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HB: Roi

sábado 3 de fevereiro de 2024

  

Considérées à part, les "moitiés" de l’Unité originellement indivisée peuvent être distinguées de diverses façons : selon le point de vue politique, par exemple, sous la forme du Sacerdoce et de la Royauté (brahmakshatrau), et selon le point de vue psychologique sous la forme du Soi et du Non-Soi, de l’Homme Intérieur et de l’Individualité extérieure, du Mâle et de la Femelle. Ces couples sont disparates. Et, même lorsque le terme subordonné s’est séparé du terme supérieur en vue de leur coopération productrice, il demeure dans ce dernier d’une façon suréminente. Ainsi le Sacerdoce est "à la fois le Sacerdoce et le Règne" - c’est là la condition de la mixta persona du prêtre-roi Mitrâvarunau, ou Indrâgnî - mais le Règne, en tant que fonction distincte, n’est rien d’autre que lui-même, étant relativement féminin et subordonné au Sacerdoce, son Gouverneur (nêtri = hegemon). Mitra et Varuna correspondent au para et à l’apara Brahma, et, de même que Varuna est féminin par rapport à Mitra, de même Brahma, en tant que brahma-yoni, bhûta-yoni, est féminin par rapport à l’Ancêtre. La distinction des fonctions en termes de sexe définit la hiérarchie. Dieu lui-même est mâle par rapport à tout. Mais, de même que Mitra est mâle par rapport à Varuna et Varuna, mâle à son tour par rapport à la Terre, de même le Prêtre est mâle par rapport au Roi et le Roi mâle par rapport à son royaume. De la même manière, l’homme est sujet du gouvernement conjoint de l’Église et de l’État, mais il détient l’autorité au regard de sa femme, laquelle à son tour administre son "état". A travers toute cette suite, c’est le principe noétique qui sanctionne ou prescrit ce que l’harmonie accomplit ou évite. Le désordre n’apparaît que lorsque le second terme se laisse arracher a son allégeance normale par la tyrannie de ses propres passions, et identifie cet asservissement à la "liberté (NA: Pour tout ce paragraphe, voir notre "Spiritual Authority and Temporal Power in the Indian Theory of Gosernment", American Oriental Series, XXII, 1942.)". 29 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Théologie et Autologie

Le mariage sacré, consommé dans le coeur, adombre le plus profond de tous les mystères (NA: Shatapatha Brâhmana, X, 5, 2, 11, 12 ; Brihadâranyaka Upanishad  , IV, 3, 21.), car il signifie à la fois notre mort et notre résurrection béatifique. Le mot "prendre en mariage" (êko bhû, devenir un) signifie aussi "mourir", tout comme le grec teleon veut dire être parfait, être marié et mourir. Quand "chacun est les deux", aucune relation ne subsiste : et n’était-ce en vertu de cette béatitude (ânanda), il n’y aurait nulle part de vie ni de bonheur (NA: Taittirîya Upanishad, 11, 7.). Tout cela sous-entend que ce que nous appelons le processus du monde, la création, n’est rien qu’un jeu (krîdâ, lîlâ, paidia, dolce gioco) que l’Esprit joue avec lui-même, comme la lumière du soleil "joue" sur tout ce qu’elle éclaire et vivifie, toutefois sans être affectée par ses contacts apparents. Nous qui jouons le jeu de la vie si désespérément pour les enjeux de ce monde, nous pourrions jouer le jeu d’amour avec Dieu pour des enjeux qui les surpassent, à savoir notre soi et le Sien. Nous jouons l’un contre l’autre pour la possession des biens, quand nous pourrions jouer avec le Roi qui joue son trône et Ce qu’Il est contre notre vie et tout ce que nous sommes : un jeu où, plus on perd, plus on gagne ( Pour tout ce paragraphe, voir ma "Lîlâ" dans Journal of the American Oriental Society, 61, 1940. "Tu as inventé ce "Je" et "Nous" afin de pouvoir jouer le jeu d’adoration avec Toi-même, Afin que tous les "Je" et les "Tu" deviennent une seule vie". Rûmî  , Mathnawî, I, 1787. Per sua diffalta in pianta ed in affamo - Cambio onesto riso e dolce gioco. Dante  , Purgatorio, XXVIII, 95, 96.). 31 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Théologie et Autologie

Par la séparation du Ciel et de la Terre, on distingue les "Trois Mondes" ; le Monde Intermédiaire (antariksha) produit l’espace, dans lequel les possibilités latentes de manifestation formelle pourront naître selon la multiplicité de leurs natures. De la première substance, l’éther (âkâsha), dérivent successivement l’air, le feu, l’eau et la terre ; et de ces cinq éléments (bhûtâni), combinés en proportions variées, sont formés les corps inanimés des créatures (NA: Chândogya Upanishad, 1, 9, 1 ; VII, 12, 1 ; Taittirîya Upanishad, II, 1, 1. L’Éther est l’origine et la fin du "nom et de la forme", i. e. de l’existence ; les quatre autres éléments sont issus de lui et retournent à lui comme à leur principe. Quand il est tenu compte de quatre éléments seulement, comme cela arrive fréquemment dans le Bouddhisme, on a en vue les bases concrètes des choses matérielles ; cf. Saint Bonaventure  , De red. artium ad theol., 3, Quinque sunt corpora mundi simplicia, scilicet quatuor elementa et quinta essentia. Tout comme, dans l’ancienne philosophie grecque, les "quatre racines" ou "éléments" (feu, air, terre et eau d’Empédocle  , etc.) ne comprennent pas l’éther spatial, tandis que Platon   mentionne les cinq (Epinomis  , 981 C) et qu’Hermès fait remarquer que "l’existence de toutes les choses qui sont eût été impossible si l’espace n’avait existé comme une condition préalable de leur être". (Ascl. II, 15). Il serait absurde de supposer que ceux qui parlaient seulement de quatre éléments n’avaient pas à l’esprit cette notion passablement évidente.), dans lesquels la Divinité entre pour les éveiller, se divisant elle-même pour remplir ces mondes et devenir la "Multitude des Dieux" (vishwê dêvâh), Ses enfants (NA: Maitri Upanishad  , II, 6 ; VI, 26 ; c’est-à-dire apparemment (iva) divisé dans les choses divisées, mais en réalité non divisé (Bhagavad Gîtâ, XIII, 16 ; XVIII, 20), cf. Hermès Lib., X, 7, où "les âmes prosiennent pour ainsi dire (wsper) du morcellement et du partage de la seule Ame Totale".). Ces Intelligences (jn  ânâni, ou spirations, prânâh) (NA: Jnânâni, prajnâ-mâtrâ etc. Katha Upanishad  , VI, 10 ; Maitri Upanishad, VI, 30 ; Kaush. UP., III, 8.), sont les hôtes des "êtres" (bhûtagana) ; elles opèrent en nous, unanimement, à titre d’"âme élémentaire" (bhûtâtman), ou de soi conscient (NA: Maitri Upanishad, III, 2 f.). C’est là en effet notre "soi", mais un soi pour le moment mortel, sans essence spirituelle (anâtmya, anâtmâna), ignorant du Soi immortel (âtmânam ananuvidya, anâtmajna) (NA: Shatapatha Brâhmana, II, 2, 2, 3, 6. Cf. Notes 199, 204.), et qu’il ne faut pas confondre avec les Déités immortelles qui sont déjà devenues ce qu’elles sont par leur "valeur" (arhana), et que l’on désigne sous le nom d’"Arhats" (Dignités) (NA: Rig Vêda Samhitâ, V., 86, 5 ; X, 63, 4.). Par le moyen des déités perfectibles et terrestres, tout comme un Roi reçoit le tribut (balim âhri) de ses sujets (NA: Atharva Vêda Samhitâ, X, 7, 39, XI, 4, 19 ; Jaiminîya Upanishad Brâhmana, 23, 7 ; Brihadâranyaka Upanishad, IV, 3, 37, 38.), le Personnage dans le coeur, l’Homme Intérieur, qui est aussi le Personnage dans le Soleil, obtient la nourriture (anna, ahara), tant physique que mentale, qui lui est nécessaire pour subsister durant sa procession de l’être vers le devenir. En raison de la simultanéité de sa présence dynamique dans tous les devenirs passés et futurs (NA: Rig Vêda Samhitâ, X, 90, 2 ; Atharva Vêda Samhitâ, X, VIII, 1 ; Katha Upanishad, IV, 13 ; Shwêt. Up., III, 15.), on peut regarder les pouvoirs créés, à l??uvre dans notre conscience, comme le support temporel de la prosidence (prajnâna) et de l’omniscience (sarvajnâna) éternelles de l’Esprit solaire. Non que le monde sensible, avec ses événements successifs, déterminés par des causes médiates (karma, adrishta apûrva), soit pour lui source de connaissance ; mais bien plutôt parce que ce monde est lui-même la conséquence de la science qu’a l’Esprit de "cette image diverse peinte par lui-même sur le vaste canevas de lui-même (NA: Shankarâchârya, Swâtmanirûpana, 95. L’"image du monde" (jagacchitra = kosmos noetos) peut être appelée la forme de l’omniscience divine, et elle est le paradigme hors du temps de toute existence, la «création" étant exemplaire, cf. mon "Vedic Exemplarism" dans Harvard Journal of Asiatic Studies, I, 1936. "Un précurseur de l’Indo-Iranien arta et même de l’Idée platonicienne se trouve dans le sumérien gish-ghar, le contour, plan ou modèle des choses-qui-doivent-être, établi par les Dieux à la création du monde et fixé dans le ciel en vue de déterminer l’immutabilité de leur création" (Albright, dans JAOS, 54, 1934, p. 130, cf. p. 121, note 48). L’"image du monde" est la paradeigma aiona de Platon (Timée  , 29 A, 37 C), to archetypou eidas d’Hermès, et l’éternel miroir qui conduit les esprits qui regardent en lui vers la connaissance de toutes les créatures, et "mieux qu’en regardant ailleurs" de saint Augustin   (voir Bissen, L’exemplarisme divin selon saint Bonaventure, 1929, p. 39, note 5) ; cf. saint Thomas d’Aquin  , Sum. Theol., I, 12, 9 et 10, Sed omnia sic videntur in Deo sicut in quodam speculo intelligibili... non successive, sed simul. "Quand l’habitant du corps, contrôlant les facultés de l’âme qui saisissent ce qui leur appartient dans les sons, etc., s’illumine, il voit l’Esprit (âtman) dans le monde, et le monde dans l’Esprit" (Mahâbhârata, III, 210) ; "Je vois le monde comme une image, l’Esprit" (Siddhântamuktâvalî, p. 181).)". Ce n’est pas par le moyen de la Totalité qu’il se connaît lui-même : c’est par sa connaissance de lui-même qu’il devient la Totalité (NA: Brihadâranyaka Upanishad, I, 4, 10 ; Prashna Upanishad  , IV, 10. L’omniscience présuppose l’omniprésence et inversement. Cf. ma "Recollection, Indian and Platonic", Journal of the American Oriental Society, Supplement, 3, 1945.). C’est le propre de notre façon inductive de connaître, que de le connaître par la Totalité. 32 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Théologie et Autologie

Le Sacrifice est d’obligation : "Nous devons faire ce que les Dieux firent autrefois (NA: Shatapatha Brâhmana, VII, 2, 1, 4.)". En fait, on en parle souvent comme d’un "travail" (karma). Ainsi, de même qu’en latin operare = sacra facere = hieropoiein, de même dans l’Inde, où l’accent est mis si fortement sur l’action, bien faire signifie faire des actes sacrés. Seul le fait de ne rien faire - et mal faire revient à ne rien faire - est vain et profane. A quel point l’acte sacré est analogue à tout autre travail professionnel, on s’en rendra compte si l’on se souvient que les prêtres ne sont rémunérés que lorsqu’ils opèrent pour autrui, et que recevoir des cadeaux n’est pas licite lorsque plusieurs hommes sacrifient ensemble pour leur propre compte (NA: Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), VII, 2, 10, 2. A une telle "session rituelle" (sattra) le Soi (Âtman, l’Esprit) est la rétribution (dakshina) et c’est dans la mesure où les sacrificateurs obtiennent le Soi en récompense qu’ils gagnent le ciel (âtmâ-dakshinam vai sattram, dtmânam êva nîtwâ swargam lokam yanti, Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), VII, 4, 9, 1 ; cf. Panchavimsha Brâhmana, IV, 9, 19). "Dans une session, le Soi est le salaire... Que je saisisse ici mon Soi comme rétribution, pour ma gloire, pour le monde du ciel, pour l’immortalité" (Kaushîtaki Brâhmana, XV, 1). Par contre, dans le cas des sacrifices accomplis pour autrui, comme dans le cas d’une Messe dite pour d’autres, un salaire est dû aux prêtres, qui, en tant que pères spirituels, permettent à celui qui offre le Sacrifice de naître de nouveau du Feu sacrificiel, du sein de Dieu (Shatapatha Brâhmana, IV, 3, 4, 5 ; Aitarêya Brâhmana, III, 19, etc.). Mais, dans l’interprétation sacrificielle de la "totalité de la vie", l’ardeur, la générosité, l’innocence et la véracité sont les "salaires des prêtres" (Chândogya Upanishad, III, 17, 4).). Le Roi, comme suprême Patron du Sacrifice pour son Royaume, représente le sacrificateur in divinis, et constitue lui-même le type de tous les autres sacrificateurs. 45 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme La Voie des ?uvres

La "pacification" ou le meurtre du Roi Soma, le Dieu, est appelée à juste titre l’Oblation Suprême. Encore n’est-ce pas Soma lui-même qui est tué, "mais seulement son mal (NA: Shatapatha Brâhmana, III, 9, 4, 17, 18.)" ; c’est effectivement pour le préparer à son intronisation et à sa souveraineté que le Soma est purifié (NA: Shatapatha Brâhmana, III, 3, 2, 6.). C’est là un exemplaire suivi dans les rites de couronnement (râjasûya), et un modèle descriptif de la préparation de l’âme à sa propre autonomie (swarâj). Car l’on ne doit jamais oublier que "le Soma était le Dragon", et qu’il est sacrificiellement extrait du Dragon comme la sève vivante (rasa) est extraite d’un arbre décortiqué. Ce développement du Soma est décrit en accord avec la règle selon laquelle "les Soleils sont des Serpents" et qui ont abandonné leurs peaux mortes de reptiles : "Comme le serpent de sa peau tenace, le jet d’or du Soma jaillit des pousses (NA: Panchavimsha Brâhmana, XXV, 15, 4.) meurtries à la façon d’un coursier qui s’élance (NA: Rig Vêda Samhitâ, IX, 86, 44.)". Pareillement le processus de libération de notre Soi immortel hors de ses enveloppes psycho-physiques (kosha) est un dépouillement des corps (NA: Taittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), VII, 4, 9 ; Panchavimsha Brâhmana, IV, 9, 19-22 ; Jaiminîya Upanishad Brâhmana, I, 15, 3 f. ; III, 30, 2 ; Chândogya Upanishad, VIII, 13 ; cf. Brihadâranyaka Upanishad, III, 7, 3 f. ; Chândogya Upanishad, VIII, 12, 1. La conquête de l’immortalité dans le corps est impossible (Shatapatha Brâhmana, X, 4, 3, 9 ; Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 38, 10, etc.) Cf. Phédon  , 67 C : "La catharsis (= shuddha karana) est la séparation de l’âme et du corps dans toute la mesure où cela est possible".), comme l’on tire un roseau de sa gaine, ou une flèche de son carquois pour qu’elle rejoigne sa cible, ou comme un serpent se dépouille de sa peau "comme le serpent se dépouille, ainsi se dépouille-t-on de tout son propre mal (NA: Shatapatha Brâhmana, II, 5, 2, 47., Brihadâranyaka Upanishad, IV, 4, 7.)". 51 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme La Voie des ?uvres

Dans un passage fameux des Questions de Milinda, Nâgasêna emploie l’antique symbole du char pour détruire la croyance du Roi en la réalité de sa propre individualité (NA: Milinda Panho, 26-28 ; Samyutta Nikâya, I, 135; Visuddhi Magga, 593, 594.). Il est à peine besoin de dire que, dans tous les écrits brahmaniques et bouddhiques (comme aussi chez Platon et Philon  ) (NA: Par exemple Lois, 898 D f., Phèdre  , 246 E-256 D, cf. note 101.), le char représente le véhicule physique et psychique selon lequel ou dans lequel nous avons vie et mouvement, selon notre connaissance de "qui nous sommes (NA: "Selon lequel", si nous nous identifions avec notre individualité, "dans lequel", si nous reconnaissons notre Soi comme la Personnalité Intérieure.)". Les coursiers sont les sens, les rênes leurs organes de contrôle, le mental est le cocher, et l’Esprit ou le Soi réel (âtman) est le maître du char (rathî) (NA: Le maître du char est, soit Agni (Rig Vêda Samhitâ, X, 51, 6), soit le Souffle (prâna = Brahma, Atman, Soleil), le Souffle auquel "aucun nom ne peut être donné" (Aitarêya Aranyaka, II, 3, 8), soit le Soi Spirituel (Atman, Katha Upanishad, II, 3 ; J., V, 252), soit le Dhamma (Samyutta Nikâya, I, 33). Le maître de char adroit (susârathi) mène ses chevaux où il veut (Rig Vêda Samhitâ, VI, 75, 6). Ainsi Boèce  , De consol., IV, 1: Hic regnum sceptrum dominus tenet - Orbisque habenas temperat - Et volucrem currum stabilis regit - Rerum coruscus arbiter. Voir le contraste entre les bons chevaux et les chevaux vicieux (les sens) dans Katha Upanishad, III, 6, Dhammapada, 94 et Shwêt. Up., II, 9 ; cf. Rig Vêda Samhitâ, X, 44, 7 à rapprocher de Phèdre, 248 E.), c’est-à-dire son passager et son propriétaire, qui seul connaît la destination du véhicule. Si les chevaux ont licence de partir au hasard avec le mental, l’équipage s’égarera ; mais s’ils sont contenus et guidés par le mental en accord avec sa connaissance du Soi, ce dernier atteindra sa demeure. Le texte bouddhique appuie avec force sur le fait que tout ce qui compose le char et l’attelage, autrement dit le corps et l’âme, est dépourvu de réalité essentielle ; "char" et "soi" sont des noms conventionnels donnés à des assemblages cohérents, et n’impliquent pas pour ceux-ci une existence indépendante ou distincte des éléments qui les composent ; tout comme l’usage veut que tel objet fabriqué soit appelé "char", de même l’individualité humaine sera appelée un "soi" uniquement par convenance. De même qu’on a traduit si souvent à faux l’expression répétée "Ce n’est pas mon Soi" par "Il n’y a pas de Soi", on a regardé l’analyse destructive de l’individualité-véhicule comme voulant signifier qu’il n’y a pas de Personnalité. C’est ici le lieu de se plaindre de ce que "le Maître du char a été oublié (NA: Mrs. Rhys Davids, Milinda Questions, 1930, p. 33. (On doit savoir que Mrs. Rhys Davids était spiritualiste. En réponse à ce qu’elle écrit sur la page de titre de Sâkya, on pourrait citer Visuddhi Magga, 594 : "Il y a des Dieux et des hommes qui se complaisent dans le devenir. Quand la Loi de la cessation du devenir leur est enseignée, leur esprit demeure sans réponse").)". 154 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine

Toutefois, le texte ne dit positivement rien pour ou contre l’imperceptible présence, dans le véhicule composite, d’une substance éternelle distincte de lui et identique dans tous les véhicules. Nâgasêna, qui refuse d’être regardé comme "quelqu’un" et qui maintient que "Nâgasêna" n’est qu’un nom donné à l’agrégat changeant du phénomène psycho-physique, eût certainement pu dire : "Je vis, toutefois non pas "moi", mais la Loi en moi". Et si nous prenons en considération d’autres textes palis, nous voyons qu’ils tiennent pour admise la réalité du maître de char et de ce qu’il représente, à savoir celui qui "n’est jamais devenu qui que ce soit". C’est la Loi Éternelle (dharma) qui est, en fait, le maître de char (NA: Samyutta Nikâya, I, 33, dhammâham sârathim brûmi ; cf. Jataka., n° 457, dhammo na jaram upêti ; Sutta Nipâta, 1139, dhammam... sanditthikam akâlikam.); et, tandis que "les chars du roi vieillissent, et que le corps de même vieillit, la Loi Éternelle des existences ne vieillit pas (NA: D., II, 120, katam mê saranam attano.)". Le Bouddha s’identifie Soi-même - ce Soi qu’il appelle son refuge (NA: D., II, 101 attâ-dîpâ viharatha atta-saranâ... dhamma-dîpâ dhammasaranâ. D., II, 120 et S. III, 143, kareyya saranattano.) - avec cette Loi (NA: Samyutta Nikâya, 111, 120, Yo kho dhammam passati so mam passati, yo mana passati so dhammam passati. Semblablement D., III, 84, Bhagavato’mhi... dhammajo... Dhammakâyo iti pi brahmakâyo iti pi, dhammabhûto iti pi ; Samyutta Nikâya, II, 221, Bhagavato’mhi putto... dhammajo ; Samyutta Nikâya, IV, 94, dhammabhûto brahmabhûto... dhammasâmi tathâgato : Angutara Nikâya, II, 211, brahmabhûtêna attanâ ; Samyutta Nikâya, III, 83, brahmabhûtâ... buddhâ. Il ne peut y avoir aucun doute au sujet des équations : dhamma = brahma = buddha = attâ : comme dans Brihadâranyaka Upanishad, II, 5, 11, ayam dharmah... ayam âtmâ idam amritam idam brahma idam sarvam. Dans Dhammapada, 169, 364 (II, 25, 2) dhamma est manifestement l’équivalent de brahma, âtman. Un Bouddha est. ce que tous ces termes ou chacun d’eux désignent, et, de ce lait même, il n’est "aucun ce" (akimeano, Mi., 421, Sutta Nipâta, 1063), et il est "sans analogie" (yassa n’atthi upamâ ksvachi, Sutta Nipâta, 1139). "Ce que le Bouddha prêchait, le Dhamma kat? exochen, était l’ordre de la loi de l’univers, immanente, éternelle, incréée, non pas seulement comme interprétée par lui, et encore moins comme inventée, ou décrétée par lui" (PTaittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), Pali Dict., art. Dhamma).), et se nomme lui-même "le meilleur des maîtres de char (NA: Sutta Nipâta, 83. buddham dhammasâminam vîtatanham dîpaduttamam sârathinam pavaram. Dhammasâmi = Rig Vêda Samhitâ, X .129, 3, satyadharmêndra, Rig Vêda Samhitâ, X, 129, 3, 8, 9. "Le Roi unique du monde, Dieu des Dieux, Satyadharma" cf., I, 12, 7 ; X, 34, 8 ; et le dharmas-têjomayo’ mritah purushah... âtmâ... brahma de Brihadâranyaka Upanishad, II, 5, 11. Le Dhamma bouddhique (nomos, logos, ratio) est le Dharma éternel de Bu  .. I, 5, 23 ("de Lui, Vâyu, Prâna, les Dieux ont fait leur Loi") ; Brihadâranyaka Upanishad, I, 4, 14 : "Il n’y a rien au-delà de cette Loi, de cette Vérité ; Brihadâranyaka Upanishad, V, 4, 1, satyam hyêva brahma ; La Vérité est une, en vérité, il n’y en a pas d’autre".), celui qui dompte les hommes comme s’ils étaient des chevaux (NA: Vinaya Pitaka, I, 35, etc.). Pour finir, nous trouvons une analyse détaillée du "char", dont la conclusion est que le passager est le Soi (âtman), exposée dans des termes presque identiques, à ceux des Upanishads (NA: J., VI, 252, kâyo tê ratha... attâ vâ sârathi, comme Katha Upanishad, III, 3, âtmânam rathinam viddhi, sharîram ratham. Voir Platon, Lois, 898 C.). Dès lors, l’énoncé d’un commentateur bouddhiste, à savoir que le Bouddha est le Soi spirituel, est assurément correct (NA: Udâna, 67, Commentaire.). Ce "Grand Personnage" (mahâ-purusha) est le maître de char dans tous les êtres. 155 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine

Nous pensons en avoir assez dit pour montrer sans doute possible que le "Bouddha" et le "Grand Personnage", l’"Arhat", le "Devenu-Brahma" et le "Dieu des Dieux" des textes palis est l’Esprit même et l’Homme Intérieur de tous les êtres, et qu’il est "Cela" qui Se fait Soi-même multiple et en qui tous les êtres "redeviennent un" ; que le Bouddha est Brahma, Prajâpati, la Lumière (les Lumières, le Feu ou le Soleil, le Premier Principe enfin, sous quelque nom que les anciens livres s’y réfèrent, et pour montrer que, pour aussi poussée que soit la description de la "vie" et des exploits du Bouddha, ce sont les actes de Brahma en tant qu’Agni et Indra qu’ils rapportent. Agni et Indra sont le Prêtre et le Roi in divinis, et c’est avec ces deux possibilités que le Bouddha est né, ce sont ces deux possibilités qu’il réalise, car, bien qu’en un sens son royaume ne soit pas de ce monde, il est également certain qu’en tant que Chakravartî il est à la fois prêtre et roi dans le sens même où le Christ est Prêtre et Roi. Nous sommes contraints par la logique des Écritures elles-mêmes de dire qu’Agnêndra, Bouddha, Krishna, Moïse et Christ sont les noms d’une seule et même "descente" dont la naissance est éternelle ; de reconnaître que toutes les Écritures sans exception exigent de nous en termes exprès la connaissance de notre Soi, et du même coup la connaissance de ce qui n’est pas notre Soi et que l’on appelle un "soi" par méprise ; que la Voie pour devenir ce que nous sommes demande l’extirpation de notre propre conscience d’être, de toute fausse identification de notre être avec ce que nous ne sommes pas, mais que nous pensons être quand nous disons "je pense" et "je fais". Être "pur" (shuddha), c’est avoir distingué notre Soi de tous ses accidents physiques et psychiques, corporels et mentaux. Identifier notre Soi avec tel ou tel de ceux-ci est la pire de toutes les sortes possibles d’illusion passionnelle, et la cause unique de "nos" souffrances et de "notre" mortalité, dont aucun de ceux qui demeurent encore "quelqu’un" ne peut être délivré. On raconte qu’un disciple de Confucius   suppliait Bodhidharma, le vingt-huitième patriarche bouddhiste, de "pacifier son âme". Le patriarche répondit : "Montre-la-moi, et je la pacifierai". Le confucianiste dit : "C’est bien là mon mal : je ne puis la trouver." Bodhidhama répondit : "Ton désir est exaucé". Le confucianiste comprit et s’en retourna en paix (NA: Suzuki   dans JPTS, 1906-7, p. 13.). 156 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine