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Bréhier-Plotin: durée

quinta-feira 1º de fevereiro de 2024, por Cardoso de Castro

  

Et lorsqu’il perd la raison, sous le flot des maladies ou des artifices de la magie ? - Si [les Stoïciens] admettent que, dans ces conditions, il ne perd pas la sagesse, non plus que dans l’état de sommeil, qu’est-ce qui l’empêche de garder le bonheur ? Car [les Stoïciens] disent qu’il ne perd pas le bonheur pendant son sommeil ; ils ne déduisent pas la durée du sommeil du temps de son bonheur, puisqu’ils disent qu’il est heureux pendant toute la vie. - On dira qu’il est alors heureux mais non pas sage. - Mais l’on ne parle plus alors de la même question ; c’est dans la supposition où il reste sage que nous demandions s’il est heureux tant qu’il reste sage. - Soit, dit-on, il reste sage ; sans le sentiment de sa vertu et sans les actions vertueuses, comment pourrait-il être heureux ?- Si l’on ne sent pas son état de santé, on a pourtant la santé ; si l’on ne sent pas sa beauté, on n’en est pas moins beau ; si l’on n’a pas le sentiment de sa sagesse, en serait-on moins sage ? - Oui, dira-t-on ; car la sagesse implique nécessairement le sentiment et la conscience de soi ; c’est dans la sagesse qui agit que l’on trouve le bonheur. - Si la pensée et la sagesse étaient des qualités acquises, l’argument serait bon ; mais la sagesse est dans la substance d’un être, ou plutôt de l’être ; cet être ne disparaît pas quand le sage est dans l’état de sommeil ou dans un état inconscient quelconque ; l’acte de cet être est lui-même dans le sage et cet acte est une veille sans sommeil ; le sage comme tel agit donc, même dans cet état ; mais cette action lui échappe ; non pas, il est vrai, à lui tout entier, mais à une partie de lui-même. (L’activité végétative aussi existe en nous ; mais elle ne s’étend pas à tout l’homme ; nous ne percevons pas cette activité par la sensation ; si le moi était cette activité, c’est lui qui agirait alors. En réalité, il est non pas cette activité, mais une activité pensante ; donc quand la pensée agit, c’est nous qui agissons.) ENNÉADES - Bréhier  : I, 4 [46] - Du bonheur 9

  •  Et l’homme malheureux ? Son malheur ne s’accroît-il pas avec le temps ? Tous les états pénibles, en durant plus longtemps, n’augmentent-ils pas notre malheur, par exemple, les longues souffrances, les douleurs et tous les états de ce genre ? Et, si leur durée suffit à augmenter notre mal, pourquoi n’en serait-il pas de même dans l’état contraire, le bonheur ? - Dans le cas des peines et des souffrances, l’on peut dire que leur durée les fait croître ; voici, par exemple, une maladie chronique ; elle devient une manière d’être permanente, et l’état du corps empire avec le temps. Supposons en effet qu’il reste le même et que le dommage n’augmente pas ; la peine qui est toujours un état présent sera aussi la même, dès que l’on ne fait pas entrer en compte l’état passé et que l’on n’y a pas égard. Mais le mal, en devenant un état chronique, s’accroît avec le temps ; il augmente, en devenant permanent ; et c’est à cause de cet accroissement de mal et non à cause de la plus grande durée d’un mal qui resterait égal à lui-même que nous devenons plus malheureux. Car, si le mal reste égal à luimême, comme les instants qui composent le surplus de durée n’existent pas simultanément, il ne faut pas dire que le mal en est plus grand ; ce serait compter ce qui n’est plus avec ce qui est. ENNÉADES - Bréhier: I, 5 [36] - Le bonheur s’accroît-il avec le temps ? 6

    [L’auteur] juge que le bonheur est une réalité effective ; or le temps qui est au-delà de l’instant présent, c’est ce qui n’existe plus. D’une manière générale, il veut que ce surplus de durée ne fasse que disperser une unité qui existe tout entière dans l’instant présent. C’est pourquoi le temps mérite d’être appelé image de l’éternité ; l’âme, dans la partie d’elle-même qui se disperse dans le temps, s’efforce de faire disparaître la permanence de son modèle intelligible ; déchue de l’éternité, retranchant la partie d’elle-même qui reste dans le monde intelligible, ne dépendant plus que d’elle seule, elle perd toute permanence ; jusque-là, cette permanence était conservée grâce à son modèle intelligible ; elle est perdue, si tout, dans l’âme, est en devenir. Puisque le bonheur est dans la vie qui est bonne, il faut évidemment le placer dans la vie de l’Être, qui est la meilleure des vies. Il ne faut pas mesurer cette vie par le temps mais par l’éternité : il n’y a pas là de plus ni de moins ; l’éternité n’a pas de longueur ; elle est l’être tel quel, inétendu et intemporel. Il ne faut pas joindre l’être au non-être, le temps à l’éternité, les choses éternelles aux choses temporelles ; il ne faut pas étendre l’inétendu : il faut le prendre dans son ensemble ; le prendre ainsi, c’est prendre non pas un instant indivisible dans le temps, mais la vie éternelle, non pas la vie composée de nombreuses périodes de temps, mais celle qui les contient toutes à la fois. ENNÉADES - Bréhier: I, 5 [36] - Le bonheur s’accroît-il avec le temps ? 7

  •  Mais le temps met au jour bien de belles actions, qu’ignore celui qui est heureux peu de temps (si l’on doit même appeler tout à fait heureux celui dont le bonheur ne se traduit pas par un grand nombre de belles actions). - Dire que le bonheur résulte de beaucoup d’années et de beaucoup d’actions, c’est le composer d’êtres qui ne sont plus, d’événements passés et de l’instant présent qui est unique. C’est pourquoi nous avions posé ainsi la question ; le bonheur étant dans chaque instant présent, est-ce être plus heureux qu’être heureux plus longtemps ? La question est maintenant de savoir si la plus longue durée du bonheur, en permettant des actions plus nombreuses, ne rend pas aussi le bonheur plus grand. D’abord, on peut être heureux sans agir, et non pas moins heureux mais plus heureux qu’en agissant8. Ensuite, l’action ne produit aucun bien par ellemême ; ce sont nos dispositions intérieures qui rendent nos actions honnêtes ; le sage, quand il agit, recueille le fruit non pas de ses actions elles-mêmes ni des événements, mais de ce qu’il possède en propre. Le salut de la patrie peut venir d’un méchant ; et, si un autre en est l’auteur, le résultat est tout aussi agréable pour qui en profite. Cet événement ne produit donc pas le plaisir particulier à l’homme heureux ; c’est la disposition de l’âme qui crée et le bonheur et le plaisir qui en dérive. Mettre le bonheur dans l’action, c’est le mettre en une chose étrangère à la vertu et à l’âme ; l’acte propre de l’âme consiste à être sage ; c’est un acte intérieur à ellemême, et c’est là le bonheur. ENNÉADES - Bréhier: I, 5 [36] - Le bonheur s’accroît-il avec le temps ? 10
  •  Quel démon nous mène donc ? Un démon qui est ici-bas. Quel dieu ? Est-ce bien un dieu ici-bas ? Car c’est une faculté agissante que chacun a pour guide, parce qu’elle le dirige ici-bas. Cette faculté est-elle donc le démon auquel est échue notre vie ?-Nullement ; ce démon est un principe supérieur à cette faculté ; il préside à notre vie sans agir lui-même, et c’est la faculté inférieure qui agit. Par exemple, si notre faculté active est la sensibilité, notre démon est un principe raisonnable ; si nous vivons d’une vie conforme à la raison, notre démon est un principe supérieur à la faculté de la raison ; il préside à notre vie sans agir lui-même, et permet à notre faculté rationnelle d’entrer en activité. C’est pourquoi Platon   dit avec raison que « nous choisirons notre démon » ; car en choisissant un genre de vie, nous choisissons un démon supérieur à cette vie. - Pourquoi, alors, nous « conduit-il ? » - Il ne peut conduire l’être qui a achevé sa vie ; auparavant, il nous conduit pendant toute la durée de notre vie ; mais, une fois la vie terminée, l’on obéit à un autre démon, parce que l’on est mort à la vie en acte. ENNÉADES - Bréhier: III, 4 [15] - Du démon qui nous a reçus en partage 3
  •  Pourtant Platon dit que le démon en question, après avoir conduit l’âme au Hadès, ne reste pas le même, à moins que l’âme ne choisisse une seconde fois la même vie. Mais que devient-il avant ce nouveau choix ? - Conduire les âmes au jugement, c’est, pour le démon, reprendre, à l’issue de la vie, la même forme qu’il avait avant la naissance ; et comme au début d’une nouvelle période, il reste auprès des âmes qui subissent le châtiment, pendant toute la durée qui s’écoule jusqu’à la seconde naissance ; mais ce n’est pas une vie, c’est l’expiation de leur vie. ENNÉADES - Bréhier: III, 4 [15] - Du démon qui nous a reçus en partage 6