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Bouveresse (1976:x-xii) – olho interior

quinta-feira 8 de junho de 2023, por Cardoso de Castro

  

Il est incontestable que l’idée d’un œil mental est, dans la tradition philosophique, ce qui donne implicitement leur sens à toutes ces notions cardinales qui sont étymologiquement empruntées au vocabulaire de la vision : celles d’aperception, d’inspectio mentis, d’intuition, d’introspection, d’évidence, de vision des essences, etc. Il est remarquable que Freud   lui-même ait accepté pour l’essentiel la conception traditionnelle de la conscience comme « sens interne », comme organe de perception sensorielle de l’intériorité psychique (au point de comparer parfois la connaissance (imparfaite) que nous avons de l’inconscient à travers les données de la conscience à celle que nous avons du monde extérieur par l’intermédiaire des sens). Dans l’Introduction à la [x] psychanalyse, après avoir décrit métaphoriquement la conscience comme une sorte d’œil dont le regard peut ou non être attiré par les tendances psychiques inconscientes que la censure a laissé pénétrer de l’antichambre dans le salon, il remarque : « Je puis vous assurer que cette hypothèse brute de deux locaux, avec le gardien se tenant sur le seuil entre les deux pièces et avec la conscience jouant le rôle de spectatrice au bout de la seconde pièce, fournit une idée très approchée de l’état de choses réel. » [1]

Il n’est pas nécessaire d’insister ici sur la manière dont cette détermination de la conscience comme regard intérieur ou, plus généralement comme sens spirituel, a pesé sur la conception philosophique traditionnelle du savoir et de la vérité, ni sur les oppositions classiques qui vont de pair avec elles et que Wittgenstein   a critiquées : intérieur/extérieur, direct/indirect, donné/construit, immédiat/inféré, etc. Si l’auteur des Recherches philosophiques avait été intéressé par l’histoire de la philosophie, il aurait pu commenter fort longuement la remarque qu’il fait comme en passant dans Ueher Gewissheit (§ 90) à propos des rapports entre « savoir » et « voir ».

Wittgenstein s’en est pris de façon répétée à l’idée d’un « œil de l’esprit », comme il l’appelle, devant lequel se tiennent ou passent des choses d’une espèce très particulière, des choses psychiques comme par exemple des sense data, des impressions ou des représentations, ou des choses d’un tout autre ordre comme des significations, des essences, des objets idéaux, etc. Ce qui est gênant, c’est que l’esprit n’a pas seulement besoin, dans cette hypothèse, d’un œil mental, mais également, si l’on peut dire, d’une sorte de doigt mental pour désigner et nommer les choses qui sont dans son champ de vision. On doit pouvoir voir spirituellement, mais également en quelque sorte montrer spirituellement. Cela correspond à l’idée de ce que Wittgenstein appelle une définition deictique privée : « J’appelle ceci une douleur ou une sensation de rouge. » Il est clair qu’en réalité l’œil de l’esprit serait complètement aveugle, si le sujet ne disposait pas au départ d’un langage et de concepts pour désigner et décrire ce qu’il voit. Et cela ne peut être, selon Wittgenstein, [xi] qu’un langage public, c’est-à-dire physicaliste et inter-subjectif, dans lequel l’attitude naturelle naïve à l’égard de l’existence du monde et des autres êtres conscients est, pour des raisons logiques (au sens wittgensteinien du mot), assumée intégralement.


Ver online : Jacques Bouveresse


[1P. 277 dans l’édition de la Petite Bibliothèque Payot.