Wojtyla (PA): Préface

Maintenant que le présent ouvrage est en passe de sortir du public limité auquel il a été réservé jusqu’ici par la langue de sa première rédaction, j’aimerais le préfacer par quelques remarques introductives.

Tout d’abord, pour audacieuse que la chose puisse paraître de nos jours – où la pensée philosophique n’est pas seulement nourrie par l’histoire et fondée sur elle mais où « philosopher » signifie souvent réfléchir sur des théories concernant des théories -. le présent ouvrage veut représenter un effort personnel de l’auteur pour débrouiller les intrications d’un état de choses crucial et pour clarifier les éléments fondamentaux des problèmes impliqués. J’ai, de fait, essayé d’affronter directement les questions majeures concernant la vie, la nature et l’existence de l’être humain — avec ses limites mais aussi avec ses privilèges — telles que ces questions se présentent à l’homme qui lutte pour survivre tout en maintenant la dignité de l’être humain : l’homme qui se fixe à lui-même des buts et lutte pour les réaliser, et qui est déchiré entre sa condition trop limitée et ses plus hautes aspirations à se poser lui-même comme libre.

Ces luttes de l’être humain trouvent leur reflet dans les luttes de l’auteur lui-même, qui a essayé dans le présent ouvrage de débrouiller le dispositif sous-jacent aux opérations de l’homme en tant que ce dispositif peut conduire l’homme à ses victoires ou à ses défaites; c’est de cette façon uniquement que le présent ouvrage est à considérer. Puisse-t-il contribuer à débrouiller les questions conflictuelles auxquelles l’homme est affronté et qui sont cruciales pour qui cherche à clarifier lui-même son existence et la direction de sa conduite.

Notre approche heurte de front un autre courant de philosophie moderne. Depuis Descartes, la connaissance sur l’homme et son monde a été identifiée avec la fonction cognitive — comme si la cognition seulement, spécialement par la connaissance de soi, pouvait manifester à l’homme sa nature et ses prérogatives. Et pourtant, l’homme se révèle-t-il lui-même en pensant ou plutôt en actuant réellement son existence ? — en observant, interprétant, spéculant ou raisonnant (choses susceptibles de changer, flexibles dans la mesure où elles sont des actes, et souvent vaines quand elles sont confrontées avec les faits de la réalité) ou plutôt dans la confrontation même quand il doit prendre une position active sur des questions requérant des décisions vitales et ayant des conséquences et répercussions vitales ? En fait, c’est en retournant l’attitude postcartésienne à l’égard de l’homme que nous avons entrepris notre étude : en approchant l’homme à travers l’action.

Si l’on prend en considération l’énorme champ des questions auxquelles est confronté le philosophe qui cherche une nouvelle approche de l’existence humaine et qui essaie de l’appliquer, notre ouvrage tout naturellement ne peut être sur ce point qu’une esquisse trop imprécise. Nous n’ignorons nullement la littérature passée et présente qui partage cette approche, mais il nous paraît impératif de l’entreprendre à notre façon.

Étant admise la relation de l’auteur avec la pensée aristotélicienne traditionnelle, c’est cependant l’ouvre de Max Scheler qui a eu la plus grande influence sur sa réflexion. Dans l’ensemble de ma conception de la personne, envisagée à travers les mécanismes de ses systèmes d’activité et leurs variations, telle qu’elle est présentée ici, on pourra, de fait, reconnaître le fondement schelérien étudié dans mes ouvrages précédents.

En tout premier lieu, c’est la théorie des valeurs de Scheler qui entre en ligne de compte. Cependant, de nos jours, où la différenciation des questions concernant l’homme a atteint un point culminant -. introduisant les clivages les plus artificiels au cour des questions mêmes — c’est l’unité de l’être humain qu’il semble impératif d’étudier. De fait, en dépit des efforts fondamentaux schelériens et, en la matière, généralement phénoménologiques, qui contribuent à la connaissance de l’homme complet, cette unité, son fondement aussi bien que sa manifestation primordiale manquent toujours dans la conception philosophique actuelle de l’homme — alors que, dans la pensée aristotélicienne traditionnelle, c’était la conception même de « l’acte humain » qui était regardée comme la manifestation de l’unité de l’homme aussi bien que comme sa source. Il semble donc qu’en introduisant ici cette approche de l’homme à travers l’action nous pouvons trouver les aperçus et intuitions nécessaires sur l’unité de l’être humain.

Et il n’est certainement pas nécessaire de souligner l’importance d’une recherche sur les facteurs unifiants de l’homme pour une vision actuelle sur la vie, la rectitude de jugement, la culture et leurs perspectives d’avenir.

Il faut mentionner un autre point encore. Dans l’intervalle qui s’est écoulé entre la première édition de l’ouvrage en polonais et la présente version, la participation de l’auteur à la vie philosophique et également de nombreuses discussions philosophiques ont contribué à préciser plus d’un point. Il y eut d’abord les discussions avec de nombreux philosophes polonais (publiées dans Analecta Cracoviensia 1973/74)- Celles avec le professeur Mme Anna-Teresa Tymieniecka de Boston furent toutefois les plus importantes pour la présente publication. Elles ont contribué à clarifier de nombreux concepts et donc à améliorer la présentation de l’ouvre. Ayant accepté d’être l’éditeur philosophique de cet ouvrage, le professeur Mme A. T. Tymieniecka a proposé des modifications qui ont été incorporées dans la version définitive avec la pleine approbation de l’auteur. L’auteur se réjouit de voir paraître cette version définitive de l’ouvrage dans les remarquables séries des Analecta Husserliana.

Et, last but not least, je voudrais remercier M. Andrezej Potocki qui a traduit en langue anglaise avec compétence, grand soin et dévouement cet ouvrage polonais plutôt difficile.

Cardinal Karol Wojtyla.

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