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Fludd : DU PRINCIPE INTERIEUR DE L’ASTROLOGIE TERRESTRE OU GEOMANCIE

segunda-feira 8 de dezembro de 2008, por Cardoso de Castro

  

Dans l’avant-dernière année de la vie et du règne d’Elisabeth, la glorieuse et à jamais célèbre reine d’Angleterre, la rigueur de l’hiver, qui ensevelissait le Mont Saint-Bernard sous une épaisse couche de neige et obstruait complètement la route de l’Italie, m’obligea à séjourner dans la ville d’Avignon pendant tout ce temps hivernal. C’est là que, reçu dans la maison d’un certain Capitaine avec beaucoup d’autres jeunes gentilshommes de bonne éducation et instruits par les Jésuites eux-mêmes, un soir, parmi les coupes du festin, j e me mis à parler philosophie avec eux. Je discernai dans leurs esprits des opinions différentes sur l’Astrologie géomantique, car quelques-uns en niaient complètement la valeur, tandis que les autres, au nombre desquels je me trouvais, défendaient vivement la force de cet art. Or, j’apportai en sa faveur de nombreux arguments, par lesquels je prouvai que j’étais assez versé dans cette science. Donc, le repas terminé, au moment où je me dirigeais vers ma chambre, l’un d’entre eux me suivit dans ma demeure, et me demanda, au nom de notre amitié, de tenter par mon art, qu’il considérait comme grand, de le tirer d’un doute, et non des moindres, sur la solution duquel il se disait fortement angoissé. Après m’être beaucoup excusé, je me laissai cependant vaincre enfin par ses prières. C’est pourquoi je projetai sur le champ la figure géomantique pour la question qu’il m’avait posée et qui était la suivante : Est-ce que la jeune fille, pour laquelle il avait conçu un violent amour, le paierait de retour du fond du cœur, préférablement à d’autres ? Or, la figure étant projetée, j’affirmai pouvoir décrire assez bien tant la nature que la disposition du corps de celle qu’il aimait et, après que j’eus exactement décrit le corps ou la stature et l’extérieur de la jeune fille, un signe particulier ou quelque marque, une verrue assez notable sur son corps, je spécifiai même la place de celle-ci, indiquant qu’elle avait sur la paupière gauche cette espèce de verrue. Ce qu’il reconnut lui-même entièrement. Je dis même qu’elle se plaisait beaucoup dans les vignes. Et cela aussi, il le confessa très joyeusement, ajoutant qu’elle se trouvait ainsi parce que sa mère avait fait construire sa maison dans ses propres vignes. Je répondis enfin à la question posée : Celle qu’il aimait était inconstante et nullement fixe, au point même d’en aimer un autre plus que lui-même. A quoi il dit avoir toujours grandement soupçonné la chose et la voir comme si ses yeux s’étaient ouverts. Il sortit alors de ma chambre d’un pas rapide et rapporta à ses compagnons, avec une certaine admiration, la vérité de mon art et sa vertu.

Mais quelques-uns d’entre eux, qui connaissaient bien cette jeune fille, niaient absolument le signe décrit sur sa paupière, jusqu’à ce que le lendemain, causant avec elle de la vérité de cette chose que je leur avais exposée sur l’art de la géomancie, et qu’à la vérité ils n’avaient pas observée auparavant, se rangèrent eux-mêmes du côté des témoins. De là donc, plus que je ne le désirais, je devins connu, au point que le bruit en parvint jusqu’aux oreilles des Jésuites. Deux d’entre eux, se hâtant d’aller en cachette au palais, racontèrent tout cela au vice-légat et, excités par l’indignation, lui dirent qu’il y avait un certain étranger, Anglais de nation qui, par une science réprouvée par l’Eglise Catholique, à savoir la Géomancie, prédisait l’avenir. Ces choses me furent rapportées le lendemain matin par le Capitaine du Palais, nommé Jean, qui me découvrit la réponse donnée par le vice-légat à ces choses, laquelle réponse il m’affirma avoir été la suivante : Quoi, dit-il, ce n’est pas là une abomination si grande que vous vous efforcez de le faire : car quel est celui d’entre tous les cardinaux d’Italie qui n’ait fait faire son horoscope suivant le procédé astrologique ou géomantique ? Peu de jours après, en effet, le vice-légat lui-même désirait me parler et m’invitait gracieusement à son déjeuner. Avec mon très cher ami le seigneur Malceau, apothicaire du pape, je me rendis au Palais. Là, la révérence obligatoire faite à la manière accoutumée, "le vice-légat commença ainsi le dialogue avec moi : Je comprends, dit-il, que vous êtes très versé dans l’art de la Géomancie. Quel est votre sentiment intime sur cette science ? Je lui répondis que j’avais démontré par mes expériences que cette science était certaine et reposait sur des bases occultes. « Comment est-il possible, dit-il, que quelque certitude soit en elle, alors qu’elle consiste en points accidentels ?» Je dis : « Le principe et l’origine de ces points faits par la main de l’homme est intérieur et à coup sûr d’essence intime, puisque le mouvement dérive de l’âme, son origine. » J’ajoutai que les erreurs de cette science sont causées, non par l’âme, mais par un mouvement du corps défectueux, et opéré en désaccord contre l’intention de l’âme et de la règle générale de la Géomancie, que l’âme doit être calme et que le corps doit lui obéir, et que, de même que le corps ni l’âme ne causent une perturbation quelconque ou aucune intervention, mais comme s’il était en quelque sorte un juge juste et équitable, et qu’il regarde Dieu en priant du cœur, afin que la vérité apparaisse et afin que l’opérateur pense fortement à la question posée et ne soit pas troublé par des pensées étrangères.

« Qu’est donc, répondit-il, cette âme dont vous parlez ? Comprenez-vous, peut-être, par cette âme, soit le Démon de Platon  , soit, du moins, quelque Ange ?» A cela, je répliquai : « Un ange ne peut être l’origine de cette science, parce que les Anges se divisent en bons et mauvais : car les bons Anges se sont rarement manifestés à ces Païens, savoir les Arabes, les Chaldéens et les Egyptiens, qui sont les inventeurs de cet art ; et, en vérité, les mauvais Anges sont les auteurs des mensonges plutôt que de la vérité comme en témoignent les Saintes Ecritures. »

« Par là, donc, dit-il, il est évident que vous ne pouvez vous-même rendre distincte et certaine la raison du principe en cette science. » Je lui répondis : « Le corps humain se comporte vis-à-vis de l’âme comme un esclave envers son maître. Car le maître peut envoyer son esclave ici et là, sans que celui-ci perçoive en aucune manière l’intention de son maître.

Et même un grand peintre peut envoyer au roi une peinture admirable par son serviteur, alors que celui-ci ignore complètement les mélanges des couleurs et leurs proportions symétriques. Ainsi, un roi peut faire lever sur son peuple des impôts par d’autres, alors que la raison de ces impôts est seulement connue du roi lui-même. Ce n’est pas autrement, à la vérité, que le corps peut aussi faire ce que l’âme lui ordonne secrètement, tandis que, cependant, le corps ne perçoit en aucune manière íes motifs, si ce n’est par ses seuls effets. »

Ayant entendu tout cela, le vice-légat m’appela, au milieu d’évêques et de diacres, près d’une table qui se trouvait là et où, prenant une plume et de l’encre, il composa une figure géomantique et discourut sur elle tout à fait savamment, de telle sorte que j e vis qu’il était de beaucoup plus savant et expérimenté que moi dans cette science, au sujet de laquelle les Jésuites m’avaient accusé devant lui. Et, le repas fini, je le remerciai de sa bonne grâce et je le visitai assez souvent ; car j’éprouvai que c’était un Prince avide d’apprendre, instruit dans les sciences, bienveillant aux étrangers et nullement enclin à la tyrannie.

Ces choses ayant été divulguées parmi les Jésuites, un professeur en philosophie de chez eux désira beaucoup conférer avec moi. Cédant aux prières de mon très cher Reinaud, grand par l’esprit et jeune par la modestie, j’allai chez lui et en fus gracieusement accueilli. Là, après une conversation sur quelques sujets philosophiques, il en arriva aussitôt à la science géomantique, pensant peut-être que je voudrais le réfuter très facilement. « Quoi donc, dit-il, est-il possible que quelqu’un ait la puissance, par la Géomancie, de prédire à tel ou tel homme soit un danger, soit la mort dans un voyage à Rome par exemple ? Quelle est la communication qui peut s’établir entre l’âme du sujet et celle de l’opérateur et quel est le rôle de chacune de ces dernières âmes tandis que chacune d’elles demeure dans le corps qui la contient ? »

« Voici ce que je vous répondrai brièvement », lui dis-je.

« L’âme d’un corps en est la lumière principale et elle y domine préférablement à toutes les autres puissances. Elle se conduit comme le soleil au milieu de notre système. Elle est donc précisément le soleil du microcosme qui dirige, au moyen de ses rayons vivifiants, le corps tout entier. Il est donc indubitable qu’elle agisse sur tout le corps et jusque sur ses parties les plus infimes en transmettant ses rayons par le crible des quatre éléments [1]. Or les astres sont en corrélation lés uns avec les autres par le moyen des aspects [2] ; c’est du reste en constatant et en analysant ces aspects que l’on peut se rendre compte des événements de ce bas monde. Eh bien ! de même que les rapports des astres entre eux, les rapports des âmes ont des conséquences ici-bas, car les âmes sont des invisibles foyers de lumière et émettent des rayons qui établissent des communications entre elles [3]. Voilà comment l’opérateur, ou plutôt son âme, peut prévoir un danger qui le menace lui-même ou menace un de ses amis ; et si ce danger est à venir, l’âme se conduira vis-à-vis du corps à la façon d’un gardien : elle se rendra compte de ce qui doit arriver et cela lui sera facile car elle est divine et immortelle [4], et, conséquemment, apte à connaître le présent et l’avenir, tandis que le corps, à cause de sa densité, ne peut rien prévoir. Dans ces conditions, une âme calme et tranquille, exercée à comprendre les mouvements de son corps, celui-ci étant bien soumis et obéissant, peut sans difficulté prophétiser..

« Olaüs Magnus [5], dans son Histoire de la Finlande, rapporte plusieurs choses surprenantes au sujet des sorciers de son pays, et notamment ceci. Une certaine magicienne procédait de la façon suivante quand elle recevait la visite de quelqu’un qui voulait connaître les faits et gestes de ses amis : elle entrait avec une autre femme dans une chambre, marmottait d’abord à mi-voix plusieurs paroles, prenait ensuite un serpent d’airain et, en le tenant par la queue, le frappait deux ou trois fois avec an petit marteau ; aussitôt elle tombait inanimée et sa compagne se mettait en devoir d’empêcher les mouches et les autres bestioles de l’incommoder. Cet état hypnotique durait une demi-heure. Après quoi la magicienne revenait à elle et donnait des nouvelles des amis de son visiteur.

« Comment aurait-elle pu procéder si son âme n’avait pas pu entrer en communication avec celles de ces personnes ? Le demi-diamètre de l’orbe   des rayons de son âme était sans doute trop faible pour atteindre l’orbe des rayons des âmes des personnes en question, et il fallait nécessairement rapprocher la distance, alors elle s’extériorisait de son corps et se rendait aux endroits occupés par lesdites personnes ; arrivée là, son âme pouvait prendre contact et entrer en communication avec les rayons des autres âmes [6].

« Il est hors de doute que les rayons émis par les corps organisés s’étendent sensiblement au-delà des rayons visuels ; cela tient donc à leur fluidité et à la pureté de leur essence et de leur nature ; ils peuvent donc pénétrer sans encombre, dans le plan élémentaire, à la façon des influx et cela tient encore à la supériorité de leur forme et à l’excellence de leur origine [7]. »

Nous discutâmes et devisâmes ainsi sur ce sujet. A la fin, il m’embrassa, en jurant qu’il me considérait dorénavant comme son frère et me priant de l’autoriser à venir me voir souvent avec ses collègues. Je ne pus accéder à ce désir, car je quittai précipitamment la ville pour aller à Marseille rejoindre le Duc de Guise qui s’y trouvait et m’envoyait prévenir par son propre frère le chevalier de Malte, un mathématicien très éminent.

La conclusion de cette entrée en mati  ère s’impose donc que la Géomancie doit être considérée comme une science qui dépend immédiatement du psychisme, parce que l’âme en est le fondement, et en outre, comme une science plus délicate que toutes celles accessibles à l’homme dans ce monde périssable.


[1Voici comment l’auteur conçoit l’action de l’âme sur le corps matériel : l’âme pour lui c’est à la fois la mens et le spiritus ; elle est en quelque sorte le centre de l’entité ; elle émet des rayons (ce. sont eux que la science positive vient de constater) et ces rayons sont analogues à ceux que contient la lumière solaire, ils commandent aux mouvements du corps comme l’aour commande aux mouvements des astres, mais en fonction des quatre éléments et du cercle d’où l’expression, de crible.

[2C’est-à-dire de l’amplitude de l’arc d’écliptique ou d’équateur qu’ils ont entr’eux.

[3D’où les phénomènes de télépathie, de suggestion etc.

[4La divinité et l’immortalité sont deux qualités qui sont attribuées à l’âme pour expliquer qu’elle est en dehors de l’espace et du temps, tandis que la densité est attribuée au corps, pour dire qu’il est au contraire dans l’espace et dans le temps.

[5Olaüs Magnus, prélat suédois, a publié en 1555 : Historia de geritibus septentrionalibus.

[6Le traducteur de Robert Fludd s’est livré, avec quelques amis, à de semblables expériences d’extériorisation que la connaissance des choses de l’occulte lui a permis de mener à bonne fin ; il a ainsi obtenu des résultats véritablement étonnants qui ont fait l’objet de plusieurs articles et même d’interwiews qui ont ému le monde savant.

[7En résumé l’auteur indique que les rayons humains, comme tous ceux des corps organisés, sont éminement fluides et très purs, se trouvent placés sur un plan élevé et se rattachent à un ordre de phénomènes supérieurs.