Wion : URBAIN II LE PERE DES CROISADES

Il n’est plus question de l’An Mille lorsque Urbain II monte sur le trône pontifical. Ce premier inventeur des expéditions extra-territoriales était d’origine française et avait vécu à l’école de Reims une éducation raffinée. Aristocrate adroit et plein d’élan, irréductible dans la poursuite de ses grands buts, il se montrait peu difficile sur le choix des moyens pour y parvenir, quant au reste, il savait avoir des égards, s’adapter aux situations avec souplesse, et arriver ainsi à la réalisation de ses plans, petit à petit, en combinant la perspicacité et l’obstination. Pour nous, il reste le Pape qui inventa les Croisades et s’adressa principalement aux Français pour les réaliser. La nation française en donnant le départ se mit en quelque sorte à la tête des plus grands événements du Moyen-Age, la gloire de la première expédition lui appartient tout entière, et la royauté, sans y prendre une part directe, put en tirer un grand avantage.

Il nous est facile maintenant de juger ainsi car nous avons le recul du temps. Ce que chaque génération connaît le moins, c’est l’esprit et le caractère des événements auxquels elle a pris part ; ainsi, l’Histoire, pour apprécier les temps écoulés et ce qu’ils ont laissé après eux, peut rarement invoquer leur jugement et s’aider de leur lumière.

Si donc, nous voulons savoir qui pouvait être le Prêtre-Jean, nous sommes obligés, non pas de revoir toute l’histoire des Croisades, mais de nous y reporter puisque les dates nous y obligent.

Revenons donc à Urbain II. Avant de monter sur le trône de Saint-Pierre en 1088, il avait passé une assez longue partie de sa jeunesse en Sicile. Ce pays que les historiens et les poètes de l’ancienne Rome nous présentaient comme un séjour de repos et de paix, comme le rendez-vous des plaisirs, comme la retraite fortunée des Muses latines, avait été dans le Moyen-Age le théâtre de toutes les calamités de la guerre et de tous les excès de la barbarie, au 10″ et au 11e siècle ces belles contrées avaient été la proie de la domination des Grecs, des Arabes et des Francs.

Il avait gardé de ce séjour un enseignement très profitable, il avait eu des contacts directs avec les négociants, les envoyés plus ou moins officiels, les aventuriers, venant et allant au Levant. De ces relations plus ou moins bizarres il avait tiré des renseignements assez exacts sur ce qui se passait parmi les grandes puissances de ce temps.

Devenu Chef de la Chrétienté, il jugea que l’autorité romaine était de nouveau assurée dans le bassin occidental de la Méditerranée et que rien ne l’empêchait plus de l’étendre vers l’est malgré le schisme de 1054 qui avait séparé l’Eglise orientale de l’Eglise romaine.

Mais pour asseoir l’autorité du monde romain il ne pouvait le faire que par la conquête, et une conquête veut un but et des hommes. Il lui fallait donc avant tout s’assurer d’assez de troupes. Les guerriers qu’il pouvait enrôler facilement étaient des mercenaires qui s’éparpillaient un peu partout dans le monde suivant les demandes des capitaines, mais surtout en Espagne toujours en guerre contre les Maures. Il ne pouvait guère compter sur les Italiens qui considéraient la Papauté sans beaucoup d’égard et ne concevaient de nouvelles conquêtes que dans un but commercial et faites par les autres ; leurs flottes étaient prêtes à tous les trafics, et ils n’entendaient bien la louer qu’avec l’espoir de fructueux bénéfices.
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C’est au cours d’un voyage qu’il fit dans le Midi de la France qu’il trouva ce qu’il cherchait : un milieu désœuvré, ne rêvant qu’aventures, et de plus, manifestant une réelle ardeur guerrière alliée à un véritable zèle ecclésiastique. Devant ces masses populaires inoccupées qui ne cherchaient que le combat et l’évasion, il eut tout de suite la certitude qu’il pourrait les occuper suivant leur désir tout en s’en servant pour son espoir d’expansion orientale et de réunification des deux Églises.

Le prétexte pour une levée en masse se trouvait prêt : il fallait délivrer le Tombeau du Christ tombé aux mains des Infidèles et protéger les Fidèles qui se rendaient en Terre Sainte.

En effet, les pèlerinages qui s’étaient développés vers le IVe siècle, n’avaient pas été arrêtés par l’expansion musulmane, de toutes les parties de l’Europe, les gens s’en allaient vers les Lieux saints. Il faut dire que la piété mise à part, il n’était pas de crimes qui ne pussent être expiés par un voyage à Jérusalem, ainsi, Robert de Normandie, père de Guillaume le Conquérant, accusé d’avoir fait empoisonner son frère Richard, fut condamné à aller en Terre sainte afin de se racheter ; de plus, le titre de pèlerin était un titre privilégié, le voyageur qui revenait dans son pays acquérait de ce fait la réputation d’une sainteté particulière, son départ et son retour étaient célébrés par de très émouvantes cérémonies. Mais ces randonnées ne se faisaient pas sans risques, dont le principal, mis à part les brigands de grands chemins était l’humeur des Musulmans, qui le plus souvent les rançonnaient ou les tuaient.

Pour une levée en masse le prétexte était donc facile, on grossirait à l’envie les plaintes des Chrétiens revenant de Jérusalem, naturellement l’indignation populaire s’en suivrait et par un mot d’ordre tout le monde se trouverait d’accord pour ne plus tolérer dorénavant pareille chose.

Par un hasard extraordinaire, un pèlerin revenu de Terre sainte se mit en tête de prêcher pour entraîner les gens à aller délivrer le Tombeau du Christ. Cette initiative tombait au bon moment. C’était un religieux d’origine obscure né en Picardie, d’esprit actif et inquiet. Il avait cherché dans toutes les conditions de la vie un bonheur qu’il n’avait jamais pu trouver : l’étude des lettres, le métier des armes, le célibat, le mariage, l’état ecclésiastique, ne lui avait jamais rien offert qui put remplir son cour et satisfaire son âme ardente. Mais ce personnage qui deviendra célèbre dans l’histoire sous le nom de Pierre l’Ermite, était doué d’une éloquence qui se communiquait à ses auditeurs, c’était là, tout ce qu’il fallait. Il fit tant et si bien que le peuple entier se pressa sur ses traces, ébranlant l’Occident et le précipitant tout entier sur l’Asie. Le Pape n’avait plus qu’à venir à Clermond-Ferrand, s’adresser dans le dialecte de cette province aux nobles et aux bourgeois, pour que le 27 novembre 1099, au nom de guerre de « Dieu le veut » la première croisade se forma et avec elle la première conquête coloniale de l’Europe.

Les familles féodales qui jusqu’à présent avaient vécu trop à l’étroit sur leur terre, allaient avoir une saignée de six cent mille hommes, ponction qui passa inaperçue pour la métropole.

Urbain II mourut en 1099, laissant à ses successeurs une lourde tâche. Ils s’en tirèrent tant bien que mal, ceux qui eurent le plus de responsabilités du fait des revers des armes, furent Calixte II (1119-1124) Innocent II (1130-1144) Eugène III qui verra sous son Pontificat paraître la légende du Prêtre-Jean et Alexandre III (1159-1181) qui sera un des destinataires de la fameuse « Lettre » écrite par ce Roi et Prêtre, et qui jusqu’à présent reste la seule preuve de sa personnification.
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La rupture entre les deux Eglises qu’Urbain II tenait tant à réunir, avait surtout été causée par l’ambition démesurée du Patriarche de Byzance, Michel Céroularios, qui n’admettait pas voir Rome rétablir son emprise sur les diocèses de l’Italie du Sud et de ce fait précipiter la défaite de l’empire byzantin, sa colère s’était manifestée par des propos tels, que le Légat du Pape Léon IX dut l’excommunier le 15 juillet 1054 dans la basilique de Sainte Sophie, ruinant à tout jamais l’espoir de voir les Patriarches grecs devenir Chefs de l’Eglise universelle.

Rapidement aux yeux des Latins, les Grecs ne furent plus que des schismatiques, auxquels on ne devait ni égards, ni tolérance, ce à quoi les Byzantins ripostèrent par la haine et la rancune !

Cet état d’esprit n’empêchait nullement les relations diplomatiques entre les deux sœurs ennemies de se poursuivre. L’empereur de Byzance était au courant des préparatifs qui se faisaient en Europe pour protéger les pèlerins, il pensa que le moment était venu de demander au Pape d’envoyer des hommes pour lutter contre les Turcs qui menaçaient à ses frontières ; les mercenaires qu’il employait ordinairement n’étaient pas assez nombreux et lui coûtaient fort cher. Les ambassadeurs envoyés auprès du Pape ne se firent pas faute de décrire la situation sous les plus noirs présages, mais si le Pape comprenait parfaitement le danger de la situation, c’est-à-dire l’islamisation probable de la Grèce, il lui était difficile de distraire des hommes résolus à conquérir le Tombeau du Christ, pour les envoyer consolider le trône d’un schismatique. Pierre l’Ermite fut envoyé en Allemagne et eut le même succès qu’en France, puisque le chemin des Lieux saints passait par Byzance, quelques-uns de ces pieux soldats resteraient sur place.

Alexis Commène en demandant l’aide militaire, avait pensé recevoir des hommes qu’il aurait pu manœuvrer à sa guise. Il vit avec étonnement venir vers lui des masses innombrables d’hommes étranges, peu civilisés, peu cultivés, indisciplinés et insolents, mais débordant d’une singulière ardeur religieuse.

L’Empereur et sa fille Anne, tous deux esprits cultivés et raffinés, s’occupant d’art, de théologie, tenant à la pompe traditionnelle et à l’étiquette de la cour, furent stupéfaits et prirent peur. Au lieu de voir leur armée se renforcer par des militaires de carrière, ils avaient devant eux une horde qui refusait toute obéissance, et qui se conduisait plus comme des Barbares que suivant l’idée qu’ils s’étaient faite de la civilisation européenne.

Avec de tels représentants, l’espoir qu’avait le Pape de rétablir les liens entre les deux Eglises, devenait de jour en jour plus insensé, et d’autant plus irréalisable que les Croisés s’étaient emparés du Patriarche grec et que pour couronner ce haut-fait, ils avaient mis un homme à leur solde sur le trône. C’était, il faut l’avouer, un manque de tact, et inévitablement, cette façon de procéder eut pour résultat de dresser tout le peuple contre l’envahisseur, d’en faire « des résistants » avec tout ce que cela comporte de rouerie, de lâcheté, de mensonge envers l’ennemi. Seuls, les Arméniens, dont l’esprit chrétien était encore entaché de paganisme, et qui, de plus étaient habitués à être martyrisés par les Turcs, les Grecs et les Byzantins, trouvèrent, grâce aux Francs un changement dans leur manière de vivre, et, heureux et reconnaissants, ils furent pour eux de fidèles alliés.

Ainsi, Alexis empereur de Byzance, pour avoir appelé à son aide les troupes étrangères, se voyait obligé de subir l’indiscipline et la charge d’entretenir des pèlerins rapaces et pieux, autant que les projets ambitieux de leur chef. Les Turcs ayant perdu l’espoir de s’enrichir sur les dépouilles de Byzance et de Constantinople, s’étaient retirés sur des terres bien moins gardées. L’ordre ne fut rétabli qu’à l’arrivée du roi de France Louis VII. En même temps, Godefroy de Bouillon, chef plus sage que les autres et qui n’oubliait pas le véritable but des Croisades, rassembla ses troupes et passa le Bosphore.
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La conquête de Jérusalem commençait.

Alexis Commène avait eu le temps de voir Godefroy de Bouillon sur le trône de Jérusalem, lorsqu’en 1118 il mourut, malgré tous les efforts de sa fille Anne Porphyrogénéte, qui se disputait avec les médecins au sujet de la thérapeutique à appliquer à la maladie de son père. Jean Commène prit le trône et le passa à Manuel 1er.

Les Croisades se continuaient, mais avec les années l’élan religieux qui avait permis de rallier tous les Chrétiens à la conquête de la Terre sainte n’existait plus. Si les Croisés partaient toujours dans la même direction, toujours au nom de « Dieu le veut », ils n’y allaient le plus souvent que contraints et forcés ou bien dans l’espoir de participer à la richesse, dont ils avaient un agréable aperçu dans les ports italiens.

Le royaume de Jérusalem étant devenu une réalité, les Francs tournaient les yeux vers l’Egypte, ne voyant pas en Saladin un ennemi redoutable. Mal leur en prit, cet enfant du Kurdistan, qui dans sa jeunesse avait aimé les femmes et les plaisirs, se révéla soudain un homme nouveau, né pour l’émirat et le commandement. En 1187, il reprit Jérusalem aux Croisés, la tempête et un tremblement de terre s’étant joints à l’ardeur guerrière des Infidèles.

Frédéric Barberousse et Philippe-Auguste essayèrent de reprendre la ville mais dès cette date, on peut dire que le but des Croisades était manqué à jamais.

La situation ne portait pas à l’optimisme, encore heureusement que le monde occidental ignorait que quelques années auparavant, était né dans une petite tribu mongole du fond de l’Asie, un gamin du nom de Témoudjin, et que son horoscope n’avait pas été communiquée aux astrologues qui hantaient toutes les cours de l’Europe !

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