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Romano Guardini: L’ange dans la Divine Comédie (I)

segunda-feira 17 de novembro de 2008, por Cardoso de Castro

  

Celui qui, après une lecture approfondie, jette un regard en arrière sur la Divine Comédie, voit se dessiner l’image d’un voyage prodigieux.

Il est bon, en général, pour posséder plus profondément un poème, de jeter sur lui ce regard en arrière et de discerner la structure fondamentale qui s’en dégage — comme si l’on avait cheminé à travers un pays de montagne, que l’on ait vu des prairies et des forêts, des gorges et des hauteurs, et que, d’un dernier sommet, on ait devant les yeux la structure fondamentale, le « signe » comme dirait Hölderlin  , de tout le caractère montagneux. Celui qui a vécu ainsi d’un bout à l’autre la Divine Comédie, qui a rencontré les individus et les groupes, qui a fait l’expérience des ténèbres et des tourments, mais aussi de la libération progressive et de l’infini de lumière, voit, lorsqu’il se retourne, la ligne d’un voyage menant à travers tous les domaines de l’existence, résumant tout ce qui a nom « monde » et « vie humaine ».

L’Iliade apparaît comme une grande mer agitée. C’est le long combat pour une ville qui constitue non seulement son contenu, mais aussi son « signe ». Le mouvement de ses vagues est si puissant que le lecteur ne pense absolument pas qu’à dire vrai, on ne lui conte là qu’un simple épisode des combats pour Troie, c’est-à-dire « la colère d’Achille » ; involontairement, il voit dans le poème toute la guerre, le destin des héros et la Grèce entière qui les enveloppe de sa lumière. La structure de l’Enéide est un départ et une fondation déterminée par les puissances de la soumission au destin et de la pieuse obéissance. Tout est concis ; personnage et événement ont des contours strictement limités et l’immense historicité de l’empire romain en ressort. Le Roi Lear se dresse comme un bloc de destin.

Pour le regard exercé, tout est contenu déjà dans les premières scènes, et la suite n’est que le déroulement qui s’accomplit de façon inéluctable. Si l’on jette un regard sur la Divine Comédie depuis le lointain du souvenir, on voit un homme, Dante  , qui, pour son salut et tendant toutes ses forces, descend en enfer, gravit la montagne de la purification et est élevé à travers tous les cieux. On le voit vivre pleinement faute, souffrance, grandeur, grâce et gloire, jusqu’à ce que sa route se termine soudain et brusquement dans un accomplissement suprême.

Mais procédons avec plus de précautions encore ; les belles choses ne révèlent toute leur beauté que si on les regarde attentivement. L’Odyssée aussi est cheminement, voyage ; elle est déterminée, il est vrai, par la fatalité, et remplie d’une lourde nostalgie, quoique tout le plaisir de l’aventure la traverse. Car ce destin est précisément celui d’Ulysse, l’ancêtre de tous ceux qui cherchent le large. Le regret du pays natal n’est qu’un trait dans l’aspiration de sa nature, l’autre étant le désir de partir vers les lointains du monde... Le voyage de Dante, au contraire, n’est en aucune manière une aventure, il est très profondément sérieux. Il s’agit là de la destinée éternelle de la personne ; il est soumis à la faveur et à l’acquiescement, mais aussi à la justice divine et à une exigence indiscutable. Ainsi, tout dans la Divine Comédie est ramassé et rigoureux ; nulle part une paisible errance ou une découverte agitée. Sans cesse il faut avancer : « Poursuis, le temps est court !» On a remarqué avec raison que l’œuvre laisse l’impression d’une tension qui, malgré l’ampleur croissante, augmente continuellement, de sorte que la conclusion inouïe, qui n’a pas son égale dans toute la poésie, donne en même temps la sensation que les forces sont à bout. Après les derniers vers du trente-troisième chant du Paradis, tout est réellement épuisé, le sujet et les forces — mais aussi tout est accompli. C’est cette fin qui appelle et détermine le déroulement entier de la Divine Comédie.


VOIR AVANT : Introduction

VOIR APRÈS : CHAPITRE II