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Bréhier-Plotin: indigence

quinta-feira 1º de fevereiro de 2024, por Cardoso de Castro

  

Tant qu’ils restent tempérants, leur attachement à la beauté d’ici-bas n’est pas une faute ; mais dès qu’ils se dégradent dans le plaisir sexuel, il y a faute. Quiconque aime cette beauté d’une âme pure, a assez d’elle seule, qu’il ait bu   non le souvenir de la beauté d’en haut ; mais quiconque a mêlé à cet amour le désir de l’immortalité compatible avec la nature mortelle, cherche le beau dans la perpétuité de la génération ; selon la loi naturelle, il féconde et il engendre dans le beau ; il féconde pour assurer la perpétuité ; il engendre dans le beau à cause de son affinité pour le beau. L’éternité est en effet parente de la beauté ; la nature éternelle est le beau primitif ; et tout ce qui dérive de cette nature est beau. Ainsi celui qui n’aspire pas à engendrer est plus complètement satisfait par la beauté ; si l’on désire produire la beauté, c’est par indigence, c’est parce qu’on n’est pas satisfait et parce que l’on pense l’être en produisant la beauté et en engendrant dans la beauté. Mais quiconque veut satisfaire son désir malgré les lois et contre la nature a bien suivi sans doute, au début, les voies de la nature ; mais il s’en écarte ; il dévie du droit chemin, et fait une chute profonde, sans avoir vu vers qui l’amour le menait et sans avoir connu ni le désir d’engendrer, ni le bon usage des images de la beauté, ni la nature de la beauté elle-même. Donc les uns aiment les beaux corps, non pour s’unir à eux, mais parce qu’ils sont beaux ; les autres éprouvent un amour auquel se mélange le désir de la femme, afin d’assurer la perpétuité de l’espèce. S’ils ne s’écartent pas de ce but, ils sont tempérants tout comme les premiers ; mais les premiers leur sont supérieurs. Les uns vénèrent la beauté d’icibas et s’en contentent ; les autres ont le souvenir de la beauté d’en haut sans dédaigner pourtant celle d’ici-bas, puisqu’elle est l’effet de l’autre et l’image où elle se joue. Et tous ceux-là approchent du beau sans honte ; mais il en est d’autres que la beauté fait tomber dans la laideur ; ainsi le désir du bien fait souvent tomber dans le mal. Telle est l’amour comme passion de l’âme. ENNÉADES - Bréhier  : III, 3 [50] - De l’Amour 1

C’est pourquoi, dans le récit de la naissance d’Éros, Platon   nous dit : « Poros est ivre de nectar ; car il n’y a pas encore de vin », ce qui veut dire : Éros est né avant les choses sensibles, et Pénia participe à une nature intelligible, et non point à une image ou à un reflet issu de l’intelligible ; venue là-bas, et mélangeant de la forme à de l’indétermination (c’est l’indétermination de l’âme qui n’a pas encore rencontré son bien, mais qui en pressent quelque chose dans l’image vague et mal définie qu’elle possède), elle enfante l’hypostase d’Éros. Comme la raison est venue en ce qui n’est point raison, mais désir vague et existence obscure, elle produit un être imparfait, incapable et besogneux ; car il est né d’un désir indéterminé et de la raison dans sa plénitude. Éros est donc la raison, mais une raison impure, qui renferme en ellemême un désir vague, déraisonnable et indéfini ; et ce désir ne sera pas satisfait, tant qu’Éros gardera en lui cette indétermination. Éros dépend de l’âme, puisqu’il a en elle son principe ; mais il est un mélange dérivé d’une raison qui n’est pas restée en elle-même et qui s’est unie à l’indétermination (bien que ce ne soit pas la raison elle-même qui ait contracté cette union, mais ce qui provient d’elle). Eros est comme le taon, qui ne possède rien par luimême ; quoi qu’il obtienne, il perd tout à nouveau. Il ne peut se rassasier parce qu’un être mélangé ne le peut pas ; seul, un être capable de trouver en lui-même la plénitude peut se rassasier véritablement. Mais lui, il est toujours dans le besoin, et désire toujours ; serait-il un moment rassasié, il ne garde rien ; il est sans ressources, à cause de son indigence ; mais il sait s’en procurer, grâce à la raison qui est en lui. ENNÉADES - Bréhier: III, 3 [50] - De l’Amour 7

Les mythes, s’ils sont vraiment des mythes, doivent séparer dans le temps les circonstances du récit, et distinguer bien souvent les uns des autres des êtres qui sont confondus et ne se distinguent que par leur rang ou par leurs puissances ; (d’ailleurs, même où [Platon] raisonne, il fait naître des êtres qui n’ont pas été engendrés, et il sépare des êtres qui n’existent qu’ensemble). Mais, après nous avoir instruits comme des mythes peuvent instruire, ils nous laissent la liberté, si nous les avons compris, de réunir leurs données éparses -. Voici comment nous en faisons la réunion : l’âme unie à l’intelligence, tirant d’elle son existence, comblée par elle de raisons, belle de toutes les parures qu’elle en reçoit, comblée de richesse, laissant voir en elle l’éclat et l’image de toutes les beautés intelligibles, voilà Aphrodité dans son ensemble. Poros ou la richesse, ce sont toutes les raisons qui sont en elle, quand le nectar a coulé d’en haut. L’éclat dont l’âme resplendit, cette splendeur de vie, c’est le jardin de Zeus, où dort Poros, appesanti par le nectar dont il s’est gorgé. Le festin des dieux, c’est la vie qui se montre et persiste éternellement chez les êtres réels, la félicité dont ils jouissent. Quant à Éros, il a toujours été ce qu’il est, puisqu’il résulte de l’aspiration de l’âme au meilleur et au bien ; il existe toujours, dès le moment où l’âme existe. C’est un être mixte ; il y a en lui de l’ indigence, puisqu’il aspire à se rassasier ; mais il n’est pas sans ressources, puisqu’il cherche le complément de ce qu’il possède ; il ne chercherait pas le bien, s’il n’avait absolument aucune part au bien. Il est né de Poros et de Pénia, ce qui veut dire : le besoin et le désir, en se rencontrant dans l’âme avec le souvenir des raisons, produit en elle une activité, orientée vers le bien, qui est Éros. Sa mère est Pénia, parce que c’est toujours le besoin qui fait que l’on désire ; Pénia est la mati  ère parce que la matière est besogneuse en tout, et parce que ce qu’il y a d’indéterminé dans le désir du bien (qui désire le bien n’a en effet en lui ni forme ni raison) rapproche de la matière l’être qui désire en tant qu’il désire. La forme ne visant qu’à ellemême a sa propre permanence en soi. Dès qu’un être désire recevoir, il s’offre comme matière à ce bien qui survient en lui. Éros est donc un être matériel, un démon né de l’âme, en tant que l’âme manque du bien et aspire à lui. ENNÉADES - Bréhier: III, 3 [50] - De l’Amour 9