«Rien de plus nécessaire à un réel sentiment religieux qu’un médiateur, qui nous relie à la divinité. L’homme ne peut absolument pas être immédiatement en relation avec elle. Mais le choix de ce médiateur, l’homme doit en être entièrement libre. La moindre contrainte est nuisible à sa religion. Ce choix est d’ailleurs caractéristique, et les gens cultivés choisiront, en effet, des médiateurs assez semblables, alors que les incultes, au contraire, seront habituellement déterminés par le hasard. (…) Plus l’homme évolue et gagne en indépendance, plus se réduit en quantité le nombre des médiateurs, plus s’affine leur qualité, et plus aussi se compliquent et se multiplient, se perfectionnent et s’ennoblissent les relations qu’ils ont avec l’homme: fétiches, astres, animaux, héros, idoles, dieux, l’unique enfin, le Dieu-Homme. On a tôt fait de remarquer combien ces choix sont relatifs, et l’on en vient insensiblement à penser que l’essence de la religion ne dépend point de la nature du médiateur mais consiste uniquement dans l’idée qu’on s’en fait, dans les rapports qu’on a avec lui.
Ce médiateur, si je le tiens et le prends pour Dieu lui-même, c’est un culte idolâtre au sens le plus large. Si je n’admets aucun médiateur, c’est de l’irréligion. (…) La vraie religion est celle qui accepte ce médiateur comme médiateur, le tient en quelque sorte pour l’organe de la divinité, le regarde comme sa manifestation sensible. (…) Mais en serrant les choses de plus près, la vraie religion paraît à son tour se séparer antinomiquement en panthéisme et monothéisme. Il est vrai que j’use ici de licence en ne prenant pas le mot panthéisme au sens habituel, car j’entends par là que tout peut être organe de la divinité, médiateur, si je l’élève à ce rang; tandis que le monothéisme croit au contraire et affirme qu’il n’y a pour nous qu’un seul organe de ce genre en ce monde, que l’idée d’un médiateur est seule admissible, et que Dieu ne se manifeste que par ce seul moyen. (…)» (Novalis)