Mais pour en revenir aux deux symboles extrême-orientaux qui ont suscité toutes ces considérations, on s’étonnera peut-être qu’ils réfèrent si explicitement à des traditions — nous voulons dire : le Judaïsme, le Christianisme (malgré le Nestorianisme) et à un degré moindre l’Islam — qui étaient en dehors de la sphère traditionnelle dans laquelle s’exprimaient les symboles susdits. En fait, il faut se souvenir que le Namtchouwangdan, comme nous l’avons dit, venait de Shamballah, localisation du Centre suprême (libre, par définition, des limitations exotériques) et qu’il était en rapport direct avec la doctrine cyclique du Kalachakra, éminemment ésotérique puisqu’elle est liée au « mystère des pôles ». De son côté, le Grand Hum ornait l’étendard de Gengis khan, dont le nom est un pseudonyme initiatique ( son nom véritable étant Témoudjin) qui correspond sensiblement dans sa forme mongolique à ce que le sanskrit rend par Raja-Chakravartî.
Et, nous l’avons vu, « Gengis khan et ses successeurs tenaient le Christianisme et l’Islam en très haute estime. Pour Gengis khan, l’idée du Dieu suprême justifiait sa monarchie universelle. Son code (yasa) formule ainsi le premier commandement : « Gengis khan introduisit la foi en un Dieu créateur du ciel et de la terre, seigneur de toutes choses » [[R. Bleichsteiner, L’Eglise jaune, éd. Payot.]]. »
De plus, Gengis khan et ses successeurs immédiats avaient donné à leur gouvernement un principe formel : « tolérer, respecter toutes les confessions religieuses de leurs sujets, qu’ils fussent chrétiens, musulmans ou bouddhistes, participer même à leurs cérémonies, mais ne professer expressément aucune croyance [[R. Bleichsteiner, op. cit.]]. »
L’universalisme qui se déduit directement de la « lecture » du Namtchouwangdan et du Grand Hum n’a donc rien qui puisse surprendre. Plus étonnant peut-être est l’aspect quelque peu… paradoxal que revêtit, historiquement, cette affirmation de tolérance. Mais les apparences ne doivent pas nous abuser, car si Gengis khan, de toute façon, ne saurait être assimilé purement et simplement à un représentant direct du « Roi du Monde » — le chef de la hiérarchie initiatique du Centre suprême — il ne faut pas oublier, néanmoins, que le glaive est un attribut du Christ glorieux (cf. Apocalypse, 1,16 et XIX, 15). Et si l’« épée acérée à double tranchant » sort de sa bouche, c’est que cette arme symbolise effectivement le Verbe, « avec son double pouvoir créateur et destructeur [[Symboles fondamentaux de la Science sacrée, chap. XXVI, « Les armes symboliques ».]] », et renvoie également aux deux phases cosmologiques de « coagulation » et de « solution » connues des hermétistes. (Une autre arme symbolique, la lance du Graal, possédait de même le double pouvoir d’infliger des blessures et de les guérir.)
Quant au reste, on n’aura garde d’oublier, également, que le Roi du Monde « a pour attributs fondamentaux la « Justice » et la « Paix ». […] C’est là encore un point de la plus grande importance ; et, outre sa portée générale, nous le signalons à ceux qui se laissent aller à certaines craintes chimériques […] [[René Guénon, Le Roi du Monde, éd. Gallimard.]] »
Elles seraient d’autant moins fondées, oserons-nous ajouter, que si l’on en croit F. Ossendowski [[Cf. Bêtes, Hommes et Dieux, l’énigme du Roi du Monde.]], le Roi du Monde, lors de ses apparitions dans l’Inde et au Siam, jadis, bénissait le peuple « avec une pomme d’or surmontée d’un agneau » — qui évoque immédiatement l’Agneau de l’Apocalypse, le Sacrifié, celui qui a été égorgé et dont il est maintenant écrit : « Réjouissons-nous, exultons et rendons-lui gloire, car elles sont venues, les noces de l’Agneau ; son Epouse s’est apprêtée, et il lui a été donné de se vêtir d’un lin fin, splendide, pur. »