? Perdre de la beauté, c’est aussi manquer d’être. Et c’est pourquoi l’être est objet de désir, parce qu’il est identique au beau, et le beau est aimable, parce qu’il est l’être. A quoi bon chercher lequel est cause de l’autre, puisqu’il n’y a là qu’une seule nature ? Ici c’est un être mensonger à qui il faut une beauté empruntée, un simulacre, pour paraître beau et même pour être ; il n’est qu’autant qu’il participe à la beauté de la forme, et il est d’autant plus parfait qu’il en a pris davantage : la belle essence est alors plus proche de lui. ENNÉADES - Bréhier: V, 8 [31] - De la beauté intelligible 9