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HB: Dhamma

sábado 3 de fevereiro de 2024

  

Si l’on peut en quelque façon parler du Bouddha comme d’un réformateur, c’est seulement dans le sens strictement étymologique du terme : ce n’est pas pour établir un nouvel ordre, mais pour restaurer un ordre ancien que le Bouddha est descendu du ciel. Mais si son enseignement est "parfait et infaillible (NA: D., III, 135 (tath’êva hoti no annatha) ; Angutara Nikâya, II, 23 ; D., III, 133 ; Sutta Nipâta, 357, yathâ vâdî tathâ kârî (cf. Rig Vêda Samhitâ, IV, 33, 6, satyam uchur nara êva hi chakruh) ; de là Sutta Nipâta, 430, Itivuttaka, 122, tathâvâdin. Dans ce sens, tathâgato peut être appliqué au Bouddha, au Dhamma et au Sangha, Sutta Nipâta, 236-238.)", c’est parce qu’il a entièrement pénétré la Loi Éternelle (akâlika dharma) (NA: Le Dhamma enseigné par le Bouddha, d’une parfaite beauté du commencement à la fin, s’applique à la fois dans le présent (samditthiko) et hors du temps (akâliko). 94 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: Introduction

Cette remarque concerne également le Bouddha, car il s’identifie lui-même avec le Dhamma.) et vérifié lui-même toutes choses dans le ciel et sur la terre (NA: D., I, 150, sayam abhinnâ sacchikatwâ ; D., III, 135, sabbam... abhisambuddham ; Majjhima Nikâya, I, 171 ; Dhammapada, 353, sabbavidû’ham asmi ; Sutta Nipâta, 558, abhinnêyam abhinnalam... tasmâbuddho’smi ; D., III, 28, etc.). Il dénonce comme une vile hérésie l’idée qu’il enseignerait "une sagesse qui serait sienne", élaborée par lui (NA: Majjhima Nikâya, I, 68 f., le Bouddha "rugit du rugissement du lion" ; ayant décrit ses pouvoirs surnaturels, il ajoute . "Maintenant, si quelqu’un dit de moi, le Pèlerin Gautama, connaissant et voyant ainsi que je l’ai dit, que ma haute science aryenne et ma vision intérieure ne sont pas de nature supra-humaine, que j’enseigne une Loi tirée du raisonnement (takkapariyâhatam) et de l’expérience, et dont l’expression me serait personnelle (sayam-patibhânam), si celui-là ne se rétracte pas, s’il ne se repent pas (chittam pajahati os metanoein) et s’il n’abandonne pas cette pensée, il tombera en enfer". "Ces vérités profondes (yê dhammâ gambhîrâ) que le Bouddha enseigne sont inaccessibles au raisonnement (atakkâvacharâ) ; il les a vérifiées par la connaissance supérieure qu’il possède" (D., I, 22) ; cf. Katha Upanishad  , II, 9 "ce n’est pas par la raison que cette idée peut être saisie" (naishâ tarkêna matir âpanêyâ). Milinda Panho, 217 f., explique que c’est "une ancienne Voie, que l’on avait perdue, que le Bouddha ouvre à nouveau". Cela se réfère au brahmachariya, à la "marche avec Dieu" (= theo synopadein, Phèdre  , 248 C) de Rig Vêda Samhitâ, X, 109, 5 ; Atharva Vêda Samhitâ, des Brâhmanas, des Upanishads et des textes palis. 95 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: Introduction

Le Bouddha se dit lui-même inconnaissable (ananuvêdya) ici même et maintenant ; ni les Dieux ni les hommes ne peuvent le voir (NA: Majjhima Nikâya, I, 140, 141. Le Bouddha est ananuvêjjo, "hors d’atteinte" ; les autres Arahats sont pareillement sans traces (vattam têshâm n’atthi pannâpanâya). Samyutta Nikâya, I, 23 ; Vajracchêdika Sûtra ; cf. Samyutta Nikâya, III, III f, et Hermès, Lib., XIII, 3.). Ceux qui le voient sous quelque forme ou pensent à lui avec des mots ne le voient pas du tout. "Je ne suis ni prêtre, ni prince, ni laboureur, ni quoi que ce soit à aucun degré ; je parcours le monde comme celui qui sait et qui n’est Personne, et que les qualités humaines ne contaminent pas (alipymâna... mânavêbhyah) ; il est vain de demander mon nom de famille (gotra) (NA: Sutta Nipâta, 455, 456, 648. Cf. Shankara  , Vivêkachûdâmani 297 tyajâbhimânam kula-gotra-nâmarûpashra-mêshwârdrasavashritêshu, "Rejette les idées de famille et de clan, de nom et de forme, d’étape de vie, qui appartiennent au cadavre vivant", à ce que saint Paul   appelle "ce corps de mort".)". Il ne laisse aucune empreinte qui permette de le suivre à la trace (NA: Dhammapada, 179 (tam buddham anantagocharam apadam, kêna padêna nêssatha); comme Brahma, Brihadâranyaka Upanishad, III, 8, 8 ; Mund. Up.  , I, 1, 6 ; Devas, Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 35, 7 (na... padam asti, padêna ha vai punar mrityur anvêti); Gâyatrî, Brihadâranyaka Upanishad, V, 14, 7 (apad asi, na hi padyasê, Sâyana nêti-nêti-âtmatwât). Tout cela se rapporte à la nature originellement et finalement dépourvue de pieds (ophidienne) de la Divinité, dont les vestigia pedis ne marquent la Voie que jusqu’à la Janua Coeli, la Porte du Soleil. Cf. note 87.). Ici même et maintenant le Bouddha manifesté ne peut être saisi, et l’on ne peut dire de cette Personnalité transcendante (paramapurusha), après la dissolution de son complexe corporel et psychique, qu’elle devient ou ne devient pas ; ni l’une ni l’autre de ces deux possibilités ne peut être affirmée ou niée en ce qui le concerne. Tout ce que l’on peut dire est qu’«il est" ; demander qui il est, où il est, est une question frivole (NA: Samyutta Nikâya, III, 118, tathâgato anupalabbhiyamâno.). "Celui qui voit la Loi (dharma) me voit", dit-il (NA: Samyutta Nikâya, III, 120, yo kho dhammam passati mam passati.); c’est pourquoi l’iconographie primitive ne le représente pas sous la forme humaine, mais par des symboles comme celui de la "Roue de la Loi" dont il est le moteur immanent. Et cela est en tout point semblable à ce que disent les livres brahmaniques. Dans ceux-ci, c’est Brahma qui n’a pas de nom propre ou de nom de famille (NA: Brihadâranyaka Upanishad, III, 8, 8 ; Mund. Up., I, 1, 6 ; Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 14, 1 ; Rûmî  , Mathnawî I, 3055-65.) et qui ne peut être suivi à la trace, c’est l’Esprit (âtman) qui ne devient jamais qui que ce soit - Qui sait où il se trouve (NA: Katha Upanishad  , II, 18, 25 ; cf. Milinda Panho, 73, le Bouddha "est", mais il n’est "ni ici, ni là" ; dans le corps du Dhamma seulement il est susceptible de désignation.) ? - c’est le Soi intérieur pur de toute contamination (NA: Brihadâranyaka Upanishad, IV, 4, 23 ; Katha Upanishad, V, 11 ; Maitri Upanishad  , III, 2, etc.), le Soi suprême dont on ne peut rien dire de vrai (nêti, nêti), et qu’aucune pensée ne peut saisir sinon celle-ci : "Il est". C’est assurément au sujet de ce Principe ineffable que le Bouddha dit : "Il y a un non-né, un non-devenu, un non-créé, un non-composé, et, si ce n’était pour ce non-né, non-devenu, non-créé, non-composé, il ne pourrait être montré aucun chemin d’évasion hors de la naissance, du devenir, de la création, et de la composition (NA: Udâna 80 ; Chândogya Upanishad, VIII, 13.)" ; et nous ne voyons pas ce que ce "non-né" pourrait être, sinon "Cela", cet Esprit (âtman) non animé (anâtmya) sans l’être invisible (sat) duquel il ne saurait y avoir nulle part d’existence (NA: Taitt. Up., II, 7, cf. note 3.). Le Bouddha nie de façon péremptoire qu’il ait jamais enseigné la cessation ou l’annihilation d’une essence. Tout ce qu’il enseigne, c’est comment mettre un terme à la souffrance (NA: Majjhima Nikâya, I, 137-140 ; cf. D., II, 68 et passim.). 153 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine

Dans un passage fameux des Questions de Milinda, Nâgasêna emploie l’antique symbole du char pour détruire la croyance du Roi en la réalité de sa propre individualité (NA: Milinda Panho, 26-28 ; Samyutta Nikâya, I, 135; Visuddhi Magga, 593, 594.). Il est à peine besoin de dire que, dans tous les écrits brahmaniques et bouddhiques (comme aussi chez Platon   et Philon  ) (NA: Par exemple Lois, 898 D f., Phèdre, 246 E-256 D, cf. note 101.), le char représente le véhicule physique et psychique selon lequel ou dans lequel nous avons vie et mouvement, selon notre connaissance de "qui nous sommes (NA: "Selon lequel", si nous nous identifions avec notre individualité, "dans lequel", si nous reconnaissons notre Soi comme la Personnalité Intérieure.)". Les coursiers sont les sens, les rênes leurs organes de contrôle, le mental est le cocher, et l’Esprit ou le Soi réel (âtman) est le maître du char (rathî) (NA: Le maître du char est, soit Agni (Rig Vêda Samhitâ, X, 51, 6), soit le Souffle (prâna = Brahma, Atman, Soleil), le Souffle auquel "aucun nom ne peut être donné" (Aitarêya Aranyaka, II, 3, 8), soit le Soi Spirituel (Atman, Katha Upanishad, II, 3 ; J., V, 252), soit le Dhamma (Samyutta Nikâya, I, 33). Le maître de char adroit (susârathi) mène ses chevaux où il veut (Rig Vêda Samhitâ, VI, 75, 6). Ainsi Boèce  , De consol., IV, 1: Hic regnum sceptrum dominus tenet - Orbisque habenas temperat - Et volucrem currum stabilis regit - Rerum coruscus arbiter. Voir le contraste entre les bons chevaux et les chevaux vicieux (les sens) dans Katha Upanishad, III, 6, Dhammapada, 94 et Shwêt. Up., II, 9 ; cf. Rig Vêda Samhitâ, X, 44, 7 à rapprocher de Phèdre, 248 E.), c’est-à-dire son passager et son propriétaire, qui seul connaît la destination du véhicule. Si les chevaux ont licence de partir au hasard avec le mental, l’équipage s’égarera ; mais s’ils sont contenus et guidés par le mental en accord avec sa connaissance du Soi, ce dernier atteindra sa demeure. Le texte bouddhique appuie avec force sur le fait que tout ce qui compose le char et l’attelage, autrement dit le corps et l’âme, est dépourvu de réalité essentielle ; "char" et "soi" sont des noms conventionnels donnés à des assemblages cohérents, et n’impliquent pas pour ceux-ci une existence indépendante ou distincte des éléments qui les composent ; tout comme l’usage veut que tel objet fabriqué soit appelé "char", de même l’individualité humaine sera appelée un "soi" uniquement par convenance. De même qu’on a traduit si souvent à faux l’expression répétée "Ce n’est pas mon Soi" par "Il n’y a pas de Soi", on a regardé l’analyse destructive de l’individualité-véhicule comme voulant signifier qu’il n’y a pas de Personnalité. C’est ici le lieu de se plaindre de ce que "le Maître du char a été oublié (NA: Mrs. Rhys Davids, Milinda Questions, 1930, p. 33. (On doit savoir que Mrs. Rhys Davids était spiritualiste. En réponse à ce qu’elle écrit sur la page de titre de Sâkya, on pourrait citer Visuddhi Magga, 594 : "Il y a des Dieux et des hommes qui se complaisent dans le devenir. Quand la Loi de la cessation du devenir leur est enseignée, leur esprit demeure sans réponse").)". 154 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine

Toutefois, le texte ne dit positivement rien pour ou contre l’imperceptible présence, dans le véhicule composite, d’une substance éternelle distincte de lui et identique dans tous les véhicules. Nâgasêna, qui refuse d’être regardé comme "quelqu’un" et qui maintient que "Nâgasêna" n’est qu’un nom donné à l’agrégat changeant du phénomène psycho-physique, eût certainement pu dire : "Je vis, toutefois non pas "moi", mais la Loi en moi". Et si nous prenons en considération d’autres textes palis, nous voyons qu’ils tiennent pour admise la réalité du maître de char et de ce qu’il représente, à savoir celui qui "n’est jamais devenu qui que ce soit". C’est la Loi Éternelle (dharma) qui est, en fait, le maître de char (NA: Samyutta Nikâya, I, 33, dhammâham sârathim brûmi ; cf. Jataka., n° 457, dhammo na jaram upêti ; Sutta Nipâta, 1139, dhammam... sanditthikam akâlikam.); et, tandis que "les chars du roi vieillissent, et que le corps de même vieillit, la Loi Éternelle des existences ne vieillit pas (NA: D., II, 120, katam mê saranam attano.)". Le Bouddha s’identifie Soi-même - ce Soi qu’il appelle son refuge (NA: D., II, 101 attâ-dîpâ viharatha atta-saranâ... dhamma-dîpâ dhammasaranâ. D., II, 120 et S. III, 143, kareyya saranattano.) - avec cette Loi (NA: Samyutta Nikâya, 111, 120, Yo kho dhammam passati so mam passati, yo mana passati so dhammam passati. Semblablement D., III, 84, Bhagavato’mhi... dhammajo... Dhammakâyo iti pi brahmakâyo iti pi, dhammabhûto iti pi ; Samyutta Nikâya, II, 221, Bhagavato’mhi putto... dhammajo ; Samyutta Nikâya, IV, 94, dhammabhûto brahmabhûto... dhammasâmi tathâgato : Angutara Nikâya, II, 211, brahmabhûtêna attanâ ; Samyutta Nikâya, III, 83, brahmabhûtâ... buddhâ. Il ne peut y avoir aucun doute au sujet des équations : dhamma = brahma = buddha = attâ : comme dans Brihadâranyaka Upanishad, II, 5, 11, ayam dharmah... ayam âtmâ idam amritam idam brahma idam sarvam. Dans Dhammapada, 169, 364 (II, 25, 2) dhamma est manifestement l’équivalent de brahma, âtman. Un Bouddha est. ce que tous ces termes ou chacun d’eux désignent, et, de ce lait même, il n’est "aucun ce" (akimeano, Mi., 421, Sutta Nipâta, 1063), et il est "sans analogie" (yassa n’atthi upamâ ksvachi, Sutta Nipâta, 1139). "Ce que le Bouddha prêchait, le Dhamma kat? exochen, était l’ordre de la loi de l’univers, immanente, éternelle, incréée, non pas seulement comme interprétée par lui, et encore moins comme inventée, ou décrétée par lui" (PTaittirîya Samhitâ (Yajur Vêda Noir), Pali Dict., art. Dhamma).), et se nomme lui-même "le meilleur des maîtres de char (NA: Sutta Nipâta, 83. buddham dhammasâminam vîtatanham dîpaduttamam sârathinam pavaram. Dhammasâmi = Rig Vêda Samhitâ, X .129, 3, satyadharmêndra, Rig Vêda Samhitâ, X, 129, 3, 8, 9. "Le Roi unique du monde, Dieu des Dieux, Satyadharma" cf., I, 12, 7 ; X, 34, 8 ; et le dharmas-têjomayo’ mritah purushah... âtmâ... brahma de Brihadâranyaka Upanishad, II, 5, 11. Le Dhamma bouddhique (nomos, logos, ratio) est le Dharma éternel de Bu  .. I, 5, 23 ("de Lui, Vâyu, Prâna, les Dieux ont fait leur Loi") ; Brihadâranyaka Upanishad, I, 4, 14 : "Il n’y a rien au-delà de cette Loi, de cette Vérité ; Brihadâranyaka Upanishad, V, 4, 1, satyam hyêva brahma ; La Vérité est une, en vérité, il n’y en a pas d’autre".), celui qui dompte les hommes comme s’ils étaient des chevaux (NA: Vinaya Pitaka, I, 35, etc.). Pour finir, nous trouvons une analyse détaillée du "char", dont la conclusion est que le passager est le Soi (âtman), exposée dans des termes presque identiques, à ceux des Upanishads (NA: J., VI, 252, kâyo tê ratha... attâ vâ sârathi, comme Katha Upanishad, III, 3, âtmânam rathinam viddhi, sharîram ratham. Voir Platon, Lois, 898 C.). Dès lors, l’énoncé d’un commentateur bouddhiste, à savoir que le Bouddha est le Soi spirituel, est assurément correct (NA: Udâna, 67, Commentaire.). Ce "Grand Personnage" (mahâ-purusha) est le maître de char dans tous les êtres. 155 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine