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Bréhier-Plotin: destin

quinta-feira 1º de fevereiro de 2024, por Cardoso de Castro

  

D’ailleurs, il est sans doute nuisible à l’âme d’employer le poison pour faire sortir l’âme du corps. De plus, puisque le temps qui a été donné à chacun de nous est fixé par le destin, il est dangereux de le prévenir, à moins, comme nous le disons, qu’il n’y ait absolue nécessité. Enfin, tels nous sommes en sortant du corps, tel est le rang que nous occuperons là-bas ; tant que nos progrès peuvent encore continuer, il ne faut donc pas faire sortir l’âme du corps. ENNÉADES - Bréhier  : I, 9 [16] - DU SUICIDE RAISONNABLE Notice du Traducteur

Cette courte prédication, destinée à empêcher le suicide, ne peut avoir été écrite, comme on l’a quelquefois pensé, à l’occasion de l’accès de mélancolie qui donna à Porphyre   le désir de quitter la vie ; car elle date d’une époque antérieure à l’arrivée de Porphyre dans l’école ; elle emprunte presque tous ses traits à la prédication morale populaire contre le suicide, telle qu’on la trouve chez Épictète ; elle a, sans doute, dans la diatribe, des modèles plus anciens. Elle dépasse en effet singulièrement les courtes indications du Phédon   sur la question. Deux des arguments (il faut attendre la dissolution naturelle des liens du corps et de l’âme ; le temps de la mort est fixé par le destin) sont des arguments stoïciens (Épictète, I, 29, 28). L’argument final (il faut vivre pour progresser moralement) et le troisième (le suicide est le résultat des passions) répondent aussi à des préoccupations d’Épictète (I, 29, 29 ; I, 1, 26). Le quatrième argument (il faut accepter même la folie) est la négation de l’opinion contraire généralement acceptée par les Stoïciens (cf. Marc Aurèle  , III, 1), mais qui ne paraît pas être celle d’Épictète [NT: Entretiens, II, 17, 33 ; cf. Bonhöffer, Ethik des Stoiker Epictets, Stuttgart, 1894, p. 32.]. Restent quelques traits qui viennent d’une inspiration différente ; la citation de l’oracle chaldaïque au début, la croyance que le suicide ne rompt pas les liens avec le corps, et celle que le poison a une action nocive sur l’âme. Ce sont vraisemblablement des idées d’origine pythagoricienne [NT: Cumont  , « Comment Plotin   détourna Porphyre du suicide », Revue des Études grecques, 1919, p. 153.]. ENNÉADES - Bréhier: I, 9 [16] - DU SUICIDE RAISONNABLE Notice du Traducteur

Se reposer quand on est arrivé là et ne pas vouloir aller plus haut, c’est être paresseux ou ne pas écouter ceux qui remontent aux causes premières, situées au delà. Pourquoi, de deux individus nés dans les mêmes circonstances, par exemple au lever de la lune, l’un commetil un vol et non pas l’autre ? Pourquoi, sous des influences semblables du milieu, l’un tombe-t-il malade et non pas l’autre ? Pourquoi le même travail conduit-il l’un à la fortune et l’autre à la pauvreté ? Pour les différences entre les moeurs, les caractères et les sorts, on croit devoir remonter à des causes lointaines. Jamais l’on ne s’arrête aux faits ; mais les uns posent des principes corporels, comme des atomes ; pour eux, les rapports des choses, leurs états et leur naissance sont l’effet du mouvement des atomes, de leurs chocs et de leur entrelacement comme en sont l’effet, la constitution, les actions et les passions des choses ; nos tendances et nos dispositions dépendent aussi de l’action de ces principes. Il y a là une nécessité qui résulte des atomes, et que l’on introduit dans les êtres. Admettrait-on, comme principes, des corps autres que les atomes, si l’on en fait provenir toute chose, l’on rend aussi les êtres esclaves d’une nécessité dérivée de ces corps. D’autres, remontant au principe de l’univers, déduisent tout de ce principe, et font de lui une cause qui pénètre toutes choses, cause non seulement motrice, mais productrice des êtres ; pour eux, le principe est le destin et la cause souveraine ; des modes de son mouvement dépendent non séulement les autres événements de l’univers, mais encore nos propres pensées ; comme dans un animal chaque partie a un mouvement qui vient non d’ellemême, mais de la partie principale de l’âme qui est en lui. D’autres parlent du mouvement de translation de l’univers, qui contient toute chose et produit tout par son action, par les rapports mutuels de position des planètes et des astres, et les figures qui en résultent ; et ils invoquent les prédictions fondées sur ces rapports ; de là proviennent, selon eux, tous les événements. D’autre part, parler de l’implication des causes les unes dans les autres et du lien qui leur vient d’un principe supérieur, dire que les conséquents suivent toujours des antécédents, qu’ils se ramènent à eux, que sans eux ils ne seraient pas et que l’état postérieur est soumis à l’état antérieur, c’est manifestement une autre manière d’introduire le destin. En divisant en deux cette doctrine, on ne s’écartera donc pas de la vérité. Car les uns rattachent tout à une réalité unique, et non les autres, comme nous le dirons plus tard’. Maintenant notre argumentation doit aller aux premiers ; il faudra ensuite examiner les idées des autres. ENNÉADES - Bréhier: III, 1 [3] - Du destin 2

Attribuer toutes choses à des corps, que ce soit des atomes ou ce qu’on appelle des éléments, engendrer avec le mouvement irrégulier qui en résulte la règle, la raison et l’âme dominatrice, c’est à la fois absurde et impossible, et il est plus impossible encore, si l’on peut dire, de partir des atomes. On a présenté sur ce point beaucoup d’arguments très justes. Si l’on pose de tels principes, il ne s’ensuit pas même d’une façon nécessaire qu’il y ait, pour toutes choses, une nécessité ou, pour parler autrement, un destin. À supposer d’abord que ces principes soient les atomes, ils sont animés d’un mouvement vers le bas (admettons qu’il y ait un bas) ou d’un mouvement oblique quelconque, chacun dans une direction différente. Aucun de ces mouvements n’est régulier, puisqu’il n’y a pas de règle, et leur résultat, une fois produit, serait régulier ! Il n’y a donc absolument ni prédiction ni divination, qu’il s’agisse de la divination par l’art (comment l’art aurait-il pour objet des choses sans règle ?) ou de la divination enthousiaste et inspirée ; car il faut, en ce cas aussi, que l’avenir soit déterminé. Il y aura bien nécessité, pour les corps qui reçoivent le choc des atomes, de subir le mouvement que ces atomes leur impriment ; mais à quels mouvements d’atomes attribuera-t-on les actions et les passions de l’âme ? Quel est le choc qui, en portant l’âme vers le bas, ou en la heurtant d’une manière quelconque, la fera raisonner ou vouloir de telle ou telle manière, donnera au raisonnement, à la volonté ou à la pensée une existence nécessaire et, plus généralement, l’existence ? Et lorsque l’âme s’oppose aux passions du corps ? Quels mouvements d’atomes effectueront nécessairement la pensée du géomètre, celle de l’arithméticien et de l’astronome, et enfin la sagesse ? Car enfin, ce qui est nôtre dans nos actions, ce qui fait de nous des êtres vivants, tout cela disparaîtra, si nous sommes emportés où nous mènent les corps et au gré de leur impulsion, comme des choses inanimées. Les mêmes arguments s’adressent à ceux qui posent comme principes des corps autres que les atomes ; on peut dire en outre que ces corps peuvent nous réchauffer, nous refroidir et faire périr ceux qui sont plus faibles ; mais il n’en résulte aucune des actions propres de l’âme, et il faut faire dériver ces actions d’un principe différent. ENNÉADES - Bréhier: III, 1 [3] - Du destin 3

  •  Est-ce une âme unique, pénétrant toutes choses, qui accomplit tout ? Est-ce que chaque être est une partie qui se meut comme l’univers la mène ? Est-il nécessaire qu’il y ait, entre toutes les causes enchaînées qui en dérivent, cette continuité dans la succession et cette liaison que l’on appelle fatalité ? En est-il comme d’une plante, qui a son principe dans la racine, principe qui s’étend à travers toutes ses parties ? Il y a entre elles liaison réciproque, action et passion, et, pourrait-on dire, un gouvernement unique et comme un destin de la plante. ENNÉADES - Bréhier: III, 1 [3] - Du destin 4
  •  Mais d’abord, forcer à ce point l’action de la nécessité et du destin ainsi conçu, c’est les détruire, et c’est aussi détruire l’enchaînement des causes. Quand les parties de notre corps se meuvent sous l’influence de la partie principale de l’âme, il est absurde de dire qu’elles se meuvent fatalement (car le producteur du mouvement n’est pas un être différent de la partie qui le reçoit et qui utilise l’impulsion qui en vient ; ce qui est premier, c’est ce qui meut la jambe) ; de la même manière, si, dans l’univers, l’agent et le patient ne font qu’un, si un être ne vient pas d’un être différent selon un lien causal qui nous fait toujours remonter à un être différent, il n’est pas vrai que tout événement ait une cause, puisque tous les êtres ne feront qu’un. Alors, nous ne sommes plus nous-mêmes, et aucune action n’est notre action ; ce n’est pas nous qui réfléchissons, mais nos volontés sont les pensées d’un autre être ; ce n’est pas nous qui agissons, de même que, dans le corps, ce ne sont pas les pieds qui frappent, mais c’est nous qui frappons avec nos pieds. Pourtant il faut que chacun soit lui-même, que nos pensées et nos actions soient nôtres, que nos actions, bonnes ou mauvaises, viennent de nous, et il ne faut pas attribuer à l’univers la production du mal. ENNÉADES - Bréhier: III, 1 [3] - Du destin 4

    Reste à considérer la thèse d’un principe unique qui relie et enchaîne toutes choses les unes avec les autres, qui confère à chacune sa manière d’être, et par qui tout s’accomplit suivant des raisons séminales. Cette opinion est voisine de celle qui fait venir toutes les dispositions et tous les mouvements (les nôtres et ceux de l’univers), de l’âme de l’univers, bien que cette seconde opinion ait l’intention de nous faire à chacun une concession, en admettant des choses qui dépendent de nous. Elle comporte la nécessité de toutes choses : si l’on prend toutes les causes de chaque événement, il est impossible que cet événement n’ait pas lieu ; car il n’y a plus rien pour l’empêcher ou pour faire qu’il ait lieu autrement, si toutes les causes sont bien prises dans le destin. Mais, telles qu’elles sont, issues d’un principe unique, elles ne nous laisseront rien à faire, qu’à être portés où elles nous pousseront. Les représentations seront l’effet de leurs antécédents, et les tendances seront conformes aux représentations ; la liberté ne sera donc qu’un mot1z ; car. que c’est nous qui avons la tendance, cela ne fait rien de plus, puisqu’elle est le résultat de ces causes ; elle n’est pas plus en notre pouvoir que celles des animaux, des nouveau-nés dirigés par des instincts aveugles, ou même des fous ; car les fous aussi ont des tendances ; et par Zeus, le feu aussi a ses tendances, comme toutes les choses qui sont assujetties à leur propre constitution et s’y conforment dans leurs mouvements. Tout le monde le voit, personne ne le conteste ; mais on cherche pour cette tendance d’autres causes ; et on ne s’en tient pas à elle comme à un principe. ENNÉADES - Bréhier: III, 1 [3] - Du destin 7

    Finalement, cette argumentation veut dire que tout est annoncé et produit par des causes, mais que ces causes sont doubles ; il y a des événements produits par l’âme, d’autres par d’autres causes qui l’environnent. Les âmes, en accomplissant leurs actions, peuvent agir selon la droite raison ; alors, c’est par elles-mêmes qu’elles accomplis sent leurs actions ; ou bien, empêchées d’agir par elles-mêmes, elles pâtissent plutôt qu’elles n’agissent. Les causes qui privent l’âme de la sagesse sont donc différentes de l’âme, et peut-être faut-il dire que dans ce cas elle agit selon le destin, du moins si l’on croit que le destin est une cause extérieure. Mais les meilleures actions viennent de nous ; telle est notre nature, lorsque nous sommes isolés. Les belles actions des sages dépendent d’eux-mêmes ; les autres hommes, lorsqu’il leur est permis de reprendre haleine, font aussi de bonnes actions, non qu’ils reçoivent les pensées sages d’ailleurs que d’eux-mêmes, mais parce que les obstacles sont levés. ENNÉADES - Bréhier: III, 1 [3] - Du destin 10

    De toutes les choses se forme un être unique ; et il n’y a qu’une seule providence ; à commencer par les choses inférieures, elle est d’abord le destin ; en haut, elle n’est que providence. Tout, dans le monde intelligible, est ou bien raison, ou même, au-dessus de la raison, intelligence et âme pure. Tout ce qui descend de là-haut est providence, c’est-à-dire tout ce qui est dans l’âme pure, et tout ce qui vient de l’âme aux animaux. En descendant, la raison se partage ; ses parties ne sont pas égales ; elles ne produisent donc pas des êtres égaux, pas plus que les parties de la raison séminale dans un animal particulier. Puis viennent les actions des êtres ; ces actions sont conformes à la providence, quand les êtres agissent d’une manière agréable aux dieux (car la loi de la providence est aimée des dieux). Donc ces actes sont liés au reste ; ils ne sont pas l’oeuvre de la providence ; ils ont pour auteurs soit des hommes, soit des êtres quelconques, vivants ou inanimés, mais, dès qu’il en résulte quelque bien, la providence les en;lobe, de manière à faire triompher partout le mérite, à changer les âmes et à corriger les fautes. C’est ainsi que, dans le corps d’un animal, la santé est un don de la providence qui veille sur lui ; survient-il une coupure ou une blessure quelconque, immédiatement la raison séminale qui administre le corps de cet animal rapproche et réunit les bords de la plaie, et guérit ou améliore la partie malade. ENNÉADES - Bréhier: III, 3 [48] - De la Providence, livre deuxième 5

    Si l’âme revient ici-bas, elle prend le démon qu’elle avait ou un autre, selon la vie qu’elle choisit. Son démon est comme la barque sur laquelle elle aborde ce monde ; puis « le fuseau de la nécessité » l’accueille et la fait se ranger, comme sur un navire, à la place d’où dépendra son sort. Le mouvement des sphères l’entraîne, comme le vent entraîne le passager sur le vaisseau, qu’il soit assis ou qu’il marche ; elle voit bien des spectacles divers, subit bien des changements et des accidents, comme le passager, sur le vaisseau, subit l’action du balancement du navire ou bien change de place de son propre mouvement, parce qu’il a sa manière à lui de se comporter sur le navire. Voyez, en effet, que, dans les mêmes conditions, tout le monde n’exécute pas le même mouvement, n’a pas la même volonté et n’agit pas de la même manière. Pour des hommes différents, que les circonstances soient identiques ou non, les résultats sont toujours différents ; pour d’autres, les événements sont toujours les mêmes, les circonstances fussent-elles différentes : tel est, en effet, leur destin. ENNÉADES - Bréhier: III, 4 [15] - Du démon qui nous a reçus en partage 6